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Numéro 04

04 | 2017

Khalwa et bayt al-khalwa dans le soufisme ifrîqiyen du IVe/Xe siècle au Xe/XVIe siècle
Quelques remarques sur la pratique, ses lieux et sa diffusion

Nelly Amri

Résumé

D’une pratique surérogatoire de purification de l’âme charnelle, de renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu et d’extinction totale dans Son dhikr (remémoration), concomitante à l’apparition des premières vocations mystiques en Orient comme en Occident musulman et attestée en Ifrîqiya dès le IIIe/IXe siècle, la khalwa (comme nom verbal) en viendra à incarner une méthode de réalisation spirituelle inscrite désormais dans le processus initiatique, sous l’autorité et la direction d’un cheikh dont elle marque également l’affiliation à sa tarîqa (voie spirituelle). Cette évolution, stimulée par l’apparition des voies, ainsi que par l’influence de l’Orient, et attestée par certains cas bien documentés, n’est pas, toutefois, générale. Les usages attachés à la pièce désignée comme bayt al-khalwa qui, dans un ribât ou une zâwiya, est assignée à la pratique de la khalwa, témoignent de ces infléchissements ; la khalwa dans certaines tarîqa-s (comme la ‘Arûsiyya-Salâmiyya) garde sa première signification, celle d’être un lieu rattaché à l’usage personnel du cheikh et de ses prières surérogatoires.

Mots clés

khalwa, retraite cellulaire, Ifrîqiya, soufisme, voie, zâwiya, initiation, dhikr.

Pour citer cet article

Nelly Amri, « Khalwa et bayt al-khalwa dans le soufisme ifrîqiyen du IVe/Xe siècle au Xe/XVIe siècle. Quelques remarques sur la pratique, ses lieux et sa diffusion », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°04, Année 2017.

URL : https://al-sabil.tn/?p=15869

Texte integral

Introduction

Une notion, si l’on n’y prend garde, peut se décliner, selon les milieux, les contextes et les aires géographiques, sous diverses acceptions ; celles-ci ne sont pas d’ailleurs figées dans le temps, mais bougent également à l’intérieur d’un même espace. Ce constat est particulièrement valable en soufisme où les désignations des pratiques, des rites, des institutions, des lieux sur lesquels s’est focalisé un culte ou un pèlerinage, cachent, sous un même vocable, des réalités plurielles auxquelles l’historien du religieux se doit d’être attentif. Que de voyageurs désignent par les mots qui leur sont familiers dans leur pays d’origine, des institutions ou des pratiques rencontrées lors de leurs pérégrinations, et qui recouvrent des réalités spécifiques. C’est à l’une de ces notions, la khalwa, terme technique de la mystique islamique signifiant « retraite, réclusion »1, et qui désigne, aussi bien, la pratique, dans la pluralité de ses déclinaisons, que les lieux où cette pratique a pris corps, que nous nous proposons de réfléchir ici, dans cet espace-temps que constitue l’Ifriqiya médiévale (IVe/Xe – Xe/XVIe siècle), à travers quelques témoignages des sources de l’époque. Ces traces documentaires posent la problématique de la circulation et de la diffusion des pratiques soufies à l’intérieur du monde musulman, lesquelles ne sont jamais à sens unique, ni absolues, ni irréversibles ; elles sont tributaires de plusieurs facteurs parmi lesquels les choix spirituels et doctrinaux des maîtres gardent toute leur importance. C’est ce que nous tentons de démontrer en nous arrêtant aux différents moments ayant marqué le passage d’une pratique individuelle, libre et non inscrite dans une démarche initiatique, à une méthode d’initiation d’un cheikh, voire de transmission de sa tarîqa et au rapport entre ces mutations dans la pratique de la khalwa et les lieux où cette dernière a pris forme. Plus que de conclusions péremptoires, il s’agit de quelques pistes de réflexion.

1. Une notion plurielle à l’épreuve du temps et de l’espace

1.1. La khalwa comme retraite volontaire hors du monde et renoncement en Dieu (IIIe/IXe – VIe/XIIe siècle)

Al-ikhtilâ’, avec son corollaire al-inqitâ‘ 2 ou encore i‘tizâl al-nâs, en milieu ascétique puis sûfî, est attesté dans les sources hagiographiques et biographiques de l’Ifrîqiya telles le Riyâd al-nufûs d’al-Mâlikî (m. ap. 464/1072), lequel compile des sources plus anciennes du IIIe/IXe siècle3. Ces vocables désignent l’acte de se retirer ou de s’isoler de ses semblables (akhlû), dans un lieu désert (al-khalâ’) ou naturel (généralement un haut-lieu, tel le Jabal Zaghouan, une grotte ou ghâr), ou bien dans les cimetières, ou encore dans une petite mosquée (masjid)4 voire dans une cellule de ribât. Qualifiés le plus souvent de munqati‘în ilâ Allâh (retirés en Dieu), ou encore de ruhbân al-layl (les adorateurs de la nuit)5, ces hommes sont aussi souvent des pérégrinants ; en effet, cette retraite loin du monde est souvent synonyme de siyâha6, ou « retraite ambulante »7 sur la « vaste terre de Dieu » (comme ces retraites d’Ifrîqiyens au Jabal Lubnân ou encore au Jabal al-Lukkâm8), pérégrinations dont atteste également le Riyâd al-nufûs d’al-Mâlikî9. A noter qu’à ce stade de l’évolution du soufisme ifrîqiyen, fait non dénué de signification, nous n’avons pas rencontré d’utilisation du nom verbal (khalwa), même si les idées de réclusion, de dissociation et de renoncement radical, qui sont toutes constitutives du substantif khalwa, sont bien présentes. Il s’agit, en effet, sous la plume de ces biographes, d’une pratique surérogatoire de purification de l’âme charnelle, de renoncement à tout ce qui n’est pas Dieu et de résorption totale dans Son dhikr (remémoration).

Cependant, certaines expériences individuelles augurent des développements ultérieurs que connaîtra la pratique, dans le processus de réalisation spirituelle. On attribue, en effet, à un ascète notoire du IIIe/IXe siècle, Abû Hafs ‘Abd al-Jabbâr b. Khâlid al-Sirtî (m. 281/894)10, ce propos :

« Par le passé, je me retirais afin d’être sauf ; j’en vins après à me retirer pour réaliser un bénéfice (spirituel) de ma retraite ; puis je me retirais afin d’acquérir la science11 ; par la suite, je me retirais afin de comprendre ; enfin, je me retirais afin d’être gratifié (de Sa Présence) (kuntu akhlû li-aslama, fa-sirtu akhlû li-aghnama, thumma sirtu akhlû li-a‘lama, thumma sirtu akhlû li-afhama, thumma sirtu akhlû li-an‘ama) »12.

Cette citation est intéressante à plus d’un titre : elle pointe en effet, à la fois, une gradation dans l’itinéraire spirituel de ce soufi, une progression sur cette via purgativa, préconisée très tôt pour qui veut atteindre le rang des abdâl, une des plus éminentes catégories de saints dans la tradition islamique13, ainsi que les différents objectifs assignés à la khalwa (comme nom verbal) ou encore au ikhtilâ’ et aux effets que l’on est en droit d’en attendre, eux-mêmes tributaires du degré d’avancement et de réalisation spirituelle de celui qui se retire. Ces propos attribués à un soufi ifrîqiyen de la haute époque (IIIe/IXe siècle), dont la concision s’inscrit dans la droite ligne des apophtegmes et sentences14 prononcées généralement par les maîtres du tasawwuf, sont précurseurs des développements doctrinaux ultérieurs sur la retraite cellulaire comme technique de réalisation spirituelle : la khalwa comme voie de connaissance par l’illumination ou l’ouverture spirituelle (al-fath)15 (auxquelles pointent l’acquisition de la science « au sujet d’Allâh, de la part d’Allâh » (Ibn ‘Arabî) et la compréhension (al-fahm) qui est une « une connaissance par le cœur » (ma‘rifatuka al-shay’ bi l-qalb)16, le tout couronné par la vision de Dieu. Ces propos sont à mettre en perspective avec ceux que développera al-Qushayrî (m. 465/1072), deux siècles plus tard, distinguant la ‘uzla qui est la première étape du novice sur la voie (à rapprocher du premier degré évoqué par al-Sirtî), et la khalwa qui en est une sorte de couronnement (fî nihâyatihi)17. Pour al-Qushayrî, la retraite afin d’être sauf (du mal d’autrui), est le signe d’une déficience, alors que la ‘uzla afin d’épargner à autrui sa propre nuisance (salâmat al-nâs min sharrihi) est supérieure18. On remarquera que dans la gradation d’al-Sirtî, l’étape de l’ikhtilâ’ afin d’être sauf est signalée en premier et au passé (kuntu akhlû), signifiant par là un premier degré, qui, dans l’économie de la citation, est dépassé (fa-sirtu akhlû). La Risâla de Qushayrî (m. 465/1072) n’est pas la première élucidation doctrinale sur la pratique de la khalwa19 d’ailleurs non encore distinguée de la ‘uzla, les deux notions étant groupées dans un même chapitre consacré à la retraite et à la solitude (bâb al-khalwa wa l-‘azl)20 où il cite les avis de plusieurs maîtres sur la question ; il y est même question d’un principe qui sera appelé à une grande postérité chez les Naqshbandî : la retraite au milieu de la foule en gardant son être intime (sirr) à l’abri des gens. Dans cette section, toutefois, l’aspect « initiatique » de la pratique, dans le cadre de la relation maître/disciple n’est pas manifeste, bien que Qushayrî évoque, comme on l’a vu, deux types de khalwa ou ‘uzla (la distinction entre les deux termes étant plutôt formelle21) du novice (al-murîd) : l’une au début de son cheminement et l’autre à la fin.

Les sources maghrébines donnent un autre indice, un peu plus tardif, sur le caractère encore largement informel, individuel et inscrit dans l’ascèse d’un homme de Dieu, de la pratique de la khalwa et des lieux dans lesquels elle a pris forme ; il s’agit de l’évocation, par les hagiographes d’Abû Madyan (m. 594/1197-8), des retraites que ce dernier faisait lors de son séjour à Fès au Maroc, dans la campagne entourant la cité où il avait une khalwa dans laquelle il avait coutume de se retirer22.

1.2. D’une khalwa à l’autre : les spécificités entre l’Orient et l’Occident musulman (VIIe/XIIIe siècle)

Les sources ifrîqiyennes du VIIe/XIIIe siècle perpétuent encore cette conception de pratique individuelle, libre et non inscrite dans une démarche initiatique, et évoquent la retraite de quarante jours23 de tel maître dans sa cellule (khalwatuhu) dans l’un des ribât-s du littoral ; il en est ainsi des retraites évoquées aussi bien pour le cheikh ‘Abd al-‘Azîz al-Mahdawî (m. 621/1224) dans le Qasr al-Munastîr où il avait une cellule où il se retirait et jeûnait quarante jours, que pour le cheikh Abû Yûsuf al-Dahmânî (m. 621/1224)24, ou encore dans telle râbita25 ou enfin dans une mosquée26. De même que les sources évoquent l’existence, dans la maison de tel cheikh, d’une khalwa (petite alcôve) où il a coutume de se retirer. La toponymie a, d’autre part, inscrit dans la mémoire urbaine nombre de khalwa-s attribuées à tel ou tel saint ; c’est ainsi que dans la seule ville de Tunis, ont été recensées non moins de sept khalwa-s associées au souvenir d’Abû Sa‘îd al-Bâjî (m. 628/1231)27, certaines se confondant avec la mosquée : il en est ainsi du Masjid khalwat Sîdî Abî Sa‘îd al-Bâjî khârij Bâb al-Bahr28. Une khalwa est également attribuée à Shâdhilî, dans l’une des ruelles proches de Bâb al-Manâra dans la ville de Tunis, et est également associée à la mémoire de l’un de ses compagnons, le cheikh Abû ‘Alî Sâlim al-Tibâssî29. Toute une toponymie sacrée, devenue au fil des siècles itinéraires pérégrins, se déploie sur le Jabal Zaghouan qui connaît un maillage important en khalwa-s attribuées à Shâdhilî et à ‘Â’isha al-Mannûbiyya (m. 665/1267) ; les hagiographies de ces deux saints évoquent leurs retraites fréquentes sur cette montagne connue par une tradition encore plus ancienne de retraite pieuse30.

Au même moment, c’est-à-dire au VIIe/XIIIe siècle, en Egypte et sous la plume de Safî al-Dîn b. Abî l-Mansûr (m. 682/1283), précieux témoignage sur l’évolution que devait connaître cette pratique dans certains milieux soufis, un maître comme Abû l-Hasan b. al-Sabbâgh (m. 612/1215 à Qéna), disciple du cheikh ‘Abd al-Rahîm al-Qinâ’î (m. 592/1195)31 et son successeur à la tête du ribât de Qéna, pratiquait quasi systématiquement la khalwa mais, cette fois, comme méthode initiatique : il faisait entrer ses disciples en retraite grâce à laquelle ils recevaient une ou des ouvertures spirituelles (fath et futûh) ; la khalwa ici fait partie de la tarbiya par le cheikh de son disciple, voire est l’un des instruments de cette éducation (fa-adkhalahu al-shaykh Ibn Shâfi‘ 32 al-khalwa wa rabbâhu fîhâ bimâ rabbâhu wâliduhu wa futiha ‘alayhi bi-mâ talaba)33. Il est intéressant ici de signaler le lien entre khalwa et « ouverture spirituelle » : la première étant la « méthode » ou la pratique requise pour atteindre la seconde ; cette « ouverture » est soit l’objet de la quête de l’itinérant (wa futiha ‘alayhi bi-mâ talaba), soit ce que le cheikh, par sa préscience, « sait » être imparti à ce novice (fa futiha ‘alayhi bi-mâ qusima lahu bihi), ou sait devoir être sa réalisation spirituelle ou encore correspond à ce qu’il a invoqué pour lui (fa-wajadahu qad futiha ‘alayhi bi-ma kâna yatlubuhu lahu34). La Risâla de Safî ne donne pas, toutefois, d’indications sur les modalités pratiques de la khalwa ; en tout cas, celle-ci se fait à l’initiative d’un maître (wa adkhalahu al-shaykh al-khalwa dukhûlan shadîdan) et sous sa direction, et ce, aussi longtemps et autant de fois que nécessaire35. Le plus grand nombre d’occurrences, en la matière, dans la Risâla de Safî concerne le cheikh Abû l-Hasan b. al-Sabbâgh et ses disciples36, ce qui pointe une pratique spécifique à ce maître37, plutôt qu’au milieu madyanî de Qéna, la pratique n’ayant pas été observée chez ces maîtres, ni d’ailleurs au Maghreb, y compris en Ifrîqiya, chez les disciples d’Abû Madyan à la même époque.

Toutes les occurrences relevées dans l’hagiographie d’un disciple ifriqiyen d’Abû Madyan, le cheikh Abû Yûsuf al-Dahmânî (m. 621/1224), al-Asrâr al-jaliyya fî l-Manâqib al-Dahmâniyya38 renvoient, en effet, à la khalwa comme pratique individuelle de mujâhada (combat spirituel) et de retraite du monde accompagnée généralement de jeûne plus ou moins prolongé, plutôt que comme support d’un processus initiatique de tarbiya et de réalisation spirituelle d’un aspirant sous la conduite d’un cheikh comme on vient de le voir chez l’égyptien Safî al-Dîn b. Abî l-Mansûr. La notion, sous la plume d’al-Dabbâgh (m. 699/1300), l’auteur des Asrâr al-jaliyya, oscille entre le lieu de réclusion (khalwa) et la forme verbale (al-khalwa dans le sens d’al-ikhtilâ’) et son corollaire de ‘uzla (solitude)39. On peut en dire autant dans le cercle de ‘Â’isha al-Mannûbiyya (m. 665/1267) qui fréquentait vraisemblablement le milieu des compagnons de Shâdhilî restés à Tunis après le départ définitif du maître pour l’Orient, puisque c’est encore dans ce sens que l’hagiographe de la sainte lui attribue ce propos à l’adresse de son disciple le plus proche, ‘Uthmân al-Haddâd : « O ‘Uthmân, recherche les lieux inhabités (al-khalâ’) et la retraite (al-khalwa), car si le serviteur vide (khalâ) son cœur du souvenir des hommes, il le remplit (du souvenir de Dieu) »40. Ce propos n’est pas sans rappeler la conception d’Ibn ‘Arabî de la khalwa comme un retour au vide originel (khalâ’), la réalisation d’une « vacuité » ontologique que seule la présence divine peut emplir41. Ibn ‘Arabî effectuera tout au long de sa vie un nombre incalculable de retraites, de différentes longueurs, dont une de 9 mois ; toutes ces retraites étaient autant d’occasions d’illuminations et d’ouvertures spirituelles42.

Ainsi la khalwa, même si elle prend dans certains milieux soufis orientaux une dimension initiatique, semble encore, y compris dans cette partie du monde musulman, en l’occurrence l’Egypte, si l’on en croit la Risâla de Safî al-Dîn, une pratique non codifiée ni assujettie à des prescriptions précises, le caractère laconique voire redondant de son évocation par Safî le montre bien. C’est avec des écrits comme ceux d’Ibn ‘Arabî (m. 638/1240) et les ‘Awârif al-ma‘ârif de Suhrawardî (m. 632/1234) au VIIe/XIIIe siècle et l’apparition des grandes voies initiatiques, que la pratique connaîtra un début de codification43, attestant d’un élargissement de son cercle de diffusion, en même temps que d’une mutation de la pratique, devenue de plus en plus une étape dans l’initiation des disciples, et devant obéir à un certain nombre de règles ; d’ailleurs le propos de Suhrawardî s’inscrit en faux contre les contrefaçons observées à son époque notamment dans l’usage de la khalwa arba‘îniyya44. Aussi, le voit-on dégager plusieurs types de pratiques surérogatoires durant la khalwa en fonction des dispositions du retraitant45. Ibn ‘Arabî, quant à lui, met en garde contre l’entrée en retraite avant de se soumettre à une riyâda : « Il t’incombe avant d’entrer en retraite de t’être soumis à la discipline initiatique (riyâda), c’est-à-dire d’avoir purifié ton caractère, renoncé à l’insouciance et d’être devenu apte à supporter ce qui te cause du tort », celui dont le fath précède la riyada n’atteindra pas sauf exception la virilité spirituelle46. Ibn ‘Arabî met-il en garde, comme Suhrawardî et comme le fera deux siècles plus tard le cheikh Ahmad Zarrûq, contre la pratique de la khalwa sans la direction spirituelle d’un maître ? En tout cas, l’auteur des Futûhât y évoque, dans plusieurs chapitres, la khalwa, et compose au moins deux traités sur cette pratique47, notamment Risâlat al-khalwa al-mutlaqa48 où non seulement sont clarifiées les qualités requises chez le retraitant (« une bravoure sans défaillance et la capacité de contrôler la faculté imaginative »), mais aussi les dimensions de la cellule réservée à cette retraite49, ainsi que la conduite à suivre durant cette dernière50.

Ainsi, la diffusion de cette pratique se fait à des rythmes différents entre l’Orient et l’Occident musulmans, notamment l’Ifriqiya, où la khalwa comme rituel initiatique et surtout comme rite de transmission de la voie, n’apparaîtra pas avant le Xe/XVIe siècle comme on va le voir, tout en sachant que la pratique de la khalwa ne sera pas générale.

2. « Mourez avant que de mourir » : la khalwa à l’ère de la diffusion des zâwiya-s (à partir du VIIIe/XIVe siècle)

2.1. Bayt al-khalwa et ses usages

Avec la diffusion de la zâwiya en Ifrîqiya dont les premières fondations feront leur apparition au VIIe/XIIIe siècle mais ne connaîtront une véritable expansion qu’au VIIIe/XIVe siècle, les sources évoquent de plus en plus fréquemment une pièce réservée à la retraite du cheikh (bayt khalwatihi) ; ceci est valable aussi bien dans le milieu kairouanais (les zâwiyas d’al-Qadîdî, d’al-Manârî et d’al-Jadîdî)51 que dans le milieu constantinois (avec la zâwiya d’Abû Hâdî Misbâh)52. Parfois, cette même pièce où le cheikh a coutume de se retirer, peut aussi servir de lieu où les novices se réunissent pour une séance de dhikr, comme dans la zâwiya d’Abû ‘Alî Sâlim al-Qadîdî (m. 699/1300) à Kairouan53, ce qui permet de supposer qu’une telle pièce devait être de dimension plus grande qu’une cellule individuelle.

Cette pièce sera aussi parfois destinée à abriter la sépulture du cheikh. Il en est ainsi d’al-Qadîdî qui avait ordonné qu’on creusât sa tombe dans cette cellule, « trois ans avant sa mort »54 ; ce qui n’est pas sans rappeler les premières vocations ascétiques et mystiques en islam (à l’exemple d’al-Sayyida Nafîsa au Caire)55. Ce rapport de la khalwa à la mort est dans la droite ligne du symbolisme attaché à la retraite cellulaire, n’est-elle pas une « mort avant la mort » du hadîth (mûtû qabla an tamûtû), une mort initiatique sans laquelle point de naissance56. L’exemple le plus spectaculaire reste au IXe/XVe siècle celui d’Ahmad b. ‘Arûs (m. 868/1463) qui s’emmura sept années durant (de 830/1426 à 837/1434) dans une pièce au rez-de-chaussée de sa future zâwiya, ne laissant qu’une étroite ouverture pour le passage des aliments et autres ; le saint créant de la sorte un tombeau57 ; c’est cette pièce qui sera le noyau de la future nécropole de la zâwiya58. Ceci dit, nulle part, al-Râshidî, l’hagiographe d’Ibn ‘Arûs, ne parle de khalwa ni de bayt khalwa.

La pièce que les sources ifrîqiyennes désignent comme la khalwa du cheikh, est-elle strictement réservée comme l’indique son nom à son usage personnel et à ses exercices surérogatoires, comme tend à le montrer l’exemple d’un maître kairouanais, le cheikh al-Manârî (m. v. 748/1347), qui, lorsqu’il organisait un samâ‘ à ses disciples, avait coutume de s’y retirer à l’abri de leurs regards59, ou bien a-t-elle aussi pour vocation d’y reclure les aspirants, que le maître fait entrer en retraite ? Les sources ne sont guère bavardes à ce sujet, mais en l’absence, jusqu’à nouvel ordre, de traces documentaires d’une telle pratique prise comme méthode initiatique, avant le Xe/XVIe siècle, nous émettons l’hypothèse que ce type de pièce, comme le montre bien sa désignation dans nos sources, est réservée à l’usage personnel du cheikh même s’il peut y recevoir un visiteur ou encore y organiser un mî‘âd.

2.2. La Khalwa sous la plume d’Ahmad Zarrûq : essai de codification et mises en garde

Un point de vue comme celui du cheikh Ahmad Zarrûq (m. 894/1489), dans ses Qawâ‘id al-tasawwuf (Les règles du Soufisme) nous donne, néanmoins, une idée, d’une part, sur un début de diffusion de la khalwa comme pratique initiatique et non plus seulement comme exercice individuel de purification de l’âme, et d’autre part, sur la position des ulémas-soufis maghrébins, notamment dans le milieu shâdhilî, vers la fin du IXe/XVe siècle, à l’égard de cette pratique. Ainsi, dans la règle 112, la notion est définie : la khalwa, jugée plus spécifique (akhass) que la ‘uzla , est définie comme une « sorte de retraite » (naw‘ min al-i‘tikâf) à l’extérieur de la mosquée, ou parfois à l’intérieur60. Ses fondements scripturaires sont indiqués et sa pratique évoquée, notamment sa durée : même si la forme la plus répandue chez les soufis (al-qawm) est la retraite non limitée dans le temps, la sunna, écrit l’auteur, renvoie à la retraite de quarante jours en référence à Moïse (Cor. VII, 142), voire à trente jours, délai initial fixé par Dieu. Parmi les autres fondements scripturaires cités, figurent les retraites du Prophète dans la grotte de Hirâ’ ; en tout cas, la khalwa n’est jamais inférieure à 10 jours61. L’auteur livre également quelques réflexions sur sa finalité : pour l’homme ayant atteint l’excellence spirituelle (al-kâmil), elle est un surplus de réalisation ; pour les autres, elle est moteur d’un progrès spirituel (tarqiya), mais encore faut-il s’appuyer sur un fondement qui serve de référence (wa lâ budda min asl yurja‘ ilayhi)62. La position qui se dégage, à la lecture de ces énoncés, porte le sceau d’un certain pragmatisme : la durée de la khalwa, de même que ses effets, sont fonction du cheminement spirituel du novice ; si l’auteur lui reconnaît comme finalité de purifier le cœur, notamment par le dhikr, il met, néanmoins, en garde contre la pratique de la khalwa sans cheikh (ou maître), en raison des dangers qu’elle peut comporter, en vertu même des « illuminations spirituelles grandioses » qu’elle accorde ; d’ailleurs, sa pratique par certains, peut entraîner son invalidation (wa qad lâ tasuhhu bi-aqwâm)63. Ainsi, la pratique est décrite dans ses deux acceptions, individuelle et initiatique ; pour cette dernière, l’auteur ne prescrit guère de règles, hormis une : la nécessité du cheikh ; au final, les mises en garde et les précautions paraissent l’emporter. Cette position assez mitigée d’Ahmad Zarrûq64 reflète-t-elle celle de la tradition shâdhilî du milieu juridico-soufi de Fès65 et explique-t-elle que jusqu’à la fin du IXe/XVe siècle la pratique de la khalwa comme étape dans l’initiation d’un novice, n’ait guère connu une grande fortune au Maghreb ?

3. La khalwa comme pratique initiatique sous la direction d’un maître (fin du IXe/XVe – début du Xe/XVIe siècle)

3.1. L’influence de l’Orient

La mention la plus ancienne qui nous soit parvenue d’une « entrée en retraite » comme pratique initiatique ordonnée par un maître à un aspirant se mettant sous sa tutelle spirituelle (donc entrant dans « sa » voie) date de la fin du IXe/XVe siècle et du tout début du Xe/XVIe siècle, sous la plume d’Abû l-Hasan ‘Alî b. Maymûn al-Fâsî (m. 917/1511), disciple d’Ahmad al-Tibâssî (m. 928/1521)66. Ce dernier a effectué une longue siyâha qui le conduisit dans différentes cités d’Orient (Syrie, Irak et Hijâz), ainsi qu’en Inde et en Asie Mineure ; c’est au cours de son séjour à la Mecque qu’il rencontra l’un de ses maîtres, le cheikh ‘Abd al-Kabîr al-Yamanî avec lequel il prit le pacte par la musâfaha (la poignée de main initiatique), qui lui fit porter le manteau d’investiture (ilbâs al-khirqa) et lui transmit le dhikr67. Il n’est pas toutefois mentionné qu’il le fit entrer en retraite cellulaire. Dans le rituel par lequel al-Tibâssî transmit son sanad al-dhikr à son disciple ‘Alî b. Maymûn al-Fâsî, figure, par contre, l’entrée en retraite, laquelle est précédée par la musâfaha (équivalant à la prise du pacte) et le talqîn al-dhikr68. Deux variantes ont pu ainsi être notées dans le rituel observé par al-Tibâssî avec son disciple ‘Alî b. Maymûn, en comparaison avec celui par lequel il est lui-même entré dans la voie de son cheikh ‘Abd al-Kabîr al-Yamanî à la Mecque : l’introduction de la retraite cellulaire et l’absence du port du manteau initiatique. A noter, toutefois, que lorsqu’al-Tibâssî inculque à son disciple, ‘Alî b. Maymûn, la pratique initiatique et comment éduquer les novices dans sa voie, et lorsqu’il transmet cette dernière à son propre fils Muhammad, il intègre le port du manteau initiatique : « il lui transmit le dhikr, le revêtit de la khirqa et le fit entrer en retraite »69. On peut raisonnablement supposer qu’al-Tibâssî, qui s’est beaucoup déplacé lors de sa siyâha dans plusieurs villes et foyers soufis d’Orient, ait été témoin de la pratique de la retraite cellulaire comme « méthode » d’initiation par un maître, pratique assez répandue dans le monde turco-persan et qui commençait à gagner la Syrie et l’Egypte où elle n’était pas totalement inconnue comme on l’a vu. En tout cas, avec al-Tibâssî, la retraite cellulaire fait désormais partie, à côté du port du manteau d’investiture et du talqîn al-dhikr, d’un rituel : celui de l’entrée dans la voie spirituelle d’un maître. Cependant, après son départ définitif du Maghreb, et son installation en Syrie, ‘Alî b. Maymûn al-Fâsî rejettera « tout signe extérieur d’appartenance au soufisme ou à une confrérie », aussi « refusait-il de transmettre le « manteau initiatique » (khirqa) à quiconque car pour lui, cette investiture relevait le plus souvent de la parodie. Son mépris du formalisme spirituel l’amenait même à refuser de faire entrer ses disciples en retraite (khalwa)70. Le malâmatisme71 du cheikh l’emportera finalement comme une manière de fidélité radicale à un idéal de sainteté épuré de tout formalisme qui pouvait entacher la sincérité, à une époque où le tasawwuf connaissait de multiples contrefaçons. Ainsi, il semblerait que ce soit par des influences orientales que l’entrée en khalwa comme pratique initiatique, accompagnée ou non du port du manteau d’investiture, soient entrées en Ifrîqiya72.

3.2. La khalwa arba‘îniyya73 à Kairouan

La deuxième mention d’importance sur l’entrée en retraite, comme pratique initiatique, date de 1024/1615 et est due à la plume de Jamâl al-Dîn Muhammad al-Misrâtî al-Qayrawânî (m. ap. 1035/1626), dans l’hagiographie qu’il consacre à son aïeul le cheikh Abû l-Qâsim al-Misrâtî, le Sâhib al-Dirbâla (« l’homme au manteau ») (m. 932/1526)74. Le maître de ce dernier, le cheikh ‘Alî al-Khayyât originaire d’un village sur la route reliant Sousse à Kairouan (al-Masrûqîn, l’actuel toponyme de Sidi al-Hani), et qui avait élu domicile à Kairouan, avait semble-t-il l’habitude de faire entrer ses disciples en retraite cellulaire de quarante jours (arba‘îniyya), avant de les revêtir du manteau initiatique (al-khirqa) dont le sanad remonte au Prophète. Cette information tendrait à montrer que cette pratique était déjà connue dans les milieux soufis kairouanais, à tout le moins au IXe/XVe siècle. Malheureusement nous ne disposons guère d’informations sur les maîtres de ce cheikh al-Khayyât, notamment un certain Khalîfa al-Ma‘mûrî qui l’aurait revêtu de la khirqa. L’hagiographe ne lui citant qu’un compagnon, Muhammad al-Mujâhidî, d’origine constantinoise mais établi dans la région de Kairouan (dans le village natal du cheikh)75. On sait, en effet, peu de choses sur al-Khayyât sinon qu’il se revendique d’un triple legs shâdhilî, qâdirî et ghazâlî76. Al-Misrâtî ne resta dans sa khalwa que 10 jours, au terme desquels son maître lui ordonna de sortir, car ce qu’il devait réaliser en quarante jours, Dieu lui accorda d’y parvenir au terme de dix seulement, procédé très courant dans l’hagiographie islamique. Puis il le revêtit du froc (muraqqa‘a) et lui ordonna de dévoiler publiquement son rattachement ou encore sa filiation à lui (azhir al-nasab) ; l’hagiographe date l’évènement : fin de Jumâda I de l’année 894/fin avril 1489.

Dans l’économie du récit d’al-Misrâtî, cette entrée en khalwa est synonyme de l’acceptation de la direction spirituelle et initiatique du maître ; en effet, al-Khayyât, d’après l’hagiographe d’al-Misrâtî, avait déjà proposé à ce dernier « la poignée de main initiatique (al-musâfaha, synonyme de la prise du pacte), l’initiation et de le prendre pour maître » (sa’alanî al-musâfaha wa l-akhdh ‘anhu wa an attakhidhahu shaykhan)77, initiation à laquelle al-Misrâtî a longtemps résisté, malgré l’insistance du maître qui lui aurait adressé plus d’une centaine de missives (barâ’ât). L’hagiographe attribue à al-Khayyât ce propos : « Si j’avais le choix, c’est à mon propre fils que reviendraient ma voie spirituelle et mon enseignement, mais je n’agis pas de mon propre chef (ma’mûr) »78. Ce propos du cheikh pointe-t-il la prédominance du mode héréditaire de transmission de la voie ?79 L’hagiographe comme pour confirmer encore le contenu proprement initiatique de la khalwa, attribue à al-Misrâtî cette parole : « Le cheikh Sîdî ‘Alî al-Khayyât m’ordonnait d’entrer dans la khalwa dont il m’indiquait l’emplacement et d’y demeurer quarante jours, mais moi je refusais »80. Finalement al-Misrâtî se résigne, après une ultime vision du Compagnon et calife Abû Bakr al-Siddîq et sous son parrainage, à entrer en retraite au lieu qui lui avait été indiqué par al-Khayyât : « J’y demeurais 10 jours : durant les trois premiers jours j’étais comme un prisonnier ; les trois jours suivants, il m’était égal d’y rester ou d’en sortir ; quant aux quatre derniers jours, me l’aurait-on troqué contre ce monde-ci et l’autre, que j’aurais choisi d’y demeurer »81.

Ce qui doit être retenu ici c’est non seulement la structure à trois que l’on avait déjà rencontrée chez al-Tibâssî dans le récit que nous en a laissé son disciple et hagiographe Ibn Maymûn al-Fâsî : l’entrée en retraite, la remise du manteau initiatique et la poignée de main (al-musâfaha) ; mais la place, centrale, qu’occupe ici l’entrée en khalwa dans la relation maître/disciple et dans la réalisation spirituelle du novice. Ainsi on pourra noter que dans l’économie du texte, c’est après la sortie de la khalwa, que ‘Alî al-Khayyât ordonne à son disciple de rendre manifeste (azhir) le fait qu’il soit son maître et son rattachement à lui (azhir annî shaykhuka wa’nsub lî) ; « désormais, dit al-Misrâtî, je déclarais : ‘‘ al-Khayyât est mon maître’’. Et lorsque le cheikh le revêtit de la khirqa, il lui donna la poignée de main et dit aux fuqarâ’ présents : « vous êtes témoins que j’ai donné ma poignée à cet homme comme gage de ce que Dieu lui a accordé » (comme « ouverture spirituelle fath ou futûh lors de sa retraite cellulaire) (Ishahdû annî sâfahtu hâdha al-rajul ‘alâ mâ a‘tâhu Allâh)82. L’entrée en retraite, assimilée, comme on l’a vu ci-dessus, à une « mort avant la mort », à une entrée au tombeau est suivie d’une deuxième naissance ; il est primordial, dans la relation maître/disciple et dans cette remise de soi totale du disciple entre les mains du maître, que celui-ci dirige l’une et l’autre (la mort et la re-naissance) ; le pacte échangé ensuite est, de la part du cheikh, une authentification et une confirmation de ces « ouvertures » spirituelles, et de la part du novice, la reconnaissance que c’est aussi grâce à la himma (l’énergie spirituelle) et à l’assistance de son cheikh et à sa remise totale entre ses mains, comme le mort entre les mains de son laveur, que toutes ces grâces lui ont été octroyées et que désormais, c’est à son maître qu’il se rattache et s’identifie : il lui tient lieu désormais de généalogie (nasab) spirituelle ; la remise du manteau initiatique et son isnâd vient matérialiser ce lien, cette chaîne qui, de cheikh en cheikh le rattache au Prophète, le maître des maîtres, et à Dieu.

La pratique de la khalwa telle qu’on vient de la décrire dans une zâwiya en milieu urbain, sous la direction d’un cheikh et comme étape de l’initiation du disciple et de son entrée dans la voie dudit cheikh, n’a pas remplacé ni éclipsé la vigueur de la retraite sur les hauts-lieux ou dans la solitude des grottes, cavernes et autres lieux de retraite naturelle ; Muhammad al-Mujâhidî nous est montré effectuant des retraites avec ses fuqarâ’ au sommet du Jabal al-Jarwiyya83 où al-Misrâtî lui-même avait coutume, jeune, de se retirer (il y serait demeuré une fois six mois).

3.3. Une pratique inégalement diffusée

La pratique de la khalwa comme étape dans l’initiation d’un novice et dans sa réalisation spirituelle, reste, cependant, une pratique propre à tel cheikh ou à telle voie ; c’est ainsi par exemple que chez les ‘Arûsiyya Salâmiyya84, les seuls usages de la notion de khalwa dans l’hagiographie du fondateur, le cheikh ‘Abd al-Salâm al-Asmar (m. 981/1573), renvoient à une cellule réservée au cheikh et se trouvant dans sa zâwiya. Ceci est d’autant plus intéressant que nous sommes à une époque relativement avancée (le Fath al-‘Alîm est rédigé en 1100/1688), et dans une région proche de l’Egypte où la pratique de la retraite cellulaire était connue, notamment en Haute Egypte. Le cheikh, au récit de son hagiographe al-Tâjûrî, se retire plusieurs jours, voire plusieurs mois (wa yamkuthu bihâ al-shuhûr), dans sa khalwa, en état de jeûne, ne recevant que l’eau pour ses ablutions ; la khalwa pouvant être le lieu de manifestations surnaturelles. L’arrière petit-fils du cheikh et maître de l’auteur, le cheikh Abû Râwî (m. 1088/1677) avait, quant à lui, deux khalwa, l’une dans la cour intérieure (al-hawsh) de sa demeure et l’autre dans un verger mitoyen à celle-ci85. Ainsi, la khalwa, renoue avec les premiers usages de la notion, comme acte de se retirer et de s’isoler du monde, et comme lieu où se fait cette retraite ; un lieu rattaché ici à l’usage personnel du cheikh et de ses prières surérogatoires.

Au Maroc également et à une époque encore plus tardive, on peut lire dans l’une des lettres adressées par le soufi marocain Ahmad b. ‘Ajîba (m. 1224/1809) à ses disciples et reproduite, en appendice à sa Fahrasa : « Au début de la voie, il est indispensable que le faqîr possède une retraite (khalwa) où il puisse s’isoler des créatures et laisser son cœur entrer dans l’intimité du vrai Roi. Une fois qu’il sera affermi dans l’intimité avec Dieu (…) tandis que son corps marchera parmi les hommes, son esprit paîtra parmi les lumières du monde subtil (malakût) : telle est la retraite des gnostiques, qui se fait avec le cœur, non avec le corps »86. On remarquera ici que ce propos renoue avec l’une des acceptions les plus « anciennes » de la notion, sous la plume notamment de Qushayrî, ainsi qu’avec la captation plus tardive par la tarîqa Naqshbandiyya de cette khalwa ou « retraite au milieu de la foule ».

Ceci étant dit, cette grande liberté dans l’acclimatation de certaines pratiques que l’on trouve dans le soufisme, au gré de la sensibilité du cheikh, de la spécificité d’une voie ou d’une branche de la voie, fera que l’on retrouvera la khalwa comme pratique initiatique et de tarbiya d’un novice dans une branche tardive de la Shâdhiliyya marocaine, la Darqâwiyya du cheikh al-‘Arabî al-Darqâwî (m. 1239/1823), ainsi que dans la ‘Alawiyya du cheikh Ahmad al-‘Alawî (m. 1934) qui « structura ces retraites : il créa des lieux particuliers à cet effet et en codifia la pratique (…) il en donna la définition suivante (…) : C’est une cellule dans laquelle je place le récipiendaire après qu’il m’ait juré de ne pas en sortir, s’il le faut avant quarante jours. Dans son oratoire, son unique occupation est de répéter, sans arrêt, jour et nuit, le Nom divin, en prolongeant à chaque fois la syllabe jusqu’à épuisement du souffle. Auparavant, il doit réciter soixante quinze mille fois la shahâda. Durant la journée, il observe un jeûne rigoureux qu’il rompt le soir »87.

Conclusion

Ainsi, à travers l’étude de quelques traces documentaires, la khalwa telle qu’elle fut expérimentée par les maîtres ifrîqiyens du tasawwuf, resta dans l’ensemble, y compris après la diffusion des zâwiya-s et l’attribution d’une pièce réservée à cet usage (bayt al-khalwa), une pratique surtout individuelle, de renoncement et de retrait du monde afin de purifier son âme, de faire silence en soi, pour atteindre la plénitude de l’intimité avec Dieu et l’extinction en Lui. Il faut attendre la fin du IXe/XVe siècle et le début du Xe/XVIe siècle pour qu’apparaisse, dans un nombre limité de sources, la khalwa, comme partie prenante du processus d’entrée dans la voie d’un maître et d’initiation sous sa direction, accompagnée d’ailleurs de la poignée de main initiatique, du port du manteau (ilbâs al-khirqa), avec son sanad (sa chaîne) et de la transmission du sanad al-dhikr. Elle n’éclipsa pas pour autant la retraite sur les haut-lieux et dans la nature, plus proche de la ‘uzla (isolement, retrait) que de la retraite au sens plus technique du terme, telle que codifiée au VIIe/XIIIe siècle. Dans plusieurs zâwiya-s, c’est cette pièce où, vivant, le cheikh avait connu cette « mort avant la mort », qui abritera dans certains cas, généralement à sa demande, sa sépulture, c’est-à-dire le lieu d’où se fera sa « deuxième » sortie du monde. Des voies, qui à l’époque médiévale, ne pratiquaient pas cette méthode de dé-création de soi puis de deuxième naissance, comme la Shâdhiliyya par exemple, voient certaines de leurs branches tardives, en faire l’une de leurs pratiques initiatiques essentielles. L’Ifrîqiya dont la relation à l’Orient était continue, et qui connaissait une intense circulation des hommes et des idées aussi bien vers le Machreq qu’en provenance de l’Occident musulman, n’intégrait et n’acclimatait rituels et pratiques qu’en fonction de ses propres réalités, de la sensibilité religieuse de ses maîtres et de la spécificité de ses voies ; voilà bien une donnée que l’histoire des pratiques soufies, telle que la pratique de la khalwa, confirme sans peine. Il en sera d’ailleurs ainsi lors de la diffusion de la tarîqa khalwatiyya88 dans la Régence, diffusion qui ne semble pas s’être faite avant la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle si l’on en croit le Takmîl al-Sulahâ’ d’al-Kinânî. C’est à cette époque également que remontent les débuts de la khalwatiyya égyptienne dont Muhammad b. Sâlim al-Hifnî (m. 1181/1767) fut le fondateur89 ; c’est auprès d’al-Hifnî lui-même ou de ses disciples, que les Maghrébins vont s’initier à cette voie et la ramener dans leurs pays.

Notes

1 H. Landolt, 1978, p. 1022-3. Cf. également S. Staali, 2014, La Retraite Spirituelle « Khalwa » dans la Pensée Arabo-Musulmane : origines, Pratiques Anciennes et Actuelles, et Dimensions Mystiques, Thèse de Doctorat, Université Jean Moulin, Lyon.
2 Comme dans Qâdî ‘Iyâd, 1998, II, p. 56.
3 Voir notamment al-Mâlikî, 1983, t. I, p. 332-333, p. 418, p. 432, 486 et t. II, p. 15-20, p. 234, p. 262, p. 455-6.
4 Tijânî dans sa Rihla évoque à l’extérieur de Tripoli, Masjid al-Sha‘âb construit par le cheikh Abû Muhammad ‘Abdallâh al-Sha‘âb (m 243/857) et où il s’était retiré, Rihla, 1980, p. 251 ; la mention de ce masjid figurait déjà dans le Kitâb al-Masâlik wa l-mamâlik d’al-Bakrî, éd. 1992, II, p. 653.
5 Al-râhib, celui qui craint Dieu ou encore celui qui s’adonne à l’adoration dans un ermitage, de là al-tarahhub signifie l’adoration (al-tarahhub, al-ta‘abbud) ; le nom verbal étant al-rahba et al-rahbâniyya, Ibn Manzûr, 2005, VI, p. 240-1.
6 Voir notamment, Mâlikî, 1983, t. II, p. 262.
7 En comparaison avec l’autre type : la retraite « immobile ».
8 Mâlikî, 1983, t.II, p. 439 ; Ibn Nâjî, 1978-93, t. II, p. 293.
9 Voir par exemple, Mâlikî, 1983, t. II, p. 16-18.
10 Voir sa notice dans Mâlikî, 1983, t. I, p. 463-470 et Ibn Nâjî, 1978-93, t. II, p. 185-192.
11 Selon Ibn ‘Arabî, rechercher la retraite pour obtenir « un accroissement de Science » au sujet d’Allah de la part d’Allah, non pas de sa spéculation et de sa réflexion, cela constitue le but le plus parfait, cf. M. Vâlsan, 1969, p. 77.
12 Ibn Nâjî, 1978-93, t. II, p. 191.
13 Cf. M. Chodkiewicz, 1998, p. 39.
14 On lui attribue d’ailleurs plusieurs sentences de ce type, cf. al-Mâlikî, 1983, t. I, p. 468-9.
15 Voir infra.
16 Ibn Manzûr, 2005, t. XI, p. 235.
17 Al-Qushayrî, s. d., p. 50.
18 Ibid., p. 50.
19 Muhâsibî (m. 243/857) avait déjà rédigé un Kitâb al-khalwa cité dans M. Chodkiewicz, 1998, p. 42. On trouvera toutes les références bibliographiques dans l’article déjà cité de M. Chodkiewicz, 1998.
20 Al-Qushayrî, s. d., p. 50-52.
21 Probablement à l’image de son maître al-Sulamî (m. 412/1021), qui, dans ses Fusûl fî l-tasawwuf, consacre une notice à la khalwa ou ‘uzla ; cf. J.-J. Thibon, 2009, p. 354-5 et n. p. 414.
22 Ibn Qunfudh, 1965, p. 14-5.
23 La retraite de quarante jours s’appuie sur deux arguments scripturaires : en référence à Moïse (Cor. VII, 142) et en s’autorisant d’un hadîth du Prophète selon lequel «celui qui se voue totalement à Dieu pendant quarante matins, les fontaines de la sagesse jaillissent de son cœur sur sa langue », M. Chodkiewicz, 1998, p. 43 et n. 19, sur ce hadîth qui ne figure pas dans les recueils canoniques ainsi que sur la position d’Ibn Taymiyya, pour qui cette pratique est une bid‘a, innovation blâmable.
24 Pour al-Mahdawî, cf. Ibn al-Tawwâh, 1995 (éd.), p. 52 et Ibn Qunfudh, 1965 (éd.), p. 97 ; pour al-Dahmânî, voir infra.
25 Cf. al-Ghubrînî, 1970, p. 142 ; évoquant la râbita, située hors de Bâb Amsyûn, à Bijâya, du cheikh Abû l-Hasan ‘Alî b. Abî Nasr Fath b.3 ‘Abdallâh (m. 652/1254), dans laquelle le saint s’était retiré à la fin de sa vie et jusqu’à sa mort.
26 Cf. Tijânî, 1981, p. 56, 219, 220, 247-251 ; voir aussi Ibn Nâjî, 1978, III, p. 220, IV, p. 20 ou encore p. 99-100 ; voir aussi al-Ghubrînî, 1970, p. 165, p. 169.
27 N. Mahjoub, 2000, p. 221.
28 M. Ibn al-Khûja, 1985, p. 258.
29 Manâqib Abî ‘Alî Sâlim al-Tibâssî, tilmîdh Abî l-Hasan al-Shâdhilî, 2012, p. 54 et 61. Un Masjid khalwat Sîdî Bi l-Hasan se trouve dans l’actuelle rue al-Sabbâghîn, ibid., p. 54, n. 4.
30 Cf. M. Marzouki, 2016.
31 Il a eu pour maître le cheikh ‘Abd al-Razzâq al-Jazûlî (m. en 592/1195 ou 595/1198) le disciple d’Abû Madyan Shu‘ayb (m. 594/1197-8).
32 Lequel hérita du maqâm du cheikh Ibn al-Sabbâgh, cf. Safî al-Dîn b. Abî l-Mansûr, 1986, f. 72b (p. 141 de la partie française).
33 Ibid.
34 Ibid., respectivement f. 72b (p. 141) ; f. 74 (p. 142) et f. 80 (p. 148).
35 Cf. Safî al-Dîn b. Abî l-Mansûr, 1986, f. 71b (p. 140) et f. 74 (p. 142) pour le cas de ce disciple qu’Ibn al-Sabbâgh « fit entrer plusieurs fois en retraite afin qu’il atteignit ce qu’il savait devoir être sa réalisation spirituelle. Lors de sa dernière retraite, le cheikh entra dans sa cellule, et constatant qu’il avait reçu l’ouverture recherchée, en ressortit heureux ».
36 Ibid., voir notamment dans la partie arabe de la p. 49 à 55.
37 D. Gril écrit de manière fort significative : « la khalwa semble avoir été pratiquée régulièrement par Ibn al-Sabbâgh et ses disciples », D. Gril, 1986, p. 47 (de la partie française).
38 Al-Dabbâgh, 1996-7, tapuscrit, p. 212, 254, 259, 276.
39 Al-Dabbâgh, voir les occurrences citées ci-dessus.
40 N. Amri, 2008, p. 186.
41 E. Geoffroy, 2003, p. 276.
42 Cl. Addas, 1989, p. 56-58.
43 E. Geoffroy, 2003, p. 270 ; Suhrawardî, 1966, p. 207-227, voir notamment le chapitre intitulé Kayfiyyat al-dukhûl fî l-Arba‘îniyya (« Comment entrer en retraite de quarante jours ? »), ibid., p. 221-227.
44 Suhrawardî, 1966, p. 213.
45 Ibid., p. 220.
46 Cl. Addas, 1989, p. 54-55.
47 Sur toutes ces références, cf. M. Chodkiewicz, 1998, p. 45 n. 20-21 et p. 46 n. 22.
48 Ibid., p. 45-7.
49 Voir infra.
50 Le respect de la règle du silence notamment de ses facultés mentales et de toute pensée spéculative, pratiquer le dhikr permanent par le cœur et non par la langue, observer la plus grande économie dans les mouvements, se tenir en permanence tourné vers la qibla, ne rompre son jeûne que par une quantité modérée d’aliments dont l’origine animale est bannie, cf. M. Chodkiewicz, 1998, p. 45.
51 Voir Ibn Nâjî, 1978-93, t. IV, p. 77 et 86, 139, 226.
52 Ibn Qunfudh, 1965, p. 51.
53 Ibn Nâjî, 1978-93, IV, p. 77 ; ce type de séance est appelé mî‘âd al-raqâ’iq, en milieu kairouanais.
54 Ibid., p. 86.
55 « Ella avait creusé sa tombe de ses propres mains et avait coutume d’y prier ; elle y récita près de six mille versets (…) Elle fut enterrée dans la tombe qu’elle avait elle-même creusée dans sa maison à Darb al-Sibâ‘ », N. et L. Amri, 1992, p. 160.
56 Cette dernière idée renvoie à un autre hadîth, souvent cité par les soufis : Lan yalija malakût al-samâ’ man lam yûlad marratayn : « Celui qui n’est pas né deux fois n’entrera pas dans le royaume céleste » ; il s’agit d’une variante d’une parole de Jésus (Jn 3, 3), et qui est citée d’ailleurs comme un hadîth christique. Pour ces deux traditions, cf. M. Chodkiewicz, 1998, p. 36-7.
57 Sur la khalwa comme « entrée au tombeau », et parmi les directives que donne Ibn ‘Arabî sur les dimensions de la pièce réservée à la retraite cellulaire, dans son épître déjà citée, Risâlat al-khalwa al-mutlaqa, telles que rapportée et commentées par M. Chodkiewicz : « les dimensions de la cellule sont déterminées par référence aux postures de la prière rituelle : sa hauteur doit être celle d’un homme debout, sa longueur à la mesure du corps dans la prosternation, sa largeur celle qui permet la position finale où l’on se tient assis. Elle ne doit avoir aucune fenêtre. Aucune lumière n’y doit pénétrer. Son emplacement doit la mettre hors de portée des bruits de voix. La porte doit être étroite et solide. On devine sans peine que ce qui est décrit là est une sorte de tombeau anticipé… », M. Chodkiewicz, 1998, p. 46.
58 Cf. N. Amri, 2000, p. 125-127.
59 Ibn Nâjî, 1978-93, IV, p. 139.
60 Ahmad Zarrûq, 1992, p. 84.
61 Ibid., p. 84-5.
62 Ibid., p. 85.
63 Ibid., p. 85
64 L’information rapportée par M. Cherif (2005, p. 175), qui malheureusement ne cite pas sa source, évoquant l’initiation par Zarrûq d’Ahmad Ben Yûsuf al-Râshidî al-Miliânî (m. 931/1521), qu’il aurait revêtu du « manteau initiatique » (khirqa) et introduit dans la cellule de retraite (khalwa), serait, dans ce cas, à prendre avec précaution.
65 Sur ce milieu et sa relation à la Shâdhiliyya, cf. S. Kugle, 2005, p. 185-6 ; sur Fès et sa tradition spirituelle, voir R. Vimercati-Sanseverino, Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du protectorat (808-1912). Hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique dans la ville de Mawlāy Idrīs, Centre Jacques Berque, Rabat, 2014. Sur Zarrûq cf. A. F. Khushaim, 1976, Zarrûq the Sûfî, Tripoli.
66 Sur ce maître, descendant de Sâlim al-Tibâssî (m. 642/1244) et disciple le plus notoire d’Ahmad b. Makhlûf al-Shâbbî (m. 887/1482 ou 898/1492), voir al-Nabhânî, 1991, I, p. 540-2 ; voir aussi l’hagiographie que lui consacre son disciple ‘Alî b. Maymûn al-Fâsî, Manâqib Ahmad al-Tibâssî, Ms 18110, BN, Tunis.
67 Al-Fâsî, Ms. 18110, f. 17b.
68 Ibid.
69 Ibid.
70 E. Geoffroy, 2007, p.143.
71 Sur ce courant majeur de la spiritualité musulmane apparu dès le IIIe/IXe siècle au Khurâsân, cf. al-Sulamî, 1945.
72 Quant à la khirqa, parmi les témoignages les plus anciens sur sa présence à Tunis, notamment dans le milieu andalou, et plus particulièrement chez des maîtres ayant séjourné en Orient, figure le témoignage d’Ibn Rushayd en 684/1285 qui reçut la khirqa du cheikh al-Khulâsî (m. 697/1298) ; Ibn Rushayd consacre à ce maître né en 610/1213 à Valence (Balansiya), une longue notice et le désigne comme « notre maître » « le saint, le soufi, l’ascète », Ibn Rushayd, 1982 (éd.), t. II, p. 321-375 ; al-Khulâsî reçut la khirqa à la Mecque en 657/1258 de son maître Abû l-Makârim Muhammad b. Musdî (m. 663/1264), andalou lui-même, installé en Orient et l’auteur de la Muqaddima al-muhsiba al-muhtasiba bi-tawsiyat dhawî al-khiraq al-muntasiba, ibid., p. 375. Le cheikh le revêtit aussi d’un bonnet (tâqiyya), ibid., p. 364.
73 La arba‘iniyya, la « retraite de quarante jours », voir supra.
74 Jamâl al-Dîn Muhammad al-Misrâtî al-Qayrawânî, 2009.
75 Dans la notice très courte (2 lignes et demie) que Kinânî consacre à ce cheikh, il le qualifie de « maître-éducateur de son temps » (murabbî fî waqtihi) qui avait des disciples, al-Kinânî, 1970, p. 39. Sa chronologie est d’ailleurs fautive, puisqu’il en fait un saint du XIe/XVIIe siècle, alors que compagnon et contemporain d’al-Khayyât, il serait plutôt un homme du IXe/XVe siècle.
76 On remarquera toutefois que ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî n’apparaît pas dans le sanad al-khirqa attribué par l’hagiographe à al-Khayyât, et qu’il transmit à son disciple al-Misrâtî, Ibid., p. 71-2. Un examen du sanad ilbâs al-khirqa transmis par le cheikh, tel que l’a transcrit l’auteur fait apparaître nombre d’andalous dont Abû Ahmad en qui A. El-Bahi, l’éditeur du texte, reconnaît Abû Ahmad Ja‘far b. ‘Abdallâh b. Muhammad b. Sid Bûna al-Khuzâ‘î (m. 624/1226) qui rencontra le cheikh Ahmad al-Rifâ‘î, fut un compagnon d’Abû Madyan et l’un des maîtres d’Ibn ‘Arabî. Ce dernier le désignait comme « le cheikh à qui Dieu a accordé Son appui (al-mu’ayyad) notre maître (shaykhunâ) Abû Ahmad », Ibn ‘Arabî, 1999, t. IV, p. 377, 405. Voir aussi, Cl. Addas, 1989, p. 208 et n. 2 ; sur lui voir aussi Ibn al-Khatîb, 2003, t. I, p. 257-8. De même qu’al-Rifâ‘î figure aussi dans ce sanad.
77 Al-Misrâtî, 2009, p. 53.
78 Ibid., p. 57.
79 Sur la question, cf. N. Amri, 2009, p. 246-250.
80 Al-Misrâtî, 2009, p. 57.
81 Ibid., p. 57.
82 Ibid., p. 58.
83 Aujourd’hui à quelques 65 km au nord-ouest de Kairouan, al-Misrâtî, 2009, p. 52 n. 5.
84 Cette voie se revendique également d’une filiation shâdhilî et Ahmad Zarrûq y constitue une référence majeure : la wazîfa zarrûqiyya figure, au même titre que les wasâya du cheikh al-Asmar et ses ahzâb et litanies, dans l’hagiographie du cheikh, cf. Al-Tâjûrî, 2001-2.
85 Voir respectivement les ff. 8a (53), 14b (78), 24a (105), 27b (116), 30a (123), 75b (252), 82a (269), f. 99a (310).
86 J.-L. Michon, 2005, p. 226.
87 K. Bentounès, 2005, p. 297.
88 Les silsilat de la voie permettent d’établir qu’après les Baghdâdiens de la lignée d’Abû al-Najîb al-Suhrawardî, c’est à Tabrîz et dans sa région que la voie commence à apparaître ; pour essaimer ensuite jusqu’à Herat, puis provisoirement dans le Khwârazm ; mais ce sera surtout dans l’empire ottoman qu’elle fera souche et développera plusieurs branches ; cf. Cf. Paul Ballanfat, 2012, Messianisme et sainteté, les poèmes du mystiques ottoman Niyâzî Misrî (m. 1618-1694), L’Harmattan, Paris, p. 115-129. Sur l’expansion de la khalwatiyya dans le monde musulman, cf. N. Clayer, 1994, Mystiques, Etat et société : les Khalwatîs dans l’aire balkaniques de la fin du XVe siècle à nos jours, Leiden, voir notamment les pp. 6-23. Voir aussi F. de Jong, « Khalwatiyya, EI2, IV, p. 991-993.
89 Cf. R. Chih, 2000, p. 137-149. Voir aussi du même auteur : Le soufisme au quotidien. Confréries d’Egypte au XXe siècle, Sindbad-Actes Sud, Arles, 2000 ; la pratique de la khalwa qui donne pourtant son nom à la confrérie a toutefois quasiment disparu au XXe siècle.

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Auteur

Nelly Amri

Professeur en Histoire médiévale.
Laboratoire d’Archéologie d’Archéologie et d’architectures Maghrébines – Université de la Manouba.

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