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intégral
Numéro 07
Dégradation du patrimoine ksourien du sud algérien
Cas du tissu résidentiel des Ziban (Biskra)
Sami Zerari, Leila Sriti et Khaled Mansouri
Joseph Hiriart et Jean-Marcel Seignouret, Maîtres français de l'Art déco
Esquisse de dix années d'activités à Tunis (1927-1936)
Lauren Etxepare
et Esmahen Ben Moussa
Genèse du village colonial à Tébourba
Faiza Matri
07 | 2019
Genèse du village colonial à Tébourba
Faiza Matri
Table des matieres
Résumé
La politique coloniale menée par la France en Tunisie à partir du XIXe siècle avait occasionné un vaste programme d’urbanisation. La stratégie urbaine vint appuyer une politique de peuplement engagée dans le but d’asseoir solidement la présence française et de favoriser la colonisation agricole. Dans la zone du Nord-est, la fertilité du sol et l’abondance des ressources en eau avaient favorisé l’urbanisation qui fut consolidée par le développement de l’infrastructure routière. Facilitée par un nouveau cadre juridique rendant les terres plus accessibles à la colonisation, l’action urbanistique se traduisit par diverses interventions allant de la mise en place ex-nihilo de villages de colonisation jusqu’à la greffe de noyaux coloniaux près des agglomérations existantes.
Le présent article traite le cas de Tébourba attaché actuellement au gouvernorat de Manouba et formant autrefois un caïdat. En mettant en lumière les mécanismes et enjeux coloniaux ayant entrainé sa fondation et son évolution, nous étudierons ses caractéristiques morphologiques et urbaines ainsi que ses équipements tout en nous appuyant sur les sources archivistiques.
Mots clés
Village de colonisation, Tébourba, aménagement urbain, équipements.
Abstract
France’s colonial policy in Tunisia from the 19th century onwards had led to a vast urbanisation programme. The urban strategy supported a committed settlement policy with the aim of firmly establishing the French presence and promoting agricultural colonization. In the northeast zone, soil fertility and abundant water resources had favoured urbanization, which was consolidated by the development of road infrastructure. Facilitated by a new legal framework making land more accessible to colonization, urban planning action resulted in various interventions ranging from the establishment of ex-nihilo settlement villages to the grafting of colonial nuclei near existing agglomerations.
This article deals with the case of Tébourba currently attached to the governorate of Manouba and formerly forming a caïdat. By highlighting the colonial mechanisms and issues that led to its foundation and evolution, we will study its morphological and urban characteristics as well as its facilities, while drawing on archival sources.
Keywords
Settlement village, Tébourba, urban development, facilities.
الملخّص
ترتب عن السياسة الاستعمارية الفرنسية في أواخر القرن التاسع عشر توسع حضري ملحوظ. فقدت اعتمدت السلطات الاستعمارية على استراتجية التعمير كأداة أساسية للاستعمار الزراعي وتدعيم توطين العنصر الفرنسي في الأرياف التونسية. وسنت في هذا الإطار ترسانة من القوانين العقارية خولت لها الحصول على عدد كبير من الأراضي الخصبة والغنية بالمياه. كما سارعت لتدعيم البنية التحتية في هذه الأرياف أردفتها بإحداث قرى استعمارية متعددة.
يتناول هذا المقال مثال القرية الاستيطانية بجهة طبربة التي كانت فيما مضى تشكل قيادة ترابية تتبع إداريا المراقبة المدنية بتونس وهي حاليا جزء من ولاية منوبة. وسنحاول في متن هذا المقال تسليط الضوء على الآليات ودواعي إحداث هذه القرية وعلى خصائصها العمرانية والمعمارية. وستعتمد في ذلك بشكل أساسي على وثائق الأرشيف.
الكلمات المفاتيح
قرية استيطانية، طبربة، توسع عمراني، استعمار زراعي.
Pour citer cet article
Matri Faiza, « Genèse du village colonial à Tébourba », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture
Maghrébines [En ligne], n°07, Année 2019.
URL : https://al-sabil.tn/?p=17348
Texte integral
La domination française en Tunisie avait commencé à partir du XIXe siècle à travers l’accaparement foncier par des spéculateurs français. La colonisation agricole prit au début, un caractère privé sous la forme d’achats spéculatifs par des groupes financiers ou des capitaux privés1. Elle fut facilitée par la mise en place d’une législation foncière portée davantage sur la levée des obstacles juridiques et institutionnels qui entravaient la pénétration coloniale et l’appropriation du sol2.
Motivée surtout par l’aspect financier, la colonisation privée marquée par l’initiative de gros capitalistes, agissant à titre individuel ou en sociétés, avides de profit, atteint très rapidement ses limites. Cette colonisation ne permit ni de cristalliser durablement la présence française en Tunisie en implantant un nombre suffisant de ressortissants français pour faire face à l’afflux des Italiens, ni de mettre en valeur les terres.
Devant cette précarité, les autorités du Protectorat avaient mis en œuvre, à partir de 1892, la colonisation officielle. Cette nouvelle orientation de la politique coloniale visait à encourager la petite propriété et à attirer en Tunisie des paysans français à travers l’établissement de petites et moyennes exploitations. À partir de 1896, « les lots de colonisations » offerts aux nouveaux venus s’étaient multipliés avec un assouplissement dans les conditions de paiement3. La colonisation agricole concernait les terres les plus fertiles, dont la zone de la basse vallée de la Medjerda. Cette région fit l’objet d’une demande accrue de la part des sociétés françaises. D’ailleurs, l’État avait mis la main sur les terrains pour les allotir au profit des colons.
La politique du peuplement - déclenchée par une colonisation agricole - fut favorisée par une politique urbaine qui se matérialisait par la création de villages et centres de colonisation. Contrairement à l’Algérie où le pouvoir central rendit dès le début la colonisation officielle par la multiplication des villages, en Tunisie, la colonisation ne prit forme que par des capitaux et en adoptant un système mixte. Ce système consistait à grouper des fermes autour de villages réduits à leur plus simple expression. En effet, l’échec du système de la colonisation agricole par la multiplication des villages en Algérie fut déterminant dans le choix du système de colonisation en Tunisie4.
Par la création ex nihilo de villages, ou tout simplement de petits noyaux de colonisation, le pouvoir colonial apporta sa conception de l’espace ordonné et sa démarche de maitrise du territoire. C’est ainsi que nous citons Tébourba dont l’investissement se fit par la juxtaposition d’un noyau occidental à la Médina existante. Bien que le village colonial de Tébourba ait été réduit à sa simple expression, il incarnait sans nul doute les signes de la transformation du pays conquis : configuration des rues selon une géométrie fondée sur l’alignement et la droite, création de places et des équipements publics.
Il s’agit d’examiner le cas de Tébourba qui présente un exemple de village de colonisation agricole. Ainsi, nous examinerons de très près ses principales caractéristiques morphologiques et urbaines qui furent, autrefois, déterminées par les mécanismes et enjeux coloniaux. Le présent article s’articule autour de deux sections : la première section se consacre à l’étude de la morphologie urbaine à travers une lecture analytique des sources graphiques notamment le plan d’aménagement ou encore le plan du périmètre communal ; la seconde, à l’étude des équipements urbains. Les documents des Archives Nationales de Tunisie furent choisis comme source de base pour cette étude.
1. Aux origines de Tébourba
Tébourba est une ville du Nord-est de la Tunisie5, située à 32 kilomètres de Tunis sur la rive gauche de la Medjerda, elle constitue une municipalité6. Elle est le chef-lieu d’une délégation faisant partie du gouvernorat de Manouba et compte 27.648 habitants selon les recensements de 2014. Le nom de Tébourba dérive de l’ancienne ville romaine Thuburbo Minus construite sur les flancs du coteau qui sépare la Médjerda de l’actuel Tébourba.
Avant le protectorat, la Médina de Tébourba représentait un noyau urbain andalou avec un tissu assez régulier et comptait 2.000 habitants7. Othman Dey autorisa aux andalous venus d’Espagne, à s’installer dans plusieurs régions dont Tébourba. En effet, avant de faire l’objet d’une colonisation agricole occidentale, la zone du Nord-Est fut occupée par les réfugiés andalous8.
La médina de Tébourba s’est consacrée traditionnellement à l’agriculture et à l’élevage. Les agriculteurs qui étaient presque tous autochtones vivaient du produit de leurs oliviers et vergers hormis quelques familles se livrant à la fabrication des nattes d’alfa, aux couvertures de laine, de la chaux, des tuiles, de la poterie et des différents métiers se rattachant à l’agriculture.
La zone avait attiré les colons français qui se sont installés pour y développer la céréaliculture, l’oléiculture et la viticulture ainsi que la culture maraîchère favorisant ainsi la prospérité de Tébourba. « Dans ce Caïdat, les céréales occupent, comme étendue, le premier rang parmi les cultures françaises. Nos colons, qui possèdent environ un millier d’hectares de vignes et 2.000 hectares d’olivettes, ensemencent chaque année 6.000 hectares de blé, d’orge et d’avoine. La culture maraîchère y joue aussi un rôle important »9. Tébourba était également célèbre par sa production viticole qui répondait aux critères de l’A.O.C - l’appellation d’origine contrôlée10 - d’où les vins rouges et rosés commercialisés sous le nom de Coteaux de Tébourba.
Le village colonial fut créé à côté de la Médina. Ce dédoublement de l’espace urbain a été accompagné d’une dualité de structures de gestion et d’administration11. Avant le Protectorat, Tébourba formait un caïdat. Cette organisation administrative avait été maintenue par la suite. Les autorités coloniales avaient conservé le système d’organisation administrative des beys basé sur le regroupement des tribus administrées par un caïd12 et constituant un caïdat13. Dans un même caïdat, les diverses fractions étaient administrées par des cheikhs14.
1.1. Organisation urbaine du village colonial de Tébourba
Bien que Tébourba ne figure pas parmi les villages coloniaux créés ex-nihilo par le pouvoir central pour favoriser le peuplement des zones rurales, son organisation reflétait la nouvelle conception de l’espace régulier. Elle met aussi en évidence une volonté de gestion et de structuration du territoire selon les principes rationnels qui peuvent parfois se contredire ou porter préjudice aux principes de l’urbanisme traditionnel. La démarche de maîtrise de l’espace s’observait au niveau du mode de gestion de l’espace, de la morphologie du village, la configuration du tissu urbain et de la voirie.
Le village colonial qui s’était incontestablement développé entre la Médina et la gare était le produit des sociétés privées à partir de 1887, et ce n’est qu’à partir de cette date que le village commença à recevoir les divers équipements publics. D’ailleurs les sources mentionnent qu’en 1885, quatre ans après l’officialisation du Protectorat, il n’y avait pas grand-chose à part la gare. Un voyageur ayant visité Tébourba à cette date précisa qu’il s’agissait d’un « village complètement arabe : pas d’auberges pour loger les roumis. Grâce à la complaisance du chef de gare, nous coucherons sur les banquettes de la salle d’attente, enveloppés dans nos couvertures15 ». À cette date, on mentionne l’existence d’un seul cantinier de l’endroit, un italien des environs de Naples, ajoute la même source.
C’est en 1887 que le village colonial de Tébourba fut bâti parla Société immobilière civile : « à Tébourba, le magnifique domaine de la Société immobilière civile, dirigé par le commandant Gérodias. Tout un village a été bâti pour loger les ouvriers européens et indigènes et les animaux de la ferme16 ». À la même date, un cellier fut construit.
Vers la fin du XIXe siècle, le noyau urbain colonial commençait à se développer suite à l’arrivée des colons français qui formaient une population agricole et des commerçants dont les intérêts étaient fortement liés à l’agriculture. D’ailleurs, à partir de 1898, l’Association des colons français de la région de Tébourba fut fondée17. Cette structure avait « pour but essentiel la sauvegarde des intérêts locaux et la défense des intérêts professionnels des adhérents. Elle reçoit outre les agriculteurs, les commerçants, dont les intérêts sont intimement liés à ceux des agriculteurs18 ».
Le village colonial de Tébourba fut créé et se développa sous l’initiative des sociétés privées dans le but de l’exploitation des richesses naturelles. A Tébourba se trouvait le siège social de la Société du Maiana. Il s’agissait d’une société anonyme ayant pour objet l’achat, la location, l’exploitation, la vente et la mise en valeur d’immeubles urbains ou ruraux situés en Tunisie, spécialement de diverses olivettes situées dans la région de Tébourba et éventuellement la fabrication et le commerce des huiles d’olive et toutes les autres industries annexées19. La société agricole et d’exploitation des domaines Louis Stall possédait aussi à Tébourba des lots de terrains qu’elle exploitait aussi. Ces parcelles faisaient l’objet des titres fonciers T3161 dans le plan d’alignement élaboré au cours de 195120.
La prédominance des sociétés privées dans la création et l’extension du village n’occultait aucunement le rôle joué par l’administration publique qui définissait et gérait l’espace public. Ainsi la gestion du territoire s’opéra selon le modèle appelé post libéral qui se caractérisait, surtout, par une gestion conjointe de l’espace par l’administration publique et la propriété immobilière ou privée. Leurs différents champs d’action sont clairement définis en fixant de façon méticuleuse les frontières. L’administration gérait l’espace indispensable pour faire fonctionner l’ensemble de la ville : celui nécessaire aux réseaux de communication (rues, places, chemin de fer, etc.) et aux infrastructures (aqueducs, égouts, électricité et téléphone). La propriété privée gérait tout le reste21.
1.2. Caractéristiques morphologiques du village colonial de Tébourba
La morphologie du village, le tissu urbain et l’organisation de la voirie illustraient la nouvelle approche spatiale.
Le village colonial se superposa à la Médina formant ainsi une entité autonome, rayonnant autour de la place de l’étoile qui constituait un nœud urbain polarisant les artères principales, dissimulable de la Médina. Le village fut fondé selon les principes de l’urbanisme colonial basé sur la dissociation de la ville européenne et de la ville autochtone. Cette séparation représentait en effet une nécessité imposée par : « le souci de la santé des blancs de ne jamais mélanger dans une agglomération urbaine la population indigène et la population européenne. C’est une vérité dont le Maréchal Lyautey a fait une loi22 ».

À Tébourba, l’embryon du quartier occidental était composé par un îlot délimité par trois voies : l’avenue d’Isly24 au sud, l’avenue Lavigerie25 qui formait la limite entre la Médina et le village colonial, et l’avenue Catroux26 qui partait de la place de l’étoile et aboutissait à l’avenue Lavigerie27. Au fil du temps, le village colonial avait connu un développement considérable. En 1912, la région de Tébourba comptait 650 Européens28.
Sur le plan morphologique, l’étude de la nouvelle trame urbaine mettait en évidence une volonté de s’adapter parfois à l’existant en adoptant un tracé légèrement curviligne, mais, ce fut la volonté d’adapter le tissu traditionnel à la nouvelle logique urbaine qui était la plus dominante.
En effet, et tout en s’inspirant du modèle antique en échiquier, le tracé du village colonial à Tébourba s’adapta légèrement à la morphologie de la Médina traditionnelle. Le nouveau village colonial était structuré par l’axe nord-est/sud-ouest qui constituait l’épine dorsale du village. Cet axe n’était autre que l’avenue de la gare et, partant de la gare vers la place de l’étoile, on se trouvait sur la route N° 55 qui menait au pont d’el Battan. De la place de l’étoile partait une autre artère qui se croisait en angle droit avec le premier axe. Il s’agissait de l’avenue Catroux qui adoptait un tracé légèrement arrondi dicté par la forme de la Médina traditionnelle.
Le troisième axe - l’avenue d’Isly- qui partait de la place de l’étoile était plus rectiligne. Cet axe qui délimitait la Médina traditionnelle au sud-est semblait la tailler afin d’aligner les constructions en bordure de la voie principale. Cette pratique mettait en évidence la nouvelle approche des édifices considérés comme des constructions interchangeables, autorisant de ce fait, leur démolition totale ou partielle pour élargir les rues29.
Appliqué rigoureusement au cours des années 1940, le principe d’élargissement de la voirie et de l’alignement des constructions de la Médina devint un objet de litige opposant les riverains à l’autorité municipale. D’ailleurs, les archives conservent les traces écrites de pétitions dénonçant cette mesure répressive : « Les riverains de l’avenue Bir Hakeim, ont adressé des pétitions en date des 26 avril et 25 juin 1951, s’opposant à cet élargissement et demandant le maintien de l’ancien alignement30 ».
La nouvelle organisation urbaine avait également modifié le rôle et la fonction de la rue qui ne fut pas appréhendée de la même façon. Au sein du village colonial, le système viaire avait rationnellement organisé l’espace urbain en distinguant les services publics de l’espace privé et, en fixant clairement les frontières. Les édifices publics étaient ainsi situés tout au long des alignements et autour de la place centrale. C’était dans ce noyau central que prédominaient les fonctions commerciales et les équipements. Le réseau viaire fut mis au point selon les critères fonctionnalistes et hygiénistes, précédant même la création de logements. Cette voirie fut conçue en tenant compte d’une augmentation continue de la population31.
L’examen des plans mettait en évidence le principe de la hiérarchisation de la voirie, mais en même temps la volonté d’adapter les anciens tracés traditionnels à un même gabarit. En effet, les avenues larges de 15 m constituaient la trame du parcours principal desservant les équipements publics. La largeur des rues secondaires était de l’ordre de 9 m.
Etant le principe essentiel de toute planification urbaine moderne, la hiérarchisation de la voirie et la différenciation du trafic avaient causé la déperdition de la rue, ou carrément sa disparition et son remplacement par une voirie conçue comme « une machine à circuler, un appareil circulatoire […], une espèce d’usine en longueur32 ». En effet, à l’intérieur de l’espace urbain, la rue avait toujours assumé des fonctions vitales variées. Elle ne constituait pas seulement la liaison entre deux points, mais aussi un instrument de circulation. La rue du marché ou la rue commerçante était depuis toujours un foyer d’activités sociales multiples et un lieu de sociabilité. L’urbanisme moderne préconisait que la circulation des voitures devait être séparée du trafic des piétons. En outre, à l’intérieur du système de la circulation motorisée, il fallait séparer les niveaux. La rue devint de façon indéniable une machine à circuler33.
Concernant la toponymie, des propositions ont été faites, à partir du début du XXe siècle, pour changer les noms de certaines rues du village colonial. En 1926, le conseil municipal de Tébourba avait proposé « de donner à la rue qui portait primitivement le nom de rue de la Gare le nom de rue Alberti Trouillet ». Ainsi, « l’assemblée municipale rendra […] l’hommage qu’elle doit à son fondateur qui, pendant 36 ans s’est dévoué avec une abnégation au-dessus de tout éloge34 ». Cette proposition ne fut pas retenue car jusqu’à l’an 1944, ce nom ne fut jamais modifié.
Pareil aussi pour la place de l’étoile qui était devenue, à partir des années 1930, la place Fleury35. D’ailleurs, le 30 mai 1937, le conseil municipal de Tébourba voulut « qu’une plaque indiquant la place Fleury Percie du Sert, soit apposée36 ».

1.3. Aménagement du territoire après la seconde guerre mondiale
Considérée parmi les agglomérations les plus sinistrées par la guerre38,Tébourba fut l’objet d’un réaménagement urbain. Ses équipements endommagés par les bombardements, furent reconstruits par une équipe d’architectes qui formait les Services d’Architecture et d’Urbanisme39 et qui avait mis au point une stratégie pour relancer la reconstruction en Tunisie.
Parmi les premières réalisations de cette période, la mise au point du Plan d’Aménagement Urbain (PAU) de Tébourba qui fut approuvé en 194440 . Ce plan qui indiquait avec précision « les noms des rues, l’emplacement des édifices publics, la spécialisation des quartiers »41vint confirmer les principes rationnels de gestion et de l’organisation de l’espace en appliquant le principe du Zoning.
Il s’agissait, initialement, du premier plan d’aménagement de Tébourba. Avant cette date, un projet de plan d’aménagement fut étudié, mais, ne fut jamais réalisé. En effet, on mentionnait dans le premier article de l’arrêté du 13 février 1932 « qu’il sera établi, conformément aux prescriptions du décret du 25 janvier, un plan général d’aménagement de la commune de Tébourba42 ». Ce ne fut cependant pas le cas à cette date.
Le nouveau Plan d’Aménagement Urbain fut appliqué dans le contexte de ce que l’on appelait« urbanisme d’urgence» et, c’est ce qui expliquait la rapidité de sa réalisation. Tout comme la totalité, ou presque, des plans directeurs des agglomérations sinistrées, ils furent mis au point en seulement une année43.

Les dispositions du plan directeur de Tébourba impliquaient l’extension du village colonial et de la Médina autochtone selon le principe de Zoning.
Selon le modèle d’urbanisme marocain, l’architecture et la ville réservée aux occidentaux furent conçues différemment de celles destinées aux arabes. Ces deux zones urbaines devaient rester séparées. Elles disposaient toutefois d’un centre de collaboration civique commun où l’on recevait les équipements culturels. Il était situé sur la voie de pénétration : l’avenue Lavigerie44 .
Le village colonial qui s’était développé entre la Médina et la gare devait s’étendre tout le long d’une dorsale, l’avenue d’Isly, rejoignant les premières pentes de l’ancienne ville romaine exposée rationnellement au sud-est45. L’extension de la Médina était prévue en contrebas du village colonial. Elle devait se développer au nord-ouest sur des pentes parallèles à l’ancienne Thuburbo Minus, ajoute la même source citée plus haut.
2. Les équipements publics de Tébourba
Bien que le village colonial de Tébourba ait possédé, dès sa fondation, tous les équipements urbains et services publics (mairie, dispensaire, service des travaux publics, école, église, poste et télécommunication, abattoirs, etc.), ceux-ci furent logés dans des locaux provisoires inadaptés à leurs fonctions avant qu’ils n’aient été installés définitivement dans des locaux appropriés.
D’après les procès-verbaux du conseil municipal de Tébourba, jusqu’à 1909 « tous les services administratifs de Tébourba se trouvent dans une situation [..] précaire46 ». Les projets de construction des locaux appropriés furent étudiés à partir des années 1910.
En effet, les équipements sanitaires comprenaient une infirmerie-dispensaire et une pharmacie. Cette unité fut dirigée par un docteur municipal. Ce dernier, jusqu’à 1909, ne possédait pas de salle de consultation indépendante. Il était, donc, obligé, en cas de besoin, d’utiliser une pièce située dans le local qui abritait les services municipaux de la mairie et qui était, d’ailleurs, inadaptée à sa fonction. La pharmacie était aussi logée dans une pièce obscure de la « masure » qui abritait, également, les services municipaux47.
Dans le village colonial se trouvait, aussi dès le début du XXe siècle une école mixte franco arabe, le service des travaux publics situé à l’avenue Lavigerie. Autour de la place de l’étoile, se trouvaient l’église, les abattoirs et l’entrepôt du monopole48.
2.1. La mairie de Tébourba
En outre, le local avait subi quelques modifications. Il s’agissait de la réfection de la façade et d’une extension faite par l’architecte Giroux56 qui se déplaça à Tébourba le mercredi 19 juin 1912 pour faire l’état des lieux et l’estimation des travaux57.
Concernant le service de Police, on sait aussi que le village colonial ne possédait pas encore de poste de police, jusqu’en1909, bien que cela ait été fait dans de nombreux centres moins importants. À Tébourba, les agents étaient « logés dans une vieille masure arabe aussi malsaine que possible, loin du centre de la ville et ne possédant ni geôle ni écuries pour leurs chevaux58
». Après cette date, le service de police avait été logé dans l’immeuble Carfort jusqu’à 1912.
2.2. Équipements pédagogiques
L’école laïque franco-arabe de Tébourba fut créée en 1889. Elle fut installée à Dar al Bey en occupant une partie des locaux du Rez-de-chaussée59. Elle fut créée suite à la demande des habitants de Tébourba, autochtones et européens, qui ont adressé au ministre Résident de la France une pétition pour la création d’une école. Dès son ouverture, l’école de Tébourba accueillit 73 élèves dont 63 garçons et 10 filles : 14 français, 18 italiens, 39 musulmans (dont une fille) et 2 juifs60.
A partir de 1907, des demandes ont été adressées par le Conseil municipal de Tébourba pour la construction d’un groupe scolaire afin de répondre aux besoins de la population enfantine. Le local affecté à l’école franco-arabe était absolument étroit et insalubre. C’est la seule institution scolaire de Tébourba dirigée par un adjoint autochtone et qui accueille « soixante-dix enfants de tout sexe, tout âge et de toutes nationalités61 ». Il s’agit d’une construction exiguë articulée autour d’ « une cour de cinquante mètres carrés entourée de hautes constructions » ajoute la même source citée plus haut. Les professeurs disposaient de 3 salles uniquement62.
L’insalubrité des locaux a donné lieu à une pétition des habitants de Tébourba qui fut envoyée au résident général et au directeur de l’enseignement. Ils demandent qu’une nouvelle école réservée aux Européens soit construite, et qu’elle soit située à proximité de la gare « en dehors de l’agglomération indigène63 ».
Compte tenu de l’accroissement de la population enfantine qui pouvait atteindre 150 élèves64, et dans l’urgence de séparer les Européens des autochtones et les filles des garçons, il a été demandé par le conseil municipal,… « qu’un local suffisant soit affecté aux différentes classes et que le nombre des professeurs soit augmenté». Le conseil a demandé également de bien vouloir étudier la question de construction d’un groupe scolaire qui est « devenu absolument nécessaire »65.
En 1908, un projet de construction d’un groupe scolaire fut étudié après cession à l’État tunisien d’un terrain destiné à cet effet66. En 1910, le groupe scolaire contenant une école française mixte et un internat67 situés à l’avenue d’Islya été ouvert68. Et en 1911, l’école franco-arabe de Tébourba a été dirigée par un instituteur Français69, dans laquelle une classe a été créée à la fin de 1912 (4ème trimestre)70 .
2.3. L’église « Saintes Félicité et Perpétue » de Tébourba
L’établissement actuel fut une église datant de 1947-1948. L’entrée principale donnait sur la place de l’étoile. Elle était desservie par deux principales artères de parcours : l’avenue de la Gare et l’avenue d’Isly. Par son emplacement ainsi que sa configuration, isolée et fermée à toute maison laïque ou tout local profane, elle respectait les recommandations de la Commission des chantiers du diocèse de Carthage71. Elle est actuellement reconvertie en bibliothèque publique.
Fondée en 190172 et installée, au début, dans des locaux inappropriés, l’église paroissiale de Tébourba fut construite à partir de 190373. Elle fut complètement détruite par les bombardements de la seconde guerre mondiale. La construction de cette église paroissiale était motivée par l’accroissement de la population et par l’intérêt symbolique de cet établissement qui « constitue pour la ville de Tébourba un élément nouveau de vitalité et de prospérité »74. L’église catholique fut considérée par les pouvoirs français comme un soutien de la colonisation75 et dont la conséquence fut le renforcement des institutions de culte76. L’église de Tébourba fut édifiée sur un terrain de 10 ares et 15 centiares cédés gratuitement à l’archevêché de Carthage pour la construction d’un lieu de culte77.

Source : Mohamed Hamdane.
L’examen des photos montre qu’il s’agissait d’un édifice ayant une échelle assez importante. Elle fut construite sous le style néo roman qui était en vogue à la fin du XIXe siècle. Sa façade principale était en pignon, éclairée au milieu par trois baies étroites, cintrées enserrés dans un grand encadrement. De part et d’autre, se situaient deux baies étroites encastrées dans des encadrements cintrés. La nef de l’église s’achevait par une abside semi-circulaire. La disposition de la façade fait penser à une église-halle : les bas-côtés avaient la même hauteur que la nef centrale, et se trouvaient donc sous le même toit78.
La deuxième église fut reconstruite à partir de 1947. Elle était conçue par l’architecte Roger Dianoux79 qui avait supervisé les travaux de construction accomplis par les maîtres maçons Puggione et Mario, avec l’intervention de l’ingénieur Novak80.
Le plan de la nouvelle église de Tébourba était composé essentiellement d’une nef unique couverte d’une immense voûte en berceau d’une hauteur de 7,60m s’achevant par une abside plate. De part et d’autre de l’abside, se trouvaient deux petites pièces dont chacune était ouverte sur l’extérieur par une porte.
Dominant la place publique et ayant un aspect massif et monumental, la façade de l’église, ayant une hauteur importante, fut entièrement construite en pierres et briques apparentes, sans enduits.

Source : Cliché de l’auteure.
Réalisée sous la tendance vernaculaire - spécificité de la production architecturale de cette période -, cette église se caractérisait par ses lignes épurées et ses formes inspirées de l’architecture locale. Ce style architectural originel était le produit du métissage des techniques et savoir-faire locaux et, des programmes modernes. Ce fut la résultante d’un contexte économique bien particulier. En effet, la pénurie des matériaux de construction moderne, le fer et le ciment, avaient poussé les architectes français du Service d’Architecture et d’Urbanisme à puiser leur création dans les techniques, savoir-faire et matériaux locaux81.
La façade principale de l’église de Tébourba était coiffée par un arc en plein cintre ouvragé en pierres apparentes qui encadraient une grande baie. Située au-dessus de l’entrée principale de l’église, cette baie était pourvue de claustras composés de motifs en forme de losanges ajourés et fabriqués avec du ciment gris, englobés dans un mince encadrement de briques rouges.
Le clocher de l’église représentait une tour à base carrée qui s’étendait sur deux niveaux : le premier niveau était construit avec des pierres apparentes ; le second, situé en retrait et construit en briques rouges. Des fenêtres cintrées à claustra éclairaient les divers niveaux du clocher.
3. Physionomie architecturale à Tébourba
Le paysage architectural de Tébourba était assez hétérogène, regroupant des édifices ayant différentes vocations (agriculture, habitat, commerce et services), construits dans de multiples styles reflétant l’évolution des goûts et des tendances.
Il s’agissait, en général, de constructions assez simples, constituées d’édifices à toit en tuiles, généralement basses, limitées à un seul niveau, ou avec un rez-de-chaussée et un étage, reflétant le caractère architectural de la métropole.
Concernant l’habitat, tout comme dans les villes tunisiennes et algériennes, deux types d’habitat s’étaient développés : la maison à alignement ou la maison « à pignon sur rue », et, la maison à retrait appelée maison « à véranda ». Cette dernière présentait un léger retrait par rapport à la rue. Dans ce cas, l’accès à la maison se faisait par une petite galerie servant d’espace de transition. Pour les deux types de maison, le couloir constituait l’espace de structuration sur lequel s’ouvrait le double alignement des pièces82.

Source : cliché de l’auteure.
Le village colonial à Tébourba renfermait certes des constructions modestes, néanmoins, le noyau central renfermait des édifices assez élégants. Un voyageur qui avait visité Tébourba en 1896 précisa qu’il s’agissait d’une « ville taillée sur l’éternel modèle algérien : au centre, une superbe place régulière d’où partent toutes les voies principales, rues droites et assez larges. Sur cette place où, le soir, la musique vient souvent se faire entendre, passent nombreux les burnous et les têtes rouges. C’est là que sont situés les cafés européens, maisons assez élevées, quelques-unes même élégantes83 ».

Source : Collection de Mohamed Hamdane.