Quant aux courettes, elles ne peuvent servir, ni à éclairer, ni à aérer aucune pièce, à usage
de chambre à coucher, si ce n’est au dernier étage. Cette distinction du dernier étage, qui est, en
général moins haut que les premiers niveaux, tendrait à en confirmer le statut légèrement inférieur,
à ceux des étages courants. Les courettes, elles, ne peuvent être inférieures à 4 m2
, leur plus petit
côté, ayant au minimum, 1,60m de large. Ces dimensions sont des adaptations de la réglementation
parisienne, de la fin du XIXème siècle (décret du 18 juin 1872), qui précise les dimensions et les
catégories de courettes, selon qu’elles éclairent des cuisines ou, uniquement, des vestibules et des
cabinets d’aisance.
Avec le développement et l’engouement pour l’immeuble de rapport à Tunis, la courette
apparaîtra jusqu’au début du XXème siècle, comme un élément indissociable de l’immeuble et un
dispositif domestique, indépendant des dimensions du bâtiment. On s’aperçoit, ainsi, que sur le
chapitre des cours et courettes, le Règlement de voirie de 1889 reste plutôt laconique. S’il établit
une relation directe, entre l’importance de la voie et celle des vides intérieurs de l’îlot, il ne définit
pas le gabarit des volumes, sur cours ou courettes et les distances minimales qui en découlent. Les
décrets postérieurs, du 5 juillet 1920 et du 3 août 1929 viendront pallier ce manque, en précisant
les dispositions des gabarits d’immeubles, en bordure des cours et courettes, à travers la notion de
vue directe.
L’immeuble de rapport, entre 1890 et 1935 va connaître une évolution typologique, qui va
entraîner, progressivement, la disparition de la cour. Avec la possibilité de mettre en commun des
cours communes, entre deux immeubles, la dimension des cours se réduit et entraîne une
dépendance des immeubles, les uns vis-à-vis des autres. Les mitoyens s’identifient, les épaisseurs
construites s’égalisent, les limites des cours correspondent. Tandis que les immeubles cherchent à
se distinguer, les uns des autres et à acquérir une certaine autonomie, en façade, ils lient, côté cour,
leur sort à celui de leurs voisins. Les parcelles profondes, à défaut de cours, gagnent à être
traversées par une petite voie construite par un seul et même architecte. Ce sera, alors, la naissance
de l’immeuble à passage. Les immeubles, que nous avons observés de 1890 à 1935, avaient
avantage à multiplier les courettes, au détriment des cours. Elles permettaient de porter l’épaisseur
des bâtiments, sur rue, jusqu’à 15 mètres, alors que l’épaisseur moyenne était de l’ordre de 8 à 9
mètres, si aucune courette ne venait éclairer les parties centrales.
La naissance de l’immeuble de rapport coïncide avec la spécialisation des pièces
d’habitation, qui vont, désormais, se distinguer par leur taille et leurs noms : salon, salle à manger,
chambre à coucher, cuisine, cabinets de toilette ou water closets, salle de bains. La séparation de
la cuisine, des cabinets d’aisance et de la salle de bains, du reste de l’appartement est
contemporaine de l’apparition de courettes, minimales, de 4 m2
de surface. La distribution de
l’appartement se fait, en général, par des pièces contiguës, en enfilade, salon, salle à manger,
chambres principales, disposés sur la rue tandis que les services sont situés à l’intérieur du corps
de bâtiment. L’immeuble est accessible, depuis la rue, par un vestibule ou un passage, qui conduit
à l’escalier, en position centrale ou latérale.
L’immeuble de rapport, consistant en une accumulation d’appartements et de pièces, devait
dépasser l’antagonisme entre un rez-de-chaussée, dévolu aux services et par lequel tout transite,
et les étages réservés aux appartements. Au sein de ceux-ci, la distribution en rangées de pièces
contigües, perpendiculaires à la façade et découpées par des cloisons ou des murs, va se
transformer en regroupement de pièces, distribuées par un couloir. Ce système, qui donne à chaque
pièce son autonomie et à l’appartement, une hiérarchisation des pièces, sur rue ou sur cour,
apparaît dès la fin du XIXème siècle. Le couloir, nommé alors dégagement, espace linéaire pris
entre les pièces éclairées, la cuisine et les water-closets, la spécialisation des pièces en chambres,
(chambres à coucher, bureau, salon, salle à manger) ont contribué à la formation du type de
l’immeuble de rapport, à courettes, largement diffusé à Tunis.
Nul doute que, dans le domaine de l’édilité urbaine et des chantiers urbains, à Tunis, entre
1895 et 1935, les Italiens n’aient joué un rôle majeur. C’est leur langue qu’on entendait dans les
chantiers, massivement, à côté du français et ce sont les architectes et maîtres d’œuvre italiens,
qui ont façonné une large partie du paysage architectural et urbain de Tunis. Leur influence sur la
culture locale s’est fait ressentir, naturellement, dans les constructions qu’ils ont édifiées. Certains
sont nés et ont été formés, à Tunis, d’autres ont poursuivi leur formation initiale, dans les Ecoles
des Beaux-Arts françaises, d’autres, encore, ont quitté la péninsule, pour le Maghreb et sont arrivés
à Tunis, après un détour par Alger. D’autres, encore, après une formation et un passage par Tunis,
ont émigré au Maroc ou en Algérie. Les architectes et entrepreneurs italiens, souvent anonymes,
ont réalisé la plus grande part des édifices privés, à Tunis, de l’immeuble de rapport urbain, à la
villa de banlieue. Du maçon sicilien, à l’architecte renommé, ils ont participé et contribué, par leur
présence massive et qualitative, au renouvellement des formes architecturales de la ville de Tunis
et des idées qui y prévalaient, en matière d’architecture. Cette contribution appelle des travaux
soutenus, à venir pour suivre les réseaux et les trajectoires de ces acteurs, leurs biographies
professionnelles et leurs mobilités, dans l’Histoire de la Tunisie, comme au Maghreb. Mais, aussi,
pour approfondir notre connaissance de la culture architecturale italienne, à cette période et pour
mieux comprendre, ce que l’on entend, généralement et un peu rapidement, par « facture
italienne » ou influence italienne.
Ammar Leïla, 2007, La rue à Tunis, réalités, permanences, transformations, de l’espace urbain à
l’espace public, 1835-1935, Thèse de doctorat en architecture, Université Paris VIII-Vincennes –
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DEA, Université de Paris I, Centre de recherches Africaines.
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