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Numéro 03

Arts traditionnels au Maghreb
Transmission des savoir-faire et enjeux de leurs expositions
Bernadette Nadia
Saou-Dufrêne
03 | 2017
Pratiques ambiantales au quotidien dans la grande demeure de la médina de Tunis.
Hind Karoui
Table des matieres
Résumé
Notre contribution s’inscrit dans un champ de recherche historiographique dans le
domaine de l’architecture domestique tunisoise des XVIIIe
et XIXe
siècle. Elle propose une
archéologie ethnologique du sensible dans la grande demeure citadine, à travers une démarche
micro-historienne qui interroge les comportements individuels des habitants, ainsi que leurs
actions et leurs pratiques quotidiennes, ayant trait à la gestion et à la régulation des facteurs
d’ambiance (air, soleil, lumière). Nous ne prétendons pas, en utilisant une telle approche, nous
transformer en ethnologue ni en psychologue, mais nous allons essayer d’adopter une
démarche dynamique et transversale, qui tient compte du caractère ontologique de l’espace
domestique.
Notre objectif consiste à démontrer qu’à partir de la connaissance de ces interventions
multiples, pratiquées au fil des jours et des saisons, nous pouvons restituer les potentialités
environnementales de la demeure, et saisir les spécificités sensorielles et émotionnelles de la
réalité socioculturelle étudiée.
Mots clés
Médina de Tunis, ambiance, demeure citadine, scènes de vie.
Pour citer cet article
Hind Karoui, « Pratiques ambiantales au quotidien dans la grande demeure de la médina de
Tunis », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture
Maghrébines [En ligne], n°03, Année 2017.
URL : https://al-sabil.tn/?p=15238
Texte integral
« Nous habitons les rituels comme ils nous habitent. Ils sont la part sensible de notre identité. Ils matérialisent les sentiments et tissent nos liens sociaux. Ils constituent la trame de sens sur laquelle se jouent les actions sociales […] Ils évoluent au rythme des sociétés et des individus qui les performent […] Les élans de vie ne s’éteignent pas dans le rituel, elles se vivent d’une manière régulée »1.
Introduction2
Notre étude aborde la thématique de l'espace domestique traditionnel, sous l'angle de ses
ambiances lumineuses. En nous intéressant, particulièrement, à l'histoire des familles de la
notabilité tunisoise des XVIIIe
et XIXe
siècles, nous nous sommes penchée, sur les actions
liées à la gestion et au contrôle de l’intensité lumineuse, opérées au quotidien, pour rendre la
qualité de leurs espaces de vie, « agréable » et « confortable » : entrebâillement des volets,
rabattement des treillis en bois, étirement de l’appareillage textile des rideaux, utilisation
temporaire des lampes à huile. Ces actes, nous pouvons les qualifier, selon les termes de
Michel de Certeau, des arts de faire : « des tactiques, effectuées au coup par coup, au gré des
occasions, [menées] par un esprit d’improvisation »3. En quoi peuvent-ils nous renseigner,
sur les modalités lumineuses, apportées à la grande demeure ?
Nous avons structuré notre étude, selon deux volets complémentaires. Le premier se
rapporte à la dimension matérielle, liée au contexte historico-social et architectural, à savoir
l’aspect apparent de notre objet d’étude, dont les traces se trouvent dans les chroniques et les
récits littéraires, ainsi que dans les documents d’archives, relatifs à la période étudiée
(inventaires après-décès, registres des dépenses...)4.
Le deuxième volet concerne l'analyse des modes d’occupation et de transformation, de
l’espace domestique, à travers la reconstitution des pratiques de régulation des ambiances.
Une telle entreprise s'avère délicate et ardue, d'autant plus qu'il nous est impossible, de «
recomposer la mentalité des hommes ; se mettre dans leur tête, dans leur peau, dans leur
cervelle pour comprendre ce qu’ils furent, ce qu’ils voulurent, ce qu’ils accomplirent »5, en
réponse à une situation émotionnelle particulière, un vécu ordinaire, une expérience sensible,
bien déterminée. Comment allons-nous donc procéder ?
Nous avons opté, pour une démarche prospective, que nous pouvons qualifier demicroethnologique, basée sur l’observation directe des actes d’ajustement, accomplis par les
habitants qui vivent, actuellement, dans deux demeures de la médina : dār Bouhejba et dār
Lakhoua. Au risque de l’anachronisme, qui risque de nous faire extrapoler des sentiments et
des sensations de leur contexte spatio-temporel d’origine, le choix de ces demeures a été
primordial. Celles-ci devaient répondre, le plus fidèlement possible, au modèle ancien, non
seulement, au niveau de la configuration spatiale mais, aussi, au niveau des dispositifs
d'ouverture aménagés. Nous avons, ainsi, émis l'hypothèse que les « micros-actions »,
déployées, aujourd'hui, à divers moments de la journée, seraient une reproduction, presque
exacte, en termes d’ajustement et d’accommodation lumineuses, de ce qui se faisait aux
siècles passés.
1. Potentialités ambiantales de la demeure : apports
et innovations
Les racines de l’architecture domestique remontent loin. Depuis les somptueuses
résidences des sultans hafsides (1228-1574), avec leurs jardins soigneusement aménagés,
comme ceux de Rās Tābia et d’Ibn Fihr, jusqu’aux palais des maîtres turcs, se dégage le
souci, toujours accentué, allant jusqu’à l’obsession, pour le monumental, le beau et le
somptueux. Dès lors, l'aménagement des ouvertures posait problème, étant donné les
exigences sociales et individuelles qui, souvent, entraient en contradiction, comme celle de
s’ouvrir sur l’extérieur, pour profiter de l’air et de la lumière, tout en restant à l’abri des
regards6.
Parmi les dispositifs qui étaient utilisés, nous pouvons citer les fenêtres grillagées, les
lucarnes en plâtre ajouré et les impostes grillagées, au-dessus des portes, ouvertes soit du côté
de la cour, à ciel ouvert, soit de la rue, ainsi que les soupiraux, aménagés au ras du sol et les
petites fenêtres, situées à 2m75 ou 3m du sol7.
Il faudra attendre le XVIe
et le XVIIe
siècle, pour assister à une combinaison de
dispositifs traditionnels et nouveaux, au sein des demeures, telles que dār Othmāne Dey (rue al-Mbazac), dār al-Hedri, (rue du Trésor) et dār Belhassen, où apparaît le balcon en saillie, sur
rue, au niveau des pièces situées à l’étage.
Il s'agit du kẖarrāj8, posé sur des consoles en pierre (ou en bois) et composé de fenêtres,
munies de bois ajouré (barmaqli). Son introduction dans l’architecture palatiale est bien un
indice, d’un compromis entre les règles constructives courantes et les besoins se rapportant à
la qualité de l’air, l’éclairage naturel, la protection contre le soleil et le rafraîchissement des
espaces intérieurs.
Cette tendance à intégrer le nouveau à l'ancien se poursuivit jusqu'à la période
husseinite, s’étalant de 1705 à 1881, qui avait connu une situation sécuritaire de quasi stabilité
et de prospérité économique relative9
. Dans sa chronique, Hussein Khouja, dignitaire et
secrétaire en chef, du bey Hussein b. Ali (1705-1735), a longuement décrit la frénésie
constructive, qui a accompagné le développement et le renouvellement urbain de la médina, à
travers l’édification, dans divers quartiers, de palais et de demeures10. Ces dernières
appartenaient à des autochtones du Makẖzen et des mamelouks11, et se distinguaient de celles
des familles tunisoises de souche12, par leur aspect imposant et ostentatoire13, ainsi que par leur engouement, envers le faste et les pratiques constructives, empruntés à l'Orient et à
l'Europe. Alors qu’en Orient, on demandait un surplus d’enracinement et d’authenticité, en Europe,
on subissait des influences, ayant trait, non seulement, à l'ameublement et à l'ornementation mais,
également, à l'éclairage des espaces habitables.
Dans sa chronique, Seghir Ben Youssef (1691 - 1771) mentionne que les citadins, disposant de grands moyens financiers, faisaient venir des contrées étrangères, notamment d’Egypte, des articles divers, y compris des « fenêtres ouvragées », munies de treillis en bois émaillés, fixes et mobiles, pour les installer dans leurs demeures14. Ces treillis étaient le signe de l’introversion du logis, dont la beauté ne se découvre, qu’une fois la porte principale franchie.
Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, Mohamed Mohsen al-Kébir, nouveau propriétaire de dār Mohsen15 (rue Mohsen), a entrepris l’édification d'un étage supplémentaire, l’agrandissement des salles d’apparat et des appartements, en aménageant dans les endroits qui étaient, dans le passé, rigoureusement fermés, de larges fenêtres, comme celles situées au niveau du défoncement central de la salle de réception, donnant sur un jardin intérieur16. A la même période, le recours à la lumière artificielle devenait une pratique courante17, notamment dans les salles d'apparat du maître, qui commencent à être éclairées, par des lustres à cristaux vénitiens18.
Après un bref aperçu chronologique de l'état des lieux, sur les apports introduits, pour diversifier les sources d’air et de lumière, nous aborderons, en un premier temps, l'aspect technologique des systèmes d'ouverture, et présenterons, en un deuxième temps, les résultats de notre travail sur terrain, concernant les pratiques quotidiennes, façonnées pour la « mise en situation ambiantale » de la demeure.
1.1. Technique adaptative des fenêtres en fonction du flux lumineux et de l'orientation du vent
L'orientation des dispositifs d’ouverture était choisie, selon le degré d’importance de l'espace correspondant. Autrement dit, à un espace privilégié correspondait l'orientation Est/Sud-Est, jugée la plus avantageuse, par rapport à la nature du climat, au soleil et au régime des vents, apportant la fraîcheur, en été et la douceur, en hiver.
Une description, faite par Seghir Ben Youssef de l’intérieur du palais, du prince Younès (mort en 1768), construit durant le règne de son père Ali Pacha, entre 1740 et 1756, confirme ceci :« Dès que j’y pénétrai, je pus constater que c’était l’édifice le plus admirable qui eût été élevé de la main des hommes […] La maison renfermait quatre pièces. La plus grande, réservée au Pacha, ouvrait à l’Est. Celle des secrétaires était du côté du Nord. Du côté du Sud étaient percées plusieurs fenêtres grillagées, d’où la vue dominait le Jbal Jallāz et ses alentours. La chambre du ministre et des mamelouks était située au Sud. La quatrième pièce, ayant vue à l’Ouest, était tenue fermée »19.
Le tableau ci-après regroupe les données, concernant l'orientation des espaces habitables, relevée dans 17 grandes demeures de la médina, bâties entre 1705 et 1881. Nous avons tenu compte, tout particulièrement, de l’appartement principal (aile familiale), de la salle de réception (aile réservée aux hôtes) et de la chambre des servantes (aile de service).

Les résultats obtenus montrent de rares cas de mauvaise orientation, à l'instar de celle des salles de réception, des demeures de Mohamed Jellouli et d'al-Jazīri (Nord-ouest), ou encore, celle de l’appartement privé de Salah Zaïd (Sud-ouest).
Pour contrecarrer les multiples effets indésirables des vents froids, secs et/ou chauds, les fenêtres des espaces nobles étaient de dimensions variées, munies de divers correctifs ambiantaux, permettant aux habitants, de les manipuler, selon leurs besoins : auvents fixes et légèrement inclinés, volets pleins et mobiles de l’intérieur, volets ajourés à un battant, ouvrant soit « à la française » (dār Ben Dhiāf), soit « à l’italienne », comme des persiennes, fixés au moyen de crochets, en fer forgé (dār Sehīli - aujourd’hui dār Ben Jemia), triple fermeture, composée d’un écran intérieur opaque, de vitres et d’une grille ajourée extérieure. Le mécanisme d'ouverture se fait, soit par glissement horizontal (dār Jellouli), soit «à guillotine», par glissement vertical, fixé au moyen d’un verrou20.

Source : Crédits photos : © Youssef Ben Saad (dār Ben Dhiāf); © Karim Ben Jemia (dār Sehīli) ; © Habib Baccouche (dār Ben Salem); Jacques Revault, 1983 (dār Jellouli)
En ce qui concerne les pièces destinées aux domestiques, seules cinq chambres
disposaient de fenêtres du côté de la rue. Celles-ci étaient rigoureusement placées en hauteur,
pour ne pas permettre de porter un regard sur l’extérieur. Leur orientation était définie en
fonction de l’emplacement de l’aile de service, dans la demeure. Dans la majorité des cas,
elles donnaient sur une courette intérieure, par le biais de petites fenêtres, protégées par des
volets opaques.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, les ouvertures adoptées, par les « maîtres de
la construction »21, provenaient du registre local (hafside, andalou, turc) et des apports
étrangers (Egypte, Italie, France). Elles ont donné lieu, à de meilleures réponses, pour la «
mise en air et en lumière », des espaces de vie, qui témoignent d'une architecture domestique
qui, malgré son évolution, demeure fidèle aux règles et principes, hérités du passé. Aussi, les
prises de jour, donnant sur rue, offraient-elles, davantage de possibilités d’intervention, pour
agir sur les variations diurnes, journalières et saisonnières, tout en assurant l'intimité
intérieure. Quant aux fenêtres, donnant sur le patio, elles gardaient leur typologie
traditionnelle, composée de volets opaques, à l’intérieur, de battants vitrés et d’une simple
grille, en fer forgé, fixe.
Au cours du XIXe
siècle, la fenêtre en encorbellement était devenue plus large, avec les
trois côtés, entièrement ajourés, composés chacun, de plusieurs compartiments, indépendants
et réglables, manuellement, d'une manière modulable (dār Zaouche, dār Ben Salem, dār
Mestīri)22.
Couvrir le patio, par un lanterneau éclairé, des fenêtres hautes et protégé, par une toiture
à double pente, était un signe de distinction, voire une revendication de la modernité
naissante. Ces lucarnes pouvaient être manipulées, à partir des terrasses, comme c’était le cas
aux dār(s) Ben Zakour, Ben Ayed, Zaouche et Baccouche. Le patio qui, jusque-là, était la source première d’air et de lumière, allait devenir un espace vivable, capable d’ajuster et/ou
de substituer un état de gêne, par une situation plus commode.
A tous ces éléments s’ajoutaient les rideaux, qui servaient à la parure, des appartements
privés. Pour avoir plus de renseignements, concernant leur qualité, leur provenance et leur
coût, nous avons consulté les listes appropriées aux dépenses, effectuées au profit de la
femme du bey, au cours du XVIIIe siècle. Ces registres révèlent que les tentures étaient de
conception locale et/ou importée d’Orient, confectionnés à partir de tissus d’apparat, de divers
coloris et de textures variées (ANT, 1716-1773).
1.2. Actes d’intervention : traces de permanence dans le temps ?
Afin de saisir, davantage, les modes d’ajustement et de contrôle des ambiances
lumineuses, nous avons choisi d’observer certaines actions adaptatives, accomplies dans deux
demeures traditionnelles, de la médina de Tunis23:
- Dār Bouhejba (Bāb Menara), bâtie pendant la période coloniale, sur le modèle plus
ancien, des grandes demeures bourgeoises, de la deuxième moitié du XIXe
siècle.
- Dār Lakhoua (rue du Pacha), bâtie au XVIIIe
siècle et régulièrement entretenue, par
les propriétaires successifs.
La première maison dispose de larges fenêtres sur rue, protégées par des grilles et des
persiennes, dont une, en saillie et une, au ras du mur. Elles éclairent, respectivement, la salle
de réception et l’appartement privé, de la maîtresse de maison.
La fenêtre en encorbellement est composée de 26 panneaux, de différentes dimensions. Ils
sont faits de bois, de verre et de vitrage coloré. Parmi eux, il y a cinq ouvrants « à guillotine »,
les autres sont fixes. La fenêtre ouvragée plate est composée de douze compartiments, classés
en série de trois, sur toute la hauteur, dont la partie inférieure est structurée en trois panneaux
coulissants.
Au niveau des deux dispositifs susmentionnés, la partie supérieure comprend deux
rangées d’ouvertures, pouvant être complètement démontées. D’après la maîtresse de maison,
ceci se produit, essentiellement, lors des périodes de grande chaleur. Elle ajoute, que ce sont
les domestiques qui « montent sur une échelle et enlèvent soigneusement les carreaux »24. La
stratégie consiste à obtenir le dosage nécessaire, pour créer un courant d’air, tout en assurant
un éclairement suffisant, selon l’heure de la journée.

Source : Crédits photos : © Myriam Garouachi (dār Bouhajba) ; © Basma Krimi (dār Lakhoua)
En hiver, pour se protéger du froid, la maîtresse de maison fait sortir ses rideaux, les
plus coûteux et les plus précieux, en velours de soie brochée d’or et d’argent, particulièrement
épais et lourds.
L’ambiance s’éclaircit, au printemps et en été, grâce à la mise en place, des doubles
rideaux de croisée en toile, en voile, en lin ou en soie. Ils sont fins, légers, plus ou moins
transparents et facilement ajustables, selon le degré de luminosité et d’intimité recherchés.
Aussi, peuvent-ils être entièrement baissés, tirés, ou fermés à moitié.
La deuxième maison dispose d’une ouverture en encorbellement, composée de deux
fenêtres géminées, formées chacune, d'une partie supérieure, en bois opaque et fixe, et d'une
partie inférieure, de forme rectangulaire, munie de verres et de volets opaques et surmontée de
vitraux colorés. Le tout est protégé, de l’intérieur, par un rideau en voilage léger, de couleur
blanche, et de l’extérieur, par deux grilles en bois ajouré, dont la position est réglable,
manuellement.
A ce propos, la fille du propriétaire déclare : « Après le petit déjeuner, ouvrir toutes les
fenêtres est impossible. Les fenêtres et la porte d’entrée sont toujours ouvertes mais le ẖarrāj est laissé entrouvert. On préfère toujours tirer le rideau […] La grille n’est manipulée que
pendant les journées de grande chaleur, lorsqu'on est obligé d’aérer le salon »25. En été, le moucharabieh est rabattu, coincé par un blocus, alors que les volets et les vitres sont
complètement ouverts, et les rideaux, soigneusement attachés. Les spécificités techniques du
dispositif ont, ainsi, permis de gérer, conjointement, l'aération et l'éclairement.
Des rideaux plus ordinaires, en coton épais, tissés en bandes verticales, sont accrochés
aux linteaux des portes des chambres, donnant sur le patio. Comme par le passé, ces portes
sont laissées entrouvertes et les rideaux, surhaussés. Etait-ce une forme de permanence des
croyances et des superstitions anciennes, concernant la nécessité de purifier l'espace, de bien
le ventiler et l'éclairer, afin de chasser les mauvais esprits26 ?
2. Tentative de restitution de la vie affective d'autrefois27
Dans une étude antérieure, nous avons développé la situation fragile et incertaine, de la
vie quotidienne, de la riche et puissante aristocratie, du pouvoir beylical28. Une précarité, due
au sentiment d’insécurité économique et politique, la caractérisait. La demeure était, pour eux,
le lieu de refuge, de stabilité et de protection. C’était leur espace commun, qui leur promettait
bonheur et quiétude.
Le peintre tunisien Nouredine Khayyachi (1918-1987) a été choisi, par nous, pour avoir
restitué, des scènes de la vie quotidienne traditionnelle, dans les grandes demeures, de la
médina de Tunis. Sa lecture de la réalité socioculturelle de l'époque qu’il connaissait bien29, renvoie à une approche d'ordre anthropologico-sensorielle30.
Fils de Hédi Khayyachi (1882-1948), qui fut, lui-même, peintre, « portraitiste officiel de
la cour beylicale » et fin connaisseur des traditions et coutumes, des familles tunisoises31, Nouredine Khayyachi invite, à son tour, à entrer dans l'intimité des intérieurs bourgeois. C'est
grâce au jeu de couleurs, d'ombre et de lumière, ainsi qu'aux détails, relatifs à la posture, l'allure et l'accoutrement des personnages, qu'il arrive à animer ces scènes et à les charger de
sens.
Nous présentons ci-après, deux de ses tableaux : la (1976) et La musicienne et
sa muse (1974) (Fig. 3).

Source : M. Chelbi et T. Khayyachi, 2000.