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intégral
Numéro 16

Préface
Richard KLEIN
Introduction
Amina HARZALLAH et Imen REGAYA
Vers une réhabilitation énergétique de l’architecture moderne: Immeubles d’habitation du quartier de St Exupéry à Tunis.
Rania FARAH JAAFAR, Amina HARZALLAH et Leïla AMMAR
El Menzah I : habiter une modernité située.
Narjes BEN ABDELGHANI, Ghada JALLALI et Alia BEN AYED
16 | 2023
Renouveler l’image du patrimoine social d’après-guerre à Bruxelles : une obsession contemporaine ?
Morgane BOS
Table des matieres
Introduction
1. De l’incohérence des stratégies d’intervention…
2. … à l’appauvrissement du cadre bâti
3. … sans réelle conscience des valeurs architecturales
4. Vers une prise de conscience ?
5. Cui Bono ? (à qui profite le crime ?)
6. Des pistes constructives pour l’avenir
7. Reconnaître et faire renaître : une dette à combler
Résumé
Dégradés par un manque de maintenance évident, et incapables de répondre aux exigences actuelles de confort, les immeubles de logement collectif construits durant la période des Trente Glorieuses arrivent manifestement à la fin d’un cycle de vie. La nécessité d’une mise à jour pour les remettre aux normes et leur permettre de répondre aux besoins d’habiter contemporains et aux enjeux du développement durable est indéniable et urgente. Depuis une dizaine d’années, cette préoccupation se traduit par un engouement grandissant de la part des pouvoirs publics bruxellois et la conduite effrénée de campagnes de rénovation, rendues possibles par des investissements publics conséquents.
Mais en dépit des objectifs tout à fait louables, la « manière de faire » laisse un goût amer, et même une impression de déjà-vu. Les projets contemporains favorisent une approche techniciste lourde, généralement irréversible et conduite à grands frais (y compris environnementaux), qui se révèle, dans la majorité des cas, terriblement appauvrissante pour le cadre bâti.
Cet article s’appuie sur un aperçu de quelques interventions menées ces vingt dernières années sur le territoire bruxellois et en particulier, sur le cas regrettablement emblématique de la tour Brunfaut qui, malgré une étude de définition menée rigoureusement en 2010 par les agences Lacaton & Vassal et Frédéric Druot, fait aujourd’hui face à une métamorphose pour le moins discutable. La contribution permet d’ouvrir une réflexion sur la requalification physique, voire cosmétique, de ce patrimoine. Et de poser la question qui nous taraude : à qui profite réellement ce relookage ?
Mots clés
logement collectif - patrimoine du XXe siècle - stratégies d’intervention - métamorphose physique du bâti - architecture d’après-guerre.
Abstract
Devalued by an obvious lack of maintenance and unable to meet today's comfort standards, many collective housing buildings built during the "Trente Glorieuses" period are gradually ending their first life cycle. Many of them require short-term intervention to provide a more appropriate response to contemporary living needs and sustainable development challenges.
Aware of these issues, the Brussels region has embarked on major renovation campaigns over the past ten years, thanks to significant public investments.
These recent initiatives, however, remain questionable for they give an impression of déjà vu. Many contemporary projects still favor a heavy technical approach, generally irreversible and expensive (environmental costs included). In most cases, such approach can have critical consequences for the built environment.
This article is based on an overview of a selection of interventions carried out in the Brussels region from the beginning of the XXIe century, with a special focus on the controversial case of the Brunfaut Tower. Despite an extensive definition study conducted by the agencies Lacaton & Vassal and Frédéric Druot in 2010, the building is currently experiencing a questionable metamorphosis.
The contribution aims to open a discussion on the physical, even cosmetic, requalification of this heritage by addressing the following question: who really benefits from this renovation?
Keywords
collective housing - modern heritage - retrofitting strategy - physical metamorphosis - post-war architecture
الملخّص
من الواضح أن المباني السكنية الجماعية التي تم بناؤها في فترة ما بعد الحرب، والتي تدهورت بسبب النقص الواضح في الصيانة وعجزت عن تلبية متطلبات الراحة الحالية، تصل إلى نهاية دورة الحياة. ومن الملح تجديدها لتلبية احتياجات الحياة المعاصرة وتحديات التنمية المستدامة. وعلى مدى العقد الماضي، انعكس هذا القلق في تزايد الحماس من جانب السلطات العامة في بروكسل وتنظيم حملات تجديد كبيرة، بفضل الاستثمارات العامة الكبيرة. بيد أن هذه المبادرات الأخيرة لا تزال موضع شك لأنها تعطي انطباعا بوهم سبق الرؤية. لا تزال العديد من المشاريع المعاصرة تحبذ نهجًا تقنيًا ثقيلًا، لا رجعة فيه ومكلفًا بشكل عام (بما في ذلك التكاليف البيئية). في معظم الحالات، يمكن أن يكون لهذا النهج عواقب وخيمة على البيئة المبنية. تستند هذه المقالة إلى لمحة عامة عن مجموعة مختارة من التدخلات التي تم إجراؤها في منطقة بروكسل منذ بداية القرن الحادي والعشرين، مع التركيز بشكل خاص على الحالة المثيرة للجدل ل. «Tour Brunfaut » على الرغم من دراسة التعريف المكثفة التي أجرت بشكل جيد في عام 2010، إلا إن المبنى يعاني حاليًا من تحول مشكوك فيه. تهدف المساهمة إلى فتح مناقشة حول إعادة التأهيل المادي، وحتى التجميلي، لهذا التراث من خلال معالجة السؤال التالي: من المستفيد حقًا من هذا التجديد؟
الكلمات المفاتيح
مساكن جماعية - التراث الحديث - استراتيجية التعديل التحديثي - التحول المادي للمباني - الهندسة المعمارية بعد الحرب.
Pour citer cet article
BOS Morgane, « Renouveler l’image du patrimoine social d’après-guerre à Bruxelles : une obsession contemporaine ? », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture
Maghrébines [En ligne], n°16, Année 2023.
URL : https://al-sabil.tn/?p=3223
Texte integral
De nos jours, à Bruxelles, comme dans beaucoup d’autres métropoles européennes, le logement collectif, et en particulier lorsqu’il relève de la propriété publique à vocation sociale, souffre d’une réputation pour le moins controversée. Considéré comme symbole de l’essor urbanistique intensif de l’après-guerre ayant conduit à l’avènement du logement de masse, ces immeubles sont aujourd’hui, dans la mémoire collective, associés à un échec. Pourtant, la réception de ce corpus fut très positive à l’époque de sa réalisation, signe d’un changement sociétal crucial, auquel des architectes de renom, tels que Renaat Braem, Willy Van der Meeren, Jacques Cuisinier ont pris part, marquant de leur empreinte la ville contemporaine.
Durant la période des Trente Glorieuses entre 1945 et 1975, on estime que 7000 nouveaux logements furent construits chaque année avec un point culminant à la fin des années 19601, ce qui forme aujourd’hui un parc bâti important et qualitativement très hétérogène (Fig. 1). Contrairement à la France voisine qui voyait au même moment s’ériger un nombre important de « grands ensembles » en bordure des villes, les immeubles bruxellois sont, pour la plupart, intégrés au tissu urbain de la deuxième, voire plus rarement de la première couronne régionale. Pour les Bruxellois, ces immeubles font donc partie intégrante du cadre de vie.

Source : L. Novgorodsky, La technique des travaux, 1966, p. 268.
Si au lendemain de la guerre, ces immeubles étaient l’expression même du confort moderne, aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, le bilan est plus mitigé : dégradés par un manque de maintenance évident et incapables de répondre aux exigences actuelles de confort, ces objets arrivent manifestement à la fin d’un cycle de vie. Leur état tend à occulter progressivement et parfois irréversiblement leurs qualités intrinsèques. La nécessité d’une mise à jour pour leur permettre de répondre aux besoins d’habiter contemporains et aux enjeux du développement durable est non seulement indéniable, mais surtout urgente. S’ajoute à cela un constat social alarmant : une grande part de ces immeubles est devenue progressivement le lieu de relégation des populations les plus fragilisées, captives d’un territoire résiduel qui leur est assigné. Trop souvent, et à tort, imputées à l’architecture, les responsabilités semblent pourtant venir avant tout de choix politiques malheureux.
Longtemps négligés, ces objets reviennent progressivement sous le feu des projecteurs. Au vu de la crise du logement et de l’urgence climatique, ils représentent en effet une ressource à valoriser. Depuis une dizaine d’années, cette préoccupation se traduit par un engouement grandissant de la part des pouvoirs publics et la conduite effrénée de campagnes de rénovation du parc collectif social, rendues possibles par des investissements publics conséquents. Cette prise de conscience doit certainement être saluée positivement. Pourtant, à l’exception des quelques rares opérations respectueuses de l’identité du bâtiment, comme celle du bâtiment Ieder Zijn Huis2, la stratégie très largement adoptée favorise une approche interventionniste, conduite souvent avec une approche techniciste lourde de conséquences, produisant presque systématiquement un « renouvellement de l’image ». Cette contribution entend interroger la pertinence et la réelle motivation de ces interventions3.
1. De l’incohérence des stratégies d’intervention…
Les interventions de « remise à jour » conduites ces vingt dernières années sur les immeubles de logement collectif sont nombreuses. Le corpus d’étude est conséquent4, mais peut être abordé en connaissance de cause. Un état des lieux, conduit à deux échelles complémentaires – celle de la région, et celle de l’objet construit5 – est d’ores et déjà en cours6, dans le but de mettre en évidence les enjeux à l’origine des choix d’intervention. Sa finalité est de dégager les critères effectivement retenus, au-delà des priorités annoncées par les pouvoirs publics en matière de logement social, en relation à une politique régionale qui, en Belgique comme dans le reste de l’Europe, semble peiner à identifier des objectifs cohérents et à les réaliser en conséquence.
Les premiers résultats de cet état des lieux laissent apparaître clairement un manque de stratégie d’intervention globale en ce qui concerne la rénovation de ce type bâti. Le répertoire fait état de nombreuses opérations conduites « au coup par coup », selon des temporalités discontinues, elles-mêmes générées par des contraintes économiques et logistiques- il faut le dire- très contraignantes.
Le cas le plus symptomatique est sans aucun doute celui du parc du Peterbos, la plus grande cité sociale de la Région Bruxelles Capitale construite entre 1968 et 1981, comme l’un des maillons importants de l’urbanisation de l’ouest de la commune et dans une logique spatiale de parc habité à la géométrie rigoureuse. Cet ensemble de 18 immeubles, réalisés à l’époque par divers architectes, et selon des typologies différentes (des tours et des barres), respectait quelques principes directeurs qui lui donnaient une certaine unité. Il a fait l’objet, ces dernières années, de plusieurs interventions de rénovation lourde qui ont fini par en compromettre la cohérence générale (Fig. 2). Il faut dire que les logiques de gestion, réparties entre plusieurs opérateurs publics, n’encouragent pas une prise de décisions concertée. Les programmes ainsi constitués ne se plient que très rarement à la définition préalable de la valeur de l’objet construit7. Et même quand certaines qualités et valeurs sont mises en exergue, les impératifs de mise aux normes (énergie, sécurité, feu, installations techniques…) l’emportent bien souvent sur la mise en place d’une réelle approche globale qui eût été salutaire.

Source : Grégory Halliday, 2021
2. … à l’appauvrissement du cadre bâti
Le résultat est douteux sur le plan architectural, avant même que patrimonial, et malheureusement à l’image de ce qui se généralise dans la plupart des pays européens, comme le rappellent ces auteurs en faveur d’un « Observatoire du patrimoine moderne et contemporain » :
« Loin d’être considéré comme une ressource, le patrimoine contemporain fait l’objet d’opérations lourdes en conséquence au niveau de sa matérialité. Bien que la pratique évolue progressivement dans le sens de l’approche conservative, les interventions qui ne tiennent nullement compte de l’authenticité matérielle restent malheureusement à l’ordre du jour. » 8.
La tendance la plus fréquente, probablement parce que la plus « facile » à mettre en œuvre en site occupé, consiste à « emballer » d’isolant l’ensemble du volume par l’extérieur, réprimant, le plus souvent de façon définitive, les spécificités architecturales d’une époque de construction foisonnante et à la pointe de l’innovation.
« Une floraison de nouvelles façades sur-isolées et ventilées aplatissent les modénatures et effacent des lignes de force qui étaient autrefois soigneusement réfléchies. Bardages métalliques et plaques en fibrociment recouvrent les volumes et englobent les balcons, au profit d’une volumétrie simplifiée qui, par la disparition des jeux de reliefs, se trouve considérablement appauvrie. Qu’il s’agisse de solides fenêtres en bois ou des premiers modèles à haute technicité en aluminium, les menuiseries d’origine s’épaississent, remplacées par des cadres bien plus massifs, le plus souvent en PVC, pouvant supporter le poids du triple vitrage. Quant à la mise en couleur – un véritable poncif (…) la juxtaposition savante de matières et textures, minutieusement calepinées par les projeteurs des années 1960, laisse la place à un échiquier de teintes vives plutôt trivial, (…) retenue dans la palette de l’industrie des matériaux de revêtement.9».
Aujourd’hui, le parc du Peterbos incarne un véritable déploiement de procédés disparates, une sorte de patchwork, portant les stigmates de l’époque contemporaine qui se révèlent terriblement appauvrissants pour le cadre bâti. Quant à la réelle valeur ajoutée de ces interventions en termes de réduction des consommations énergétiques, elle reste à démontrer. Pour être complet, le bilan énergétique devrait par ailleurs tenir compte du coût environnemental global de l’opération. En effet, c’est un paramètre qui tend régulièrement à être négligé, voire volontairement occulté.
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3. … sans réelle conscience des valeurs architecturales
La tour Brunfaut est, à ce titre, un autre cas regrettablement emblématique. Du haut de ses 18 étages qui s’élèvent sur les berges du Canal de Bruxelles, en lisière du « Pentagone » historique, elle représente depuis 1965, année de sa construction, un signal dans le paysage bruxellois. Située sur un territoire en proie à de nombreuses mutations, la présence de la tour a servi d’assise à la série de projets ambitieux qui s’y développent continuellement. D’un point de vue constructif, son architecte Julien Roggen a fait preuve, en réponse aux enjeux budgétaires et logistiques, d’une exceptionnelle économie de moyens et de matériaux, témoignage rare d’une époque où le développement de procédés constructifs innovants est mis au service d’une réelle efficacité fonctionnelle.
C’est d’ailleurs la première tour de logement à ossature métallique de Bruxelles (Fig. 3), ce qui tend à lui conférer une valeur technique autant qu’historique incontestable, l’usage « exclusif » de l’acier restant un fait particulièrement exceptionnel, et spécifiquement dans la construction d’immeubles de logements sociaux. En Belgique, on pourra citer l’immeuble Stoppelstraat à Gand réalisé en 1959 par le bureau d’étude Robert et Musette selon le procédé constructif ARCOS10.

Source : M. Bourguignon, Acier Stahl Steel, 1967, p. 272. © Technika.
De son côté, la tour Brunfaut s’appuie sur une ossature métallique de 400 tonnes constituée de poteaux et de poutres, le tout en système isostatique, stabilisé verticalement par deux pans de contreventement situés en pignons et présentant une triangulation en K. Cette triangulation particulière a permis de placer des fenêtres sur les pignons et ainsi d’assurer l’éclairage naturel des locaux sur ces façades secondaires, qui sont habituellement aveugles dans bon nombre d’immeubles de la même époque. L’usage de l’acier a favorisé certaines prouesses en termes structurels pour un coût et une durée d’exécution limités (la tour a été érigée en moins d’un an). En outre, l’encombrement minimal de la structure a donné lieu à la création de plus grandes surfaces de logement comparativement aux dimensions standardisées des appartements sociaux de l’époque.
Le poids des années et surtout le manque d’entretien et d’intérêt a fini par occulter durablement les qualités de composition de la tour Brunfaut et pourtant, son architecture se démarque : son gabarit fin et élancé ainsi que l’écriture de ses façades lui confèrent une identité résolument moderne (Fig. 4). En outre, l’usage de l’acier coïncide avec l’avènement d’un nouveau mode d’expression architecturale : les façades légères. Et cela est un fait extrêmement rare : les murs rideaux de la tour Brunfaut sont en acier et non en aluminium extrudé, comme c’était généralement le cas à l’époque. L’écriture des quatre façades, couvertes d’une grille structurelle dans laquelle s’alternent harmonieusement des parties pleines et de larges baies vitrées dans un même alignement vertical, sans saillie, lui confère une identité résolument moderne.

Malgré des qualités évidentes, qui seront d’ailleurs ultérieurement soulignées lors de la phase de définition du projet de réhabilitation, la tour est mal-aimée par ses habitants. Elle est ainsi surnommée « Cartonenblock » (« la boite en carton » en flamand), « parce qu’elle ne tient pas debout et que tu entends tout »11 selon une résidente qui pointe des défauts d’isolation sur les plans acoustique et thermique. Entre 1970 et 2000, on peut parler d’une réelle période de « décadence »12 au cours de laquelle le Logement Molenbeekois, la société immobilière de service public (SISP) propriétaire de l’immeuble, abandonne tout devoir de maintenance au sein de cet immeuble qui progressivement devient un lieu de relégation pour ses locataires condamnés à y vivre.
Dès le début des années 2000, les premières revendications commencent à résonner, par l’intermédiaire des associations de quartier : les conditions d’habitabilité minimales ne seraient plus rencontrées par les locataires sociaux. Quelques années plus tard, alors que de grands chantiers s’amorcent dans ce quartier de Molenbeek, la région bruxelloise s’intéresse au périmètre, fertile pour y développer un nouveau quartier de logements au standard passif. La proximité de cette « tour infernale » conduit à interroger sa légitimité. En 2010, les pouvoirs publics confient donc aux Pritzker Lacaton & Vassal et Frédéric Druot, une étude de définition13 visant à étudier plusieurs stratégies d’intervention, parmi lesquelles l’option de démolition/reconstruction est largement privilégiée, tant par la société de logement propriétaire du bâtiment que par les autorités régionales. Les résultats de cette étude approfondie mettent pourtant en évidence les qualités de l’objet, ainsi que la grande flexibilité quant à sa réhabilitation que permet la structure en acier. Ils soulignent également « l’équilibre élégant entre une mise en œuvre minimale de matière et une performance maximale des espaces14 »allant jusqu’à qualifier ce rapport matière/surface d’exceptionnel. Ils plaident ainsi pour une intervention respectueuse qu’ils qualifient de « restauration ». Le terme doit être ici entendu comme « une amélioration par des adaptations mineures et diversifiées, des conditions d’habitabilité et de confort des habitants15», ces adaptations pouvant être généralisées à l’ensemble de l’immeuble ou proposées aux locataires. Cette stratégie implique de préserver les affectations des familles dans la tour durant la phase opérationnelle, ce qui constitue un argument décisif pour le Logement Molenbeekois qui fait face à un déficit d’appartements important.
Mais si les agences parisiennes ont aidé les autorités et le maître d’ouvrage à porter sur la tour Brunfaut un regard éclairé, le maintien de son intégrité n’est pas pour autant assuré. En effet, malgré une prise de position forte en faveur de la préservation de ses qualités, l’étude n’exclut pas une modification de son volume dans l’optique de répondre aux enjeux spatiaux en maintenant le nombre de logements existants. Les stratégies suggérées sont nombreuses : extensions ponctuelles, élargissement uniforme du volume, adjonction d’un ou plusieurs bâtiment(s) supplémentaire(s), … Le revirement est inattendu et met en lumière une certaine ambiguïté dans les résultats de cette étude. Le concours qui s’en suit saisit bien évidemment cette opportunité, en appuyant explicitement sur la possibilité de « redéfinir le gabarit » de la tour, ce qui laisse entendre unanimement que l’avènement d’une « nouvelle image » est consenti, voire souhaité. Si de son côté, le maître d’ouvrage s’engage à refuser « un projet cosmétique »16, les arguments convoqués en faveur d’une rénovation lourde, voire très lourde, sont multiples : réponse aux standards de surfaces tout en maintenant le nombre de logements, prétention à des ambitions énergétiques basse énergie, opération en site occupé (contrainte qui sera finalement abandonnée au terme de la procédure d’attribution)...
Les cinq candidats opportunément sélectionnés pour esquisser l’avenir de la tour Brunfaut sont des bureaux bien connus de la scène internationale ou nationale parmi lesquels Roland Castro, instigateur de la stratégie de la démolition sélective des années 2000, le bureau Wiel Arets ou encore l’Atelier Kempe Thill, tous deux appréciés pour la subtilité avec laquelle ils interviennent dans le « déjà-là ». Deux équipes plus « locales » mais non moins qualitatives complètent la sélection : il s’agit du bureau bruxellois MDW et d’une association momentanée formée par l’atelier A229 et le bureau Daniel Dethier, le dernier ayant pu faire valoir ses compétences lors de la rénovation de 435 logements sociaux à Droixhe (Liège), ensemble fonctionnaliste emblématique pensé par le groupe EGAU dans les années 1950. Tous les projets esquissés pour le concours promettent à leur façon un avenir radieux à la tour. Le point commun est de modifier irréversiblement son image.
L’équipe lauréate – l’atelier 229 et Daniel Dethier – est celle qui aura le mieux cerné l’image symbolique de la tour Brunfaut dans le paysage bruxellois, en optant pour une surélévation de 5 niveaux, libérant ainsi les abords tout en réduisant l’emprise au sol. Grâce à cette extension en hauteur, elle entend lui rendre son caractère de « signal » dans le quartier et au-delà du Canal, vers la ville de Bruxelles. Malheureusement, le projet propose également en plan un « élargissement en épaisseur »17, ce qui va de pair avec une réécriture des façades, autant dire leur remplacement intégral (Fig. 5). Finalement, seuls les planchers et le squelette métallique seront conservés. Le bâtiment existant sera surmonté d’un « pont habité » qui permet de rendre les étages supplémentaires indépendants de la structure initiale, les lignes de poteaux étant reportés au sol dans l’épaisseur de la nouvelle façade déportée.


Source : Dethier, A229.
La nouvelle tour qui se dessine depuis quelques mois est finalement très éloignée de son identité d’origine : ses façades en ossature bois sont certes légères, mais très épaisses, et en ce sens tout à fait opposées à la composition initiale de Roggen, percées de baies de dimensions réduites et disposées aléatoirement, naturellement mise en évidence par le contraste avec le matériau de façade (Fig. 7). L’équipe semble vouloir accentuer l’effet « signal » en libérant l’espace urbain de toutes les barrières qui « diluent »18 la tour dans le tissu urbain et cherche, dans un même temps, à créer une relation plus forte avec le contexte. Cette volonté s’illustre non seulement dans la porosité assignée au socle, qui ne renvoie, par ailleurs, à aucun état d’origine connu, mais également dans le traitement miroitant du pignon qui fait face au Canal, supposé refléter ce dernier (Fig. 6).
