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Numéro 03

Arts traditionnels au Maghreb
Transmission des savoir-faire et enjeux de leurs expositions
Bernadette Nadia
Saou-Dufrêne
03 | 2017
Hôtel de ville de Sfax (1905-1938)
Une architecture néo-mauresque
Dorra Akkari
Table des matieres
Résumé
Le Protectorat français a marqué l’histoire de la Tunisie, dans plusieurs domaines. Ce qui a mené à l’émergence des mutations, dont les plus palpables se concentrent, essentiellement, au niveau du paysage urbain. Les villes côtières, dont Sfax, étaient les plus concernées, où des édifices opulents rehaussaient les villes nouvelles. Son Hôtel de Ville constitue l’un des meilleurs exemples, témoignant de cette époque très productive, au niveau architectural. Ses façades monumentales, d’inspiration ottomane, laissent apparaitre l’engouement des français, à l’application du répertoire mauresque. Toutefois, la distribution des sous-espaces reprend la logique organisationnelle des édifices, élevés en métropole. Au titre d’édifice emblématique, cette production a généré une nouvelle approche de conception, reproduite totalement ou partiellement, dans d’autres édifices maghrébins.
Mots clés
Hôtel de ville, Sfax, architecture, néo-mauresque, patrimoine récent.
Pour citer cet article
Dorra Akkari, « Hôtel de ville de Sfax (1905-1938) : une architecture néo-mauresque », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture
Maghrébines [En ligne], n°03, Année 2017.
URL : https://al-sabil.tn/?p=15137
Texte integral
L’Hôtel de Ville de Sfax a été érigé, selon des faits liés à des contextes bien déterminés. Cette production témoigne d’une époque très particulière, marquée par le protectorat français. Désormais, la Tunisie est sous l’emprise française. Cette mutation a engendré une dimension esthétique, aux productions spatiales. L’autorité française voulait incarner le nouveau pouvoir décisionnel de la ville, en construisant des édifices imposants, reflétant une image de dominance.
La multiplication du nombre d’habitants, dû à l’avènement d’une nouvelle population étrangère était parmi les conséquences directes, de cette domination. Ce nouvel afflux s’est joint aux autochtones, en majorité de confession musulmane, conservatrice de ses valeurs et de ses éthiques. L’aménagement de leur espace reflétait leur mode de vie. La majeure partie des maisons s’organisait autour d’un patio, appelé aussi cour intérieure, il symbolise, par sa forme et sa présence, l’intériorité et la centralité des espaces.
A cette époque, Sfax est devenue une ville prospère, sur le plan économique et cela, à la suite de la découverte des gisements de phosphates, à Gafsa, par Philippe THOMAS1. Cette action a engendré un développement, au niveau de l’infrastructure, comme la mise en place, de la ligne de chemin de fer Sfax-Gafsa, en 1897 et l’agrandissement du port. Cette ville se caractérise, aussi, par un emplacement stratégique, elle est située en mitoyenneté, avec les grandes villes du pays, tout en formant une interface avec la méditerranée. Grâce à son port de commerce, elle représente le débouché le plus important, qui relie le Sud tunisien, à la métropole. Tous ces facteurs ont entraîné un surcroit de flux financiers, généré par l’activité d’exportation de Phosphates. Grâce à cette trouvaille et à ses caractéristiques géographiques, Sfax est devenue une ville de renommée internationale.
Tous ces facteurs ont fait de L’Hôtel de ville, une production architecturale unique. Quels ont été les enjeux et les déterminants de son programme, de son insertion urbaine et de sa forme architecturale ?
Au titre d’édifice emblématique, l’Hôtel de Ville de Sfax a permis de développer une architecture moderne qui a, sans doute, aidé une nouvelle génération d’architectes français, oeuvrant au Maghreb, à puiser leur inspiration dans cette production.
Comment cette influence se traduit-elle ?
I. L’hôtel de Ville de Sfax, sous domination française
Au temps du protectorat, le premier siège municipal de la ville se situait à la rue de Malte. Il était très exigu et inapte à répondre aux besoins de cette nouvelle population. Le conseil municipal de l’époque, présidé par le gouverneur Jules GAU, était dans l’obligation de construire un nouvel Hôtel de Ville. Au début du XXe siècle, le projet de construction du nouveau siège a pris naissance. Les plans étaient préétablis par l’architecte français Raphael GUY. A cette époque, les architectes tunisiens étaient dans l’ombre de leur homologue français. La France, qui contrôlait le pays, privilégiait l’implication de ses compatriotes, plutôt que la participation des autochtones.
Les travaux de construction ont débuté, fin 1905 et se sont poursuivis, jusqu’en 1906, pour être inaugurés le 14 mars, de la même année2. Au cours de 1912, des travaux d’agrandissement commencèrent, à un rythme lent pour prendre fin, vers 19433.

Source : Kallel Ridha, 2009, Bab-Bhar à Sfax, Edition Mim, Sfax, p. 93.
L’instauration du protectorat français a eu une grande répercussion, sur l’évolution et
l’extension urbaine de la ville. Désormais, elle se compose de deux entités :
- D’abord, la médina connue pour son tissu urbain compact.
- Ensuite, la ville européenne construite sur un plan orthogonal, elle s’organise autour des rues
parallèles, rectilignes, qui se croisent à angle droit, formant ainsi des blocs de forme carrée ou
rectangulaire. L’Hôtel de ville se situe à la ville nouvelle, à l’intersection de l’avenue Habib
BOURGUIBA et Hédi CHAKER, considérée comme l’épine dorsale de la ville. Sa façade
principale fait face, à l’une des portes de la médina et point de translation, entre la ville nouvelle
et la ville arabe.
Plusieurs bâtiments, à caractère public et privé, avoisinent le périmètre de l’Hôtel de
Ville. En amont de la ville nouvelle, se trouve le théâtre municipal, œuvre de l’architecte
français Raphael GUY, datant de 19024. Sa façade principale imposante laisse apparaitre la
magnificence de l’art arabe. Faisant face au théâtre s’élève un bâtiment, haut de deux étages,
baptisé palais Ben ROMDHANE. Inauguré en 1913, il est l’œuvre de l’architecte L. Queyrel.
De style néo-mauresque, sa construction a succédé, à celle de l’Hôtel de ville. L’architecte a
créé une certaine continuité, dans le paysage, en implantant dans l’angle Nord-Ouest du palais,
un minaret, semblable à celui de l’Hôtel de Ville.
Le registre linéaire appliqué se compose de lignes horizontales, verticales et de lignes
souples, induites par la forme d’arc outrepassé. La morpho-structure de l’Hôtel de Ville de Sfax
épouse, parfaitement, l’environnement urbain, dans lequel elle a été implantée. La ligne
horizontale domine, malgré la présence de tours verticales imposantes. Les hauteurs des bâtisses
mitoyennes dépendent de la nature des sous-fonctions qui l’abritent. Toutefois, nous dénotons
une certaine harmonie, au niveau de la composition générale.

Source : Guy Raphael, N.D, L’architecture moderne de style arabe, Edition librairie de la construction moderne, Paris, p.13.
Cette structure opulente a permis la naissance de nouvelles formes architecturales. Son
ossature imposante est en retrait, par rapport à l’alignement de l’avenue Habib Bourguiba. Une
clôture urbaine est utilisée comme élément de translation, entre ces deux entités. Cette
organisation permet d’additionner, à l’ensemble de la composition, une cour d’honneur, mettant
en exergue l’entrée principale de l’édifice.
Le plan se compose de deux entités irrégulières, d’une part, la cour découverte, qui
clôture, en partie, des murs et en partie, l’édifice, d’autre part, le bâtiment municipal, abritant
les locaux de l’Hôtel de Ville. La morphologie de la cour intérieure, additionnée à l’édifice, est
semblable à celle, utilisée dans l’architecture néo-classique.
La partie du rez-de-chaussée, donnant sur la façade principale, est occupée, par un large
vestibule, qui distribue les escaliers d’honneur. Ils donnent accès à la salle des mariages, la salle
des délibérations et différents autres sous-fonctions. Hormis cela, des escaliers secondaires sont
aménagés au sein de l’édifice. Ils sont parfaitement adaptés, à l’usage quotidien du public et du
personnel administratif, leur épargnant des déplacements, dans l’escalier d’honneur et
permettant une circulation, plus fluide.
Le grand vestibule, aménagé au rez-de-chaussée, distribue plusieurs sous-espaces. A
gauche de l’entrée principale, se trouve la salle d’audience, se prolongeant jusqu’à la façade
Ouest. A droite, s’aménage un ensemble de sous-espaces, dont un guichet de caisse. Il forme
un espace centrique, tout autour s’organise un bureau de receveur, un bureau de chaouch, une
zone publique, un bureau de comptable et un bureau d’archives. Le reste de la surface est dédié
aux différentes sous-fonctions, indispensables au bon déroulement de la vie municipale, comme
le bureau du greffier, un bureau d’archives, un bureau de brigadier, le bureau du commissaire,
le juge de paix, le juge suppléant, une salle d’instruction, un bureau d’interprète.

Source : Guy Raphael, N.D, L’architecture moderne de style arabe, Edition librairie de la construction moderne, Paris, p.14.
Au niveau de la façade principale, donnant sur la place de la république, le premier étage
abrite les grandes salles. Un espace de transition les sépare de l’escalier d’honneur, formé par
une galerie. Aménagées en longueur, elles sont au nombre de trois : la salle d'attente, la salle
des délibérations et la salle des mariages. Elles communiquent entre elles, au moyen de larges
baies, de sorte à ne former qu’un seul et grand espace, en cas de fête ou de réception.
Au prolongement de la façade Est, se trouvent les services secondaires : un bureau de
secrétariat, un bureau d’expéditionnaire administratif, le bureau du président et du viceprésident. Symétriquement à cette partie, s’aménage une série de sous-espaces, composée par
un salon, une salle à manger, une cuisine et trois chambres. L’usager ne peut y accéder, qu’à
partir du rez-de-chaussée au moyen des escaliers secondaires ou par l’intermédiaire d’une porte
dérobée, située à la salle pour sociétés.
Dans les documents archivistiques, que nous avons recensés, l’implantation des
accessoires a été amputée, de la morpho-structure bidimensionnelle. Cependant, à l’aide d’une
photographie d’époque, nous avons pu reproduire, l’aménagement de la salle des conseils, de
l’Hôtel de Ville de Sfax.

Source : Reproduction personnelle
A cet endroit, se réunissent les conseillers municipaux, votent de nouvelles stratégies à
adopter, pour le développement la ville. Cette salle de réunion se caractérise par un
aménagement symétrique, elle comprend quatre tables, munies d’assises. Les accessoires, les
plus imposants, suivent une orientation bien spécifique. Le dos de leurs assises fait face aux
fenêtres, ancrées sur la façade principale et sur les accès, aménagés au niveau de la galerie
d’honneur. Les deux autres tables sont moins imposantes, de par leur dimension, elles ont été
disposées, de part et d’autre, des tables oblongues, constituant ainsi un espace vide, au milieu
de la pièce.
Les axes principaux de composition se superposent à l’axe de bâti. Cette organisation
favorise un aménagement centrique. De ce fait, le parcours des usagers se concentre à la
périphérie de l’espace. Le rapport encombrement / circulation est respecté, facilitant ainsi le
déplacement des usagers, à l’intérieur de la salle. L’agencement de ces accessoires respecte les
normes de passage. Le concepteur les a disposés, de sorte à créer des allées de circulation
ergonomiques, permettant une trajectoire dynamique, propice au mouvement. De plus, les axes
de lumières et d’accès ont été implantés, de sorte à favoriser le passage de l’air et de la lumière.
Les différentes composantes, qui forment ce sous-espace, servent l’usage et cela se
décèle, sur différents plans. La première entité concerne la nature du mobilier adopté, leurs
caractéristiques répondent à la fonction d’usage et à l’ergonomie. La manière, dont ils ont été
combinés, permet à cette fonction, d’être opérationnelle.

Les espaces de circulation, formés par les couloirs et les dégagements, matérialisent la motricité
de l’homme dans l’espace. Dans notre cas, ils sont définis par des lignes convergentes. « Les
lignes parallèles se rejoignent sur un point de fuite. C’est la plus connue des perspectives.
Lorsque nous avons de nombreuses lignes parallèles, de grande longueur, notre regard suit ces
lignes jusqu’à leur point de fuite et cela accuse fortement une direction »5. La formation de
lignes, parfaitement parallèles, au sein de l’espace, assiste l’action d’orientation et favorise
l’acte de repérage, élément indispensable, dans l’organisation d’un parcours dynamique. En ce
sens, l’architecte a employé une perspective linéaire afin d’assister les déplacements, de chaque
type d’usager et cela, en aménageant des couloirs et des dégagements, en longueur.
Par extension, la morpho-structure de l’Hôtel de Ville se résume en une ossature très
légère, fragile, même6. Ce principe d’organisation est largement démocratisé, en France. Il se
déploie sur un grand nombre d’édifices, appartenant au mouvement classique. Le château de
Meudon demeure l’un des meilleurs exemples. En effet, la morpho-structure du plan reprend la
même logique, que celle de L’Hôtel de Ville de Sfax. Dans ce sens, nous pouvons supposer que
R.GUY a transposé des modèles d’organisations français, dans la ville colonisée.
Ce choix peut s’expliquer, par deux hypothèses. D’une part, le concepteur avait comme
ambition, de satisfaire les besoins de la nouvelle tranche de population, venue d’Europe, d’autre
part, ce type d’aménagement pourrait être le plus adéquat, à la fonction de l’espace car il facilite
l’action d’orientation et de repérage, de chaque type d’usager.

Source : Plan du rez-de-chaussée du château de Meudon, Estampe, VA 438 FT 6, Bibliothèque Nationale de France.
La façade principale de l’Hôtel de Ville forme une composition asymétrique, en continuité avec la logique organisationnelle de la vue, en plan. Son ornementation reprend la typologie de l’architecture sfaxienne, avec quelque inspiration berbère7. Elle se compose de quatre axes principaux ; le premier, un corps principal surplombé d’une coupole côtelée, qui délimite le porche d’accès imposant, dont les principes de composition évoquent l’art romain, du XIe siècle. Cet avant-corps est encadré de deux ailes symétriques, de deux niveaux. Sur l’angle nord-est, s’érige un minaret. L’avant-corps est la partie, la plus richement ornementée. Elle forme une composition symétrique, qui ne se représente pas en plain-pied. Des escaliers de marbre conduisent à la porte d’entrée, le porche est encadré, percé d’un bel arc, en fer à cheval, borné par deux colonnes.

Source : Guy Raphael, N.D, L’architecture moderne de style arabe, Edition librairie de la construction moderne, Paris, Planche n°37
Un placage de pierre délimite l’accès principal, il est composé d’un alfiz. Cet avant-corps
est surplombé par une coupole, aux cannelures d’extrême simplicité, ce détail architectural,
rarement utilisé, dans le paysage urbain de l’Afrique du nord. Toutefois, l’architecte Raphael
Guy l’a exploité, comme symbole d’exotisme, réanimant les espaces extérieurs, par des
magnifiques couronnements.
Deux ailes latérales délimitent la partie centrale. Elles sont de conception identique, les
murs des façades sont en enduit blanc, peints à la chaux, contrastant avec les teintes rose, de la
pierre de Gabès. Elles sont percées, chacune, par six fenêtres. Au niveau du rez-de-chaussée,
elles sont de formes rectangulaires et barreaudées, délimitées par un ornement, en pierre
décorative. À l’étage, les fenêtres sont cernées par une modénature et chaque percement épouse
la forme d’un arc en fer, à cheval.
Il est vrai que cette production spatiale émane d’une époque, ayant un contexte sociétal,
bien particulier, c’est ce qui fait sa richesse et sa particularité, d’ailleurs. Cette dernière est
régie, selon un ensemble de style, qui a enrichi l’édifice. L’architecte a emprunté des éléments
architecturaux et ornementaux hétéroclites afin de concevoir un espace original, d’un côté et de
l’autre, le contexte socioculturel avait imposé la multifonctionnalité, telle que l’implantation
d’un minaret.
Il est situé à l’angle de la façade principale. Cet élément architectonique représente le
point de repère des villes musulmanes, avec sa forme élancée, il figure comme un point d’appel,
généralement utilisé, pour marquer le triomphe islamique. Mais, dans notre cas, il s’agit d’une
tour horloge, s’appropriant la morpho-structure d’un minaret.
La tour horloge culmine à 32 mètres du sol. Elle épouse une forme hexagonale, effilée, de style
turc, formée de trois entités superposées. D’abord, une base carrée, surmontée par un fût, le tout
couronné d’un pinacle, de forme pyramidale. Des reliefs, très marqués, divisent ses différentes
parties. Des horloges circulaires sont implantées à l’extrémité du fût, elles détournent la
fonction religieuse, en une fonction administrative.
Toute cette richesse décorative a laissé place, au niveau des façades latérales, à une
orthogonalité rigide. Elles ont été réalisées, de façon marginale. L’ossature se résume, en une
simple répartition modulaire, de plusieurs ouvertures.
Cette assurance majestueuse a fait, de l’œuvre de Raphael GUY, un exemple unique, à
l’époque. Il a détourné des motifs de l’architecture musulmane, pour les appliquer, sur des
édifices civils, les détournant, ainsi, de tout leur sens. Les façades regorgent d’éléments
architecturaux, issus du répertoire mauresque, appliqués à une morpho-structure
métropolitaine. Tous ces éléments révèlent le désir de l’architecte, de graver cette production,
dans le mouvement d’arabisance. Cette expression architecturale voit le jour, en Afrique du
Nord, dès les années 1900, rompant ainsi, avec soixante-dix années, de dominance
néoclassique8. Ce mouvement architectural justifie la nouvelle politique coloniale,
dite « d’association ». Le style du protecteur succéda au style du vainqueur9
. Ce dernier mettait
en évidence la conquête militaire, tandis que le style protecteur traduisait la nouvelle politique
coloniale, basée sur le protectorat. L’autorité française voulait afficher de cette manière, une
image paternelle, respectueuse des coutumes locales. En un mot, davantage de politique et
d’action psychologique, moins de perte financière, causée par l’acquisition d’armes de guerre.

Cette structure imposante abrite des espaces intérieurs prodigieux. La porte ferme
l’entrée, par un large vestibule. Sa surface est de forme carrée, supportée par quatre colonnes,
en pierre blanche de Keddel10. Le plafond, abritant cette superficie, est en poutres apparentes,
en béton armé, dissimulé par un voile de peinture, dont les teintes sont vives.
Le vestibule d’entrée devance l’escalier d’honneur. Ces marches mènent directement, à la salle
des mariages et à la salle des délibérations. Ce qui nous frappe, avant tout, dans ces décors,
c’est la profusion d’éléments et de techniques ornementales, appliquées sur une importante
hauteur, du sous-plafond qui avoisine les sept mètres. Une ornementation riche et complexe
dissimule la structure. Elle se divise en deux parties ; d’une part, un placage en marbre, de
quatre mètres de hauteur. Il est morcelé par des niches de hauteur identique mais de forme
variable. Elles sont ornées d’entrelacement de lignes sinueuses et orthogonales. D’autre part, le
revêtement en stuc ciselé, de deux mètres de hauteur, se compose essentiellement de formes
géométriques simples, sculptées en creux et en relief.
La palette de couleur, utilisée dans les grandes salles, est similaire. Il est à noter une
dominance des teintes bleue et verte. Cette dernière réside au niveau des niches, qui rehaussent
les parois. Ce camaïeu est allégé, par la couleur blanche du marbre, appliquée comme un fond,
sur les percements polychromes. Le plafond artesonado, qui coiffe cette grande salle, suit la
même logique que celle du soubassement. En effet, un camaïeu de bleu rehausse les caissons
en bois. Les lignes sinueuses, qui le composent, forment une continuité, avec le revêtement
mural.
La fondation de cette production est en béton armé hennebique. C’est une structure
révolutionnaire, où le béton additionné à une armature métallique, a remplacé, la maçonnerie
classique, elle porte le nom, de son novateur François Hennebique.

Source : Cliché de l’auteur.
Cet édifice a bouleversé les codes de l’architecture, du XXe
siècle. L’emploi d’éléments
architecturaux, habituellement utilisés, dans les mosquées, confirme cette supposition. Au
début de 1930, plusieurs critiques ont émané. Prenons l’exemple de l’article, apparu dans le
journal, le "Temps", écrit par L. Vaillet :
« Au-dessus de ce bâtiment qu’on m’assure être l’Hôtel de Ville de Sfax, un minaret s’élève.
Pourquoi un minaret ? Mais le minaret, dans la pensée du musulman, est réservé à la mosquée,
comme le clocher dans nos villages, à l’église…Si nous construisons, nous autre européen, un
édifice public dans une ville musulmane, que ce soit véritablement dans l’esprit des choses
musulmanes ! Tachons de comprendre leur raison profonde et, sous prétexte de ‘couleur
locale’, ne les employons pas à tort ou à travers, avec une signification contraire aux scrupules
des habitants sans quoi nous risquerons d’aller à l’encontre du but que nous poursuivons »11.
Toutefois, cette production dispose de caractéristiques architecturales et spatiales, bien
particulières, ayant imprégné une nouvelle génération d’architectes. L’Hôtel de Ville de Sfax
forme un véritable noyau urbain, permettant la centralisation, de plusieurs services
administratifs. Ils pouvaient être, à la fois, complémentaires ou antagonistes. Pour cela, nous
allons prendre, à titre d’exemple, deux types d’organisations.
Pour faciliter la coordination, dans un corps de métier, les bureaux administratifs sont
aménagés, en mitoyenneté. Le service, dédié à la justice, s’étend sur toute une aile de bureau.
Il abrite les bureaux du Juge de Paix, le Juge Suppléant et la salle d’instruction. En ce qui
concerne les activités antagonistes, le concepteur a aménagé, au sein de l’édifice même, une
grande salle, dédiée aux mariages, et un commissariat de police.
Les zones ont été dispatchées, selon les besoins, de chaque catégorie d’usager. L’étage,
en plain-pied, abrite les zones, à forte affluence humaine, comme la partie, dite utilitaire,
réservée au public et le bureau d’accueil, de la police municipale. L’étage supérieur est
consacré, essentiellement, aux invités occasionnels car il abrite les grandes salles et les bureaux
du maire et de ses adjoints.
Cette production dispose d’une pluralité constructive et décorative unique. Au titre
d’édifice emblématique, il a même impacté les productions adjacentes. Des tours, épousant la
morphologie des minarets, rythmaient le paysage urbain, de la ville nouvelle. Cette nouvelle
esthétique urbaine se base sur une stratégie politique, bien déterminée. Pour s’accoler à la
population locale, le concepteur a induit, sur une ossature métropolitaine, des éléments
architectoniques et décoratifs hétéroclites. Par extension, l’architecte a axé les tracés palpables
de l’édifice, sur la reproduction d’éléments architectoniques mauresques. Tandis que les
éléments intangibles, qui caractérisent le mode d’organisation, reprennent le model
d’aménagement métropolitain. Tout ceci explique l’action psychologique, que l’autorité
coloniale a voulu mener, sur la population indigène afin de conquérir, pacifiquement, le
territoire.
La richesse décorative, des espaces intérieurs et, plus particulièrement, des grandes
salles, a fait la renommée de cette production. L’ornementation se résume, en un simple placage
de pierre décorative, dont la nature est largement répondue, dans les édifices mauresques.
Tous ces facteurs ont fait, de l’Hôtel de Ville de Sfax, une production forte, intéressante. A
cette époque, elle a influencé plusieurs concepteurs français. Pour valider cette hypothèse, nous
analyserons deux structures, dont la date d’édification a précédé celle de l’Hôtel de Ville de
Sfax. Nous débuterons, par l’analyse l’Hôtel de Ville de Philippeville, suivie par celle de
Casablanca.
II. Production cosmopolite et interactions architecturales, au Maghreb
Skikda, baptisée Philippeville, sous la colonisation française, est une ville portuaire, du Nord-Est de l’Algérie. Parmi ses édifices emblématiques, nous retrouvons l’Hôtel de Ville. Il a été érigé, en 1930, par l’architecte français M. Montaland12.

Source : Jean Cotereau, 1934, « L’hôtel de ville de Philippeville (Algérie) », in le Béton armée, n° 312, p.985- 994.
La morpho-structure de l’Hôtel de Ville s’inscrit dans une forme rectangulaire oblongue. Pour mette en exergue l’entrée principale, un jardin a été additionné à la production. Le plan s’organise autour de quatre parties. D’abord, et en avant-corps du bâtiment, se trouvent les grandes salles. Les sous-espaces, dédiés aux réunions, sont contigües, à cette dernière. Puis, et en mitoyenneté à la façade postérieure, s’aménage la partie réservée, au public. Elle s’organise autour d’un vaste patio, composé d’une série guichets. Enfin, un bâtiment annexe s’accole à la structure de l’Hôtel de Ville, il s’agit d’un commissariat de police.

Source : Jean Cotereau, 1934, « L’hôtel de ville de Philippeville (Algérie) », in le Béton armée, n° 312, p. 985- 994.
Des façades, jusqu’aux espaces intérieurs, l’empreinte d’arabisances demeure visible. Cette ossature monumentale abrite une richesse décorative, faite essentiellement, de mosaïques et de faïences. Elle est enrichie, par des jeux de volume, des retraits, des reliefs et des ouvertures, de différentes formes. Les arcs outrepassés trouvent, immédiatement, leur place, rythmant la loggia de l’entrée principale. Les parois des espaces intérieurs sont, pour la plupart, recouvertes, à hauteur d’homme, par de la faïence, illustrant des scènes de chasse ou des motifs floraux.

Source : Jean Cotereau, 1934, « L’hôtel de ville de Philippeville (Algérie) », in le Béton armé, n° 312, p. 985- 994.
Certes, le concepteur a plaqué plusieurs éléments architecturaux, issus du répertoire
mauresque, dans leurs formes apparentes. Toutefois, l’élément architectonique, le plus
excentrique, demeure le minaret. Culminant à 34 mètres de hauteur, il domine le boulevard, du
front de mer. Il ne remplit pas les mêmes fonctions, que les minarets classiques des mosquées
car il est annonciateur de nouvelles, avec les quatre haut-parleurs, disposés de chaque côté. Pour
son édification, l’architecte s’est inspiré des minarets de Tlemcen et du Maroc, avec des tracés
plus modernes. Son ossature est enjolivée, par de magnifiques pièces de céramique, leur teinte
contraste avec la masse blanche, de l’ensemble de l’édifice. Il est à noter, que dans la première
maquette, l’architecte a implanté une horloge, à l’extrémité du fût.
Cette brise de renouveau architectural s’est étendue jusqu’au Maroc et, plus précisément, à
Casablanca. Cette ville, située au Nord-ouest marocain, est considérée comme le chef-lieu, de
l’architecture et de l’urbanisme moderne, de l’Afrique du nord. Son Hôtel de Ville se situe, à
un point névralgique de la place administrative. Œuvre de l’architecte français Marius
BOYER13, il a été inauguré, en février 1938. Le style, proposé par le concepteur, s’inscrit dans
une thématique, à l’échelle marocaine. Il a essayé d’ajuster le plan, à une architecture conforme
aux traditions et à l’esthétique du pays, en utilisant des éléments architectoniques, issus du
répertoire mauresque, comme les galeries intérieures, aménagées autour du patio.

Source : Descamps Henri, 1930, L’architecture moderne au Maroc, I- Edifices publics, Edition librairie de la construction moderne, Paris, Planche n°37 A.
Plusieurs spécificités, novatrices, distinguent le plan de l’Hôtel de Ville, de Casablanca. Ces caractéristiques se décèlent, essentiellement, au niveau de l’aménagement intérieur. Le parcours de l’usager est très bien étudié. En effet, lors de son immersion, dans l’espace, par les patios et les dégagements centraux, l’usager ne peut être mêlé, au mouvement des bureaux municipaux. La trajectoire de circulation des employés se fait, généralement, à l’extérieur, en bordure de chaque étage. Ces passages sont aménagés, sous forme de loggias qui, de par leur rôle esthétique, protègent les espaces intérieurs, des intempéries et des rayons du soleil.

Source : D., 1931, « Le nouvel hôtel de ville de Casablanca », In chantiers nord africains, n° 25, p. 69-80.
Cette morpho-structure s’organise autour de deux entités. La plus grande superficie abrite les locaux de l’Hôtel de Ville, avec tout ce qu’elle induit, comme sous-fonctions. La deuxième partie se joint à la façade postérieure, comprend les locaux de la recette municipale. Le rez-de-chaussée abrite les services administratifs, consacrés, essentiellement, au public. Les sous-fonctions, se trouvant aux étages supérieurs, sont dédiés à une tranche d’usagers, plus spécifique.

Source : Cliché de l’auteur.

La morpho-structure des façades s’organise autour d’un ensemble de formes emboîtées. Une allure verticale, ressemblant à un minaret, domine l’architecture, il s’agit d’une tour horloge. Cette forme, détournée de sa fonction initiale, a été implanté afin d’apporter une touche arabe. Elle est de style marocain, inspirée des tours de surveillance, des édifices militaires. Cette constatation se concrétise, par la loggia, implantée à son extrémité. Sa hauteur totale avoisine les 65 mètres, elle a été placée, de sorte qu’elle soit perceptible, depuis les grandes agglomérations. Les ouvertures des façades sont délimitées, par la pierre beige de travertin. Toutefois, la teinte la plus dominante réside dans le blanc de l’enduit.

Source : Cliché de l’auteur.
Ces deux productions sont les preuves, les plus indéniables, que l’Hôtel de Ville de Sfax
a servi de modèle constructif, pour le développement de l’architecture maghrébine. Nous
pouvons même, considérer que cette production porte toute une logique d’organisation spatiale,
reproduite totalement ou partiellement.
Au niveau urbain, un jardin s’additionne, à ces deux productions afin d’octroyer, à
l’entrée principale, une allure plus pittoresque. L’implantation des sous-fonctions suit une
logique d’organisation similaire, à celle de l’Hôtel de Ville de Sfax. En effet, l’étage, en plainpied, abrite les services, dédiés au public et dispose de plusieurs entrées indépendantes. Les
grandes salles sont ancrées, en avant-corps du bâtiment, desservi par l’accès, le plus imposant,
en termes d’ossature et d’ornementation. Les étages supérieurs sont consacrés, essentiellement,
aux activités du maire et à ses collaborateurs.
Ainsi, ces trois productions suivent une logique d’organisation similaire. Les activités,
à forte concentration humaine, se condensent au niveau du rez-de-chaussée. Tandis que les
étages supérieurs sont dédiés à une tranche d’usagers, plus modérée. Cette distribution vise à
fluidifier le parcours, au sein de l’espace, tout en évitant aux bureaux de direction, les chahuts
provoqués, par le mouvement de foule. Les couloirs et les dégagements sont les unités
substantielles, qui relient les différents sous-espaces. Leur forme oblongue facilite l’action
d’orientation et de repérage, facteur essentiel à l’appropriation de l’espace.
Le degré d’ornementation des sous-espaces varie selon la nature, de leurs sous-fonctions.
Les grandes salles demeurent les endroits, les plus richement décorés et cela, en référence à
l’architecture vernaculaire du pays ou en fonction du mouvement architectural, émergeant à
cette époque. Nous pouvons prendre, à titre d’exemple, la salle des fêtes, de l’Hôtel de Ville,
de Casablanca, où toutes les parois sont revêtues de bois noble, avec une utilisation modérée,
de la céramique émaillée. Cette allure sobre est d’inspiration « art déco ».
Les façades regorgent d’éléments architectoniques et décoratifs, empruntés au mouvement
mauresque. Comme les arcs outrepassés, qui rythment les accès des façades et les pierres
décoratives, qui cernent les ouvertures. Mais, le minaret reste l’élément plastique, le plus
original, que les architectes français ont additionné, à leurs édifices civils afin d’apporter une
allure arabe.
Conclusion
Durant le protectorat français, la Tunisie a permis la naissance de nouvelles formes
architecturales, de modèles stylistiques, ornementaux et structurels, provenant des deux rives
de la Méditerranée. L’Hôtel de Ville de Sfax constitue l’une des premières synthèses, de cette
innovation architecturale. Le fait qu’il dispose d’une dimension historique, fait de lui, un édifice
intéressant, influençant, même, la conception des édifices adjacents, comme c’est le cas du
palais Ben ROMDHANE.
L’Hôtel de Ville de Sfax a permis l’émergence d’une approche conceptuelle nouvelle,
qui a vraisemblablement impacté, de façon effective et directe, le travail des architectes
français, œuvrant au-delà des frontières tunisiennes. Cette influence s’est traduite, par la
naissance d’une nouvelle approche d’organisation spatiale, conçue avec plus de rationalité. Ces
architectes ont essayé, au fur et à mesure des expériences, d’étudier davantage, les besoins
spécifiques, de chaque type d’usager. Cela se manifeste par la centralisation des fonctions,
dédiées aux citoyens et l’aménagement des entrées indépendantes, menant directement à ces
unités.
La morpho-structure des plans s’imprègne du contexte local. Cela se manifeste par la
présence du patio. Il est utilisé, tantôt comme un élément de distribution, tantôt comme une
entité architecturale, à part entière. Le principe d’organisation de la partie utilitaire, dite de
service, a évolué d’une production à une autre. Cette logique s’est mutée, en un aménagement
plus rationnel, qui vise à améliorer les déplacements des usagers. Désormais, les services dédiés
au public, s’organisent autour de box ou de guichets. Les façades se résument à des formes
monolithiques, dépouillées de toute ornementation superflue, généralement délimitées en
hauteur, par un placage de pierre décorative. Les architectes français, œuvrant au Maghreb, ont
mis en place, une nouvelle approche constructive, où la fonctionnalité de l’espace prime sur la
décoration.
La morpho-structure des plans s’imprègne du contexte local. Cela se manifeste par la
présence du patio. Il est utilisé, tantôt comme un élément de distribution, tantôt comme une
entité architecturale, à part entière. Le principe d’organisation de la partie utilitaire, dite de
service, a évolué d’une production à une autre. Cette logique s’est mutée, en un aménagement
plus rationnel, qui vise à améliorer les déplacements des usagers. Désormais, les services dédiés
au public, s’organisent autour de box ou de guichets. Les façades se résument à des formes
monolithiques, dépouillées de toute ornementation superflue, généralement délimitées en
hauteur, par un placage de pierre décorative. Les architectes français, œuvrant au Maghreb, ont
mis en place, une nouvelle approche constructive, où la fonctionnalité de l’espace prime sur la
décoration.
L’apogée de l’expérience coloniale se concentre au Maroc. Du fait qu’il est le dernier
pays à passer sous la mainmise de la France, il a bénéficié des expériences algériennes et
tunisiennes. Cela se manifeste au niveau urbain et architectural. Désormais, plusieurs bâtiments
administratifs se concentrent en une seule place, où l’Hôtel de Ville occupe un emplacement
stratégique. Au niveau de l’organisation spatiale, chaque type d’usager a son propre parcours,
lui permettant un gain de temps. A cet effet, nous pouvons supposer que l’architecte a eu recours
à la co-conception. Cette approche permet de faire participer l’usager cible, à la production
finale. Ainsi, il devient, à la fois, consommateur et créateur du produit. La ligne d’arabisance a
évolué, d’une expression plus épurée et riche, en volumétrie intérieure. Les éléments
architecturaux, tel le minaret, ne sont plus utilisés, comme des pastiches. Désormais, leur
morpho-structure se résume à des tracés, plus modernes. Malgré toutes les retombées négatives,
dues à la colonisation française, cette période constitue une époque florissante, au niveau
architectural et urbain. Les transformations, induites par cette domination, constituent, de fait,
un exemple d’innovation.
Cette étude de l’Hôtel de ville a démontré qu’une production architecturale et spatiale,
appartenant à une époque, bien précise, de l’Histoire de la Tunisie, a pu influencer des
concepteurs français de l’époque, mais plus encore, cela a démontré que le contexte social,
culturel, religieux, économique et politique a constitué une richesse inestimable, de même qu’il
a impacté les productions spatiales, désormais témoin irréfutable, d’une époque, oh combien
tumultueuse.
