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A propos Al-Sabil
11 | 2021
Ahmed Saadaoui
La mosquée d’Ahmed Pacha Qaramanli et son waqf Un monument caractéristique des arts architecturaux de la Tripolitaine ottomane
Résumé
Ce texte porte sur le prestigieux ensemble architectural construit à Tripoli entre 1734 et 1738 par Ahmad Pacha. Fondée sur les actes de waqf inédits de la mosquée et sur d’autres sources, cette étude nous a permis de placer la mosquée dans son contexte urbain et architectural. L’examen approfondi des éléments architecturaux et décoratifs de cet ensemble révèlent les liens étroits entre Tunis et Tripoli dans le domaine de la construction et de l’architecture ; des matériaux tels que les carreaux de faïence, les colonnes, les chapiteaux et dalles de pierre sculptés provenaient de Tunis. Les étonnantes similitudes entre la mosquée libyenne et celle des Teinturiers de Tunis nous incite à penser que l’équipe qui avait bâti la mosquée de Tripoli comptait des maçons et des artisans qui avaient participé auparavant au chantier de la mosquée tunisoise construite une dizaine d’années auparavant.
Mots clés
Libye, Tripoli, Qaramanli, Tunis, la mosquée d’Ahmad Pacha, waqf, architecture, décor architectural, baroque, Qallaline
Abstract
This text focuses on the prestigious architectural complex built in Tripoli between 1734 and 1738 by Ahmad Pasha. Based on the unpublished waqf deeds of the mosque and other sources, this study has allowed us to place the mosque in its urban and architectural context. Close examination of the architectural and decorative elements of this complex reveals the close links between Tunis and Tripoli in the field of construction and architecture: materials such as tiles, columns, capitals and carved stone slabs came from Tunis. The astonishing similarities between the Libyan mosque and that of the Sabbâghîn in Tunis lead us to believe that the team that built the Tripoli Mosque included masons and craftsmen who had previously participated in the construction of the Tunisian mosque built a decade earlier.
Keywords
Libya, Tripoli, Qaramanli, Tunis, mosque of Ahmad Pacha, waqf, architecture, architectural decor, waqf, baroque, Qallaline.
الملخّص
يتناول هذا المقال موضوع المجمع المعماري الشهير الذي أنشأه أحمد باشا القرمانلي بمدينة طرابلس فيما بين عامي 1734 و1738. وتعتمد الدارسة على نص وقفيتين جديدتين لم يسبق نشرهما بالإضافة إلى مصادر أخرى خوّلت لنا وضع الجامع في سياقه الحضري والمعماري. ويكشف تفحّص العناصر المعمارية والزخرفية لهذا المجمع الصلات الوثيقة بين مدينتي تونس وطرابلس في مجال البناء وفنون العمارة. ونذكر من ذلك بلاطات الجليز والاعمدة والتيجان واللوحات الحجرية المنقوشة المجلوبة من تونس. ويدفعنا الشبه المذهل بين الجامع الليبي وجامع الصباغين بتونس إلى الاعتقاد بأن فريق العمل الذي بنى جامع طرابلس يضم بنائين وحرفيين سبق أن شاركوا، قبل عشر سنوات، في بناء المسجد التونسي
الكلمات المفاتيح
ليبيا، طرابلس، القرمانليون، تونس، جامع أحمد باشا، الوقف، المعمار، الزخرفة المعمارية، فن الباروك، القلالين
Pour citer cet article
Ahmed Saadaoui, «La mosquée d’Ahmad Pacha Qaramanli et son waqf, un monument représentatif des arts architecturaux de la Tripolitaine ottomane», Al-Sabîl : Revue d'Histoire, d'Archéologie et d'architecture maghrébines [En ligne], n°12, année 2021.
URL : https://al-sabil.tn/?p=17008
Texte integral
Construite par le fondateur de la dynastie Qaramanli, la mosquée d’Ahmad Pacha (1711-1745) est l’un des plus beaux monuments de la ville de Tripoli. Cette mosquée est l’unité principale d’un complexe religieux à l’ottomane. En s’appuyant sur deux actes du waqf de cette mosquée (enregistré en 1740), nous présentons les différentes composantes de ce complexe architectural et essayons de démontrer la place qu’il occupe dans l’architecture libyenne de l’époque ottomane. Inédits, ces deux actes sont d’un intérêt indéniable ; c’est pourquoi nous avons tenu à leur consacrer une part importante de cette recherche. Dans cet article, nous avons présenté une traduction partielle des deux actes et nous avons publié en annexe le texte arabe intégral lequel reste bien évidemment la référence en la matière pour toute recherche sur le sujet.
Et pour enrichir notre étude, nous avons mobilisé d’autres sources et notamment un précieux document des archives de la ville de Gênes (1737) qui nous a permis d’identifier l’atelier et les marbriers qui avaient réalisé le minbar baroque de cette mosquée. Nous avons profité également d’un texte étonnant, la description faite de la mosquée par Miss Tully, la sœur de Richard Tully, le consul britannique à Tripoli qui séjourna dans la ville de 1783 à 1792. Dans un texte très précis et complet, l’auteure décrit les différents éléments architecturaux du complexe et dépeint les ambiances à l’intérieur du monument1.Notons également que cette mosquée est très riche en inscriptions historiques ; elle compte une dizaine d’inscriptions commémoratives, sans compter les nombreuses stèles funéraires dressées sur les 140 tombes de la nécropole de la mosquée.
Tous ces matériaux ont été sollicités pour mieux cerner l’histoire du monument et dater ses différentes composantes. A la fin de cette étude, nous avons tenté de déterminer les liens étroits de cette mosquée avec les traditions architecturales de la ville de Tunis de l’époque en soulignant ses analogies avec la mosquée des Teinturiers, construite par le fondateur de la dynastie Husaynite en 17272.
1. Le contexte historique de la construction du complexe architectural d’Ahmad Pacha
La conquête ottomane de Tripoli en 1551, a eu pour conséquence une longue période d’urbanisation liée à la pacification du pays et à la prospérité économique de la cité. La ville a reçu plusieurs édifices religieux et des équipements d’utilité publique qui lui donnèrent son aspect actuel.
Au tout début de la période ottomane, Darghouth Pacha édifia, en 1560, auprès de Bab al-Bahr, un petit ensemble religieux constitué d’une mosquée, d’une turba, d’un hammam, etc. Le minaret cylindrique de type ottoman de la mosquée de Darghouth annonce à lui seul le rattachement de Tripoli à un modèle stambouliote.

Source : A. M. Ramadan, 1976, p. 29.
Vers le milieu du XVIIe siècle, cUthmân Saqazlî (1649-1672) restaura les fortifications de la ville et était à l’origine de plusieurs œuvres architecturales. Il édifia une madrasa dédiée à l’enseignement du rite hanéfite. Suivant l’exemple ottoman, le fondateur intégra son mausolée dans cette fondation. De même, il effectua des aménagements dans le souk des Turcs et y construisit un fondouk de plus d’une centaine de chambres. Il bâtit un autre fondouk, sis auprès de la mosquée de Darghouth Pacha. Dans le même quartier, il édifia en 1664 un nouveau bagne sur les ruines du Palais de Darghouth qui porte le nom de Saint Michel ou San Michele. Doté de 89 chambres, le nouveau bagne pouvait héberger jusqu’à 672 captifs3.cUthmân Saqazlî rénova également l’un des plus importants et prestigieux souks de la ville celui d’al-Rabc, spécialisé dans les métiers du textile. La rente de ces constructions alimentera le budget de la madrasa et de la turba.

Source : A. M. Ramadan, 1976, p. 29.


Source : Photo de l’auteur, 22-2-2005.
Vers la fin du XVIIe siècle, Muhammad al-Imam Dey, dit Shaïb al-cAyn (1687-1701) éleva la mosquée qui porte son nom et lui octroya des biens institués en waqf sis notamment dans le souk des Turcs et celui de la Soie (al-Harîr), édifié par le fondateur. A l’occasion, il rénova d’autres artères commerçantes4.

Source : : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Au XVIIIe siècle, la régence de Tripoli a connu une nouvelle étape de son histoire ottomane qui correspond au règne de la dynastie des Qaramanli (1711-1835). Dans les débuts de son gouvernement, Ahmed Pacha, le fondateur de la dynastie, a dû faire face à des révoltes, qu’il écrasa en s’appuyant sur une nouvelle milice indigène. Tout en encourageant la course, il évita de se brouiller avec les grandes puissances et conclut, en particulier avec l’Angleterre et la France, des traités de paix et de commerce. Son fils et son petit-fils continuèrent sa politique, et jusqu’en 1767 la Tripolitaine vit s’accroître son activité économique et devint un relais important du commerce en Méditerranée.
Ahmad Pacha réalisa une œuvre architecturale qui témoigne de cette prospérité : des réalisations à caractère militaire, des ouvrages hydrauliques et un complexe religieux et funéraire. L’historien contemporain, Ibn Ghalbûn indique qu’il restaura les enceintes de la ville ainsi que sa citadelle et constitua en waqf des biens fonciers et immobiliers importants au profit de ces fortifications ; il réalisa également des aqueducs pour acheminer l’eau vers la citadelle et la ville et il édifia un nouveau souk spacieux et remarquable5.Toutes ces réalisations ont précédé le complexe religieux. Le chroniqueur n’en parle pas ; il semble que son histoire ait été écrite quelques années avant l’achèvement de cette œuvre majeure du Pacha. Al-Ansârî, de son côté, signale que suite aux succès militaires d’Ahmad Pacha et à sa mainmise progressive sur le pays, il édifia la mosquée qui porte son nom près de Bâb al-Manshiyya et la madrasa qui lui est contigüe6.
Une inscription placée au-dessus du linteau de l’entrée principale de la mosquée donnant sur le souk al-Mushîr date le monument et évoque quelques-unes des réalisations du Pacha. Voici son texte :
1-بسم الله الرحمن الرحيم وصلى الله على سيدنا محمد وآله وصحبه
2-الحمد للمولى على نعم نمت جملت بطلعة حاكم متفضل
3-هو أحمد الباشا الذي أجرا لنا ماء يسيل إلى سبيل منهل
4-وبنا لنا برجاً وأسس جامعا في الحسن جاء من الطراز الأول
5-يا ربنا واتمم له الخمس التي ترجى بميم الملك في المستقبل
6-واجعل جوابي إذ دعوت مؤرخا قل نال في الفردوس أحضى منزل
1149.7
1) Au nom de Dieu, le Bienfaiteur, le Miséricordieux. Que Dieu bénisse notre seigneur Muhammad, ainsi que sa famille et ses compagnons et le protège.
2) Louange au Maître pour Ses bonnes grâces, embelli par l’apparition d’un gouverneur généreux
3) C’est Ahmad Pacha qui a fait couler pour nous cette fontaine où l’on s’abreuve
4) Il nous a, aussi, bâti un fortin et fondé une mosquée dont la beauté est de premier ordre.
5) O ! Dieu, valide-lui les cinq piliers nécessaires pour l’entrée dans le royaume dans l’avenir
6) Et agrée ma demande quand je t’ai imploré, en le datant : (en chronogramme) « déclare qu’il a obtenu au paradis la plus belle demeure.
1149/1736-1738.
Les trois réalisations citées par l’inscription sont : le complexe religieux, le fort dit Borj bû-Lila et l’ouvrage hydraulique, probablement l’aqueduc de Bâb al-Manshiyya qui acheminait l’eau jusqu’à la ville et alimentait la fontaine, al-shîshma ou al-sabîl, qui jouxte la mosquée. Notre article porte sur le complexe religieux, nous nous arrêtons ici uniquement sur le fort et sur l’aqueduc.

Source : Photo de l’auteur, 22-2-2005.
Le fort de Bû-Layla dit aussi le fort des Français fut édifié par Ahmad Pacha en 1140/1727-1728 pour renforcer les défenses de la partie nord-ouest de la ville9.C’est un fortin qui s’élève sur un îlot rocheux se trouvant à quelques 200 mètres des enceintes et non loin des forts de Darghouth et d’al-Turâb10.Quelques temps après sa fondation, il servit à opposer une résistance farouche au bombardement de la ville par la flotte française entre le 20 et le 26 juillet 1728, d’où son nom de Borj al-Fransîs.
Parmi les grandes réalisations d’Ahmad Pacha figurent des aqueducs qui acheminaient l’eau vers la Citadelle et la ville. La date de ces ouvrages n’est pas connue, mais le texte de l’auteur contemporain Ibn Ghalbûn est explicite : celui-ci affirme la construction d’un aqueduc nouveau par le Pacha pour alimenter la ville en eau et la constitution d’un waqf important pour entretenir l’ouvrage hydraulique11. . Hassan al-Faqîh Hassan dans ses Yawmiyyat, précise que le Pacha établit une noria (machine élévatoire) sur les aqueducs qui acheminaient l’eau vers la ville en l’année 1135/1722-2312 .Des cartes anciennes dessinées par des Européens indiquent le cheminement de ces conduites13.
Sur un dessin publié Salvatore Aurigemma, nous apercevons nettement ces aqueducs monumentaux qui étaient rattachés à la Citadelle14.

Source : Aurigemma, 1926, photo n°52.
Cependant, l’œuvre majeure du Pacha reste la mosquée qui porte son nom. Après plus de deux décennies de paix et d’affermissement de son autorité, le fondateur de la dynastie Qaramanli s’est fait construire un complexe architectural formé essentiellement d’une mosquée, d’une madrasa et d’une grande nécropole, turba-s, dont la composition rappelle ce genre de monument dans les capitales ottomanes.
2. Deux waqfiyas de la mosquée
Sous texte 1
texte
Sous texte 2
a- texte
La construction de ce complexe se situe dans le cadre d’un projet de rénovation et d’aménagement de la partie centrale de la médina. Les deux waqfiyya de cette mosquée nous dévoilent des informations nouvelles et intéressantes sur ce projet, sur les intentions du bâtisseur et sur le fonctionnement de la fondation15.Le premier acte, le plus important et qui date du milieu du mois de Ramadan 1153/3 décembre 1740, révèle que le fondateur dota sa fondation d’importantes donations, des biens immobiliers et fonciers, instituées en waqf classées ainsi :
1-La totalité du souk formé de trente-deux boutiques placées sur deux rangées ; ledit souk fut construit par le fondateur et se situe dans la ville de Tripoli. Ses limites sont au sud, (côté qibla) souk al-cAttâra connu sous le nom du souk al-Yahûd (les Juifs) ; à l’est, une rue qui le sépare du fossé de la Citadelle (al-Hisâr) ; au nord, la mosquée et la turba construites par le fondateur et une partie du souk al-Jadîd ; et enfin à l’ouest, le souk des Bijoutiers (al-Sâgha), connu actuellement sous le nom du nouveau souk al-cAttâra.
2-La totalité du Nouveau souk (al-Jadîd) contigu au souk précédemment cité : édifié également par le fondateur, il compte trente boutiques placées sur deux rangées : seize boutiques ouvrent vers l’est, douze vers l’ouest et une vers le nord et la dernière vers le sud. Ses limites sont au sud, (côté qibla) souk al-ccAttâra propriété du fondateur ; à l’est, la mosquée ; au nord, souk al-Rabacal-Qadîm et à l’ouest, l’artère bordée par souk al-Sagha.
3-Les neuf boutiques attenantes à la mosquée du côté de la porte d’entrée orientale. Elles forment une seule rangée et ouvrent toutes vers l’est et donnent sur l’artère de souk al-Khadhâra. La rangée de boutique est délimitée au sud (côté qibla) par souk al-Yahûd ; à l’est par la rue sur laquelle donne la porte d’entrée ; au nord par la mosquée et à l’ouest par le café.
4- Le café édifié par le fondateur et qui jouxte la mosquée et les neuf boutiques précédemment citées. Il est délimité au sud par la rue sur laquelle donne la porte d’entrée ; à l’est par la rue des deux boutiques sur lesquelles il s’élève ; au nord et à l’ouest par souk al-Rabac.
5- Les deux boutiques sises auprès de la porte ouest de la mosquée, du côté du Nouveau souk (al-Jadîd) cité plus haut en second lieu.
6- La totalité de la boutique attenante à la mosquée sur le côté nord dans le souk al-Khadhâra. Acquise par achat, ladite boutique est délimitée au sud par une boutique en possession du prince ; à l’est par le fossé de la citadelle ; au nord par une boutique waqf d’une mosquée et à l’ouest par une rue sur laquelle donne la porte d’entrée.
7-La totalité de la boutique attenante à la précédente sur le côté sud. Ses limites sont au sud, la boutique connue sous le nom de cAlî Bû-Reqaya ; à l’est, le fossé ; au nord, la boutique citée plus haut et à l’ouest, l’artère bordée par le souk précédemment mentionné (souk al-Rabac).
8- La totalité du fondouk avec toutes ses chambres dont certaines sont en ruine ; il est connu sous le nom de cAyyâd, et est sis à l’intérieur de la ville, au souk al-Raqîq (le marché des esclaves). Acquis par achat, ainsi que les trois boutiques prises sur le l’établissement ; deux d’entre elles ouvrent sur l’est, l’une à droite et l’autre à gauche de la porte d’entrée ; la troisième est orientée vers l’ouest, en face du four à pain waqf de la mosquée al-Kharrûba, et donne sur la rue qui mène vers la même mosquée.
9-La totalité de la boutique qui se trouve à l’intérieur de la ville ; elle est attenante au fondouk Zûza, du côté ouest. Acquise par achat, ladite boutique est délimitée au sud par une rue sur laquelle donne la porte d’entrée ; à l’est par le fondouk ; au nord par des boutiques en possession du Beylik et à l’ouest par al-Haj Faraj et autres.
10-La totalité du moulin qui se trouve à l’intérieur de la ville, près des fours à pain de Bâb al-Bahr. Acquis par achat, ledit moulin est délimité au sud par les héritiers du chaouch Ramdhân b. cUthmân et Mustafâ Bû-Shnâq (le Bosniaque) ; à l’est par une rue ; au nord par une boutique en possession du Beylik et à l’ouest par les héritiers d’al-Haj Ahmad al-Yafrînî.
11-La totalité de la parcelle sise derrière les remparts de la ville près de Bâb al-Bahr. Acquise par achat, elle est délimitée à l’est par les rivages de la mer ; au nord par une ruelle et à l’ouest par les remparts.
12-La totalité des deux boutiques contigües sises à l’intérieur de la ville, près de Bâb al-Bahr. Leurs limites sont au sud, la grande demeure (al-hawsh al-kabîr) connue sous le nom du consulat des Français ; à l’est, les héritiers d’Ibrâhîm al-Mahmûdî ; au nord, la rue sur laquelle donne la porte d’entrée et à l’ouest, les héritiers de Sîdî Muhammad.
13-La totalité de la boutique sise à Bâb al-Bahr. Ses limites sont au sud, Muhammad b. Mascûda ; à l’est, les rivages de la mer ; au nord, le saint Sîdî cAbd al- Wahâb, et à l’ouest, les remparts.

Source : Gaspare Messana, 1977, p. 165.
14-La totalité de la boutique sise au souk al-Raqrîq ,à l’intérieur de la ville. Ses limites sont au sud, un waqf de la mosquée al-Durûj ; à l’est, l’artère du souk ; au nord, une boutique connue sous le nom de la boutique du tabac en possession du Beylik, et à l’ouest, la maison de Hassûna fils de Sulaymân Shawûsh. Elle est acquise par achat.
15-La totalité des deux terrains occupés par des ruines sis au souk al-Turk (des Turcs). Ses limites sont au sud, une ruelle non passante sur laquelle donne la porte d’entrée ; à l’est, Ibn al-Faqîh ;au nord, la fille de Yacqûb Shawûsh , et à l’ouest, les héritiers de Muhammad b. Mustafâ .Les deux ruines sont acquises par achat.
16-27 Puis l’acte mentionne des propriétés foncières qui se trouvent dans les environs de Tripoli, à Tâjûra, à Janzûr, à Muslâta, etc. des petites parcelles ou des vergers plantés notamment d’oliviers ou de palmiers. En évoquant les palmiers, le texte cite certaines variétés de dattes locales.
28-La totalité du Moulin sis à Benghazi près du Majzara. Ses limites sont au sud, Ahmad al-Nichû ; à l’est, Mustafâ Râ’is ; au nord, Ahmad al-Nichû cité auparavant, et à l’ouest, un terrain vague. Il est acquis par achat.
29-La totalité de la demeure ( hawsh )sise à Benghazi au même endroit. Ses limites sont au sud, c Alî al-Sâbrî ; à l’est, le moulin ; au nord, la boucherie (al-Majzara), et à l’ouest, une ruine. Elle est acquise par achat.
30-La totalité de la demeure, la boutique et le moulin sis à Benghazi et acquis par achat. Leurs limites sont au sud une ruine en possession de Ben Romdhân ; à l’est, une rue ; au nord, la boucherie, et à l’ouest, une maison. Elle est acquise par achat.
31-La totalité de la ruine connue sous le nom de Ben Romdhân citée précédemment et qui se situe au même endroit. Elle est acquise par achat.
32-La totalité de la boutique sise au souk des Juifs, (appelée également al-cAttârîn et acquise par échange. Sa porte d’entrée ouvre vers le nord et donne sur le souk.
33-La totalité de l’entrepôt en ruine sis au même endroit, à l’intérieur de la même ville, près de Bâb al-Bahr. Ses limites sont au sud, une rue sur laquelle donne sa porte d’entrée ; à l’est, les héritiers d’ Ustâ Mustafâ ; au nord et à l’ouest, le fondouk des Canonniers ( al-tubjiyya ).Il est acquis par achat.
34-La totalité de l’entrepôt en ruine sis à l’intérieur de la même ville. Ses limites sont au sud, une rue sur laquelle donne sa porte d’entrée ; à l’est et au nord, le fondouk des Canonniers ( al-tubjiyya )et l’ouest les héritiers d’ al-Zaytûnî .Il est acquis par achat.
Puis le document atteste que le fondateur a constitué en waqf l’ensemble des biens-fonciers et immobiliers susmentionnés avec leurs servitudes, leurs dépendances et leurs droits, au profit de la mosquée et de la madrasa. Leurs rentes sont allouées en premier lieu à entretenir et restaurer les biens constitués en waqf .Les revenus du waqf servent, ensuite, aux dépenses des deux établissements, telles que les rétributions de l’imam, des muezzins, du gérant, des agents d’entretiens, des étudiants et des deux shaykhs-enseignants. Elles servent également à l’entretien et à la restauration des bâtiments, à l’achat des lampes, de l’huile nécessaire pour l’éclairage, etc.
L’acte précise ensuite les différentes rétributions : celles-ci sont indiquées en othmânî ou texte osmani qui est une petite monnaie en argent connue dans l’Empire sous le nom de akçe osmani. Les sources européennes utilisent le mot « aspre » pour désigner cette monnaie16.

L’acte précise que le wakîl doit utiliser les reliquats des différentes rentes, et ceci après les dépenses mentionnées plus haut, pour prévenir les années de diminution des revenus ou pour se procurer des biens-fonds qu’il additionne à la fondation.
Puis nous trouvons les formules consacrées en matière de waqf qui rappellent le caractère définitif de la cession et son irrévocabilité.
Le fondateur concéda ensuite la gestion de la fondation à al-Haj Mustafâ Khûja b. Muhammad Khûja .Le juge hanafite sultanien, désigné par le sultan, a authentifié et signé l’acte et déclare que le waqf est légal.
Cet acte a été dressé au milieu du mois de Ramadan 1153/3 décembre 1740 par les deux notaires témoins Ahmad al-Massûs et cAbd Allah cUthmân.

Source : Hellert 15.
D’autres fondations waqf ,révélées par d’autres actes notariés, sont venues enrichir le patrimoine de cette fondation : ainsi, un acte incomplet que nous avons pu consulter et qui a été établi du vivant d’Ahmad Pacha signale que des biens immobiliers et fonciers furent octroyés au waqf :
1-La totalité de la taverne, al-tabarna ,sise à l’intérieur de ville. Ses limites sont au sud, la rue sur laquelle donne la porte d’entrée ; à l’est, une rue passante ; au nord, un bien propriété du Beylik et à l’ouest, une rue non passante.
2-La totalité de la boutique connue sous le nom de Karbîshsise à al-Halqa à l’intérieur de la ville. Ses limites sont au sud, les murailles de la ville ; à l’est, une boutique de Karbîsh ;au nord, la boutique du Hâj Muhammad b. Scîdân , et à l’ouest, la rue sur laquelle donne la porte d’entrée.
3- La totalité de la ruelle, al-zanqa , dotée de neuf boutiques ; elle est sise à l’intérieur de la ville, en face de l’embouchure du fossé, fam al-khandaq .Ses limites sont au sud, une boutique propriété des fils de Ustâ Mustafâ ;; à l’est, une rue ; au nord, les ateliers des forgerons, et à l’ouest, la rue occupée par souk al-Raqrîq.
4-La totalité des huit boutiques sises à l’extérieur de la ville, en face de la porte sud de la médina. Formant une seule rangée, les huit boutiques sont limitées au sud par une ruelle ; à l’est par une rue passante ; au nord par le waqf de la Noria, et à l’ouest par le fondouk.
5-La totalité des dix boutiques qui forment une seule rangée ; elles sont construites par le prince fondateur du waqf à l’extérieur de la ville, en face des murailles de la médina. Leurs limites sont au sud et à l’est, la rue et une place ; au nord, le fossé des murailles, et à l’ouest, une place.
6-La totalité du moulin sis à l’intérieur de la ville, à la rue al-Rantûtî ,près des maisons d’al-Rajîmî il ouvre vers l’ouest. Ses limites sont au sud, al-faqih Muhammad b. Sâlim ; à l’est, al-faqih Muhammad b. Harîz ; au nord, al-faqih Muhammad Marwân et et à l’ouest, une rue sur laquelle donne la porte d’entrée.
7-La totalité du verger sis près de la ville et qui jouxte la Sebkha sur le côté ouest. Ses limites sont au sud, une voie et à l’est, la Sebkha.
Le document ajoute que suite au décès du wakîl mentionné dans l’acte précédent, le fondateur désigna comme nouveau gestionnaire du waqf, le juriste, al-faqih, al-Haj texte cAbd al-Hafîdh b. cAbdallah al-Qarwâjî. A l’occasion, le prince décide d’augmenter les différentes rétributions : 20 othmânî ou osmani par jour pour l’imam ainsi que les deux enseignants ( muddaris )et le wakîl ; 10 othmâmî pour le chef des muezzins ; 5 othmânî pour les autres muezzins ; 15 othmânî pour le chef des surveillants et 5 othmânî pour les autres surveillants.
Le document en ma possession est incomplet ; cet acte n’est pas daté et ne donne pas les noms des deux notaires qui l’ont dressé. Il est cependant clair qu’il a été établi du vivant du fondateur décédé en 1745 et est postérieur au premier acte de la fondation enregistrée en 1740.
3. La ville : topographie, tissu urbain, souks et bâtiments publics
Nos documents apportent quelques éléments parfois intéressants sur la ville et sur ses composantes urbaines et architecturales durant les dernières années du règne d’Ahmad Pacha.
Deux composantes principales de la capitale de la régence ottomane apparaissent : la ville et la forteresse ou le château. Les documents désignent le château sous le nom d' al-hisâr , du turc hisari ; il n’utilise pas les termes habituels dans la région qalca ou qasaba .Le texte révèle que la forteresse de Tripoli était doublée d’un fossé nommé khandaq. C’est une sorte de douve remplie d’eau et attachée à la mer par une embouchure dite Fam al-khandaq. .Se dressant au sud-est de Tripoli, le château-fort représente une petite ville royale complètement isolée du reste de la cité et il communique avec elle par une seule porte dite Bâb al-Hisâr .Sis près de Bab al-Manshiya, ce château est composé de plusieurs bâtiments disparates aménagés pour héberger tous les membres de la famille Qaramalî.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
La ville elle-même apparaît dans la waqfiyya enceinte de murailles doublées de fossé que le document nomme hafîr al-sûr.Quelques portes permettent à la ville de communiquer avec l’extérieur ; une seule porte est signalée à plusieurs reprises par notre document celle de Bâb al-Bahr .Cette porte donne sur le port de la ville et notre document précise que le tombeau de Sîdî cAbd al-Wahhâb se trouve dans ses environs.
Les documents révèlent aussi l’apparition de quartiers extra-muros du côté de Bab al-Manshiyya ;ce qui indique une croissance démographique de la population de la ville à l’époque d’Ahmad Pacha, une croissance confirmée par d’autres sources. Cette croissance démographique a engendré un développement urbain de Tripoli. A cette époque apparaissent les premières constructions du quartier extra-muros de Bâb al-Manshiyya, quartier qui formera, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le premier noyau de la ville moderne qui jouxtera la ville traditionnelle.
Nos documents mentionnent certaines artères importantes de la ville et ses principaux souks : souk al-Rabac, souk al-Raqrîq , souk al-Khadhâra, souk al-Turk, souk al-Yahûd ,souk al-cAttâra,souk al-Sâgha et souk al-Halqa.Les noms signalés par nos documents ne correspondent pas toujours à la réalité topographique actuelle. Comme nous l’avons constaté dans la ville de Tunis de l’époque, les souks changent parfois de nom ou d’emplacement.
Nos textes signalent deux souks portant le nom d’ al-Rabac : le premier al-Qadîm (l’ancien) et le second al-Jadîd (le nouveau). Les deux souks al-Rabac 17sont spécialisés dans les métiers liés au textile et se trouvent au cœur de la cité18.Le premier est l’un des plus anciens de la ville et occupe la partie nord-ouest de la mosquée d’Ahmad Pacha dont la construction a engendré des modifications et des aménagements importants sur le souk. Le second occupe la partie ouest de la mosquée et pour l’agrandir, le Pacha construisit deux petits souks attenants, le premier formé de trente-deux boutiques et le second de trente boutiques (souk al-cAtâra al-Jadîd ). Souk al-Rabac al-Jadid, porte également le nom de souk al-Laffa.

Source : Photo Ali Mustafa Ramadan, 1976, p. 81.
Souk al-cAttâra (parfum) connu sous le nom du souk al-Yahûd les Juifs) se trouve aussi sur le côté sud et sud-ouest de la mosquée et de souk al-Rabac19 .Le document révèle qu’il y avait également deux souks al-cAttâra, al-Qadîm et al-Jadîd suite à une extension réalisée à l’époque d’Ahmad Pacha. Souk Al-Yahûd, le nom ancien de cette aire marchande est cité trois fois dans nos documents : « souk al-Yahûd », souk al-cAttâra connu sous le nom souk al-Yahûd » et enfin « souk al-Yahûd al-cAttârîn ».
Souk al-Sâgha occupe la partie ouest de la mosquée ; il est cité deux fois dans notre texte qui précise qu’une partie du souk fut reconstruite par Ahmad Pacha et porte depuis le nom de souk al-cAttâra al-Jadîd .Elle compte 30 boutiques.
Souk al-Khadhâra cité deux fois dans nos waqfiyyas représente l’artère qui se trouve sur le côté est de la mosquée ; Ahmad Pacha y édifia une série de boutique et un café qui jouxtent la mosquée et ouvre sur ce souk qui sépare la mosquée du fossé de la citadelle. D’après les Yawmiyyat d’Hassan al-Faqîh ,la même artère portait aussi, au XVIIIe siècle, le nom de souk al-Shîshma ,en référence à la fontaine murale de la mosquée ; notre source ajoute que le souk était édifié par Ahmad Pacha en 1135/1722-2320 .Cette artère importante va s’étendre vers la direction de Bâb al-Bahr et portera plus tard le nom de souk al-Mushîr , nom qu’elle porte encore aujourd’hui21 .
Souk al-Raqrîq se trouve dans les environs de souk al-Rabacdu côté de la citadelle, près de l’embouchure du fossé, Fam al-Khandaq ;il s’agit probablement du souk qui portera plus tard le nom de souk al-Frâmil, al-farmala est une sorte de tunique.
Souk al-Halqa est indiqué dans notre document ; il s’agit du souk du fil filé en laine qui se trouvait dans les environs de la mosquée et Bâb al-Manshiyya ..Le souk se tient très tôt le matin pour vendre les fils filés en laine et parfois en coton ; il abrite quelques ateliers de tisserands22 .
Le souk al-Turk (les Turcs) est l’un des principaux axes soukiers de la ville. Plusieurs petits souks donnent sur cette artère, comme les souks des menuisiers ( Nijâra), de l’étain Qazdâra ,des forgerons ( Hidâda )et de la soie ( al-Harîr). Le souk des Turcs apparait une seule fois dans la waqfiyya.
En rapport direct avec les souks, des cafés, des fours à pain, des moulins et des fondouks sont signalés à plusieurs reprises dans nos actes. Le fondouk cAyyâd qui se trouve au souk al-Raqîq fut acheté par le Pacha et constitué waqf au profit de la fondation. Un autre fondouk qui se trouve en face du four à pain de la mosquée al-Kharrûba fut également acquis par achat et additionné aux biens de la fondation. Deux moulins furent acquis par achat et constitués waqf ; l’une est sise près des fours à pain de Bâb a-Bahr.
Enfin, le texte signale deux cafés construits par le fondateur dans les environs du complexe religieux et additionnés aux biens de la fondation.

Source : Le Baron de KRAFFT, 1860, p. 68.
Les fondations du Pacha et ses waqfs occupent les souks centraux de la ville ; ainsi, les habitations n’apparaissent pas dans ce document. Seules, deux habitations sont signalées, l’une propriété des héritiers d’un chaouch, Hassûna b. Sulaymân et l’autre d’une certaine Amina ,d’origine mamlouk. Les deux habitations se trouvent tout près des souks. L’habitation est désignée ici sous le nom de dâr .A Benghazi, un waqf concerne une habitation accolée à un four à pain et une boutique ; elle est nommée hawsh, terme très utilisé dans la régence pour désigner une habitation.
Nous trouvons dans nos deux documents quelques renseignements sur d’autres villes de la régence : Janzour, Tajoura, Messallata et Benghazi. La principale porte de Benghazi, Bâb al-Bahr ,est citée ainsi que quelques habitations nommées hawsh ,un moulin, un four à pain et deux souks, celui d’al-cAttârîn et celui des Juifs (al-Yahûd).
Le texte indique aussi l’existence d’un fondouk des canonniers (al-Tubjiyya) ;il s’agit probablement d’une caserne hébergeant les canonniers. Pour les trois autres localités le texte mentionne des propriétés foncières du Pacha intégrées dans le waqf ;des palmeraies, des oliveraies et des vergers.

Source : L’administration des Villes Historiques, Tripoli. Redessiné par Sofien Dhif.
sous titre
texte
4. Le complexe architectural et ses composantes
Avec ses coupoles et son minaret élancé, ce complexe religieux qui est l’un des plus importants, sinon le plus important de Tripoli, domine tout son quartier et les souks de la ville. Miss Tully qui s’y rendit quelques quarante-deux-ans après sa fondation, en donne une description assez complète : « L’extérieur de la grande mosquée, où les membres décédés de la famille du Pacha sont inhumés, est de la plus grande beauté. Elle est bâtie dans la grande rue, près de la porte de la ville qui conduit dans la campagne, et presque vis-à-vis du palais. »23 . Le complexe architectural est formé d’une mosquée, d’une madrasa ,de plusieurs turba- sabritant les tombes du fondateur, d’autres membres de sa famille et des hauts responsables. L’ensemble architectural occupe un emplacement stratégique et se dresse en face de la Citadelle, Sarâya al-Hamra ; il est entouré par les plus importants souks de Tripoli : souk al-Mushîr , souk al-Rabac, souk al-Khadhâra, souk al-cAttâra, souk al-Sâgha, etc. Il couvre une superficie de 2250 m2 inscrite sur une parcelle presque carrée de 53 m sur 50 m24 .

Source : Gaspare Messana 1977, p. 155 redessiné par Sofien Dhif.
4.1. La mosquée
L’élément principal de ce complexe architectural est la mosquée. Elle comprend, à elle seule, une salle de prière, un sahn, ,une maydhât et un minaret. Elle est desservie par trois porte d’entrée ouvertes sur les côtés est, nord et ouest25.L’entrée principale est décrite ainsi par Miss Tully « Devant la porte de la mosquée, il y a une seconde entrée faite en un joli treillis de bois, ciselé d’une manière curieuse, avec deux portes à battants aussi en treillis. Un grand nombre de beaux carreaux coloriés26,dont l’extrémité inférieure du treillis est revêtue, lui donnent un air de propreté extrêmement agréable à l’œil. Au-dessus des portes de toutes les mosquées on voit, sculptés et peints, de longs préceptes de l’Alcoran. Ceux qui se trouve au-dessus de la porte de la grande mosquée sont peints et dorés plus richement, et la sculpture en est préférable à celle de toutes les autres »27.
Cette entrée donne sur le côté est et ouvre sur le souk al-Mushîr .Une galerie percée de quatorze arcs en plein cintre outrepassés légèrement brisés longe tout ce côté. Cette galerie a été touchée par les bombardements de 1943 et refaite ultérieurement. Les arcs reposaient sur des colonnes en pierre couronnées de chapiteaux à volutes, dits de type turc, caractéristiques de l’architecture tunisoise de l’époque ottomane. Les claveaux bicolores des arcs, les colonnes en marbre blanc actuelles et la grille en fer forgé qui ferme la galerie datent de cette réfection.
Sous cette galerie ouvrent le portail oriental de la mosquée ainsi que huit grandes fenêtres barreaudées. Certaines fenêtres donnaient sur des chambres funéraires des Qaramanli. Elles sont inscrites dans un encadrement en marbre doublé d’un deuxième encadrement en carreaux de faïence. L’une d’elles faisait fonction de sabîlet sera décrite plus loin. Le portail principal donne entrée dans la cour latérale orientale par l’entremise d’un vestibule pourvu d’une banquette maçonnée. Ce portail s’inscrit dans encadrement en marbre clair doublé d’un encadrement en carreaux de faïence de belle facture provenant de Tunis et produites par les ateliers de Qallaline .Il ferme par deux battants en bois massif richement sculptées. Cette entrée est surmontée d’une plaque de marbre portant une inscription fixée au mur de façade et portée par deux consoles. Le texte, qui s’inscrit dans un encadrement de forme particulière, date la fin des travaux dans la mosquée 1149/1736-1737. Nous avons présenté ce texte plus haut. La plaque qui porte l’inscription s’inscrit dans une parure de carreaux de faïence d’une belle facture. De part et d’autre de l’inscription, sont placés deux panneaux portant le thème cher aux céramistes de Tunis, celui du vase décoratif ; les deux vases ne sont pas identiques, en outre, celui de droite se trouve encadré par deux cyprès stylisés. Deux autres inscriptions ont été fixées sur cette façade, l’une commémore la fondation de la fontaine et l’autre celle la turba.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Les trois portes extérieures de la mosquée ouvrent sur l’intérieur des cours qui encadrent la salle de prière sur trois côtés : deux cours latérales et une cour antérieure.
La cour antérieure (nord) est occupée sur le côté est par les salles d’ablution et sur le côté ouest par la madrasa. La cour latérale ouest est dotée du mihrab extérieur ; elle accueille les prières pendant la belle saison et y d’effectue les prières des funérailles.
Les galerie-portiques entourent la salle de prière sur trois côtés et la relient aux trois cours. Ces galeries sont couvertes de plafond en bois à solives apparentes doublé d’une terrasse horizontale. Ici, les arcs en plein cintre outrepassés sont portés par des colonnes en marbre ou en pierre calcaire couronnées de chapiteau de type hafside ou de type dit turc. Les murs sous les galeries sont tapissés de carreaux de faïence polychrome de Qallaline ; au-dessus un bandeau en plâtre sculpté, large de 1,10 m, porte une inscription qui date ce décor de la période de fondation de la mosquée (1150/1737-38) et porte la signature d’un certain Qastallî (le Castillan)28; il est probable qu’il s’agisse du maître maçon qui a construit la mosquée ou du maître sculpteur ( naqqâsh calâ al-jibs ) qui a réalisé le décor sur plâtre. Son nom indique qu’il est d’origine morisque ; ceux-ci contrôlaient à Tunis les corporations de plusieurs métiers de l’architecture : la construction, la sculpture sur pierre ou sur stuc, la charpenterie, la faïence, etc. De part et d’autre de la porte latérale orientale, le sol de la galerie est jonché de quelques tombes et fait fonction d’espace sépulcral, turba .Les sépultures sont protégées par une belle grille en fer forgé. L’inhumation dans ces lieux a commencé à partir du milieu du XVIIIe siècle. Nous citons parmi les personnes inhumées en cet endroit : Mahmûd Bey (m. en 1235/1819) et Muhammad Amîn Pacha (m. en 1263/1847).


Source : Photos de l’auteur, 25-2-2005.
La salle de prière qui s’élève au cœur du monument est largement ouverte sur l’extérieur ; en effet, sous les galeries qui l’encadrent, ouvrent cinq portes donnant accès à l’intérieur de l’oratoire : une porte est percée sous chacune des deux galeries latérales et trois sous la galerie de devanture. Les portes latérales (2,60 m sur 1,70 m) présentent la même disposition. Des portes droites avec un encadrement en marbre que rehausse la sculpture inférieure des piédroits chargée de décor à motifs turquisant qui rappelle le décor des portes de la mosquée des Teinturiers de Tunis. Celles-ci ferment par deux battants en bois massif richement décorée. Du côté de la galerie de devanture, les trois portes qui communiquent avec la salle de prière sont cintrées ; la porte médiane qui ouvre dans l’axe du mihrâb est un peu plus grande que les deux autres et se distingue par son arc à claveaux alternés noirs et blancs ; il est en arc outrepassé, légèrement brisé. L’ensemble de son encadrement est en marbre ; ici également, le noir rencontre le blanc et accentue les lignes droites ou courbes. « Le portail est en bois ; chaque vantail est subdivisé en trois parties dans le sens de la hauteur, sculpté suivant des motifs floraux où dominent les rosaces, les rinceaux qui les portent et qui, dans le tiers inférieur s’échappent d’un vase en forme de croissant »29


Source : Photos de l’auteur, 25-2-2005.
De l’intérieur, la salle de prière présente un plan carré de 20 m de côté. Elle est entièrement couverte de coupoles. Les vingt-cinq coupoles qui surmontent les vingt-cinq travées de cette salle sont toutes égales et sur pendentif ; à part les deux qui occupent les deux extrémités de la nef axial, l’une s’élève devant le mihrâb et la deuxième à l’autre bout couvre la sidda ou la tribune des muballigh-s. Ces deux dernières plus hautes que les autres et s’appuient sur des trompes d’angle ; de l’extérieur, elles sont côtelées. Toutes les coupoles sont établies sur des arcs en plein cintre outrepassés appareillés avec soin. Les arcs s’appuient sur des pilastres intégrés dans les murs et sur seize colonnes qui se dressent au milieu de la salle de prière et la divisent en cinq allées transversales et cinq allées longitudinales séparées par des arcades. Toutes les colonnes sont taillées dans le marbre de Carrare et mesurent environ 3 m jusqu’au niveau du tailloir et portent des chapiteaux de type néo-dorique. Les chapiteaux sont surmontés d’impostes parallélépipédiques revêtues de stuc finement ciselé. Ces impostes reçoivent des tirants en fer qui rappellent l’architecture ifriqiyenne classique. Fait rare dans les mosquées libyennes, les murs de l’oratoire sont, ici, tapissés jusqu’à une hauteur de 3 m de carreaux de faïence. Ce décor couvrant n’est interrompu que par les niches, les armoires, les portes et des fenêtres de cette salle. Les parties supérieures de ces murs sont couvertes d’un revêtement en stuc ciselé, très riche et très varié.
Dans cette même salle, le mihrâbse situe dans la position habituelle, au milieu du mur de la qibla, juste dans l’axe médian de l’oratoire. Rappelant de très près le décor du mihrâbde la mosquée de Teinturiers de Tunis, celui-ci se présente sous la forme d’une niche demi-circulaire aménagée dans le mur. Profonde d’environ un mètre, la niche est couverte d’une voûte en cul-de-four s’ouvrant sur un arc en plein cintre outrepassé. A claveaux bichromes, cet arc repose sur deux colonnettes engagées couronnées de chapiteaux néo-doriques ; des colonnettes galbées à fût lisses et cannelés. Une moulure en cavet au niveau des chapiteaux marque le passage entre la partie inférieure de la niche et la demi-coupole qui la surmonte. La concavité de la partie inférieure est revêtue de huit grands bandeaux verticaux formés par des carreaux de faïences polychromes refaites à une date récente30. La demi-coupole du mihrâb est tapissée d’un décor sculpté en plâtre sculpté à base de motifs en polygones étoilés. A la base de cette arabesque, un bandeau horizontal en stuc porte une inscription coranique (4,102) : « Basmala. Soyez assidus aux prières et à la prière du milieu du jour. Tenez-vous debout pour prier Dieu avec piété » (Cor.2, 238). L’ensemble du mihrâb s’inscrit dans un encadrement rectangulaire façonné également dans le marbre.


Source : Photos de l’auteur, 25-2-2005.
Le décor de ce mihrab et notamment l’entrelacs réalisé dans le stuc, est identique à celui de la mosquée des Teinturiers de Tunis ; nous sommes persuadés qu’il a été réalisé par un maçon et des sculpteurs sur stuc venant de Tunis.
Le minbar maçonné se dresse à droite du mihrâb ; il s’élève sur un socle rectangulaire qui mesure 3,40 m de long. Haut de 2,70 m, il compte onze marches délimitées par deux balustrades formant une rampe. Au pied du minbar
se dressent deux colonnes en marbre à chapiteaux néo-toscans portant un arc en plein cintre outrepassé surmonté d’un fronton curviligne caractéristique de l’art baroque. Le champ du tympan du fronton est occupé par une inscription portant le texte la shahada ; une inscription cursive dorée et exécutée en relief. Le panneau inscrit est délimité par des moulures et il est frappé par des croissants réalisés dans la pierre de couleur. Tourné vers le haut, comme les trois précédents, un quatrième croissant en cuivre couronne l’ensemble du fronton.
Au sommet du minbar, la dernière marche qui sert de tribune pour l’imam prêcheur est abritée par un pavillon baroque de bois fabriqué certainement par des ébénistes italiens. Haut de 1,60, ce baldaquin est porté par quatre colonnettes en marbre couronnées de chapiteaux ayant la forme de calice et dénudés de tout décor.
Les deux côtés latéraux de cette chaire à prêcher sont percés de trois baies : une cintrée et deux rectangulaires. Les deux flancs du minbar ont reçu un parement polychrome de marqueterie de marbre d’une belle exécution. La marqueterie est réalisée, ici, selon un procédé particulier, la tersia certosina,connu depuis l’antiquité et largement employé en Italie à l'époque moderne. C’est une technique mixte puisqu’elle consiste à découper des éléments de placage et à les rapporter dans des cavités creusées dans la surface du panneau massif. Les incrustations sont retenues dans les alvéoles par collage pour éviter l’arrachement. Les dalles échancrées qui reçoivent l’assemblage sont en marbre blanc dont les contours sont moulurés. Ceux-ci forment des bandeaux et des bordures encadrant les différents éléments polychromes. Parfaitement ajustées à l’intérieur des cavités, les pierres colorées sont employées pour reproduire les thèmes décoratifs constitués essentiellement de motifs floraux empruntés à l’art baroque. Elles présentent les couleurs suivantes : le blanc, le gris foncé, le rouge marron et le jaune paille.


Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Un précieux document qui se trouve dans les archives d’état de la ville de Gênes nous révèle l’origine de ce curieux décor baroque. Il indique que des marbriers italiens ont travaillé pour le compte du Pacha de Tripoli. Le document date du 26 août 1737 et présente deux témoignages. Le premier est celui du marbrier génois Domenico Garibaldi qui dit qu’Andrea Gaggino était allé à Tripoli pour assembler et mettre en place quelques marbres travaillés à Gênes pour le compte de Pietro Francesco Micone. Ce dernier appartient à une famille génoise bien connue de commerçants de marchandises diverses, dont le marbre. La rémunération que Gaggino devrait recevoir pour ces travaux à Tripoli était de 30 lires par mois qui étaient encaissées à Gênes par Domenico Garibaldi, qui était le maître dans l’atelier où Gaggino avait appris le métier.
Dans la deuxième page, il y a un autre témoignage de Benedetto Bini, un autre marbrier, qui dit à peu près la même chose que Garibaldi31.
Le minbar réalisé par un atelier de travail de marbre génois est presque identique à celui des Teinturiers de Tunis réalisé une dizaine d’année auparavant. Ce qui indique qu’à l’époque ottomane, non seulement les italiens exportaient leurs marbres vers les villes maghrébines, mais aussi des marbriers de la Péninsule travaillaient occasionnellement pour des commanditaires maghrébins32 .
Comme les autres mosquées hanafites, l’oratoire de la mosquée d’ Ahmad Pacha est doté d’une sidda , dite mahfil à Tunis ; C’est une sorte de tribune de forme carrée occupant pleinement la dernière travée de la nef axiale, en partant du mihrâb. Elle est entièrement construite en bois peint et doré. Elle repose sur quatre colonnettes torsadées en bois et s’appuie également sur deux colonnes et deux pilastres de la salle de prière. On accède à la plate-forme, qu’elle constitue en face du mihrâb, par un petit escalier sans passer par la salle de prière. Ce plateau, où se tenaient les nombreux muezzinset leur chef, révélés par notre waqfiyya, pour chanter en chœur les invocations et les prières, domine la salle d’une hauteur de 3 m ; il est entouré par une balustrade en bois tourné33 .


Source : Photos Ilhem Ibrahim Al-Qarqani, 2016, p. 117.
La dakka est un autre élément qui attache cette mosquée aux traditions ottomanes. Il s’agit d’une petite tribune élevée au-dessus du sol de la mosquée et placée dans un angle de la salle de prière, du côté de la qibla. Construite complètement en bois, elle est protégée par une balustrade et repose sur un socle qui a une forme d’un cône inversé. Cet élément, qui rappelle les sièges à prêcher des églises, est réservé pour les mudarris qui est dans ce cas un muezzin chargé de répéter les takbîr -s derrière l’imam ; elle rappelle les « mukabbiras » des mosquées ottomanes ; mais elle en diffère notamment par son emplacement. Les « mukabbiras » prennent place sur le mur qui sépare la salle de prière de la cour pour être mieux entendus par ceux qui priaient à l’extérieur34 .
Les tribunes en triforium : la mosquée est dotée également de tribunes beaucoup plus vastes qu’ al-sidda ou al- dakka. Ce sont des galeries supérieures placées sur les trois galeries qui entourent la salle de prière de l’extérieur. Protégées par des balustrades, elles ouvrent sur l’intérieur de la salle de prière par des arcs en plein cintre outrepassés et en même temps, elles donnent sur les trois cours de la mosquée par seize fenêtres barreaudées. Ces galeries sont assez vastes pour recevoir un nombre important de fidèles ; parfois elles sont réservées aux femmes. Contrairement à la salle de prière, elles sont couvertes par une charpente en bois ; l’une des poutres de cette charpente porte une inscription indiquant le nom de Muhammad b. cAlî Murâd al-Sharîf, il s’agit probablement du nom du maître charpentier qui réalisa cette tribune35.
La mosquée des Teinturiers de Tunis a des tribunes assez vastes, mais qui sont placées à l’intérieur de la salle de prière. Malgré les liens qui relient les deux tribunes, la solution libyenne est plus originale et plus audacieuse.
4.2. Le minaret
Le minaret, qui s’élève à l’angle nord-est de la cour et jouxte la salle d’ablution, surplombe le souk al-Mushîr et contribue à l’embellissement de la façade. C’est une tour octogonale qui se dresse sur une base carrée. Construite en belle pierre de petit appareil : le grès coquillier y domine alors que le calcaire clair a été réservé aux chaînages d’angle et la réalisation des arcs et des moulures. La plate-forme formant balcon qui couronne le minaret, s’appuie sur des consoles portant des voutains en berceau. La balustrade qui l’entoure a reçu un revêtement en carreaux de céramique. La plate-forme est complètement à ciel ouvert, les minarets de Tunis qui ont inspiré cette tour sont pourvus de balcon protégé par un auvent en bois qui s’appuie sur des colonnettes placées sur les angles de la balustrade. L’ensemble du minaret est coiffé d’un lanternon octogonal à toit pyramidal couvert de feuilles de plomb et couronné d’une tige portant deux boules de cuivre et un croissant tourné vers le haut.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
De la cour antérieure, on accède à l’intérieur de ce minaret par une petite porte large d’à peine 90 cm et haute de 1,70 m. Cette entrée est surmontée d’une plaque en marbre portant un texte coranique (Cor. 62, 9) et la date de l’édification de cette tour 1050/1737-3836 .L’intérieur de ces escaliers est éclairé par de rares lucarnes ébrasées. Les marches qui mènent de la cour vers la porte d’entrée du minaret ainsi que celles du départ de l’escalier sont revêtues de carreaux de céramique polychromes.
Ce minaret d’inspiration orientale a été construit sur le modèle de ceux des mosquées deYûsuf Dey (1615), de de Hammûda Pacha (1655) et des Teinturiers (1727) de Tunis. Il a pratiquement la même allure et les mêmes proportions que le dernier construit une dizaine d’années auparavant.
Non loin du minaret, sur le mur qui fait face à la galerie antérieure de la salle de prière est fixé un cadran scolaire. Il est réalisé d’après l’inscription cursive qu’il porte par al-Haj cAbd al-cAzîz b. cUmar al-Qasrî et al-Haj Qâsim b. Sacîd al-Titwanî en l’année 1151/1738-3937.
4.3. La fontaine d’ablution et la maydhât
La cour antérieure a reçu également sur le côté est une maydhât dotée de plusieurs latrines et une fontaine servant aux ablutions rituelles. Erigée en face de la maydhât , la fontaine aux ablutions présente un plan octogonal et occupe actuellement le milieu d’une salle couverte par des voûtes en berceau. Un bassin octogonal entouré de banquettes ; au milieu du bassin un corps octogonal coiffé par une couverture pyramidale ; le tout en marbre mise à part la coiffure pyramidale. Huit robinets sont placés sur les côtés du cops octogonal38.
4.4. Le sabîl
Le sabîl est un élément indispensable dans les complexes religieux et funéraires des Mamlouks et des Ottomans. Ici, la fondation est complétée par un sabîl ou une fontaine murale placée sous la galerie extérieure orientale à gauche de la porte d’entrée de la mosquée, celle qui donne sur le souk al-Mushîr. De l’ancien sabîl nous sont parvenues une grande fenêtre grillagée (1,30 sur 0,80 m) inscrite dans un double encadrement, le premier en marbre blanc et le second en carreaux de céramique polychromes ; une belle inscription exécutée sur une plaque en marbre et inscrite dans un encadrement de faïence et enfin l’emplacement des robinets percés en bas de la fenêtre dans des dalles de marbre richement sculptées. Les carreaux de faïence sont très beaux et caractéristiques de la plus belle faïence de Qallaline, celle des débuts du XVIIIe siècle.


Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Une petite pièce placée derrière la fenêtre était équipée d’une citerne où on stockait l’eau nécessaire pour alimenter la fontaine. L’aqueduc, qui fut édifié à grand frais par le fondateur, alimentait en eau la Citadelle, le complexe religieux et toute la ville. Le complexe avait aussi un puits qui se trouve dans la madrasa qui pouvait le cas échéant contribuer à fournir l’eau aux latrines, à la salle d’ablutions et au sabîl.Cette fontaine murale qui se trouvait dans un des principaux souks de Tripoli était certainement très fréquentée par les nombreux passants ainsi que par les artisans et les commerçants qui travaillaient dans les environs.
Voici le texte de l’inscription publiée par Ali Ben Sassi qui date cette fontaine murale :
-بسم الله الرحمن الرحيم وصلى الله على سيدنا محمد وآله وصحبه
2-يا رب أكرم من بنا هـــــذا السبيل واتمم له الإنعام والخير الجزيل
3-هو أحمد الباشا له منك الرضا واجعل له في جنة المأوى مقيل
4-واغفـــر له ولوالديه وبنــوه وأدم مآثــــــــــــره الحميدة يا جليل
5-يــــا واردا ادعوا الإله له وقــــــل تاريخــــــــه يسقيه طيب السلسبيل
6- 1149
1) Au nom de Dieu, le Bienfaiteur, le Miséricordieux. Que Dieu bénisse notre seigneur Muhammad, ainsi que sa famille et ses compagnons et le protège.
2) Seigneur, soit généreux avec celui qui a bâti cette fontaine et comble-le de bienfaits et d’un bonheur abondant
3) c’est Ahmad Pacha, qui a bénéficié de Ta satisfaction, accorde-lui au paradis un lieu de repos
4) et pardonne lui ainsi qu’à ses parents et ses enfants, prolonge ses louables bienfaits, ô Majestueux.
5) O ! Toi qui t’abreuves, invoque Dieu pour lui et exprime sa date : (en chronogramme) « il le fera boire un breuvage doux au paradis ».
6) 1149/1736-3739

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
4.5. La madrasa
Construite un an après la mosquée vers 173840, l’édifice s’élève dans la partie nord-ouest du complexe religieux. De souk al-Ribâc , on emprunte un long vestibule qui débouche dans la cour antérieure de la mosquée et mène, sur la droite, devant les deux portes d’entrée de la madrasa; celles-ci sont précédées de quatre marches tapissées de carreaux de céramique napolitains tardifs. Deux portes cintrées, l’une à côté de l’autre, la première mène à l’étage de la madrasa et la seconde, celle de droite, mène à l’intérieur de la cour après avoir traversé un petit vestibule voûté (1,85 m x 1,20 m). Les différents éléments s’organisent autour d’une cour rectangulaire (6,50 m x 4,25 m) encadrée de galeries sur deux niveaux41. Au niveau du rez-de-chaussée, les arcs en plein cintre outrepassés de ces galeries reposent sur des colonnes taillées dans le calcaire clair, coiffées de chapiteaux des deux types tunisois, dits turc et hafside. Ces galeries sont couvertes de voûtes d’arête. Autour de cette cour se répartissent sur trois côtés quelques chambres abritant les étudiants ; la salle de prière ouvre sur le quatrième côté. Près de l’angle nord-est de cette même cour se trouve une porte donnant entrée à une salle d’ablution et aux latrines ; celles-ci sont complétées par un puits et un lavoir où les étudiants lavaient leur linge. Les chambres sont dotées de petites portes cintrées, alors que le masjid se distingue par une entrée droite. Couvert de voûtes d’arête, l’oratoire qui peut faire fonction de salle de classe, présente un plan rectangulaire (4,70 m x 3,60 m) ; il est pourvu d’un petit mihrab dénué de tout décor. Des indices indiquent que certaines parties de la madrasa étaient revêtue de carreaux de céramique de Qallaline identiques à ceux qui couvrent encore aujourd’hui la mosquée42.
A l’étage, nous trouvons dix-sept chambres couvertes de charpentes en bois avec des terrasses plates ; elles ouvrent sous les portiques qui donnent sur la cour par des portes cintrées. Des colonnes plus fines que celles du rez-de-chaussée, auxquelles est fixée une balustrade en bois, supportent des poutres en linteau qui soutiennent un plafond à solives apparentes43.
L’acte du waqf de la mosquée objet de cette publication révèle l’importance de cette madrasa qui comptait à l’époque de sa fondation trente-quatre chambres et abritait autant d’étudiants, ce qui en faisait le plus important établissement d’enseignement de Tripoli et de de toute la tripolitaine.
4.6. La nécropole et les turbas
Les sépultures ont envahi plusieurs endroits du monument qui est actuellement doté d’une véritable nécropole royale ; on est en présence d’une mosquée funéraire par excellence. Plus de 140 tombes sont réparties sur des grandes et de petites chambres funéraires et sur les cours et les galeries44.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Construite en même temps que la mosquée une des inscriptions historiques de la galerie extérieure de la mosquée commémore et date les turbas et l’ensemble de la nécropole ; elle se trouve sur la façade principale du monument donnant sur le souk al-Mushîr .Une dalle rectangulaire en marbre est fixée au-dessus d’une porte condamnée actuellement, à côté de la fontaine murale, al-sabîl.Elle est inscrite dans un très beau double encadrement en carreau de faïence de Qallaline 45.Voici le texte de l’inscription publiée par Ali Ben Sassi :
1- بسم الله الرحمن الرحيم وصلَى الله على سيدنا محمد وآله
2- روضة تزهر حسنا ذات برد ونَسيم
3- - وحيا كوثرت [...] ونوار وشميم
4- يَا لهَا تربة ملك فاخرت زهر النجوم
5- كي تواري بعد عمر الكريم بن الكريم
6- وتقيه من جحيم وسموم وحميم
7- إن ترد تاريخها هَاذه لك، لنا النَعيم
8- سنة 1149/1736-1737
1) Au nom de Dieu, le Bienfaiteur, le Miséricordieux. Que Dieu bénisse notre Maître Muhammad, et sa famille.
2) Un jardin, fleurissant de beauté et dans lequel souffle une brise fraîche.
3) (…) et des fleurs odorantes.
4) Quel beau mausolée royal, dont l’éclat rivalise avec la beauté des étoiles,
5) pour accueillir après une longue vie, un homme généreux et fils de généreux,
6) et le protéger de l’enfer et de son souffle ardent.
7) Si tu demandes sa date (en chronogramme), la voici ! À nous la vie de bonheurs !
8) En l’année 1149 / 1736 – 1737.

Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
Une autre inscription scellée sur la façade de la plus importante chambre funéraire du complexe, celle qui donnait sur les souks, du côté de la qibla. Suite à l’extension des espaces funéraires, cette façade a été intégrée dans l’ensemble architectural et ne donne plus directement sur les souks. Cette inscription est inscrite dans un encadrement en carreaux de faïence et confirme, elle aussi, la date de la construction de la turba en chronogramme et en chiffre46.
1- بسم الله الرحمن الَرحيم وصلى الله على َسيدنا محمد وعلى اله وصحبه وسلم
2- يا سالكين بهذا الطريق قفوا للدعاء بقَلب شفِيق
3- فأحمد باشا بنا تربة يريد الحق باق على رفيق
4- يا إلاه الرضا، بَعد عمر طويل، ووسع له ربنا في المضيق
5- تجاوز على من بها قد نزل وتاريخها مآثر من رحيق
6- وصلى الله على سيدنا محمٍد و َعلى آله وصحبه وسلم تسليما
7- سنـــــة 1149/1736-1737.
1- Au nom de Dieu, le Bienfaiteur, le Miséricordieux. Que Dieu bénisse et protège notre seigneur Muhammad, sa famille et ses compagnons.
2- ô ! vous qui avez emprunté ce chemin, arrêtez-vous pour prier d’un cœur compatissant.
3- Ahmad Pacha a élevé ce mausolée, aspirant finir en bonne compagnie,
4- Seigneur de satisfaction, après une longue vie, élargissez pour lui sa tombe
5- Et soit clément avec ceux qui seront y enterrés. Sa date en chronogramme « des œuvres en nectar ».
6- Que Dieu bénisse et protège notre seigneur Muhammad, sa famille et ses compagnons.
7- En 1149/1736-1737.

Source : Photo Ali Ben Sassi, 15-7-2009.
La nécropole comprend actuellement plusieurs chambres et espaces funéraires intégrés complètement dans le complexe religieux. Les deux salles funéraires les plus anciennes jouxtent la mosquée du côté de la qibla ;elles sont couvertes par deux coupoles, l’une hémisphérique et l’autre à pans coupés ; les calottes reposent sur des tambours percés de lucarnes ; la transition entre le plan carré et le plan sphérique s’effectue par l’intermédiaire de trompes d’angle. A l’intérieur, les parties inférieures des murs des deux salles sont revêtues de carreaux de faïence ; au-dessus un revêtement de stuc finement ciselé tapisse les parties hautes des murs et l’intrados des voûtes. Une inscription religieuse, exécutée dans le même matériau, est placée au niveau du tambour de la principale salle funéraire ; il s’agit de fragments d’ al-Burda , le poème soufi dédié au prophète Muhammad. Les deux salles communiquent l’une avec l’autre et sont dotées de grandes fenêtres percées sur tous les côtés. Certaines d’entre ces fenêtres donnent sur l’intérieur de la mosquée. Ces fenêtres grillagées permettaient aux fidèles de dire des prières au profit des personnes inhumées dans ces mausolées.

Source : Photo Ali Ben Sassi, 15-7-2009.
Comme nous l’avons signalé, la galerie orientale de la salle de prière a reçu également des tombes quelques décennies après la fondation du complexe, puis une troisième salle fut ajoutée de ce côté de la mosquée, probablement au début du XIXesiècle. Et pour agrandir la nécropole d’autres petites chambres voûtées furent aménagées sur les côtés sud et est de la mosquée.
Dans sa thèse, Ali Ben Sassi a inventorié cent-quarante tombes réparties sur tous ces espaces qui couvrent presque le quart du complexe religieux et funéraire47.Quarante tombes sont identifiées par des stèles funéraires qu’elles portent et les autres sont pour le moment anonymes. Les tombes et les stèles funéraires présentent une très grande variété puisque la nécropole a continué à recevoir les sépultures même après la chute des Qaramanli en 1835. De nombreuses tombes remontent à la deuxième époque turque. A une date toute récente, un descendant de la famille, cAlî Ghâli al-Qaramanlî a été inhumé dans la nécropole le 9 mai 1969.
Nous trouvons dans cette nécropole les tombes du fondateur Ahmad Pacha (1711-1745)48; celle de son fils et successeur Muhammad (1745-1754) ; celle du troisième souverain Qaramanli cAlî Pacha (1754-1796), celle de son fils Hassan Bey qui a été assassiné le vendredi 20 juillet 1790 par son frère, le fameux Yûsuf Pacha (1795-1832) et enfin nous trouvons la tombe du dernier souverain de la dynastie, Ahmad fils de Yûsuf Pacha (1832-1735). La nécropole compte également les sépultures de plusieurs membres de la famille des Qaramanli, dont une épouse de Yûsuf Pacha , la princesse Fatima. Nous y trouvons également des sépultures de hauts fonctionnaires, des khaznadâr, agha ou kâhiyya, etc.


Source : Photo de l’auteur, 25-2-2005.
De son côté, Miss Tully donne de renseignements fort intéressants sur le mausolée, décrivant le monument et révélant des pratiques complètement ignorées par les autres sources. Ainsi les lieux étaient embaumés par le parfum à l’eau de fleur d’oranger, à l’encens, au musc et les tombes étaient ornées de grande quantité de fleurs toujours fraîches : « Le mausolée appelé « turbar » est rempli de beaux tombeaux appartenant aux personnes de la famille royale qui sont décédés dans la ville. Le mausolée est en entier du plus beau marbre, et est rempli d’une immense quantité de fleurs toujours fraiches, presque tous les tombeaux étaient ornés de festons de jasmin d’Arabie, et de gros bouquets de fleurs de toutes espèce, comme d’oranger, de myrtes, de roses rouges et blanches, etc. Tous ces arbustes exaltent une odeur que ne peuvent concevoir ceux qui ne sont pas habitués à les voir journellement.
« Les tombeaux sont presque tous de marbre blanc ; quelques-uns seulement sont ornés de marbre de couleur. Ceux des hommes sont distingués de ceux des femmes par un turban sculpté dans le marbre, et placé dessus.
« Comme les croisés (voûtes) de la grande mosquée sont très basses et très profondes, la lumière est partout extrêmement faible ; ce qui ajoute à la solennité des lieux, et soulage agréablement la vue du vif éclat de la lumière extérieure. Le parfum de l’eau de fleur d’oranger, de l’encens, du musc, joint à la grande quantité de fleurs dont j’ai déjà parlé, et la fraîcheur délicieuse du temple, nous firent presque croire que nous étions au paradis, surtout en sortant d’une rue brûlante et remplie de poussière. L’extrême propreté de cette mosquée, sa vaste enceinte, et les parfums que l’on y respire, agissent singulièrement sur l’imagination. Elle a été rebâtie il y a quarante-deux ans par le père du pacha actuel »49.


Source : Photo Ali Ben Sassi, 15-7-2009.
Le dépôt de fleurs sur les tombes était une pratique courante dans les milieux du pouvoir à Tunis50comme à Tripoli, mais les chroniques ne le signalaient pas, parce que les ulémas y voyaient une imitation détestable de coutumes chrétiennes. Ces pratiques s’expliquent par les origines chrétiennes de nombreux membres de la cour des souverains des deux régences ottomanes.
5. La mosquée d’Ahmad Pacha, une architecture tunisoise à Tripoli
La mosquée d’ Ahmad Pacha est fortement influencée par l’architecture tunisienne et plus précisément par celle de la ville de Tunis ; les recherches de Salvatore Aurigemma (1927) Caspare Messana (1977), Ali Massoud El-Balluch (1984 et 2007) et d’autres ont souligné la parenté entre l’architecture des capitales des deux régences voisines. Nous nous arrêtons, dans cette dernière partie de notre article, sur des éléments qui rapprochent la mosquée de Tripoli avec celles de Tunis, et notamment avec la mosquée des Teinturiers construite à la même époque.
L’habitude de recourir à des tunisiens pour réaliser de grands chantiers de construction est ancienne et a continué à l’époque des Qaramanli. . L’historien contemporain Ibn Ghalbûn rapporte que la mosquée de Muhammad al-Imam Dey dit Shaïb al-cAyn a été construite en 1100/1688 par un tunisien : Mustafâ Qâribatâq al-Tûnusî 51.S’appuyant sur des sources que nous ne connaissons pas, Laurent-Charles Féraud assure que les bâtisseurs de la mosquée d’ Ahmad Pacha provenaient des régences de Tunis et d’Alger52.L’étude architecturale et décorative de la mosquée de Tripoli prouve la participation d’une équipe tunisienne dans sa construction ; une équipe qui compte certainement des acteurs qui avaient participé à la construction de la mosquée des Teinturiers de Tunis. Suffisamment d’éléments révèlent des liens étroits entre les deux monuments : l’agencement du plan, certains éléments architecturaux, la répartition des éléments de décor, le revêtement de faïence, le stuc ciselé, la sculpture sur la pierre, la marqueterie de marbre, etc.
Nous soulignons en premier lieu que des éléments du décor et de construction du monument provenaient directement de Tunis, comme ce beau revêtement de carreaux de faïence. L’ensemble provenait certainement des Qallaline de Tunis. Il n’y a aucun doute là-dessus, l’analyse des différents carreaux le prouve. Nous allons y revenir plus loin.
Nous pensons aussi que les colonnes en calcaire clair et leurs chapiteaux de types tunisois dits « hafside » ou « turc » proviennent des ateliers de sculpture de pierre de Tunis. Dans des recherches antérieures, nous avons constaté que ces ateliers fournissaient différents chantiers à l’intérieur de la régence de Tunis et surtout ceux de grandes villes qui sont parfois assez éloignées. Ce qui nous incite à penser que ces ateliers fournissaient directement aussi des chantiers de la capitale de la régence voisine de Tripoli. Le transport direct par voie maritime facilite l’opération et rend le transport de matériaux de construction plus aisé entre Tunis et Tripoli qu’il ne l’est entre Tunis et des villes comme Gafsa, Kairouan, le Kef ou même Béja. Le nombre de chapiteaux importés de Tunis dans les bâtiments libyens de cette époque a engagé certains chercheurs à appeler le type tunisois dit « turc » de chapiteau qaramanli, appellation certainement erronée53.
En plus des matériaux importés de Tunis et utilisé dans la construction et le décor de la mosquée d’ Ahmad Pacha ,nous avons noté des similitudes dans le plan et la conception avec celle des Teinturiers. Les deux complexes construits autour des deux mosquées comptent pratiquent les mêmes éléments : mosquée, madrasa, sabîl et chambres funéraires ; ces unités s’organisent de la même façon.
Différentes composantes de la mosquée libyenne rappellent les mosquées tunisiennes, nous citons :
1- La galerie extérieure de cette mosquée qui est inspirée de celle de la prestigieuse et vieille mosquée de Tunis, al-Zaytûna.N’oublions pas que la mosquée d’Ahmad Pacha se veut dès sa fondation comme la plus importante mosquée de la capitale la Régence ; elle occupe l’emplacement de la plus ancienne mosquée de Tripoli fondée au début de la conquête arabe par cAmr Ibn al-cÂs .
2- Le minaret d’inspiration orientale a été construit sur le modèle de ceux des mosquées. Il a pratiquement la même allure et les mêmes proportions que ce celui des Teinturiers construit une dizaine d’années auparavant. Cependant nous signalons de petites différences : le balcon du minaret de tripoli est à ciel ouvert ; il n’est pas couvert par l’auvent porté par des colonettes en marbre, si particulier aux minarets tunisois. De même, les carreaux de faïence qui ornent le bas de l’escalier et le parapet du balcon du minaret de Tripoli sont absents de l’ornement de ceux de Tunis.54
3- Les portes de la mosquée ressemblent énormément à ceux de Tunis. La porte axiale de la salle de prière est identique à celle de Tunis : l’encadrement en marbre, la bichromie, les motifs sculptés des piédroits.


Source : Photo de l’auteur, 23-1-2007 et 25-2-2005.
4- Le minbar de la mosquée d’Ahmad Pacha offre un ornement en marbre très riche. Ici, la marqueterie qui tapisse ses deux côtés latéraux reproduit essentiellement des motifs floraux empruntés à l’art baroque. Ce minbar réalisé, comme nous l’avons démontré, par un atelier génois est presque identique à celui des Teinturiers de Tunis réalisé à la même époque. Ceci révèle un aspect des rapports entre Tunis et Tripoli qui passe cette fois-ci par l’autre rive de la Méditerranée. Nous pensons que les responsables du chantier de la mosquée des Teinturiers qui avaient fait venir des italiens pour décorer le minbar de Tunis, étaient à l’origine du recours à l’atelier génois. A l’époque, les italiens exportaient leurs marbres vers les deux villes maghrébines, par ailleurs, les colonnes et les chapiteaux des mosquées sont en marbre de Carrare, et en outre, ils envoyaient les marbriers de la Péninsule travailler occasionnellement pour des commanditaires de l’une ou de l’autre ville.
5- Le décor en stuc qui tapisse les parties hautes des murs de la mosquée et arrive même aux intrados des coupoles est très proche de celui de la mosquée des Teinturiers. Certains panneaux sont pratiquement identiques : à titre d’exemple, citons le décor de la demi-coupole du mihrab. Tout ceci prouve que le même atelier et probablement les mêmes artisans ont réalisé le décor en stuc des deux mosquées. Il est difficile d’imager le patron de l’atelier tunisien se déplacer en personne à Tripoli, mais nous supposons aisément que le maître sculpteur de Tunis a chargé des artisans de son atelier de faire le voyage.


Source : Photo Ali Ben Sassi, 15-7-2009.
6- Les deux salles de prière des mosquées sont tapissées jusqu’à une hauteur de 3 mètres de carreaux de céramique, les carreaux des Teinturiers provenant d’Istanbul et ceux d’Ahmad Pacha de Tunis. En effet, la faïence architecturale qui orne les façades, les encadrements des portes et des fenêtres et les bas des murs de l’oratoire et de certaines chambres funéraires de l’ensemble religieux et funéraire de Tripoli est, pour la plupart, constituée de carreaux de Qallaline qui provenaient d’une commande du fondateur auprès des céramistes tunisois. Cependant nous ne possédons pas de témoignage direct sur ce type de transaction, sur les intermédiaires, les prix, etc. L’observation du monument ainsi que l’examen d’autres bâtiments élevés à la même époque, montre qu’une quantité importante de carreaux fut ainsi importée de Tunis, certainement par voie maritime. Les échanges commerciaux entre les deux régences étaient importants et réguliers. Dans une étude sur le commerce maritime de Tripoli, Daniel Panzac a démontré que le port de Tunis était le premier fournisseur maghrébin de la ville55.L’auteur a même relevé l’importation de poterie56.Avec l’aide de notre collègue Wided Melliti, nous avons établi un catalogue qui rassemble les principaux types de carreaux de la mosquée d’Ahmad Pacha (voir catalogue, annexe 4). Pratiquement tous sont des pièces tunisoises typiques de la production des Qallaline de la première moitié du XVIIIesiècle57.Dans une étude récente nous avons identifié deux ateliers de Qallaline ,celui d’ Abdelwâhid al-Maghribî et celui de l Usta Mascûd al-Sabac ;plusieurs bâtiments du XVIIIe siècle, de Tunis et d’autres villes sont tapissés de carreaux produits dans l’un ou l’autre des deux ateliers. Nous pensons que le revêtement d’origine de la mosquée de Tripoli provenait de l’un de ces deux ateliers. Toutefois, il faut signaler que certains carreaux du revêtement actuel sont tardifs et attribuables à l’une des nombreuses opérations de restauration du monument.
Tous ces éléments prouvent les liens étroits entre Tunis et Tripoli et des échanges importants surtout dans les domaines de l’architecture et du décor. Bien évidemment, il y a plusieurs éléments qui distinguent la mosquée de Tripoli de celle Tunis, relevons à titre d’exemple :
- Dans la salle de prière de la mosquée du Pacha, les coupoles ont remplacé les voûtes en usage dans les couvertures des mosquées de Tunis;
- Le balcon du minaret de Tripoli est à ciel ouvert et est dépourvu d’auvent ;
- La tribune des muezzins, al-mahfil se trouve à l’entrée de la salle de prière, dans l’axe du mihrâb, celle de Tunis s’élève au milieu de la salle, en face du minbar ;
- La mosquée de Tripoli est dotée d’une deuxième petite tribune, dakkat al-muballigh que nous ne trouvons pas à Tunis.
Conclusion
texte
La réalisation du majestueux complexe d’ Ahmad Pacha Qaramanli à Tripoli peut être considérée comme une opération urbaine de grande ampleur, la plus importante réalisation du règne de cette dynastie et de toute l’époque ottomane. Cet ensemble monumental représente le mieux cette époque relativement prospère et stable. Les matériaux nobles employés en abondance dans la construction de ce monument : marbre, faïence, stuc et excellent bois importé, témoignent à la fois d’une certaine prospérité du pays et de la fortune du fondateur qui était au pouvoir depuis plus de trois décennies.
Cette mosquée représente à elle seule les caractéristiques de l’architecture et de la décoration architecturale de la régence ottomane de Tripoli. Ses marbres, ses stucs, ses carreaux de faïence et ses inscriptions témoignent de la richesse et de la variété de des arts architecturaux de l’époque.
La waqfiya de cette mosquée nous a révélé des informations nouvelles et intéressantes sur ce grand projet, sur les intentions du bâtisseur et sur le fonctionnement de la fondation. Le document nous a aidés à placer la mosquée dans son contexte urbain ; celle-ci apparait ainsi comme une unité d’un ensemble architectural intégré composé d’édifices à caractère religieux et d’utilité publique et bâtiments à caractère économique et commercial, des souks, des boutiques, des entrepôts, des fondouks, etc. Ce complexe architectural intégré était réalisé par Ahmad Pacha dans le but de créer un pôle d’urbanisation et de rénover le vieux centre de Tripoli.
D’un autre côté, le document que nous avons publié des archives de la ville de Gênes nous a permis de résoudre l’énigme de ce curieux minbar baroque de la mosquée du Pacha. Des marbriers génois sont venus avec leurs marbres de couleur et ont réalisé ce bel ouvrage.
Enfin le revêtement de carreaux de faïence qui tapisse les murs du monument comptent parmi les œuvres les plus remarquables représentant la faïence importée de Tunis et produite à Qallaline vers le milieu du XVIIIesiècle. Destinés au Pacha de Tripoli, ces carreaux sont d’une excellente qualité et représentent la faïence typiquement tunisoise de cette époque. En outre, sur certaines pièces, nous observons une volonté certaine d’imiter la faïence ottomane dite d’Iznik.
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Les annexes
Annexe 1
Le premier acte de waqf de la mosquée d’Ahmad Pacha
هذا نسخة وقف جامع المرحوم سيدي أحمد باشا غفر الله له آمين آمين
بسم الله الرحمان الرحيم وصلى الله على سيدنا ومولانا محمد وعلى آله وصحبه وسلم
texte
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Catalogue de céramique
Numéro du catalogue : CUQ 1.
- Numéro du catalogue : CUQ 1.
- Nom de l’institution : palais de la Rose et palais Kheireddine.
- Catégorie : carreaux à motif unique.
- Dimension : côté : 14 cm.
- Pâte : argileuse jaunâtre, texture fine et forte cohésion.
- Palette de couleurs : ocre jaune, vert émeraude et brun.
- Etat de conservation : moyen, cassure des bornes.
- Lieu de fabrication : Tunis, Qallaline.
- Période : XVIIe XVIIIe et XIXe siècles.
- Iconogr : Jacques Revault, 1967, fig.5.
- Iconogr : Jacques Revault, 1974, fig.30, fig.47 et fig.59.
- Iconogr : Jacques Revault, 1967, fig.5.
- Iconogr : C.N.C.A, 1995, fig.34, p.25.
- Bib : Clara-Ilham Alvarez Dopico, 2010, Cat. n°16, p.494

Description
Arrangement de seize carreaux dits patte de lion ou « Afset essid ». Chacun présentant un élément central festonné et un motif étoilé à huit branches bicolores. Des variations minimes sont décelées pour chaque variante. Recomposition à partir de modèles catalans.
Notes
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