La femme au hammam dans l'œuvre du peintre Jellal Ben Abdallah
Ilyes Zaafouri
Résumé
Jellal Ben Abdallah (né en 1921) et sans doute l'un des peintres tunisiens qui a le plus contribué à forger l'image de la Tunisie et à ce qu'on appelle « la tunisianité » dans la peinture avec entre autres Zoubeir Turki (1924-2009). Le répertoire artisanal et décoratif reste l'univers essentiel de son œuvre, ainsi les hommes et surtout les femmes qu'il peint à l'intérieur des demeures, sont toujours entourés de motifs ornementaux, de faïences murales, d'arabesques, d'éléments de mobilier, d'objets d'usage domestique et de vêtements. Cette approche avait pour but de fixer les multiples aspects de la vie
traditionnelle, entre autres la vie de la femme.
Cette étude vise à élucider la prépondérance en Tunisie après l'indépendance, de l'un des thèmes majeurs de la peinture orientaliste à savoir la femme au hammam. Comment ce thème est-il traiter par Ben Abdallah ?
Mots clés
Tunisianité, femme, hammam, nu, sexualité, Jellal Ben Abdallah, peinture.
Pour citer cet article
Ilyes Zaafouri, «La femme au hammam dans l'oeuvre du peintre Jellal Ben Abdallah », Al-Sabîl :
Revue d'Histoire, d'Archéologie et d'Architecture Maghrébines [En ligne], n°2, Année 2016.
Depuis l'époque coloniale, le hammam occupe un rôle essentiel, dans la création picturale en Tunisie. Hérité de la peinture orientaliste, le thème est essentiellement associé à la femme. Elle est souvent représentée nue, seule ou avec plusieurs femmes. Certes, le thème de la femme au hammam ou la femme au bain, en peinture est de tradition occidentale mais il y a ce qui le justifie,
dans la culture arabo-islamique. En effet, le hammam est une institution forte répandue, dans le monde arabo-musulman. C'est l'institution islamique, la plus typique, après la mosquée. Il symbolise la propreté rituelle du musulman, il est la synthèse de toutes les prescriptions coraniques, vécues au quotidien. Carrefour de la vie sociale, le hammam est considéré par la tradition populaire, comme un médecin muet.
D'héritage gréco-latin, le hammam est adopté par le monde arabo-musulman afin de vivre, au quotidien, les prescriptions religieuses, concernant la propreté du corps. Il n'est point de petite bourgade ou de village qui n'ait son hammam. Depuis le Moyen-Age, il a pris une place, très importante, dans la vie sociale. Abdelwahab Bouhdiba note qu' « à Bagdad au Xe siècle on peut estimer qu'il y avait un hammam pour 50 habitants et que le Kairouan aghlabide en contenait
1 pour 80 habitants »1.
L'imagerie abondante, sur le hammam, n'est pas due seulement à son importance dans la vie sociale ou dans l'hygiène de vie mais à son caractère fortement érotisé. « Tellement d'ailleurs que le nom finit, à force de sous-entendus et d'évocations grivoises, par signifier aux yeux des masses
l'acte sexuel lui-même. « aller au hammam » dans beaucoup de pays arabes signifie purement et
simplement "faire l'amour". Puisqu'aller au hammam relève du souci d'ôter la souillure, consécutive à l'acte sexuel et puisque le hammam ; de par les soins qu'il comporte, est aussi une préparation à l'acte sexuel, on peut dire que le hammam est, à la fois, conclusion et propédeutique de l'œuvre de chair. Le hammam est l'épilogue de la chair et le prologue de la prière. La conduite du hammam est une conduite pré et post-sexuelle. Purification et sexualité se relaient. Le hammam apparait comme la médiation nécessaire, entre la jouissance sexuelle où le musulman devient impur et perd sa tahara et le moment où il fait sa prière »2.
Comme le décrit Abdelwahab Bouhdiba, le hammam est un lieu surévalué, sexuellement. Pas étonnant, alors, qu'il éveille autant de fantasme ; chez les peintres orientalistes, depuis le XIXe siècle. Ainsi, Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) réalise Le Bain turc, 1862, la peinture la plus érotique de son œuvre. Il s'inspira des lettres de Lady Mary Wortley Montagu (1690-1760), femme de l'Ambassadeur d'Angleterre, à Constantinople, qui raconte une visite d'un bain, pour femmes, à Istanbul, au début du XVIIIe siècle. L'œuvre représente des dizaines de femmes turques, nues, assises dans des attitudes variées, sur des sofas, dans un intérieur oriental, autour d'un bassin. Beaucoup de ces baigneuses, juste sorties de l'eau, s'étirent ou s'assoupissent. D'autres papotent, prennent du café. Au fond, une femme danse, au premier plan, une autre, vue
de dos, joue de la musique, avec une sorte de luth, un tchégour.
Lady Mary Wortley Montagu décrit un spectacle, auquel elle a assisté. Mais, le peintre, sans quitter l'Europe, imagine un univers fantasmatique où tout est érotique, la chaleur qui invite à se détendre, la nudité et le cadre rond, qui fait, du spectateur, un voyeur à qui est offert un moyen de jeter un regard, sur l'Orient interdit. Cette vision érotique, de la femme au bain devint un thème récurrent, chez tous les peintres orientalistes, offrant une authenticité, très relative, de la femme orientale.
Il ne s'agit pas que d'un fantasme ; la découverte voyeuriste du corps féminin, dans le hammam, corps dénudés et sans pudeur, des vieilles femmes ou corps, entourés de pagnes humides, pour les plus jeunes filles, correspond à une expérience, vécue par de nombreux préadolescents, dans les pays où les bains publics sont demeurés une institution vivante. Aussi bien, pour le monde occidental que pour le monde arabe, le hammam reste un lieu fortement érotisé, sur lequel vient se greffer un imaginaire presque libidinal.
Sujet de prédilection, pour les peintres orientalistes du XIXe siècle, la femme au bain demeure, jusqu'à après l'Indépendance, un thème récurrent, dans la peinture tunisienne. Cela est dû, comme nous l'avons déjà mentionné, à l'importance de cette institution, dans la vie quotidienne, jusqu'à nos jours.
Pour mieux cerner l'importance du hammam, dans l'imaginaire des artistes tunisiens, il faut revenir sur l'expérience, vécue par les pré-adolescents, dans le pays, admis à partager l'intimité des femmes, jusqu'à leur première puberté, première vraie souffrance car elle signifie une deuxième naissance, deuxième expulsion de l'utérus, arrachement et ségrégation. Bouhdiba l'explique : « Comme le veut l'usage, quand le hammam est ouvert aux hommes, aucune femme, aucune fillette n'y est admise. Il en va tout autrement lorsque le hammam est ouvert aux femmes. Certes aucun homme adulte n'y est admis. Mais les garçons le sont, ils vont en compagnie des femmes et ce, jusqu'à leur puberté. Comme par ailleurs l'âge de la puberté n'est pas le même pour tous, que le seuil à partir duquel on est « devenu grand » est fort élastique ; comme une mère a toujours tendance à voir dans son fils un éternel enfant ; comme les autre femmes ne sont nullement dérangées par la présence d'un garçon jeune ou pas, comme au surplus mener au hammam est une corvée dont le père préfère se décharger, aussi longtemps que possible, sur la mère, le spectacle de grands enfants, de pré-adolescents, côtoyant dans leur nudité celle de femmes de tous âges n'est pas rare. Il faudrait que le jeune homme se laisse aller à un geste inconsidéré ou à un propos déplacé pour que la tenancière vienne dire doucement à la maman : « ton fils a grandi, ne l'amène plus avec toi. » Quel arabo- musulman n'a été ainsi exclu du monde des femmes nues ? Quel arabo-musulman ne garde le souvenir de tant de chair nue et de tant de sensations ambigües ? Qui ne garde le souvenir de l'incident à partir duquel ce monde du nu a sombré dans l'interdit ? »3.
Ainsi, dès le premier vrai regard sur la nudité, le garçon est chassé du hammam des femmes et renvoyé vers le monde des hommes ; ce moment est décrit comme métaphore du paradis perdu. D’où cette nostalgie exprimée par les peintres tunisiens, sur le thème du hammam et si bien décrite,par Bouhdiba : « Le hammam est autre chose qu'un simple cabinet de toilette. Monde inattendu, souvenirs mêlés, pudeur et impudeur, lassitude et détente, tout se confond et se fond dans cette atmosphère humide et vaporeuse des chambres chaudes mais aussi dans celle de nos esprits. Nous naissons, enfants, au hammam. Et devenus adultes, nous le peuplons de nos souvenirs d'enfance, de nos phantasmes, de nos rêves et c'est là, pour tout musulman, une manière précise de revivre son enfance et ce, à partir de son expérience du hammam. Oui, on peut parler de « complexe du hammam ». Tout un pan de la vie sexuelle s'organise en effet autour du hammam, le réel et le refus du réel, l'enfance et la puberté, le passage et l'initiation s'intègrent dans une espèce de constellation de sens que cristallise le hammam »4.
Jellal Ben Abdallah est, sans doute, l'artiste tunisien qui a, le plus, travaillé sur la femme au hammam. Essentiellement miniaturiste, il renoue avec l'expérience de son prédécesseur Aly Ben Salem, premier miniaturiste tunisien. D'inspiration orientale, l'œuvre de Ben Abdallah s'inscrit dans la tradition picturale arabe et persane, du Moyen-Age, renouvelée depuis le début du XXe siècle, avec des peintres, comme Mohammed Racim (1896-1975).
Reprenant les codes esthétiques traditionnels de la miniature persane qui sont l'absence du modelé, du volume et de tout naturalisme ainsi que les codes esthétiques, des bas-reliefs mésopotamiens et de la peinture égyptienne antique, l'artiste réalise plusieurs tableaux, sur le thème de la femme au hammam.
Bain turc, de 1979 est une œuvre très représentative, de cette approche (Fig.1). Elle représente trois femmes nues, dans un hammam: au premier plan et au centre du tableau, une femme à genou, devant une assiette, avec trois grenades (ce fruit est, depuis des temps immémoriaux, symbole de vie et de fertilité, chez beaucoup de peuples) ; derrière la femme, deux seaux remplis d'eau ; au deuxième plan, une femme nue portant un collier, assise sur une large banquette, couverte de carrelage; au troisième plan, une femme nue, à genou, se coiffant les cheveux ; au fond, une architecture orientale, avec deux colonnes et un arc.
Tout comme l'œuvre d'Ingres, le Bain turc de Ben Abdallah est une ode à la délicatesse de la peau et aux courbes sensuelles de la femme. Le tableau, avec ses modèles, dégage une réelle puissance érotique, accentuée par le choix des couleurs chaudes, qui évoquent la chaleur, le bien-être et le plaisir.
N'ayant recours à aucun modèle particulier, pour la réalisation de son œuvre et s'inspirant, uniquement, de son imagination et de ses fantasmes, Ben Abdallah peint des jeunes femmes, avec des traits orientaux, des cheveux bruns et frisés, des yeux en amande, rappelant la peinture égyptienne antique. Ainsi, plusieurs formes esthétiques cohabitent, comme nous le montre la tête de la deuxième femme, au centre du tableau, peinte de profil, alors que le corps est dessiné de trois-quarts. A la manière d'une peinture égyptienne, chaque partie du corps est représentée, sous
son angle le plus caractéristique. La tête se voit mieux de profil, et elle est dessinée de côté. Ce signe particulier de la peinture de Ben Abdallah accentue le sentiment que chaque personnage du
tableau est indépendant des autres, qu'il a une vie propre. Les personnages n'interagissent pas entre eux, chacun porte son regard, dans une direction différente.
Dans une autre œuvre, intitulée Le bain (Fig.2), Ben Abdallah met en scène trois femmes nues, dans un hammam. Au premier plan, se trouve une femme allongée, sous son coude gauche, un chapiteau, au deuxième plan, une autre femme, en train de se laver les cheveux, au troisième plan, une femme allongée, tenant dans sa main gauche, une sorte de branche qui rappelle le rameau de myrte5, l'un des attributs des trois grâces.
La technique reste la même, négligence des apparences sensibles, des illusions d'optique, la perspective, les ombres et les lumières mais on remarque une mise en valeur, plus importante, des trois personnages. Ces derniers occupent tout l'espace du tableau, ils sont peints d'une manière subtile, sans aucun modelé ni volume. Afin de séparer les corps, les uns des autres et, peut-être, pour créer un effet de profondeur, l'artiste peint la première femme, d'une couleur blanchâtre, la deuxième, avec un jaune orangé et la dernière, avec un marron. Cette sorte de dégradation de couleurs, au-dessus d'un fond sombre, met en valeur les corps des jeunes femmes nues.
A l'inverse du premier tableau, on remarque, ici, une absence, presque totale, de toute architecture. Ainsi, le regard du spectateur est axé, exclusivement, sur les trois corps nus. Et, puisque nous évoquons la relation, entre le spectateur et l'image, il faut s'interroger sur un geste, très particulier, le regard des femmes. Ces dernières dirigent leurs regards, selon l'espace bidimensionnel de leurs gestes. Se présentant de profil ou tournant la tête de trois-quarts, elles ignorent, totalement, le spectateur qui, de ce fait, ne peut participer à la scène, qui se déroule sous ses yeux.
Malgré leur nudité, leurs yeux « de séductrices » et ses objets fétiches, ces femmes n'inspirent guère la sensualité. Dépourvues de véritable volume, elles semblent statiques et rigides. Frontalité et raideur priment, ici, sur toute tentative de rendu réaliste. L'accent est mis, comme dans toutes les œuvres de Ben Abdallah, sur l'aspect décoratif, de figures éternellement jeunes. Le peintre fait tout son possible, pour accentuer les traits, chantés par les poètes, tels que la rondeur "de lune" du visage, la ligne admirable du nez, la langueur du regard, la petitesse de la bouche, l'arc des sourcils, la discrétion de la poitrine et le teint de jais, de la longue chevelure, le tout peint avec une telle fougue, que les figures en perdent toute proportion réaliste, pour devenir de simples stéréotypes.
Dans un autre tableau, intitulé Femmes se lavant les cheveux (Fig.3), Ben Abdallah met en scène, encore une fois, trois femmes nues, dans un hammam. Au premier plan, une femme nue, de profil, sur une large banquette, couverte de carrelage, accroupie et se coiffant les cheveux, avec un peigne. Au fond du tableau, deux femmes, assises, face à face, l'une, sur un chapiteau et l'autre, sur une serviette.
A l'inverse du tableau précédent, où il n'y a pas de profondeur, dans cette œuvre, l'espace est construit avec une perspective, à point de fuite. Cette volonté d'approcher la réalité sensible est appuyée par la présence de plusieurs objets, comme les seaux, les chaussures en bois et les différents récipients. L'absence d'architecture, la touche impressionniste, qui enveloppe d’une brume épaisse et lumineuse, le fond et les différents éléments du tableau ne laissent, au spectateur, après la contemplation de l’œuvre, qu’une « impression » vaporeuse. Ainsi, le tableau fait la part belle, à l'atmosphère qui règne dans un hammam.
Le groupe de trois femmes dénudées est un thème récurrent, dans la peinture. Symbole de la beauté, des arts et de la fertilité, il a inspiré de grands peintres et sculpteurs, comme Rubens, Fragonnard, Raphaël, Botticelli, etc.
Ces femmes, appelées les Trois Grâces sont des divinités mineures, considérées comme les compagnes d'Aphrodite. Elles seraient les filles de Zeus et d'Eurynomé, la fille d'Océan et de Téthys. Le plus souvent, au nombre de trois, les Grâces (en grec : charités - en latin : gratiae) personnifiaient la joie, l'abondance et la beauté. Vraisemblablement, Ben Abdallah s'est inspiré de
ce thème, afin de réaliser les deux œuvres que nous venons d'analyser, d'autant plus qu'il y a quelques références significatives, comme le rameau de myrte ou les trois grenades, remplaçantles trois pommes.
Ben Abdallah s'attaque à un autre thème majeur de la peinture, quand il peint Hammam, en 1980 (Fig. 4), le thème des deux amies. Il remonte à la plus haute antiquité mais, c'est au début du XXe siècle, qu'il devient un sujet, à part entière, traité par bon nombre de peintre et non des moindres, il s'agit de Marie Laurencin, André Lhote, Mariette Lydis, Louise Janin, Louise Hervieu, Pablo Picasso, Paul Delvaux et même, le tunisien Aly Ben Salem, dans plusieurs tableaux, parmi lesquels Les deux amies, de 1943 (Fig.5).
Les deux femmes occupent une position centrale, dans le tableau, la première, assise au bord d'une large banquette tandis que la deuxième, portant une serviette de bain, autour des hanches, est allongée à l'autre bord. Au fond du tableau, à gauche, une colonne avec un chapiteau corinthien. Comme dans la plupart des œuvres de Ben Abdallah, on remarque une absence de perspective. Le tableau est construit par étagement, un premier niveau, où se trouvent les deux seaux, le deuxième, la première femme, le troisième, où est allongé le deuxième personnage ; le quatrième et dernier niveau est déterminé par la colonne. Ainsi, les deux femmes sont aussi grandes, l'une que l'autre et aussi nettes, sans aucun flou. On peut observer, également, une absence de lumière, sur les objets et sur les deux corps, malgré le faisceau lumineux, qui pénètre par la lucarne. A l'inverse de la plupart des œuvres de Ben Abdallah, où dominent les couleurs vives, dans ce tableau, plutôt sombre, se dégage une atmosphère mélancolique, triste, et un peu inquiétant. Le hammam n'est plus ce lieu paradisiaque, où s'offrent les corps idéalisés des jeunes femmes. Un certain glissement réaliste s'opère dans l'art de Ben Abdallah, les femmes semblent plus réelles, on voit même apparaître certains attributs sexuels, comme la pilosité pubienne. En effet, le triangle pubien fut, le plus souvent, caché, soit par un geste de la main, soit par un autre personnage, situé devant. Ici, la femme ne semble pas dérangée, par le pagne qui tombe, faisant apparaître les parties intimes de son corps. Ainsi, les gestes des femmes sont beaucoup plus naturels. Les femmes réapparaissent sous un autre jour, sous une autre forme, subversive, d’un ordre de la représentation, où elles ne sont pas seulement montrées, comme objet de désir mais comme sujet, à part entière.
Si nous revenons à la tradition prophétique et à l'interprétation du texte coranique, on trouve que la pilosité féminine est extrêmement régulée, les poils du corps doivent être éliminés, pour dissocier les corps féminin et masculin, comme l'explique Frédéric Lagrange : « la distinction des genres n'est pas un choix ou une esthétique, mais une recommandation de la foi, qui demande que les corps se plient dans leur apparence à la bipartition »6. Dans La sexualité en islam, Abdelwahab Bouhdiba souligne que, dans la culture islamique, le sexe de la femme est tout particulièrement aimé, quand il est bien épilé. « Le fait est d'ailleurs que l'épilation est un élément important de la conduite au hammam, de l'hygiène, de la toilette et de l'art de se rendre beau et disponible à l'œuvre de chair. Une femme non rasée est réputée répugnante, sale, peu soignée de sa personne. Les poils dits superflus passent pour donner un aspect répugnant, hommasse (murujla). L'hirsutisme est anti-érotique et d'ailleurs seules les jeunes filles et les femmes en deuil doivent ne pas se raser le pubis ni s'épiler le corps. Un sexe non épilé est aisément assimilé à un mauvais œil »7.
Cette œuvre constitue, donc, une réelle transgression des codes esthétiques et des valeurs sociales, la femme est beaucoup moins idéalisée, que dans les autres œuvres de l'artiste. Même le hammam est peint, ici, comme un lieu sombre, à l'inverse des deux premiers tableaux, où il est
décrit comme un lieu lumineux, peut-être s'agit-il de la salle de sudation, qui se trouve généralement au fond du hammam et qui est la salle la plus obscure, dans laquelle les femmes se
préparent au gommage du corps.
Notes
1 Abdelwahab Bouhdiba, 1973, p. 121. 2 Abdelwahab Bouhdiba, 1998, p. 203.
3 Abdelwahab Bouhdiba, 1998, p. 206. 4 Abdelwahab Bouhdiba, 1998, p. 207.
5 Le Myrte est sacré depuis l'Antiquité où il était utilisé pour les fumigations et pour la préparation d'huiles et d'onguents parfumés. Le Myrte était un symbole de pureté, de grâce et d'amour féminin, et il fut souvent associé à des déesses : Janna, Astarté, Aphrodite, Vénus. En Orient le Myrte est considéré comme une plante apportant la bénédiction, et en Occident son parfum est réputé pour être apprécié des anges.
6 Frédéric Lagrange, 2008, p. 57. 7 Abdelwahab Bouhdiba, 1998, p. 248.
Bibliographie
Bakalti Souad, 1996, La femme tunisienne au temps de la colonisation : 1881-1956, L'Harmattan,
Paris.
Ben Abdallah Jellal, 1992, Une mémoire tunisienne, Cérès, Tunis.
Bouhdiba Abdelwahab, 1978, Culture et société, Publications de l'Université de Tunis, Tunis.
Bouhdiba Abdelwahab, 1998, La sexualité en Islam, PUF, Paris.
Chebel Malek, 2004, Le corps en Islam, PUF, Paris.
Chebel Malek, 2002, L’imaginaire arabo-musulman, PUF, Paris.
Clevenot Dominique, 1994, Une esthétique du voile, essai sur l’art arabo-islamique, L’Harmattan,
Paris.
Lagrange Frédéric, 2008,0 Islam d'interdits Islam de jouissance, Cérès, Tunis.
Auteur
Ilyes Zaafouri
Assistant universitaire – Institut Supérieur d'Arts et Métiers de Kairouan - Université de Kairouan.
Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines-Université de la Manouba.