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Numéro 04

La place Pichon à Sousse
La construction de l’identité de la place publique au début du Protectorat
Afef Ghannouchi Bouachour
La cité minière de Djerissa 1887-2017
Genèse, évolution et devenir à travers l'urbanisme et l'architecture
Leila Ammar & Hayat Badrani
L'Alhambra de Tunis; une salle de cinéma de faubourg
Iness Ouertani
04 | 2017
La place Pichon à Sousse
La construction de l’identité de la place publique au début du Protectorat
Afef Ghannouchi Bouachour
Table des matieres
Résumé
L’article traite de la notion d’espace public dans les villes maghrébines au début de la colonisation française. Il présente une lecture comparative des espaces publics en particulier dans la Médina et la ville européenne. La place publique qui est considérée comme un vide architecturé dans l’espace de la Médina, devient un lieu emblématique dans la ville européenne, remarquable par son emplacement, son implantation et sa perception.
Nous entamerons cette étude par la présentation des différentes manières d’implanter la place publique par référence à l’ancien tissu existant, celle de la Médina d’Alger, puis de Tunis et enfin le cas de Sousse.
La particularité de place Pichon à Sousse se traduit dans sa manière d’intégrer son environnement architectural, urbain et aussi paysager.Elle forme un moyen d’articulation du paysage urbain européen avec celui de la Médina de Sousse. L’intégration de la nature par l’implantation de sous-espace vert en son centre, son ouverture sur la mer valorisent son fond d’écran et lui donne une image plus saisissante. De plus, cette place reflète l’image urbaine néo-mauresque nouant des liens entre l’aspect traditionnel local et celui de la ville dite à l’européenne.
Mots clés
Place publique,identité, Sousse, médina, ville européenne.
Pour citer cet article
Ghannouchi Bouachour Afef, « La place Pichon à Sousse.
La construction de l’identité de la place publique au début du Protectorat », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture
Maghrébines [En ligne], n°04, Année 2017.
URL : https://al-sabil.tn/?p=15988
Texte integral
La place est un vide significatif et signifiant, dont la forme est un élément du paysage urbain à tel point que les dictionnaires se fondent sur cet unique aspect : la place est un « lieu public »1.
D’un point de vue géographique, la place est un réceptacle public, ouvert à tous les individus, de cultures diverses, et de toute condition sociale. Elle forme un élément du paysage urbain de la ville, qui compose avec son organisation urbaine. Ainsi, la place est un espace « vide », entouré de constructions architecturales et/ou de places vertes, de jardins, etc. dont l’aménagement participe à façonner l’identité et les particularités. La place forme, de ce fait, un support d’images, qui contribue à son identité, son caractère, c’est-à-dire à ce qui la distingue d’autres espaces comparables. Elle est, ainsi, une structure spatiale, vue et vécue, de la ville. La place publique forme, également, un espace libre, situé à l’intérieur, au centre ou, éventuellement, à la limite de la ville. Elle se distingue de l’ensemble des autres espaces publics (les rues, les avenues, etc.) par son étendue et par une dilatation spécifique de l’espace.
1. La place publique, notion inconnue dans la Medina
Alors que la place publique apparaît comme primordiale, dans l’aménagement des villes occidentales, l’urbanisme arabo-musulman, et plus précisément maghrébin, ne s’est guère intéressé à cette composante urbaine.
D’un point de vue morphologique, les villes arabo-musulmanes furent considérées, par les urbanistes européens comme des villes organiques, sans composition urbaine préalable. Elles sont formées d’un agrégat de bâtiments et de maisons à patio, réalisé au fil du temps, un tissu dense, sans espaces publics, dignes de ce nom, où les places et les rues, telles qu’elles étaient définies par l‘urbanisme des Européens, n’existaient pas. A aucun moment de l’histoire, les concepteurs locaux ne s’étaient souciés de la dimension historique, ni de l’édification des espaces publics de rassemblement, organisés selon une composition architecturale symbolique2.
Sur ce point, l’architecte paysagiste Jallel Abdelkafi indique que « l’espace qui enveloppe la maison familiale et, d’une façon générale, le volume bâti de la ville, est considéré comme un espace résiduel ne faisant pas l’objet d’une démarche préalable d’organisation, mais seulement d’un accord consensuel d’utilisation »3.
Les dictionnaires et ouvrages spécialisés4 définissent la place publique, comme un vaste espace découvert, à plusieurs accès, ouvert au public, entouré d’ensembles architecturaux et aménagé selon un plan tracé à l’avance.
En partant de cette définition, on constate qu’aucun emplacement dans les Médinas arabes ne répond à ces critères.Et même, les espaces libres, parfois vastes, où s’établissaient, autrefois, les marchés aux moutons, aux chevaux ou aux grains, se trouvaient, généralement, à proximité des portes des Médinas (telle que la Place de Bab El Gharbi, à Sousse, ou encore, la place Halfaouine, à Tunis). Ces espaces libres, tels qu’ils figurent, dans les anciens plans et photos, ne sont que des vides architecturés, qui représentent, selon l’expression de J. Abdelkafi, « des poches du monde rural dans le tissu urbain ».
De son côté, Serge Santelli ajoute, que la morphologie de la ville arabo-musulmane est à l’origine de l’inexistence des espaces publics, dans l’acception occidentale du terme. Il pense que « l’espace public est défini par la façade arrière des édifices, réduit à sa fonction de distribution, que l’espace public est tout à fait secondaire par rapport à la maison »5.
Lucette Valensi quant à elle, ajoute que, « l’espace urbain du Maghreb précolonial est encore un espace domestique »6. La ville arabo-musulmane est, en fait, une cité, complètement orientée sur l’intériorité privée de ses édifices.
D’un point de vue fonctionnel, la place publique, dans la conception occidentale, forme le lieu central de la ville ; elle permet la mixité sociale des habitants, la rencontre, la pratique de diverses activités, religieuses, institutionnelles, politiques et commerciales. En outre, la place est, également, un lieu, souvent soigneusement aménagé, qui permet de mettre en valeur les monuments historiques de la ville.
Ces activités existent naturellement, dans les Médinas, mais elles se sont insérées dans un espace différent, autour de la mosquée qui représente la centralité de la Médina. Sa cour intérieure est un lieu de rassemblement des fidèles et le lieu de sociabilité des citadins, mais elle ne répond pas à la notion de place, telle qu’elle existe dans les cités occidentales. De plus, l’ordre religieux interdit, dans ce lieu, tout échange à vocation économique, politique ou ludique. La mosquée forme, en fait, un symbole éminent de la communauté musulmane, à l’intérieur duquel se pratique l’apprentissage religieux, le savoir et aussi, l’intégration sociale des citadins.
C’est au niveau des souks que se déroulent les activités commerciales et économiques de la ville. Ainsi, l’espace du souk et ses itinéraires principaux, les reliant aux portes de la Médina, constituent des passages accessibles, ouverts à l’activité commerciale. Ils sont étroits et limités à certaines fonctions ; ils ne peuvent répondre à la notion de place, ni de placette. En effet, ces lieux publics ne sont jamais aménagés, ni assez étendus, pour rassembler la population : ils ne sont que des espaces de passages publics.
D’un autre côté, le tissu de la Médina est un tissu introverti, qui ne présente pas de façade urbaine. Le décor architectural est souvent orienté, à l’intérieur de cet espace, ne permet pas d’avoir une ouverture visuelle, sur les édifices de la ville. De même, dans ce tissu, les statues et les monuments, qui s’offrent au regard, ne font pas partie des traditions architecturales et urbaines, des Médinas. Ainsi, comme l’a précisé, la sociologue Françoise Navez-Bouchanine, « la ville islamique traditionnelle est souvent analysée comme un objet sans espace public, au sens occidental du terme »7.
2. 1830 : De nouveaux tracés urbains dans les villes algériennes
Lorsqu’ils ont colonisé le Maghreb, les Européens ont considéré que les villes précoloniales ottomanes étaient des établissements, édifiés sans plan directeur : chaque ville n’était qu’un labyrinthe de rues, sans places et sans édifices originaux qui attirent le regard8. En s’installant dans les villes maghrébines, les Français ont apporté avec eux, leur modèle d’implantation urbain, comme type d’aménagement ordonné, basé sur la régularité des tracés, la multiplication et la hiérarchisation des espaces publics.
En effet, depuis la colonisation de l’Algérie, en 1830, les Français avaient procédé à la création d’une place monumentale, au centre d’Alger pour satisfaire les besoins de rassemblement et de manœuvre des troupes militaires, assurer un maximum de contrôle, du centre de la ville, et une meilleure sociabilité, entre les colons9. S’y ajoute un objectif politique : signifier à la population indigène, la présence et la puissance de la France. Le développement des places fut, alors, régi par des règles de localisation et de développement, à savoir la centralité, ainsi que la nécessité de les doter de certains équipements, sur leur pourtour.
Pour réaliser ces places, les Français élargirent la voirie, générèrent des percées dans la ville, et démolirent certaines parties de la Casbah. Le tissu urbain traditionnel s’en trouva complètement transformé. C’est ainsi que fut créée la place et qu’elle se développa au cœur de la Médina, pour être ensuite entourée par des immeubles de style néoclassique10 – style architectural, très répandu en France, à cette époque qui masquaient les anciennes constructions.
L’architecte Ben Smaïl11 a écrit dans son article «Ville comme lieu du changement des pratiques et de représentation idéologique » que : « L’application du principe de la tabula rasa et le « masquage » du bâti par des façades de style néoclassique, d’une part, l’élargissement et la rectification des rues avec la création de grandes places, d’autre part, ont véritablement correspondu à l’ouverture empirique et systématique de la ville « autre »,12 au viol de sa structure intime, à la linéarisation de ses espaces et de sa durée ainsi qu’à la mise en place des signes d’une nouvelle propagande13.
Tenant compte de l’inutilité d’une greffe de nouveaux tissus urbains, de style occidental, dans les Médinas, les Français choisirent de réserver les Médinas tunisiennes aux autochtones et de s’implanter à l’extérieur des murs ».
3. 1881 : Mise en place d’une nouvelle figure urbaine
À Tunis, le développement de la ville s’est fait à partir d’un axe Est-Ouest, allant de la limite extérieure des remparts, jusqu’à la lagune. Cet axe a formé la colonne vertébrale fondatrice de la nouvelle ville, que l’urbaniste et paysagiste Jallel Abd El Kéfi a appelé : « Le tracé instaurateur »14. Il a permis, par la suite, le déclenchement d’une dynamique urbaine novatrice, devenue le symbole de la croissance de la future ville15.
Cet axe, large, jouant le rôle d’une place publique, soigneusement aménagée et plantée, était destiné à la promenade. Il s’étendait sur 60 mètres16 de largeur et permettait la contemplation des œuvres architecturales de la nouvelle ville. Les nouvelles constructions étaient essentiellement disposées de part et d’autre de cet axe. Il fut baptisé « Avenue de la Marine » ou « promenade de la Marine » ou encore « la Marine »(fig.1), nom dérivé de celui de Bab Bhar. Grâce à sa largeur, il accueillait les manifestations, les fêtes, les défilés,… il forme, encore aujourd’hui, le lieu de spectacle et de mise en scène, des particularités de la ville, dite européenne.
Cette voie reliant Bab Bhar à la lagune, a la particularité de relier la ville à la mer, sans permettre d’avoir réellement de façades maritimes, comme dans la plupart des villes côtières européennes. Il faut aussi, rappeler que le développement de cet axe a été pensé, bien avant l’installation effective du protectorat. Certains bâtiments avaient déjà été créés, avant 1881, sur l’axe qui mène à la mer, tels que le consulat de France17 (1856-1860) et la chapelle Saint Antoine (XVIIe siècle)18. Les Français avaient, ainsi, renforcé la nouvelle organisation urbaine, en respectant le développement de cet axe historique.
La plupart des voyageurs qui ont visité la ville de Tunis, même avant 1881, ont été attirés par le prestige qui entourait cet espace. En 1882, l’écrivain Paul Arène19 a visité Tunis et décrivait la nouvelle ville, à partir de l’avenue de la Marine, « le soir de six heures à sept heures, tout le monde se promène dans la marine, qui est une superbe et large allée filant droit de la porte de Bab–el-Bhar au lac et au Docks. À l’entrée sont les constructions neuves de la colonie européenne, de grands hôtels et des cafés, la compagnie transatlantique, la poste, le consulat, le palais du résident français, une église. Mais les maisons s’abaissent peu à peu, et l’on est bientôt dans une espèce de campagne çà et là bordée de bicoques et de débits (de boissons) […] ». Sa description ne s’arrête pas à ce niveau ; il ajoute, que le soir, en revenant de sa promenade au bord du lac, il découvre qu’« il y’avait musique et foule sur la marine », bien entendu dans la partie déjà construite de la ville naissante20.

Cette carte postale montre l’avenue de la Marine de Tunis. Cette vue a été prise de la porte de Bab Bhar, en direction de la lagune. La photo montre le soin que l’on a pris, pour aménager cette large avenue ; elle met aussi, l’accent sur l’importance des bâtiments qui la longeaient. Elle offre dans son ensemble, un paysage typiquement européen. En effet, nous observons, à gauche et au premier plan, la première Cathédrale de Tunis, Sainte- Antoine, de style éclectique, puis une série d’immeubles, de style européen, alignés les uns à côté des autres.
4.1890 : à la recherche d’un équilibre entre héritage vernaculaire et projet colonial
L’implantation de la ville européenne de Tunis avait provoqué, en 1860, la disparition d’une partie de ses remparts, remplacés par un boulevard de ceinture, limitant le périmètre de la ville22. Cependant, l’aménagement des autres villes européennes de la Tunisie ne se fit pas, suivant le même modèle. À Sousse, l’implantation de la nouvelle ville avait commencé tardivement, c’est-à-dire, à partir de 1890, une dizaine d’années, après l’installation du protectorat. Tout en tenant compte des expériences déjà acquises, dans les villes algériennes et à Tunis, le développement de la ville européenne de Sousse avait adopté quelques innovations. À Sousse, les Français ont essayé de préserver des limites claires, entre l’ancien et le nouveau tissu urbain, de sauvegarder les remparts, et de développer de larges boulevards, voire de créer une place publique, ce qui était un moyen d’affirmer la nette séparation, entre les deux tissus.
En effet, la nouvelle ville est née d’une juxtaposition de quartiers. Le premier23 s’est implanté sur l’axe de la porte de BabBhar, à une distance de 80 m environ de celui-ci (voir fig 3, plan1). La séparation des deux tissus est marquée par le développement d’une zone non aedificandi, aménagée en place publique, « la place Pichon24 », entourée de voies, d’avenues et de boulevards, formant le noyau de la nouvelle ville.
De forme irrégulière, étalée sur une surface d’environ 13.000m², la place Pichon fut aménagée entre 1892 et 1898, c’est-à dire après la construction du premier noyau urbain de la ville européenne, à savoir le quartier de BharEzzebla, ses limites étant : l’Avenue de la Quarantaine au nord, le bâtiment des Travaux Publics, au nord-ouest, la gare ferroviaire à l’ouest, une partie des remparts et la porte de BabBhar au sud-ouest, l’Hôtel des Postes au sud, le port au sud-est, et, la cour de la marine, le bâtiment du magasin général, à l’est.
En nous référant à certains documents d’archives, à quelques journaux de l’époque, et en s’appuyant sur une analyse principalement iconographique, plans de ville, cartes postales et photos de l’époque, nous avons relevé quelques particularités, propres à l’implantation de la ville européenne de Sousse.
La Place Pichon fut appelée, au début de sa création, « Place du Marché »25, ou encore «Place de la Poissonnerie», en raison de sa proximité du marché aux poissons, ou probablement à cause de sa vocation première, de lieu de vente du poisson, en plein air26. Par la suite, après la construction du marché couvert, en 1894 et la transformation du marché de la poissonnerie, en Musée, la vocation de la Place changea, pour devenir lieu de promenade et d’agrément, de la ville.
De forme organique irrégulière, la Place Pichon se dota, par étapes successives, de voies, de boulevards et d’avenues, tracés selon les besoins de l’époque, lors de l’aménagement des quartiers limitrophes. Cette place réalise un dégagement extérieur à la porte de France, un lieu d’aération, d’ensoleillement, de repos, et de promenade.
La place Pichon entretient une relation de contiguïté et de communication, avec son environnement. En effet, elle est bordée par plusieurs boulevards et avenues27. Ces axes de circulations longent la place, sur ses côtés, délimitant un espace central, aménagé en square, le « Square Pichon ». Couvrant une surface approximative de 1925m², ce dernier fut aménagé, en 1898, sur l’emplacement de l’ancien Borj de l’artillerie28.
Nous avons constaté, également, que la place Pichon, la Place de la Marine29, et celle du quartier Bhar Ezzebla forment le premier noyau vert de la ville européenne (fig.2), aménagé en jardins et squares, et doté de trottoirs plantés, d’arbres alignés (fig.3, plan 1).



Cette carte postale montre une vue de Sousse, en 1906. On distingue un espace public, avec des jardins. En fait, il s’agit d’une partie du noyau vert de la ville. Cette photo montre, au premier plan, les deux jardins de la ville, traversés par une voie de communication. À droite, se trouve le jardin central, du quartier Bhar Ezzebla, sur la gauche, on voit une partie du dock, et le jardin de la place de la marine, jardin oblong, soigneusement planté, au milieu duquel se situe le kiosque à musique. Au second plan, apparaissent quelques bâtiments de la ville européenne, l’Hôtel des postes, bâtiment de style néo-classique, construit dans le quartier du port, en 1898. Enfin, au troisième plan, sur le fond gauche de l’image, on distingue le tissu de la Médina, avec sa Kasbah.
Ces deux premières places se voulaient les lieux d’expression, de l’imaginaire urbain colonial. Un traitement particulier fut, alors, appliqué à leurs façades urbaines, par le jeu des formes, des volumes et des matériaux. On remarque, également, que tout en s’inspirant de l’aspect traditionnel de la Médina de Sousse, les concepteurs ont appliqué le style néo-mauresque33 , aux alentours de cette place.
En outre, pour harmoniser l’aspect urbain de cette place, un choix de couleurs fut appliqué aux bâtiments, contournant celle-ci. Les murs, peints de blanc, et la menuiserie, en bleu, sont des colorations d’origine mauresque.
En effet, tout en se référant au mouvement exotique et pittoresque, des XVIIIe et XIXe siècles34, tel qu’il a été décrit par Marc Breitman, dans son livre, « Rationalisme, tradition, Jacques Marmey, (Tunisie, 1943-1947) », les Français s’étaient inspirés du répertoire décoratif et stylistique35, des Médinas tunisiennes, en l’utilisant comme stéréotype, par une simple substitution au niveau de certaines façades urbaines, comme celle de la Place Pichon. Ceci n’empêche pas de dire, que certains bâtiments de la place, de décor mauresque, comme l’école franco-arabe, ou encore les travaux publics, n’avaient pas appliqué un plan architectural, tenant compte de l’aspect traditionnel de la ville, ou même du mouvement orientaliste36. Ces espaces ne portaient qu’un habillage extérieur, de décor mauresque. Marc Breitman, décrivait cette tendance comme : « l’attitude qui a prédominé dans toute l’architecture coloniale éclectique et pittoresque, où tout un appareil décoratif viendra se greffer plus ou moins superficiellement sur des typologies et des modèles spatiaux occidentaux37».
Cette démarche éclectique avait, ainsi, produit un aspect arabisant, aux alentours de la Médina et constituait un moyen de liaison et d’harmonie, entre le paysage européen de la nouvelle ville et celui, traditionnel, de la Médina.

Cette carte postale prise à partir du square Pichon, montre une vue de la nouvelle place. Au premier plan, on voit la place Pichon, aménagée et les vestiges de l’ancien cimetière musulman : le mausolée Sidi Yahia, dans son style traditionnel d’origine, entouré d’un petit jardin et le mausolée de Sidi Bou Ibdilli. Ce dernier est côtoyé par l’école-franco arabe, école primaire, construite en 1912, offrant une façade arabisante, marquée par la forme et l’ornementation de ses ouvertures, rectangulaires, au rez-de-chaussée, arquées, au premier étage, surmontées d’une frise de carreaux de faïences et d’une bande de tuiles vertes. En plus de sa couleur blanchâtre, la façade de l’école franco-arabe adopte l’aspect décoratif du mausolée Sidi Bou Ibdilli. Au troisième plan, se dresse l’architecture européenne de la Halle aux grains, accolée aux remparts. La Halle est utilisée pour la collecte des marchandises, qui étaient exportées, par la suite, en Europe, par voie maritime.
Enfin, la Médina, entourée de ses remparts, au milieu de laquelle se distingue la tour du Ribat, avec en face le clocher de l’église « Notre Dame » (présence européenne, à l’intérieur même de la Médina) et le monument de la Kasbah (lieu de contrôle et de direction, de la souveraineté tunisienne).

Cette carte postale montre le Musée de Sousse, ancien marché aux poissons, aménagé en 1897, par l’Ingénieur des Ponts et Chaussée « Bezault ». D’un style arabisant, avec ses murs crénelés, surmontés d’une bande de pierre de taille sculptée, ses ouvertures en fentes arquées, en pierre de taille noir et blanc, son accès principal se distingue par sa grandeur et sa majesté de style traditionnel local. Ce musée est placé au milieu de la place publique, entre le square Pichon, à sa gauche, le jardin public de la Place de la Marine, à sa droite. En arrière-plan, on voit la Médina, à l’extrémité droite, le port de Sousse se trouve à l’extrémité gauche, et le monument de l’Hôtel des postes, en face. Il se distingue par sa façade arabisante, avec une riche décoration, empruntée à l’architecture locale (murs crénelés, imposants portails, abondante décoration des ouvertures, utilisant la pierre de taille sculptée, les tuiles, les arcs outrepassés, posés sur des colonnes,…).
Ainsi, nous constatons que les concepteurs de la ville européenne de Sousse ont, non seulement, préservé le tissu de la Médina, sauvegardé les remparts, mais aussi, opté pour la séparation des deux villes, l’ancienne et la moderne. D’un autre côté, les Français ont manifesté un vif intérêt pour l’aspect traditionnel de la ville, son architecture, sa morphologie urbaine et l’ensemble de ses paysages, décrits dans la plupart des récits des voyageurs, des guides touristiques, des tableaux et des cartes postales, de l’époque. Cet intérêt se manifeste, surtout, par le passage progressif du paysage urbain, le long d’une ligne, partant de la Médina, de style traditionnel local, par la Place Pichon, de tendance arabisante, pour aboutir aux quartiers européens, de style art nouveau, art déco, éclectique.
