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02 | 2016

Dar el-Bey d’Hammam-Lif aux XVIIIe -XIXe siècles : prémices de l’architecture thermale à Tunis

Beya Abidi-Belhadj

Résumé

Le village de Hammam-Lif est situé sur des sources thermales, à 16 kilomètre de la ville de Tunis. L’intérêt pour les eaux thermales, la montagne et la mer ainsi que la mise en valeur de ces ressources ont été rythmés par des chronologies différentes. Dès le milieu du XVIIIe siècle les séjours curatifs, à Hammam-Lif, s’inscrivent dans le coutumier de la cour beylicale de Tunis. En 1747, un premier pavillon est édifié auprès des sources minérales, afin d’assurer convenablement les services des eaux, pour la famille beylicale. Il est remplacé en 1828, par un établissement thermal monumental, comprenant deux parties : l’aile dédiée à la cour beylicale et le caravansérail pour l’usage du public. Ainsi, le thermalisme est désormais l’activité dominante, de la région de Hammam-Lif. En 1883, un nouvel établissement thermal en style néo-mauresque, El-Hammam Es-Souri, est mis en chantier, à proximité de la villégiature beylicale. Aussitôt, de nombreuses constructions sont venues compléter l'ensemble existant et la ville d’eau prend naissance, pour offrir aux curistes, non seulement les meilleures conditions de soins mais, également, celles d’un séjour réussi. Cette étude de ces deux établissements thermaux nous permet de mieux apprécier les thèmes architecturaux et l’évolution de l’architecture thermale à Tunis au XVIIIe et au XIXe siècle. Pour ce faire une documentation variée est mise en œuvre.


The village of Hammam-Lif is located on thermal springs, 16 kilometers from the city of Tunis. Interest in thermal waters, the mountains and the sea as well as the development of these resources were punctuated by different chronologies. From the middle of the 18th century, curative stays in Hammam-Lif were part of the custom of the Beylical court of Tunis. In 1747, a first pavilion was built near the mineral springs, in order to properly provide water services for the Beylicale family. It was replaced in 1828 by a monumental thermal establishment, comprising two parts: the wing dedicated to the beylical courtyard and the caravanserai for public use. Thus, hydrotherapy is now the dominant activity in the Hammam-Lif region. In 1883, a new spa establishment in neo-Moorish style, El-Hammam Es-Souri, was started, near the Beylical resort. Immediately, numerous constructions were added to complete the existing complex and the spa town was born, to offer spa guests not only the best conditions for treatment but also those for a successful stay. This study of these two thermal establishments allows us to better appreciate the architectural themes and the evolution of thermal architecture in Tunis in the 18th and 19th centuries. To do this, various documentation is implemented.

تقع قرية حمام الأنف على ينابيع حرارية، على بعد 16 كيلومترا من مدينة تونس. الاهتمام بالمياه الحرارية والجبال والبحر وكذلك تنمية هذه الموارد تخللته تسلسلات زمنية مختلفة. منذ منتصف القرن الثامن عشر، كانت الإقامات العلاجية في حمام الأنف جزءًا من عادات بلاط الباي في تونس. في عام 1747، تم بناء جناح أول بالقرب من الينابيع المعدنية، من أجل توفير خدمات المياه بشكل صحيح لعائلة بيليكال. تم استبداله في عام 1828 بمؤسسة حرارية ضخمة تتكون من جزأين: الجناح المخصص للفناء الباي والخان المخصص للاستخدام العام. وهكذا، أصبح العلاج المائي الآن هو النشاط السائد في منطقة حمام الأنف. في عام 1883، تم إنشاء منتجع صحي جديد على الطراز المغربي الجديد، الحمام السوري، بالقرب من منتجع بيليكال. وعلى الفور، تمت إضافة العديد من الإنشاءات لاستكمال المجمع الحالي وولدت مدينة السبا، لتوفر لضيوف المنتجع ليس فقط أفضل الظروف للعلاج ولكن أيضًا لإقامة ناجحة. تسمح لنا هذه الدراسة لهاتين المنشأتين الحراريتين بتقدير المواضيع المعمارية وتطور العمارة الحرارية في تونس في القرنين الثامن عشر والتاسع عشر بشكل أفضل. للقيام بذلك، يتم تنفيذ وثائق مختلفة.

Mots clés

eaux thermales, Hammam-Lif, villégiature, palais, architecture, urbanisme, hammam, établissement thermal.

Pour citer cet article

Beya Abidi-Belhadj, « Dar el-Bey d’Hammam-Lif aux XVIIIe -XIXe siècles : prémices de l’architecture thermale à Tunis », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°2, Année 2016. URL : http://www.al-sabil.tn/?p=2403

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Texte integral

Introduction

Le traitement curatif et préventif, par les eaux thermales est d’un usage courant dans la Régence de Tunis, depuis l’antiquité. Cependant, c’est sous la dynastie des Hafsides, que la vocation curative des eaux thermales d’Hammam-Lif est mise en exergue. En effet, l’usage des installations antiques perdure durant cette époque. Cette vocation est affirmée sous les Husseinites. Parallèlement, de nouveaux établissements voient le jour, notamment à partir du XVIIIe siècle. A ce moment-là, l’activité thermale n’en est qu’à ses premiers bouillonnements ; l'établissement apparaît vétuste et les sources, mal captées. La notoriété de la station commence, réellement, en 1828, avec la construction de la première villégiature hivernale beylicale. Mais, c’est autour de 1893 que le thermalisme a pris, effectivement, son envol avec l’édification du premier établissement thermal commode afin d’offrir aux curistes, non seulement les meilleures conditions de soins mais, également, celles d’un séjour réussi, se constituant, ainsi, un patrimoine varié, thermes, casinos, villas…etc., doté d’une identité, forte et originale 

1- De Hammat al-jazira, à Henchir Hammam-Lif : aux origines du thermalisme curatif

Situé à 16 kilomètres de Tunis, sur la voie du Cap-Bon et du Sahel, au débouché de la plaine de Mornag, le village de Hammam Lif est implanté sur des sources thermales, qui ont marqué l’histoire et la topographie de la région. De nombreuses ruines romaines, éparses, dans le voisinage des sources thermales et sur le flanc du Djebel Boukornine attestent que le point d’Hammam-Lif est très fréquenté et habité, pendant l’occupation romaine. Un autre indice d’occupation du site remonte à l’époque byzantine, est découvert en 1908. Il s’agit d’un archevêché byzantin, situé dans la zone, dite « le coup de sabre ».

Au moyen âge, l’histoire de la région reste floue voire obscure. D’ailleurs, il est rare, dans les écrits arabes, de trouver le nom de cette localité, d’où son rôle insignifiant, à cette époque-là. Il faudra, donc, attendre le cinquième siècle de l’Hégire, pour voir Al-Maliki, relater dans ses écrits, la dénomination de Hammat el- Djazera1 , nom donné à cette ville souligne-t-il. C’est par la suite, AlBakri, qui évoque le nom de Ribat Al-hamma, en découvrant cet endroit. Il rapporte, également, dans son livre cette source d’eau chaude est considérable et que maintes fois on en a reconnu l’efficacité 2 . Plus tard, les auteurs arabes fournissent des descriptions, encore plus détaillées. Mais, toutes ces sources ne signalent la présence d’une population fixe et des habitations, autour des sources des eaux thermales, qui faisaient la célébrité de cette région. Toutefois, c’est à l’époque moderne, que le nom de Hammam-Lif est attribué à cette localité. Cette désignation est inspirée du fait que cette ville est située au nez de la montagne de Boukornine. Ibn Abi Dinar est, à cet effet, le premier historien, à citer le nom de Hammam-Lif, en précisant dans ses écrits, qu’il s’agit d’une petite ville, construite par les Andalous3 . Depuis, toutes les sources utilisent cette nomination, pour désigner cette région, d’où le nom d’Hammam-Lif est utilisé, du moins à partir du XVIIe siècle.

Le domaine dit Henchir hammam-lenf, figure sur les listes des biens de tous les beys husseinites4 . En 1845, suite à une donation d’Ahmed Bey (1837-1855), ce domaine devient, totalement, la propriété du premier ministre Mustapha Khaznadar. Après sa destitution, en 1874, le domaine revient à l’Etat. Par ordonnance beylicale, de Mohamed Sadok Bey (1859- 1882), datant de 1876, ce henchir devient la propriété du, bey des camps, Ali Bey (1882-1904). Elle a une contenance approximative d’un hectare, limitée : au Sud, par henchir Bryh -Abla et es-Sabala el-bidha (la fontaine blanche), à l’Est, par la mer, au Nord par henchir ed-Dhaheb, propriété de l’Etat, à l’Ouest, par le Djebel Bokornine. Elle renferme un palais, des constructions diverses, des terrains à bâtir, des bains, des sources d’eau thermale, des puits et un henchir (terre labourable) 5 . Cette localité est  réunie à Tunis, par une très bonne route de 15 kilomètres et par un chemin de fer, à double voie exploité par la Compagnie de Bône-Guelma. L’eau d’alimentation est fournie par un puits, muni d’une noria, situé à un kilomètre à l’Ouest du palais du Bey. Elle est acheminée au palais par un aqueduc accroché au flanc de la montagne6 .

Fig.1. Henchir Hammam-Lif au XIXe siècle. Source : O.T.C.

D’après les descriptions avancées par nos sources, nous apercevons que Hammam-Lif n’ést pas, à proprement parler, un village. Il s’agit, sommairement, d’une réunion de palais, groupés au voisinage des sources des eaux thermales. La topographie de la partie Sud, comprenant le centre historique, est marquée par une importante élévation, Est-Ouest, tandis que celle de la partie Nord se caractérise par un terrain plat. Ainsi, cette petite localité bénéficie d’une exceptionnelle situation, propice à la villégiature. .

a- Les eaux thermo-minérales : vertus thérapeutiques et exploitation

Le recours aux eaux thermales représente l’une de ces stratégies, visant à guérir et à préserver le corps, de la maladie. Elle fait partie, également, des remèdes de la médecine, des XVIIIe -XIXe siècles. Cette pratique s’inscrit bien dans l’héritage médical traditionnel. .

*L’eau guérisseuse et l’usage médical traditionnel

Hammam-Lif comporte deux sources thermo-minérales, distantes d'environ 500 mètres, l'une de l'autre et dans la direction de l’Est à l’Ouest ; Ain el Aryan et Ain el Bey, qui sourdent au pied de la montagne. Ces eaux appartiennent au groupe des eaux chlorures sodiques, hyperthermales7 . La première a un débit de 500 mètres cubes, par jour. En ce qui concerne Ain el Bey, de même composition chimique, son débit est évalué, approximativement, à 200 mètres cube, par jour. Louis Guyon, lors de sa visite à Tunis, en 1850 et en 1856, a pu visiter la région ; et il nous en offre une description, assez détaillée : « De la source, les eaux s’engagent dans deux canaux. L’un, en parcourant les côtés intérieurs de la cour y alimente de nombreuses baignoires, l’autre se rend dans deux grands bassins de dimensions semblables, en longueur comme en largeur, et séparés l’un de l’autre par une cloison d’environ 50 centimètres. Ces deux bassins sont construits en marbre blanc et recouverts par un dôme qui en réunit les vapeurs, de telle sorte qu’on peut prendre là, à volonté, soit tout à la fois un bain d’eau et un bain de vapeurs, soit seulement un bain de vapeurs » 8 .

A u début du XXe siècle, l’ eau de l a source est recueillie dans un petit bassin, de 1.80m de long, 1m de large et 1.90 m de profondeur, contigu au mur Sud, du palais beylical,adossé à l a montagne, en un point où ce mur, sinueux et épais forme un retrait. Le niveau de l 'e a u dans ce bassin, qui sert à la distribution générale, est f i x é à quelques centimètres au-dessous du plan de l a c o ur du fondouk.

Fig.2. Emplacement de la source et du bassin-réservoir. Source : A.N.T.

Le fort débit et la diversité de composition permettent des traitements très divers9 . En effet, comme aspect de la médecine traditionnelle, les cures thermales sont un héritage compliqué, dans lequel fusionnent les pratiques populaires et le savoir médical classique. Toutefois, nous déplorons l’absence d’ouvrage complet, sur le sujet. Les premiers écrits, relatant l’utilisation de la source thermale de Hammam-Lif, remontent au moyen-âge10. Toutefois, il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu’un précis détaillé regroupant les vertus thérapeutiques de ces eaux, soit réalisé. Dans son notable manuscrit, Bayram Ier souligne,également, le caractère thérapeutique de ces eaux et en désigne l’usage médical. L’épitre, rédigée par Muhammed Bayram Ier , en 1758, à la demande de Muhammed Bey (1756-1759), est intitulé risala fî al-hammamet el maʿdaniya, dans laquelle il invite les gens à découvrir les vertus thérapeutiques des eaux thermales de HammamLif11. Il s’agit, en fait, d’une traduction de l’épitre de Yusuf el-Qir, médecin juif, d’origine européenne12. Cependant, nous avons peu d’informations sur la vie de Joseph Alghiero13. Il était le médecin d’Ali Pacha. Les sources écrites ont retenu qu’il a attesté la mort de Sliman Bey, par empoisonnement14 . Il était, également, le médecin de Muhammed er-Rachid Bey (1756-1759)15. De plus, l’auteur de l’épître, Bayram Ier, connait de près ce médecin qui lui accordait des soins16 . Cette épître est traduite en français et publiée par Alphonse Rousseau, sous le titre de "Notice médicale sur les eaux d’Hammam-lif", en 185717. Elle se compose d’une préface muqadima, dans laquelle l’auteur traite les hammam-s et les avantages des eaux thermales, d’une manière générale, et de cinq chapitres fusul-s consacrés aux nouvelles pratiques médicinales, relatives à l’utilisation des eaux thermales d’Hammam-Lif. Le premier chapitre porte sur l’historique des cures thermales et des bienfaits, que procure l’utilisation de l’eau thermale. Il s’agit, en fait, d’un traitement qui combine la boisson, les bains et les recettes à base de plantes médicinales. Le second chapitre traite des caractéristiques et de la composition chimique des eaux. Les chapitres suivants sont consacrés aux vertus thérapeutiques des eaux d’Hammam-Lif18 . C’est le premier écrit, à noter la minéralisation des eaux ainsi que certaines de ses propriétés.

En outre, cet ouvrage nous éclaire sur les pratiques thermales de l’époque et nous sert de base comparative. Ainsi, à l’époque, les pratiques liées à l’utilisation des sources minérales sont influencées par un mélange hétéroclite d’ignorances, de religieux et de médecine traditionnelle. Mais, il faut préciser que la pratique thermale est utilisée, essentiellement, comme un remède en vue de la guérison d’un malade et non pas, comme un traitement médical, d'une certaine durée, ou d’une méthode thérapeutique particulière. L’expérience permet de démontrer ses propriétés adoucissantes et calmantes qui soulagent une irritabilité excessive, les crampes et la rigidité des membres ainsi que les peaux abîmées. Mais, il faut attendre le milieu du XIXe siècle, pour que la première analyse chimique de la source d’Hammam-Lif, soit réalisée. L’évaluation de la portée thérapeutique de l’eau, réalisée par les médecins français, permet d’en compléter le profil.

Les eaux d’Hammam-lif ont été visitées par Show, Peysonnel, Desfontaines et Pelissier19 . La première étude en est faite, est celle de Leprieur, pharmacien en chef, à l’hôpital militaire de Bône, chargé par Guyon, médecin inspecteur des armées. Il a publié les résultats de cette expérience, dans le Recueil de mémoires de médecine et de pharmacie militaires (2e série, 20e vol., 1857). Une deuxième étude est engagée par Bastide Louis, en 1875, sur la richesse minérale des thermes de la Régence. Il consigne les résultats de ses recherches, dans un rapport qu’il adresse au directeur général des travaux publics, en 187720 . Une troisième étude est faite, en 1882, par le docteur Verdrènes, médecin en chef du corps expéditionnaire, chargé de faire un rapport à ce sujet. Il désigne Barillé, pharmacien de première classe, pour faire les analyses et le docteur Boucher, médecin-major de première classe, pour établir un rapport médical21 . Une autre analyse est fournie, vers la même époque, à la direction générale des travaux publics de la Régence de Tunis22 . Le professeur Orasi et le docteur Guyon les ont également étudiés ; toutes les analyses concordent sensiblement.

La détermination de l’acidité ionique, recherchée par les docteurs Durand et Caillon est publiée dans les archives de l’Institut Pasteur de Tunis, en 1926. En 1927, Faivre, chef de laboratoire, et Bailly, chimiste du service des mines, à la direction générale des travaux publics du gouvernement tunisien publient les résultats de leurs recherches, dans le premier fascicule d’un ouvrage, intitulé "Etude des sources thermo-minérales de la Tunisie" 23 .

D’après les analyses effectuées, les eaux d’Hammam-Lif appartiennent au groupe des eaux chloro-sulfatées et à la classe des eaux sodico-calciques. Elles ont une saveur très salée, sans odeur et d’une parfaite limpidité. La température d’Hammam el-Bey est de 40°, à la piscine, de 47°, au griffon et de 46°, à la sortie du conduit, menant l’eau de la source à la piscine. L’eau d’Hammam elAryan a une thermalité plus élevée24 . Ces eaux offrent deux éléments thérapeutiques, leur minéralisation et leur température.

*L’exploitation des eaux d’Hammam-Lif, aux XVIIIe-XIXe siècles

L’établissement thermal fait l’objet d’un savoir médical et d’un processus d’appropriation et de contrôle, par l’Etat beylical. Tout au long de leur histoire, les eaux de Hammam-Lif sont gérées par l’État, soit en régie directe, soit indirecte. Cette intervention officielle est à double fins : exploiter et protéger cette ressource.

L’accès aux deux sources thermales est libre, avant 1750, date de la construction d’un pavillon, saraya, par Ali Pacha, suite à la mort de son épouse Kebira Mamia. Il semble, d’après une tradition orale, qu’à la suite d’une cure thermale, à Hammam-Lif, elle est décédée suite à une pleurésie25. L’édifice est construit sur Ain el-kebira qui, désormais, est appelée Ain el-Bey. L’usage de la source est exclusivement réservé à la famille beylicale et aux dignitaires de la cour. La décision du bey, de construire un pavillon, est prise dans le but de rendre, plus aisées et sans risques, les cures thermales aux membres de la famille beylicale. De plus, dans la même optique de monopolisation, Ali Pacha construit un fondouk, à l’usage du public, dont il confie la charge à ses intendants26 . Ils s’occupent de la construction et de l’entretien des équipements. L’Etat beylical s’occupe donc, d’assurer l’exploitation et le logement de tous les malades. La surveillance des sources s’organise et ne fera que se renforcer dans les siècles suivants. Ainsi, en 1875, une concession est faite par le gouvernement beylical, au profit d’une société de l’exploitation d’une partie de la source d’Ain Aryan, le service des mines a du rechercher les origines de la source, pour tenter d’en augmenter le débit27 .

Sous la colonisation, l’intérêt pour les eaux thermales se développe, les premières règlementations relatives aux sources thermales et à leur contrôle sont mises en œuvre. Dès 1881, toutes les sources thermales deviennent propriété de l’Etat. Depuis, le rôle du gouvernement devient décisif, pour le développement de la ville. L’appel à des concessionnaires ou à des sociétés paraît être la solution la plus agréable. Ainsi, une concession est accordée, à la société d’Hammam-Lif, en 1896. Le 18 mars 1922, la source thermale d’el-Arian a été concédée à la commune d’Hammam-Lif pour une durée illimitée, par arrêté n° 153, du directeur général des travaux publics et dans les conditions, fixées dans le cahier des charges annexé à cet arrêté28 . Le Conseil de la commune a la tâche d’administrer les eaux. Cette concession a pour but, l’exploitation de la source thermominérale el Aryan et de l’établissement de bains qui en dépende. Désormais, l’autorisation d’exploitation est accordée par les autorités de la commune29 . Les sources passent, tour à tour, entre les mains de la commune et des acquéreurs privés. Actuellement, la station thermale est, toujours, exploitée par ladite commune.

2- Les établissements thermaux à Hammam-Lif au XIXe siècle : Vers une architecture thermale

L’usage des installations antiques perdure à travers les siècles. Parallèlement, de nouveaux établissements voient le jour, notamment à partir du milieu du XVIIIe siècle où le thermalisme connait un essor important. Nous croyons y retrouver les prémices du thermalisme moderne.

*Dar el-Bey, du XIXe siècle : l’impulsion donnée au thermalisme au, XIXe siècle

La construction du pavillon beylical et d’un caravansérail, en 1747, à l’initiative d’Ali Pacha Bey, signe le démarrage officiel du thermalisme. Erigé à la mémoire de kebira Mamia, le pavillon beylical se transforme, après plusieurs aménagements, au cours du XIXe siècle, en une résidence hivernale et un lieu de pouvoir. Depuis, plusieurs palais sont édifiés, au profit des ministres et des princes de la cour30. Les sources sont, alors, aménagées afin d’alimenter les piscines de ces nombreux palais. Et, c’est autour de ces sources, que s’installent les habitants venus de régions lointaines, pour des cures thermales.

Surplombant l’ancienne piste, dite Trik Es-Sahel, Dar el Bey comprend un pavillon renfermant une piscine, destinée à l’usage privé du Bey et de sa famille ; et un caravansérail renfermant des chambres, donnant sur une vaste cour centrale, bordée de portiques. Il sert un double usage, de fondouk et d’établissement thermal.

Fig.3. Dar el-Bey et le caravansérail avoisinant. Source : Charles Lallemand, 2002, p. 37.

Renouvelé par Hussein Bey, en 1828, ce pavillon se transforme en un immense palais, comprenant un rez-de-chaussée massif et deux étages, percés de vingt fenêtres, avec auvents, donnant sur la mer. L’entrée fait saillie, formant une construction, à hauteur du premier étage, flanquée aux deux coins de sa façade, de tourelles, avec mâchicoulis.

Fig.4. Dar el-Bey au début de XXe siècle. Source : [www.delcampe.net]

Les murs sont surmontés de merlons, délimitant des embrasures. A l’angle Nord-Ouest s’élève Bit el-Maqaad. Les appartements privés du Bey, dits Saraya, comprennen, également, les habitations de Bach-mamluk et de Saheb et-Tabaâ. Muhamed Bey (1855-1859) remonte le palais, d’un troisième étage. Il démolit les tours de l’entrée et transforme Bit el-Maqaad en une véranda.

Sous le règne de Naceur Bey (1906-1922), le troisième étage, menaçant ruine, est démoli par les autorités coloniales. La véranda, complètement vitrée, est entourée d’un jardin, enclos d’une balustrade. Au rez-de-chaussée, un large hall d’entrée en chicane, couvert en voûte d’arête, autour duquel se répartissent les salles de gardes et les magasins makhasen-s. La cour de la dwiriya est ornée d’une vasque en marbre et entourée d’un portique, à arcs cintrés, desservant cuisine et pièces domestiques. A l’étage, se trouvent la salle de trône, les chambres à coucher et deux patios couverts, ornés de faïence italienne.

Le palais comprend, aussi, deux hammam-s : hammam el-Bey, accessible, aussi, de l’extérieur, par un long passage vouté et hammam Chakir, dit aussi hammam saheb et-tabaâ. Une troisième piscine est installée, sous la maison de khaznadar, attenante au palais. Le fondouk renferme, également, trois bains : hammam sidi Abdelkader, hammam el-mamluk et hammam Sidi Fredj31 .

Fig.5. Les hammam-s de Dar el-Bey. Source : Regaieg Nadia, 1999.

Les autres installations thermales, sont au nombre de six sont plus modestes, vétustes et servent, généralement, de bain des pauvres. Ils accentuent le manque de cohésion de l’architecture thermale, au XVIIIe siècle. Bien que nous y retrouvions les prémices d’une installation thermale, l’architecture et les infrastructures, nécessaires à l’exploitation des sources thermales de Dar el-Bey, font état d’une hétérogénéité persistante. C’est, évidemment, à la fin du XIXe siècle, que l’architecture thermale moderne prend naissance.

Fig. 6. Les piscines de Dar el-Bey. Source : Photos prises par l’auteur.

*Le grand chantier de 1883-1893 : El-Hammam Es-Souri et l’affirmation de l’architecture thermale

Au lendemain du protectorat, l’autorité coloniale manifeste la volonté d’agrandir l’établissement thermal, avec l’ambition d’en faire un, plus commode, afin de relancer l’activité. Ainsi, entre 1883 et 1893, un nouvel établissement thermal est construit, à proximité de la villégiature, beylicale par la Société Hammam-Lif –Tunis.

L’hôtel des Thermes, dit aussi El-Hammam Es-Souri et El-Hammam El-Kébir32 , se situe à l’angle de l’avenue Salammbô qui mène à la mer et la route nationale n°1. Il bénéfice d’une vue panoramique, sur le Djebel Boukornine et une, aussi attrayante, sur le golfe de Tunis. Bâtie sur un lot de sept mille mètres carrés, la construction répond bien à un établissement thermal. Elle est faite de grosse maçonnerie de moellons, très soignée.

Fig.7. Situation d’El-Hammam Es-Souri.

L’établissement comprend un avant-corps de bâtiment, couvert en tuiles de Marseille. Un rez-de-chaussée composé d’un vestibule, ayant à droite une pièce, formant un bureau ; à gauche, une seconde pièce aménagée en salon d’attente et un couloir, donnant accès aux cabines de bains. L’accès à l’étage est assuré par un escalier placé en arrière du vestibule. Il est formé d’une chambre et d’un cabinet de toilettes. Sa disposition obéit à une composition, ordonnée par l’axialité. La symétrie et le rythme génèrent la distribution intérieure et extérieure ainsi que la composition des façades.

Fig.8. Façade principale d’El-Hammam Es-Souri. Source : M’rabet Aida, 2000.

Un corps central de bâtiment, également, couvert de tuiles et dont le grand axe est perpendiculaire, à celui de l’avant-corps, comprend une série de huit cabines, de 2m x 2.45m réparties par quatre, de part et d’autre d’un couloir, de 1m.50 de largeur. Chaque cabine est percée d’une porte de vestibule, en bois de 2.20m x 1.20m, chaque cabine possède une baignoire en marbre, encastrée dans le sol.

Fig.9. Façades latérales d’El-Hammam Es-Souri. Source : M’rabet Aida, 2000.

Devant les cabines se trouvent, à droite, un débarras et une petite lingerie ; à gauche, des latrines. Un long couloir, couvert en terrasse, conduisant au dernier corps de bâtiment, qui comprend : à droite, une salle de douches, avec un appareil à douches, à gauche, une chambre de repos, avec bancs en maçonnerie. Ces bancs, ainsi que le bas des murs, sont recouverts de carreaux émaillés. Au fond, une salle carrée, flanquée de part et d’autre, de cinq chambres de repos, avec sièges en maçonnerie, couverts de carreaux de ciment. Cette salle renferme, au milieu, une piscine hexagonale. Un petit logement de cabines, ouvrant dans la salle, vis-à-vis du couloir central ; ce logement est composé de deux chambres et d’une pièce, ayant la forme d’un demi hexagone. Cette dernière pièce a une porte de communication, avec l’extérieur. Le sous-sol servant de dépendances se compose de larges piliers et de murs, portant des voûtes, le tout en maçonnerie de moellons.

Les deux ensembles sont reliés par deux ailes, où l’on trouve les salles de soins et de repos. Les murs sont essentiellement à base de pierre et de briques pleines. L’édifice présente des décorations intéressantes. Les revêtements de sols sont de différentes natures ; les espaces nobles sont revêtus en marbre blanc, de 50x50 cm, posé à 45° et les autres espaces, en carreaux de ciment, de 20x20, posé en 45°33 .

Fig. 10-11. Plans d’El-Hammam Es-Souri. Source : M’rabet Aida, 2000.

L’établissement est bien équipé et prodigue soins et massages, aux curistes. Si la vocation n’a pas changé et reste dédiée au thermalisme, les moyens mis en œuvre, pour soigner ont, eux, beaucoup évolué. Les nouvelles techniques de soin sont renforcées et optimisées, des propriétés apaisantes et anti-inflammatoires de l’eau thermale. Le programme de soins est désormais prescrit par un médecin, qui assure une surveillance médicale de cure34 . Le médecin doit veiller à prescrire quelles eaux administrer, le nombre de verres que le malade devait boire et à quel intervalle. La balnéation est une pratique, tout aussi courante. L’usage des eaux, en bain, est surtout utile, pour les maladies chroniques, comme les rhumatismes, les excès d’hystérie et la paralysie. Elles peuvent également, soigner les maux de tête et les maladies de peau.

Fig. 12 : Vue d’ensemble d’El-Hammam-Es-Souri. Source : [www.delcampe.net]

La construction de l’hôtel des Thermes marque un temps fort, dans l’histoire de l’organisation de la ville de Hammam-Lif et dans celle de l’architecture de l’établissement thermal. Néanmoins, le nouvel bâtiment, influencé par ce désir constant de faire relancer l’activité thermale, a une connotation néomauresque, qui cherche à former une homogénéité, dans le paysage de la ville d’eaux. En effet, elle renforce la centralité du bâtiment, devenu un véritable monument dans le tissu urbain et lui confère sa physionomie actuelle. Les principales phases de développement de la ville peuvent se lire à travers les grandes campagnes d’agrandissement de l’établissement thermal puisque chacune d’entre elles a entraîné des aménagements urbains ainsi que la construction de lieux, dédiés à la villégiature. Aussitôt, de nombreuses constructions sont venues compléter l'ensemble existant et la ville d’eau prend naissance, pour offrir aux curistes, non seulement les meilleures conditions de soins mais, également, celles d’un séjour réussi. Ainsi, la ville s’enrichit et des travaux d'intérêt public sont réalisés, pour le confort des curistes. Elle prend de l’expansion, sur un plan moderne, avec entre autres, les grandes allées représentant les deux promenades principales de la ville.

Fig.13. Expansion urbaine de Hammam-Lif. Source : A.N.T.

Conclusion

A partir du XVIIIe siècle, la cour beylicale s'adonne à la villégiature hivernale. Ces déplacements sont dans un premier temps, motivés par des raisons de santé. Progressivement, la villégiature devenait un séjour curatif. L'histoire de la localité de Hammam-Lif est, également, étroitement liée à la naissance de l'architecture thermale. L'aménagement paysager de l'ensemble se déroule en trois phases principales. La première particularité réside dans l’existence de bains romains, attestée par la présence de vestiges. La construction du pavillon beylical, en 1747, à l’initiative d’Ali Pacha, signe le redémarrage du thermalisme, insensiblement abandonné depuis le moyen âge. Cet ensemble prend un contexte architectural fondamental, dans les premières formes de bains thermaux. Ce bâtiment des thermes, grandi et modifié au cours du XIXe siècle, bénéficie d’une implantation séculaire, dictée, notamment, par la proximité des griffons. En 1893, les constructions acquièrent une dimension monumentale. L'établissement thermal El-Hammam EsSouri, s’agrandit de plus en plus. Depuis, c’est le thermalisme qui marque, sans conteste, le plus fortement la région dans ses dimensions urbaines et architecturales. Ce schéma d’extension reste unique, dans toute la zone. D’ailleurs, il faut se rappeler, qu’avant l’épopée du thermalisme, qui démarre, véritablement, après 1881, la région d’Hammam-Lif est avant tout, un territoire rural, en marge.

Notes

1 Al-Mâlikî, t. 2, p. 378
2 Néji Djelloul, 1995, p. 46.
3 Ibn Abî Dînar, 1967, p. 29.
4 A.N.T. Reg. 2285, 165, 2077, 2255, 2249/2.
5 A.C.F. Dossier 1232.
6 A.N.T. Série E, carton 377, dossier.1, sous dossier 6.
7 Louis Emile Bastide, 1888, p. 23. Louis Guyon, 1864, p. 4-8.
8 Louis Guyon, 1864, p. 5.
9 B.N.T. manuscrits n° 18763, 16314, 6305, 510/1.
10 - Al-Mâlikî, t.2, p. 378.
     - Al-Bakri, 1992, p. 45.
     - Al-Tîjânî, 1981, p. 10.
11 B.N.T. manuscrit n° 18763, 16314, 6305, 510/1.
12 Louis Guyon, 1864, p. 10.
13 Louis Guyon, 1864, p. 6.
14 Jamel Ben Taher, 2011, p. 42.
15 Ibn Abî Diyâf, 2001, t.2, p. 176 et 189.
16 B.N.T. manuscrits n° 18763, 16314, 6305, 510/1.
17 Louis Guyon, 1864, p. 10.
18 Jamel Ben Tahar, 2011, p. 36-51.
19 Louis Guyon, 1864, p. 7.
20 Louis Emile Bastide, 1888, p. 26
21 Louis Emile Bastide, 1888, p. 35.
22 A.N.T. Série M5, carton 16, dossier A17.
23 A.N.T. Série M5, carton 16, dossier A17.
24 Louis Emile Bastide, 1888, p. 29.
25 Mohamed Seghir Ben Yûsuf, 1978, p. 131-133.
26 Beya Abidi, 2005, p. 224-226.
27 Louis Emile Bastide, 1888, p.12, 23.
28 - J.O.T. 1922.
     - A.N.T. Série M5, carton 16, dossier A17.
29 A.N.T. Série M5, carton 16, dossier A17.
30 Beya Abidi, 2005, p. 223-228.
31 - Marcel Gandolphe, s.d, p. 128.
     - Jacques Revault, 1974, p. 427-431.
     - Beya Abidi, 2005, p. 191-203.
32 Othman el-H’chaichi, 1994, p. 313.
33 M’rabet Aida, 2000, p. 20.
34 A.N.T. Série E, carton 377, dossier 1, sous dossier 4.

Bibliographie

Sources d’archives et manuscrites

Archives Nationales de Tunisie :
Registres : 2285, 165, 2077,2255, 2249/2.
Série E, carton. 377, dossier.1, Sous dosssier.6.
Série E, carton 377, dossier 1, Sous dossier4.
Série M5, carton.16, dossier A17

Bibliothèque Nationale :
Manuscrits n° :18763, 16314, 6305, 510/1.

Archives de la Conservation Foncière :
Dossier n° 1232.

Sources publiées

Al-Bakri, 1992, Al Masâlik wa al mamâlik, 2 t., Tunis.
Al-Tîjânî, Rihlat al-Tîjânî, Tunis-Libye, 1981.
Ben Yûsuf, Mohamed Seghir, 1978, Mechra el Melki : chronique tunisienne (1705-1771), Tunis.
Bastide Louis Emile, s.d, Les Eaux thermo-minerale d’Hammam-Lif et Corbus, Alger.
Lallemand Charles, 2002, Tunis et ses environs, Apollonia éditions, Tunis. Ibn Abî Dhiyâf Ahmad, 1989, Ithâf ‘ahl al-zamân bi-’akhbâri mulûki Tûnis wa ‘ahd al-’amân, Tunis.
Ibn Abî Dînâr, 1967, Al-Mu’nis fî ‘akhbâri Ifrîqiyya wa Tûnis, éd. Al-Maktaba al-‘Atîqa, Tunis.

Etudes

Abidi Beya, 2005, Palais des beys aux environs de la ville de Tunis, El-Abdaliya à la Marsa et Dar el-Bey à Hammam-Lif (en arabe), mémoire de master, Facultés des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, Tunis.
Ben Taher Jamel, 2011, Croyances, légendes et propriétés curatives des eaux chaudes et thermales dans la Régence de Tunis au XVIIIe siècle, in Histoire (s) d’Eau en Tunisie et ailleurs, Tunis.
Djelloul Néji, 1995, Les fortifications côtières ottomanes de la régence de Tunis XVIème – XIXème siècles, Tunis. Gandolphe Marcel, 1940, Résidences Beylicales : Le Bardo- La Mohammedia- Kassar-Said - La Manouba – Hammam-Lif, Tunis.
M’rabet Aida, 2000, Réhabilitation de la station thermale d’Hammam-Lif, mémoire de fin d’études en Architecture, ENAU, Tunis.
Revault Jacques, 1984, Palais, demeures et maisons de plaisance à Tunis et dans ses environs, Paris.
Regaieg Nadia, 1999, Restauration et reconversion du palais beylical d’Hammam-Lif, mémoire de fin d’études en Architecture, ENAU, Tunis

Auteur

Beya Abidi-Belhadj

Maître-assistante-Institut Supérieur de l’Histoire de la Tunisie Contemporaine. Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines-Université de la Manouba.

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