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13| 2022

Mégrine coteaux, de la cité fleurie à la ville dépareillée

Ferjani Saloua

Résumé

Le centre de colonisation de Mégrine ou la cité fleurie de « Mégrine coteaux » illustre un exemple singulier de symbiose entre la ville et la nature où la verdure parsème les espaces privés et les espaces publics, les voies structurantes et les zones de servitudes. Cet article tente d’identifier la singularité de cet établissement humain du point de vue du cadre urbain, architectural et paysager.

Dans un premier temps, nous nous efforcerons de retracer l’évolution ainsi que l’ascension de la ville de Mégrine au rang de commune en 1948. Nous nous attarderons également sur l’histoire de cette même ville de la période post-indépendance jusqu’à de nos jours. Nous porterons une attention particulière sur l’importance du végétal dans la ville en rapport avec la répartition géographique, la nature, la qualité urbaine, paysagère, sa fréquentation et son appropriation par la population.

Dans un second temps, l’article s’interrogera sur le devenir de la ville de Mégrine. En effet, la ville subit aujourd’hui un phénomène de densification non maitrisé. Une forte pression foncière, à laquelle s’ajoute un processus de changement de vocation, de morcellement et d’élévation des étages, risque d’altérer le Patrimoine architectural, urbain et paysager de la ville et par là même d’estomper son « identité ».

Ce constat nous amène à nous questionner sur les nouveaux enjeux de la ville de Mégrine. En effet, comment pourrait-elle faire face aux défis de densification simultanément à ceux de la préservation de ses caractéristiques et singularités urbaine, architecturale et paysagère ? Comment sera-t-elle en mesure de requalifier ses espaces verts en vue d’une meilleure insertion urbaine et sociale ? Qui sont les acteurs potentiels et quels rôles pourraient –ils jouer afin de renforcer l’attraction de cette ville et son développement durable et inclusif ?

Mots clés

Cité fleurie, nature, paysage, identité, qualité de vie, développement durable.

Abstract

The Megrine colonization center or the flowered city of “Megrine Coteaux” illustrates a singular example of symbiosis between the city and nature where greenery dotted private and public spaces, structured roads and easement area. First, this article seeks to identify the uniqueness of this center from an urban, architectural and landscape perspective. It tries to retrace its evolution and its rise to the rank of commune in 1948 as well as its future after the Independence or even nowadays. It dwells on the importance of plants in the city according to geographical distribution, nature, urban and landscape quality, attendance and appropriation by the population.

Then, the article raises questions about the future of Megrine city facing an uncontrolled densification policy: the strong demand for land, the process of changing vocation, the fragmentation and raising of floors. All this risks altering the urban and natural heritage of the city and blurring its identity. What could be the new challenges of Megrine city? How could it encounter the challenges of densification and preservation of its urban, architectural and natural authenticity? How does it rehabilitate its green spaces for better urban and social integration? Who are the potential actors and which roles could they play to strengthen the attraction of this city and its sustainable and inclusive development?

Keywords

flowered city, nature, landscape, identity, quality of life, sustainable development.

الملخّص

تعتبر المدينة المزهرة"Mégrine Coteaux" مثالًا فريدًا للتّعايش بين المدينة والطّبيعة حيث طغت الخضرة الفضاءات الخاصّة والعامّة والطرقات المهيكلة ومناطق الارتفاقات. في البداية، يسعى هذا المقال إلى تحديد تفرّد هذه المدينة من منظور حضري ومعماري ومناظر طبيعيّة. وسيحاول تتبّع تطوّرها وصعودها إلى مرتبة البلديّة عام 1948 وكذلك مستقبلها بعد فترة الاستقلال أو حتّى في الفترة الحاليّة. كما يدقّق في أهمّية النّباتات في المدينة من وجهة نظر التّوزيع الجغرافي والطّبيعة وجودة المناطق الحضريّة والمناظر الطبيعيّة والحضور والتّمتع بها من قبل السّكان.

بعد ذلك، يطرح هذا المقال تساؤلا حول مستقبل مدينة مقرين في مواجهة سياسة تكثيف غير منضبطة. ففي مواجهة الطّلب القويّ والدّائم على العقار، قد تؤدّي عمليّة تغيير صبغة الأراضي وتجزئة المقاسم ورفع الطّوابق إلى تغيير التّراث العمراني والطبيعي للمدينة وتشويه هويّتها. ماذا يمكن أن تكون التحدّيات الجديدة لمدينة مقرين؟ كيف يمكنها مواجهة تحدّيات التّكثيف والحفاظ على أصالتها الحضريّة والمعماريّة والطبيعيّة؟ كيف تعيد تأهيل مساحاتها الخضراء من أجل تكامل حضري واجتماعي أفضل؟ من هم الفاعلون المحتملون وما هي الأدوار التي يمكن أن يلعبوها لتعزيز جاذبيّة هذه المدينة وتنميتها المستدامة والشاملة؟

الكلمات المفاتيح

مدينة مزهرة، طبيعة، مشهد، هويّة، تنمية مستدامة.

Pour citer cet article

Ferjani Saloua, « Mégrine coteaux, de la cité fleurie à la ville dépareillée », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°13, Année 2022.

URL : https://al-sabil.tn/?p=7797

Texte integral

Introduction

À la crise du vivre ensemble s’ajoutent, depuis quelques décennies, les fortes préoccupations environnementales et écologiques ou thématiques de la ville-nature faisant écho aux transformations inouïes dans les façons d’appréhender les rapports entre ville et campagne mais également entre l’homme et son milieu. L’expression de ville-nature associe des termes qu’il n’est pas habituel de rapprocher ; elle renvoie à des déplacements de plusieurs types, depuis la gestion de la présence physique de la nature en ville jusqu’aux changements paradigmatiques opérés en particulier avec Hans Jonas qui a insisté sur le principe de responsabilité, Michel Serres sur le contrat naturel, Augustin Berque avec l’écoumène et Peter Sloterdijk à propos de la biosophie.

Les espaces verts dans la ville révèlent des aspects multiples : réserves naturelles, parcs historiques et contemporains, parcours de santé, squares et jardins publics, … Ils constituent des sites protégés pour leur valeur biologique exceptionnelle ou particulière. Ils contribuent à la qualité de vie des habitants. Ils apportent de nombreux bénéfices à des fonctions sociales, économiques, environnementales ou même de santé (Chiesura, 2004). La nature, notamment en milieu urbain, apporte également de nombreux services à l’écosystème : rafraîchissement, perméabilisation des sols, biodiversité, qui ont un impact bénéfique sur la santé des habitants.

Le centre de colonisation de Mégrine a été édifié par l’administration coloniale en 1925 dans le cadre de renforcement de la présence des Français en Tunisie. Le quartier tel qu’il a été conçu et réalisé révèle un grand souci d’intégration au site et du bien-être de ses habitants. La verdure dominait le nouveau site à travers l’étendue et la diversité des formes d’espaces verts que l’on retrouve dans les propriétés privées, le long des voies publiques, dans les espaces de servitude des routes et des voies ferrées ainsi que dans les jardins publics et dans les zones « naturelles ».

Le présent article tente de comprendre l’importance de la nature dans la planification et dans la gestion de la ville pendant la période coloniale. Il tentera d’expliquer comment l’administration coloniale a réservé pendant une période cruciale (celle de l’entre-deux guerres) autant d’espace et de budget pour aménager la cité fleurie de Mégrine. Il essayera de comprendre les enjeux des acteurs qui sont intervenus dans la mise en place d’une ville singulière dans la banlieue sud de Tunis.

Puis, il cherchera à expliquer comment le premier noyau urbain « Mégrine Coteaux » a pu influencer la configuration du reste des secteurs de la ville notamment en matière du ratio d’espace vert et de qualité de vie des habitants.

Enfin, il abordera l’état des lieux des espaces verts dans la ville de Mégrine durant la période contemporaine, leur rôle dans la préservation de l’identité de la ville et le développement de son urbanité.

1. La nature en ville pendant la période du Protectorat en Tunisie

Pendant la première période du protectorat en Tunisie, les aspects urbains et paysagers de la ville ont été fortement adoptés par l’administration municipale. A cet effet, plusieurs règlements ont été mis en place en vue d’étendre la ville tout en assurant l’hygiène et le bien-être à ses habitants. Parmi ces instruments, nous évoquons particulièrement la règlementation des jardins, squares et plantations (1886), le règlement de voirie (1889), les mesures d’ordre et de police sur l’espace public (1895) et le règlement sanitaire (1908)1.

La règlementation des jardins était approuvée par décret en date du 23 mars 1886 et correspondait à la première phase de plantation des principaux axes routiers de la ville : Jules Ferry, avenues de Paris et de Carthage. Ce décret apportait une innovation capitale dans la reconfiguration du paysage urbain tunisien avec l’introduction de la verdure dans les espaces extérieurs urbains. Il encourageait la plantation et la sauvegarde de toutes les espèces végétales, en interdisant de nuire aux arbres plantés sur les trottoirs et aux promenades publiques. Il interdisait d’enlever sur les trottoirs, sur les places et promenades publiques, du sable ou de la terre, de dégrader barrières, bancs, poteaux, bornes, candélabres, lanternes et autres objets établis pour la sûreté et l’utilité publique. Puis, fut promulgué, le 10 juin 1895, l’arrêté municipal relatif à la Police des squares qui précisait les horaires d’ouverture des squares et proscrivait leur dégradation ou leur mauvaise fréquentation (interdiction de déposer ou de jeter des ordures tant sur les chemins que dans les massifs et pelouses, de se coucher sur les bancs, de laisser entrer des mendiants, vagabonds, ambulants, des gens ivres, des enfants de moins de dix ans lorsqu’ils ne sont pas accompagnés, des chiens non tenus,… 2.

C’est ainsi que se confirmait davantage les nouvelles préoccupations des services municipaux de la ville de Tunis pour embellir la ville et améliorer l’hygiène, en la dotant d’une trame verte qui lui procurait plus de charme, de l’ombre et de la fraicheur. Malgré de nombreuses difficultés liées à un climat chaud et aride, avec une faible pluviométrie, une qualité médiocre du sol marécageux (notamment dans la ville basse), la Municipalité de Tunis a procédé à la plantation des arbres d’alignement, à l’aménagement des places publiques, des squares, et à la création de son premier parc urbain « le Belvédère ». En 1892 et dans le cadre de son plan vert, la Municipalité de Tunis a planté près de 2500 arbres d’alignement. Ce nombre a atteint 6000 en 1914 puis 7000 en 1931 répartis sur 21 kilomètres de rues. Au-delà de l’avenue Jules Ferry et ses quatre rangées de Ficus, toutes les avenues ayant au moins 15m de large ont été plantées avec des espèces végétales très diversifiées (les grevillea, ses chênes-verts et ses faux poivriers sur l’avenue de Paris, les jacarandas le long de l’avenue de Paris, les palmiers sur l’avenue Stephen Pichon…)3.

Aussitôt, se sont multipliées les cités jardins4, modèle de vie alternatif assurant une véritable cohérence sociale et représentant le creuset d'une incontestable amélioration du cadre de vie. Dans les cités jardins, l’usage du végétal répond à des préoccupations hygiénistes, ainsi que sociales, économiques et esthétiques. La végétation devient un élément structurant majeur de l’urbanisme associant des parcs centraux, des ceintures vertes et des vergers, des voies généreusement plantées et bien entendu des jardins. Ces nouvelles configurations urbaines accordent beaucoup de soin et d’importance au végétal dans la ville, à travers la taille des lots et des proportions de leurs jardins privés, la largeur des voiries et leur plantation et la multiplication des squares5. Pour des raisons purement hygiéniques, les plus belles cités jardins de Tunis se sont concentrées aux abords du parc du Belvédère, à l’instar de ceux du Belvédère supérieur, France ville, Mutuelle ville, beau-site, sans soucis6,… Puis, cette logique de ville ou de quartier-jardin s’est extériorisée vers les banlieues de Tunis à l’instar des premiers noyaux urbains de la Marsa, de Carthage et de la Goulette au Nord et de Mégrine, de Radès, de Saint Germain et de Hammam-Lif au Sud. Le centre de colonisation de Mégrine-Coteaux : La naissance d’une cité fleurie7 créé au début du XXe siècle constitue l’une des plus remarquables réalisations de ces cités jardins en Tunisie.

1.1. Du domaine au lotissement de Mégrine-Coteaux

Le domaine de Mégrine se situe à cinq kilomètres de Tunis, il couvre 350ha et jouit de beaucoup de privilèges, à savoir la disponibilité foncière, sa desserte par la route du grand parcours (GP1), la ligne de voie ferrée et sa vue dégagée sur le golfe de Tunis. Le site apparait comme un petit coteau planté de vignes au sommet duquel s’érigeait une villa mauresque connue sous le nom de château de Mégrine8.

Dans le courant de l’année 1925, l’administration coloniale, préoccupée par la crise du logement qui sévissait déjà dans la capitale, a jeté son dévolu sur cette belle propriété pour la lotir au profit des hauts dirigeants français. Par conséquent, le domaine de Mégrine a fait l’objet d’un lotissement de 350 lots urbains et de 118 lots suburbains9. Les attributaires de ce lotissement bénéficient d’une superficie de terrain leur permettant de construire une maison entourée d’un grand jardin avec la possibilité de concéder en le morcelant des parcelles de vignoble qui entouraient le domaine. Aussitôt, 250 villas ont été construites, nichées dans la verdure, les roses et les bougainvilliers.

Les acquéreurs de 118 lots sub-urbains étaient à l’époque liés par des obligations analogues à celles prévues pour les lots de colonisation. Ils étaient donc obligés d’occuper la parcelle avec leurs familles et de payer le prix du terrain sur vingt annuités10. Pour les lots urbains avec jardin, l’obligation de construire était dans un délai d’un an pour une villa de 25.000fr. De plus, l’exiguïté des voiries du lotissement ne dépassant pas six mètres de largeur, a fait que les acquéreurs étaient tenus de céder gratuitement une servitude de deux mètres au profit de l’État. Il s’agissait d’une réserve foncière facilitant les travaux d’exécution ou d’entretien du réseau d’alimentation d’eau potable du lotissement11.

Fig. 1. Plan du lotissement urbain de Mégrine Coteaux eche:1/2000 .
Source : Mégrine hier et aujourd’hui.

Quelques années plus tard, Mégrine Coteaux fut presqu’entièrement habitée par des fonctionnaires ou des retraités français qui ont pris en charge, d’une manière personnelle, l’aménagement de leurs parcelles de terrain ainsi que la viabilisation du quartier avec leur propre style et moyens financiers. De coquettes villas se sont multipliées sur les deux pentes de deux versants de la colline offrant des vues dégagées, sur la plaine de Mornag d’un côté et sur le golfe de Tunis de l’autre. Les unes étaient construites avec des terrasses blanches dans un style arabisant, d’autres prenaient des allures de pavillons normands avec leurs toitures en tuiles. Toutes étaient entourées de jardins, cachées dans la verdure ou agrémentées de parterres fleuris, elles étaient particulièrement soignées et propres. Un résultat si convaincant a du nécessiter des efforts communs sous le signe d’une union librement consentie de tous les propriétaires regroupés autour d’un objectif commun, celui de l’amélioration et de l’embellissement de leur centre. Cette union a été concrétisée sous la forme particulière d’une association syndicale dont les statuts furent approuvés par le Gouvernement du Protectorat.

Fig. 2. Vue générale sur Mégrine Coteaux.
Source : Photo de l’auteur, novembre 2021.
Fig. 3. Villas enfouies dans la verdure.
Source : Photo de l’auteur, novembre 2021.

1.2. L’Association Syndicale des Propriétaires acteur principal dans le développement de Mégrine Coteaux

Le plus souvent, les centres urbains ayant le statut de commune étaient dirigés par un Caid-gouverneur et par un Vice-Président français en collaboration avec un conseil municipal composé de français et de tunisiens nommés par le Gouvernement. Pour les petits centres n’ayant pas l’importance suffisante pour être érigés en commune, ils étaient incorporés dans une nouvelle structure récemment créée : la commune rurale. Dans ce cadre, il avait semblé aux propriétaires français de Mégrine Coteaux que, ni l’un ni l’autre de ces organismes administratifs ne leur donnerait satisfaction pour atteindre leur objectif ni de gérer leur centre selon leurs aspirations. C’est ainsi que, forts de leur union, ils ont librement formé une association syndicale dont ils ont élu le Conseil d’administration et le Directeur. Bien que les Pouvoirs publics ne les aient pas doté des moyens administratifs et financiers, la premiere préoccupation de l’association fut l’aménagement des moyens d’accès au lotissement. Le centre de Mégrine comptait douze kilomètres de routes dont deux principales se raccordaient au réseau principal reliant Mégrine à la capitale. Les aménagements électriques ont été largement prévus aussi bien pour l’éclairage public que pour les installations domestiques. L’eau de Zaghouan était amenée au centre par une canalisation spéciale qui desservait tous les immeubles12.

En dépit de ses moyens limités, l’Association syndicale de Mégrine a réalisé, en dix ans (1929-1939), une œuvre édilitaire remarquable: installation d'un réseau public et privé, des rues asphaltées, adduction d’eau potable, aménagement d’un parc de plusieurs hectares, terrains de jeux et de sports, un immeuble public doté d'une salle des fêtes et d’une église13.

Mais, en raison du déclenchement de la deuxième guerre mondiale en 1939, l’État supprime son soutien financier à l’association, qui continue difficilement à répondre aux besoins des habitants du quartier. Les taxes syndicales qu’elle reçoit de ses adhérents suffisent à peine à couvrir les travaux de nettoiement et d’éclairage public. Malgré les conditions relativement contraignantes de la période de l’entre-deux guerres, l’Association syndicale des propriétaires de Mégrine s'applique à donner vie au centre de Mégrine-Coteaux, en y intégrant de nouveaux équipements publics14 et en programmant des activités culturelles et des concerts au profit de sa communauté à dominance française.

Fig. 4. Population de Mégrine Coteaux entre 1931 et 1936.
Source : Paul Sebag. Tunis, histoire d’une ville.

Dans une seconde étape, l’association a exigé des propriétaires de planter sur deux monticules des quantités de pins et d’eucalyptus et bien d’autres espèces végétales qui, en peu de temps, ont fourni beaucoup d’ombre au centre et ont pu retenir par leur racines, le sol en déclivité. Du sommet de ces monticules, l’oeil embrasse un magnifique panorama sur le golfe, et la banlieue Nord de Tunis notamment Carthage et Sidi BouSaid. Au sein du grand parc et au pied de ces monticules, se trouvaient les terrains de jeux et de sport, trois courts de tennis, un terrain de jeu de boules et un terrain gazonné pour les amateurs de football. Assez loin de Mégrine Coteaux, l’association a également choisi l’emplacement d’un cimetière au profit de la communauté chrétienne de Mégrine et procédé à son aménagement.

2. Morphologie urbaine et espaces verts à Mégrine Coteaux

2.1. Morphologie urbaine

La topographie de Mégrine coteaux a été déterminante dans la configuration de la morphologie urbaine du quartier. En effet, le tracé a suivi les lignes de crête de la colline et a dégagé trois plateformes, la plus basse étant au niveau de la voie ferrée et se retrouve également au niveau de l’aire sportive. La voie intermédiaire culmine à une altitude de dix à douze mètres et coincide avec l’implantation de certains équipements tels que la Recette des Finances et la salle des fêtes. La plus haute altitude à Mégrine Coteaux se situe à 31m et correspond au niveau de l’implantation des édifices symboliques du quartier, à savoir l’église, la cave à vin et le château de Mégrine reconverti en école primaire en 193115.

Fig. 5. Cadre physique et topographique de la commune de Mégrine.
Source : AUGT16.
Fig. 6. Coupe topographique sur la ville de Mégrine.
Source : Nesrine Ayari. Mémoire d’architecture 2015-2016.

Les trois plateformes de Mégrine Coteaux se rejoignent soit par des voies en pente raide (10 à 15%) soit par six somptueux escaliers, éléments identitaires, symboliques et repères dans la ville. L’emplacement de ces escaliers est loin d’être fortuit, bien au contraire, il cherche à affirmer le souci de l’aménageur de faciliter le déplacement à pied des habitants afin de rejoindre les équipements et les services dans le quartier. Quatre escaliers mettent en relation les villas avec les terrains de tennis, le parcours de santé et les terrains de sports. Les deux autres desservent la Recette des Finances et la Gare. Avec le temps, les escaliers de Megrine se sont transformés en espaces de festivités et d’ambiance nocturne animés par les groupes de Musique.

Fig. 7. Les escaliers de Mégrine.
Source : Photo de l’auteur Novembre 2021.

2.2. Les typologies d’espaces verts et de plantations à Mégrine Coteaux

Comme cela a été souligné plus haut, le tracé des voiries du lotissement de Mégrine coteaux a épousé la forme et la topographie du site, et l’orientation des parcelles et du bâti a été déterminée en fonction des vues dégagées et du paysage donnant sur la baie de Tunis. La plupart des lots d’habitation est dotée de grandes superficies, qui varient de 2500 à 4000 m², sur lesquelles se sont implantées de jolies maisons avec de grands jardins permettant de continuer la culture de la vigne. Toutefois, cette dernière n’a pas persisté et l’on observe aujourd’hui qu’elle a été supplantée par celle des arbres fruitiers ou forestiers. Les voies, le plus souvent de forme curviligne sont bordées par des arbres et sont parfois ponctuées de jardins publics.

2.2.1. Les jardins privés à Mégrine coteaux

Les espaces verts à Mégrine Coteaux sont nombreux : ils dominent les espaces résidentiels et les lieux publics. Le caractère du quartier a fait que les habitations sont implantées dans une grande toile de verdure. Quel que soit le style, maisons avec toitures en tuiles, Modernes, Art déco, Art nouveau, arabisantes ou contemporaines, les villas contrastent avec leurs jardins, espaces vastes, richement plantés, parfois ornés de mobilier extérieur d’une grande valeur esthétique et symbolique.

Fig. 8. Détail d’aménagement du jardin d’une villa sur la rue Mohamed Ali Hammi, Mégrine.
Source : AMIS 2018.

2.2.2. Les jardins publics

Dans l’ancien Plan de lotissement « Mégrine Coteaux », se trouvait un seul square qui correspondait à la parcelle 173 d’une superficie de 66659m² (l’actuelle zone verte sportive). Il était délimité par quatre voies : le boulevard d’Alsace Lorraine côté Est (lac), le boulevard de Provence côté Ouest, rue Nivernais côté Nord et le passage de Bourbounais côté Sud. Ce dernier correspondait à un escalier qui reliait les deux plateformes de Mégrine.

Le Plan de lotissement mentionne également une petite réserve sous forme d’un petit carrefour de forme triangulaire d’une superficie de 2000m² de surface, connu sous le nom du square du soldat inconnu. Il fait face à l’actuelle école secondaire privée El Amel et à l’école primaire privée le Prévert. Il est délimité par un muret d’un mètre de hauteur et renferme deux petites allées d’un mètre de largeur. Le square est planté mais ne renferme aucun mobilier urbain susceptible d’attirer le grand nombre des élèves qui fréquentent le quartier.

Fig. 9. Situation de deux squares sur le Plan de lotissement de Mégrine Coteaux.
Source : Archives Municipales de Mégrine.

En revanche, dans la délimitation actuelle du secteur de Mégrine Coteaux, on retrouve quatre autres jardins publics. Le premier se situe dans la rue de Sfax : il a une forme rectangulaire et s’étend sur une superficie de 2250m². Il est aménagé et comporte des allées et une végétation variée. Le deuxième se situe devant l’école primaire Mégrine Coteaux et sa superficie est de 9734 m². Il est affecté en espace vert équipé selon le PAU de Mégrine mais il se présente sous forme d’un délaissé de terrain clôturé et non planté. Le troisième se situe sur l’avenue principale de Mégrine, face à l’agence bancaire de l’UBCI. C’est un grand jardin public de 3000m² de surface, aménagé avec une allée en boucle et comportant une végétation assez dense, sans mobilier urbain. Le dernier jardin public de Mégrine Coteaux se situe en face du lycée pilote et s’étend sur une superficie de 1900m². Il est planté, aménagé avec deux allées parallèles et délimité par un muret d’un mètre de hauteur.

Fig. 10. Répartition des espaces verts dans le lotissement Megrine Coteaux.
Source : Elaboration personnelle.

2.2.3. Les arbres d’alignement

Toutes les voies de Mégrine coteaux sont plantées par des espèces variées, des arbres d’alignement qui offrent beaucoup de fraîcheur et une ambiance particulière dans la ville. La plupart ornées par une double rangée d’arbres d’alignement à l’exception de celles à largeur réduite où est implantée une seule rangée. En plus de leur rôle d’embellissement, certains arbres dont la Melia (Lilas des Indes) ont été exploités par l’Association syndicale des propriétaires pour des essais de laboratoires en vue d’extraction des huiles17.

Fig. 11. Richesse des espèces végétales des arbres d'alignement à Megrine.
Source : photos de l’auteur. Novembre 2021.

2.2.4. Les friches vertes à Mégrine coteaux

La ligne ferroviaire Tunis – Hammam-Lif est ouverte en 1882, elle est construite et gérée par la Compagnie des chemins de fer Bône-Guelma. Mégrine n’était qu’une halte, et la station ne sera construite qu’en 1931, date à laquelle les demandes de la population croissante du village de Mégrine-Côteaux ont fait entendre leur voix à la Compagnie fermière des chemins de fer tunisiens, qui exploitait cette ligne depuis 1923. La station est construite dans un style néo-mauresque (arabisant) semblable à celles de la ligne T.G.M. Une horloge est placée dans la station en 1933. Elle fut rasée dans les années 1990. La nouvelle station plus grande sera remplacée à son tour dans les années 2010 lors de l’électrification de la ligne A du RFR (Tunis -Borj Cedria). Tout le long, la voie ferrée est bordée de bandes d’espaces verts dont la largeur varie selon les endroits. Elles sont souvent plus larges au niveau des stations et des passages piétons.

2.2.5. L’aire sportive de Mégrine coteaux

L’aire sportive est située au centre de Mégrine Coteaux sur l’emplacement du premier square du quartier. Il s’agit d’un terrain en déclivité à double sens, partagé entre une zone naturelle et un ensemble d’équipements socio-collectifs à caractère sportif : un terrain de foot avec deux terrains d’entrainement, trois courts de Tennis, un terrain de Basquet et un terrain de boules. Apres l’indépendance, la commune de Megrine a greffé à cet emplacement la Maison des jeunes de Mégrine Coteaux, la salle couverte ainsi que des locaux au profit d’activités associatives (SCOOT..).

L’aire sportive comporte également un parcours de santé qui se présente comme un espace naturel boisé et aménagé pour des activités sportives de marche et de détente. Sa surface est de l’ordre de deux hectares et se caractérise par une topographie très variée. Le parcours de santé comporte de grands arbres mais assez peu de mobilier urbain (quelques panneaux de signalisation ou d’activités physiques). Il est géré par la Municipalité depuis 2006.

Fig. 12. Détails d’aménagement de l’aire sportive de Mégrine Coteaux .
Source : Nesrine Ayari.
Fig. 13. Terrains de Tennis de Mégrine.
Source : Photo personnelle 2021.
Fig. 14. L’entrée du parcours de santé.
Source : Photo personnelle 2018.

3. Les espaces verts dans la commune de Mégrine dans la période actuelle : Répartition spatiale, caractéristiques urbaines et architecturales.

3.1. Évolution de la commune de Mégrine

Quelques années après la création du centre de colonisation de Mégrine Coteaux, un deuxième noyau « Mégrine Lescure » a été édifié en 1930 dans le cadre d’un lotissement de la société HBM18. Il s’étend sur 70ha et se situe à proximité du chemin de fer et de la zone industrielle. Ce lotissement prenait la forme d’un tracé orthogonal avec quatre diagonales qui se croisaient au niveau d’un grand jardin public. L’ensemble du lotissement est jalonné par des équipements de proximité et de services publics. La fusion de Mégrine historique et de la cité Lescure (actuellement appelé Mégrine Riadh) a permis la création de la Municipalité de Mégrine en date du 1er juillet 1948 par décret beylical (fonctionnement à partir du 1er janvier 1949)19. Aussitôt, un troisième noyau urbain s’est constitué avec le temps aux environs de Mégrine coteaux et prenait un caractère plus modeste avec des parcelles à superficie réduite. Le développement de ce quartier « Mégrine Chaker » a été amorcé dès 1952, il s’est accentué après l’indépendance avec l’intervention de la SNIT20.

À l’extrémité orientale de la ville, un autre lotissement est créé en 1953 sur l’une des collines de Mégrine, culminant à 25 mètres au-dessus du niveau de la mer, jusque-là épargnée par le phénomène d’extension urbaine. Il porte le nom de MEGRINE LES ROSES ou SIDI REZIG. Dans ce nouveau quartier, les villas se caractérisent par une unité architecturale s’inscrivant dans le courant moderniste. Après l'indépendance (1960-1980), l’extension de ce quartier a été assurée par la Société nationale immobilière de Tunisie (SNIT). Dans l’ensemble, le quartier Sidi Rezig se distingue par sa forme urbaine, par sa faible densité mais surtout par la prédominance de la verdure, que l’on retrouve sur toutes les voies publiques ainsi que sur ses clôtures.

Fig. 15. Evolution urbaine de la ville de Mégrine en 1953.
Source : Carte du District de Tunis (AUGT).

3.2. Les espaces verts dans la commune de Mégrine

Actuellement Megrine est une commune assez distinguée de la banlieue sud. Elle est constituée de cinq secteurs Mégrine Coteaux, Mégrine Riadh, cité jawhara, cité Chaker et Sidi Rezig. Elle s’étend sur 900 ha et compte 27290 Habitants en 201721. La surface verte dans la commune toutes catégories confondues est de 50170 m²22. Or, ces espaces verts sont répartis de façon inégale dans la ville, ils prennent des allures différentes et des caractéristiques urbaines, architecturales et paysagères disparates. D’après le recensement de la Municipalité, la commune renferme 29 espaces verts sous forme d’un parcours de santé, d’un complexe sportif, d’espaces verts de proximité, de friches tout le long des voies urbaines, de la voie ferrée ainsi qu’aux limites de la ville (Sidi Rezig et zone industrielle côté Jebel Jelloud).

Les espaces verts à Mégrine Riadh sont au nombre de deux : le jardin central qui se trouve à l’intersection de tous les axes structurants du quartier et devant l’école primaire (la plus ancienne de la ville, implantée en 1905) et un second jardin à la périphérie du quartier, à proximité de la voie ferrée, face à l’usine Coca Cola. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est ainsi nommé par les habitants : square Coca Cola et ce depuis qu’il a été réaménagé par le groupe industriel de proximité. Le terrain de sport du quartier peut également être considéré comme étant un espace vert et participe à la purification de l’air, à l’embellissement du quartier ainsi qu’à son animation.

A cité Chaker, les espaces verts sont au nombre de sept et se caractérisent par leurs surfaces relativement réduites et par un aménagement assez modeste. Force est de constater que trois d’entre eux se présentent sous forme d’un délaissé de terrain sans aménagement particulier. Désormais, quatre espaces verts sont plantés et se caractérisent par la diversité et la densité de verdure. Tandis qu’à la Cité Jawhara, les espaces verts sont au nombre de cinq répartis dans des quartiers résidentiels. Ils sont tous plantés mais ne comportent aucun mobilier urbain.

A Sidi Rezig, on dénombre un square central, deux terrains naturels aux environs de l’école primaire Raboua sous forme de friches et l’axe principal de l’entrée du quartier avec un aménagement paysagé au sol et deux rangées de palmiers.

Fig. 16. Répartition des espaces verts dans la commune de Mégrine.

4. Pratiques et usages des espaces verts à Mégrine

En plus de leur rôle environnemental, d’abaissement de la température et de réduction de la pollution, de leur rôle hygiénique en rapport avec la santé et le bien-être des habitants, les espaces verts en ville ont un rôle social et culturel. Ils favorisent la sociabilité et permettent plus de cohésion et de relations sociales. Selon des études récentes (Aggeri, G. 2010), (Pierre Donadieu, 2013), (Torre, A. et Bourdeau-Lepage, L. 2013), (GAILLARD Emilie, 2020), les villes ayant davantage d’espaces verts favorisent davantage la cohésion et les liens sociaux. En effet, ils constituent des points de rencontre permettant de partager et de créer des liens entre les habitants. En outre, les espaces verts influencent positivement le comportement des habitants. Les parcs urbains encouragent et renforcent les relations de voisinage. Ils consolident les liens communautaires et favorisent un sentiment d’identité envers la communauté. Puis, au-delà des besoins matériels, les espaces verts répondent aux aspirations conscientes ou inconscientes, les plus profondes et les plus subtiles de la population. Ils s’inscrivent dans la ligne de la symbolique, l’imaginaire et la sensibilité esthétique ; c’est en cela qu’existe « l’art des jardins » qui fait des espaces verts la contrepartie idéalisée des conditions de vie au milieu urbain23.

Qu’en est-il à Mégrine aujourd’hui ? Qu’est ce qui encourage ou décourage les gens à fréquenter les espaces verts de Mégrine ? Comment ces lieux participent-ils à l’amélioration du cadre de vie des habitants ? Comment peuvent-ils être structurants et inclusifs ?

4.1. Réticence ou appropriation des espaces verts à Mégrine

Pour répondre à ces questions, nous avons effectué, en Août 2021, une enquête quantitative sous forme d’un questionnaire auquel ont participé une soixante de personnes (15 hommes et 45 femmes d’âge variant entre 17 et 73ans. 57.7% des enquêtés habitent à Mégrine Coteaux dont 65.4% sont des propriétaires habitant des villas. Le tiers des enquêtés confirme qu’il fréquente les espaces verts uniquement pour des activités physiques. Il précise que le cadre naturel et la verdure sont abondants à Mégrine mais que les jardins publics sont dépourvus de mobiliers urbains et d’aménagements pour enfants ou autre, ce qui décourage les familles ou les personnes âgées à y aller. Concernant la marche, les deux tiers des enquêtés confirment qu’ils ne font la marche qu’aux alentours de la zone sportive et du parcours de santé car sur les grands axes, la marche devient contraignante et risquée à cause de l’étroitesse des trottoirs et de leur occupation par les voitures et les terrasses des cafés et restaurants.

Il est évident que le nombre des personnes enquêtées est loin d’être représentatif de la population mégrinoise, alors pour plus de fiabilité dans les résultats, nous avons élaboré, le 2 septembre 2021, une rencontre de trois heures avec une dizaine de personnes, de sexe, d’âge et de profil différents. Lors de ce petit débat sur les espaces verts dans la ville de Mégrine, nous avons posé quelques questions aux présents et nous leur avons donné le temps de réagir et de s’exprimer. Le dépouillement des résultats de l’enquête et le compte rendu du débat n’a pas apporté de réponses fermes à nos interrogations, mais il a soulevé d’autres problématiques. D’abord, nous avons pu constater que la réticence du tunisien pour la fréquentation des parcs et des jardins publics est un phénomène général et ne semble pas être une spécificité des mégrinois. D’ailleurs elle est constatée dans la plupart des villes tunisiennes. Ce qui nous amène à nous questionner sur le rapport du tunisien avec l’espace vert et la verdure en général. S’agit-il d’un problème d’aménagement ou plutôt d’un phénomène culturel et de mode de vie?

Fig. 17. Quelques résultats de l’enquête quantitative effectuée à Mégrine en Août 2021.

De plus, la qualité des espaces verts à savoir, leur aménagement, leur entretien et leur sécurité constituent des éléments clés pour une bonne ou mauvaise fréquentation de la population. D’ailleurs, la majorité des enquêtés a confirmé que leur ville est bien équipée en espaces verts, mais que l’aménagement de ces lieux et leur mode de gestion les démotivent et les empêchent de les fréquenter d’une manière régulière. Ainsi, l’absence presque totale de mobilier urbain pour se reposer, jouer ou pratiquer du sport décourage les usagers potentiels, de même que le manque d’éclairage public, de caméras de surveillance procure en eux un sentiment d’insécurité. Ces propos ont été confirmés pour deux jardins publics qui ont été aménagés par l’Association de Mégrine pour l’Innovation et la Sauvegarde (AMIS) à travers l’installation de mobilier urbain et l’aménagement d’une aire de jeux pour enfants. Or, tout a été enlevé et détérioré deux jours après. Ce qui nous amène à nous demander qui sont les intervenants dans la bonne ou la mauvaise pratique des espaces verts dans la ville ?

Enfin, la multiplicité des espaces verts anonymes, monotones, sans caractère et sans fonction particulière est loin d’être une opportunité pour établir de nouvelles relations avec l’autre ou entretenir celles qui existent. Les salons de thé et les cafés demeurent les lieux privilégiés pour les jeunes pour se rencontrer, échanger et se divertir. Les salles de sport et les terrains de privés drainent également une population abondante en fin de journée et pendant le weekend, au détriment du parcours de santé ou du bois souvent vides tous les deux. Comment réinsérer les espaces verts dans le quotidien des habitants de Mégrine ? Comment les transformer en lieux d’inclusion, de vie et de partage ? Qui sont les acteurs qui peuvent contribuer à ces objectifs ? Par quel moyen et moyennant quelle démarche ?

4.2. Les acteurs urbains

Il est évident que la Municipalité est la première responsable de la mise en place des espaces verts dans la ville mais loin d’être l’unique. En effet, c’est elle qui les crée, qui confirme leur vocation dans le plan d’aménagement urbain, c’est également elle qui les plante et assure leur entretien et veille à leur propreté. A cet effet, et pour l’entretien et l’aménagement des espaces verts, la Municipalité de Mégrine réserve un budget annuel de 88MD (PAI 2018), 90MD (PAI 2019), 150 MD (cimetière) 250 MD (PAI 2020). Notons que dans son programme de l’année 2021, la Municipalité a lancé un 2e Appel d’Offre ayant pour objet les travaux de création des zones vertes pour la 2ème fois. La date limite d’envoi des offres a été fixée pour le 6 Août 2021, ce qui correspond d’ailleurs à la date d’ouverture des plis et à la désignation d’un mandataire. Or, aucune suite n’a été donnée à cet appel d’offre infructueux étant donné que personne n’a répondu à cet appel dans les délais fixés. La Municipalité, indifférente, s’oriente vers d’autres priorités, laissant les jardins et le parcours de santé sans aménagement approprié, sans mobilier urbain, voire dans des conditions peu sécurisantes pour les usagers.

Par ailleurs, il existe d’autres intervenants : les citoyens, la société civile et les acteurs privés qui jouissent de la bonne image dont bénéficie la ville de Mégrine, de la qualité de son cadre urbain, architectural et paysager, ainsi que de ses équipements éducatifs et ses services de renommée. En contrepartie, ils ne s’engagent pas suffisamment pour sa propreté, son bon fonctionnement ni encore pour son développement. Les acteurs privés sont nombreux à Mégrine, ils regroupent essentiellement des industriels (80 unités industrielles24) qui jouissent de la proximité des grands axes routiers, de la voie ferrée, de l’aéroport, du port de Rades, des services publics de la ville sans pour autant s’intéresser à améliorer son cadre urbain et paysager. Mégrine est également devenue depuis une dizaine d’année la première destination des écoles privées dans la zone sud. On dénombre six écoles primaires, trois collèges privés, un lycée privé et une école supérieure privée. La ville attire également les commerces de luxe, les restaurants, les cafés et les salons de thé qui d’une part, renforcent l’attractivité de la ville mais d’autre part, causent des problèmes sérieux d’embouteillage, de circulation, de stationnement et de pollution. En plus de plusieurs faveurs, ces acteurs, jouissent des terrasses en exploitant parfois la totalité des trottoirs poussant les piétons à marcher souvent sur la chaussée.

4.3. Les nouveaux enjeux de développement de la ville de Mégrine

Aujourd’hui, Mégrine, ex-cité fleurie, est devenue une ville congestionnée, dépareillée et où l’on marche difficilement. Malgré le nombre et la répartition des espaces verts tout le long de son périmètre communal, la ville est en train de perdre son identité verte. Son attractivité actuelle est plutôt due au nombre de restaurants et de salons de thé, concentrés tout le long de son axe principal. Une telle mutation a engendré une forte spéculation foncière poussant les anciens propriétaires à sacrifier leurs petites maisonnettes et leurs beaux jardins au profit des immeubles de bureaux ou d’habitation qui s’alignent sur la voie publique sans aucun souci d’arborer les rues ni d’opter pour des façades ou des terrasses végétalisées.

Si la densification de la ville de Mégrine s’impose compte tenu d’une forte demande et d’une pénurie de réserves foncières, des mesures d’accompagnement devraient être prises par la Municipalité en concertation avec la population. Il s’agit d’adopter une vision stratégique pour un développement harmonieux et inclusif de la ville. Il y a lieu également d’accompagner le morcellement des lots individuels afin de conserver une architecture authentique et un rapport à la nature spécifique. Les jardins anonymes de Mégrine qui ressemblent plus à un décor urbain, peuvent éventuellement se transformer en lieux de vie et de partage pour les mégrinois en se transformant en jardins thématiques en fonction de leur potentiel urbain et paysager (pépinière, jardin artistique, volières, jardins partagés, …).

Les promoteurs qui ont investi ou veulent investir à Mégrine devraient être conscients de la préservation de son cachet en tant que ville verte ou ville jardin, qui est le seul moyen de leur plus-value foncière. Ainsi, ils sont appelés à planter davantage au sol, sur les façades ou en terrasses qui servent de puits de dépollution. En effet, pour chaque toit vert de 100 m2, le gaz responsable de l’effet de serre est réduit à 1,8 tonne par an. De plus, l’installation de 100 m2 de toit vert au-dessus des bâtiments peut produire l’oxygène nécessaire à 100 personnes par an. Désormais, la poussière polluante émise par 15 voitures par an peut être éliminée par 100 m2 de toit vert, car les feuilles des plantes de toit vert retiennent ces particules nocives à leur surface. De plus, les espaces verts en général peuvent réduire la température ambiante des villes à 1 °C, diminuant ainsi l’îlot de chaleur urbain et, par conséquent, le smog nocif des villes25.

A travers ces actions multiples et diversifiées, la société civile à Mégrine peut contribuer à une meilleure conscience collective de l’enjeu environnemental de leur ville. En s’orientant davantage vers la pratique de l’agriculture urbaine et du jardinage, la société civile peut aider le citoyen mégrinois à retrouver son bonheur, à atteindre une meilleure qualité de vie et à réaliser son engouement pour les espaces naturels ou naturalisés servant de lieux pour la détente ou la pratique de loisirs à l’image de l’expérience du Prinzessinnengärten près de Moritzplatz à Berlin26. Ainsi, à travers les démarches entreprises (programmation d’événements de sensibilisation, accompagnement des écoliers, concertation et journée d’études, …) la société civile constitue un garant pour la préservation du cachet architectural et paysager de Mégrine, et représente un partenaire incontournable pour son futur développement.

Conclusion

Le développement de la nature en ville répond à des impératifs d’adaptation des territoires aux changements climatiques. Il correspond aussi à une demande croissante des citoyens (ou habitants), de plus en plus conscients des bienfaits qu’elle leur apporte : embellissement du cadre de vie, agriculture urbaine, espaces récréatifs et propices à la biodiversité. Pour les centres anciens, s’ajoutent d’autres préoccupations d’ordre identitaire, patrimonial et en rapport avec l’histoire du lieu. Mégrine Coteaux est un quartier emblématique de la banlieue sud de Tunis, bien qu’il ait été créé dans la période de l’entre-deux guerres. Il illustre le soin accordé à la nature, à la qualité de vie et au bien-être des habitants. Sa forme urbaine, ses détails d’aménagement et le génie du lieu sont autant d’éléments qui permettent de lui accorder la dénomination : de « ville verte » et « ville résiliente », nouveaux concepts en vogue de nos jours.

L’aspect quantitatif des espaces verts à Mégrine coteaux a pu apporter, avec le temps, une certaine richesse et une singularité par rapport aux villes voisines. En effet, pendant la période coloniale et jusqu’aux premières années de l’Indépendance voire à la période contemporaine, la commune de Mégrine a su conserver son caractère de ville jardin à travers la préservation des espaces verts anciens et la multiplicité d’autres dans les quartiers nouvellement aménagés.

Bien qu’actuellement les espaces verts de Mégrine soient nombreux, diversifiés, aménagés et plantés, leur aspect qualitatif reste lacunaire. Ces lieux censés être des lieux de vie, de partage et de convivialité n’ont pas réussi à attirer les habitants ni à les intéresser. Bien au contraire, ces derniers continuent à exprimer une certaine indifférence à l’égard des multiples agressions qui s’y déroulent. Les espaces verts ont donné certes une plus-value à la ville, qui devient de plus en plus attractive pour les futurs habitants et les promoteurs immobiliers privés. La densification du tissu architectural de Mégrine Coteaux (le morcellement successif des lots et la transformation des anciennes demeures en immeubles de quatre niveaux) est aujourd’hui un état de fait devant une demande ascendante du foncier. Cela n’empêche pas la Municipalité de mettre en place une véritable stratégie de sauvegarde de son territoire authentique dont la végétation en fait partie.

Il est évident que le succès d’une telle ville peut être renforcé si l’aspect qualitatif de ses espaces verts est révisé. En effet, au-delà du ratio (surface d’espace vert en m2 par rapport au nombre d’habitant) exigé dans la règlementation urbaine, ces lieux peuvent se transformer en lieux de vie, de sociabilité et d’inclusion. La société civile et les habitants de Megrine peuvent être des acteurs décisifs dans cette optique en s’impliquant d’avantage dans le réaménagement des jardins publics. L’injection des activités ludiques, de jardinage ou d’agriculture urbaine renforcent certainement leur attachement et leur appropriation à ces espaces. Par leur détermination, la société civile et les habitants de Megrine peuvent même impliquer les acteurs institutionnels et les investisseurs privés à promouvoir la ville, à préserver son identité verte et à mettre en œuvre une politique urbaine durable exigée de nos jours dans toute forme de développement urbain.

Notes

1 A.N.T., M5, Cart. 11, D. 493.
2 En 1961, la Municipalité de Tunis a entrepris le prolongement des polices des squares par le Code des espaces verts de la ville de Tunis. Il s’agit d’un arrêté du Président de la Municipalité en date du 17 août 1961 en vue de renforcer rigoureusement les mesures de protection et de conservation des espaces verts dans la ville de Tunis. (Code des espaces verts, A.N.T., M5, Cart.11, D.493.)
3 G. ELOY. La ville de Tunis, à l'exposition coloniale internationale de 1931, p. 44.
4 Les cités jardins en tant que concepts autonomes remontent à la fin du dix-neuvième siècle, 1898 précisément, date de la publication de la fameuse monographie de Ebenezer Howard intitulée Tomorrow, a Peaceful Path to Real reform (Demain, la voie pacifique vers une réforme effective) qui fut éditée en 1903 sous le titre de Garden Cities of tomorrow titre qu'elle a gardé depuis.
5 Les cités jardins étaient assimilés à des laboratoires de mouvement moderne en Belgique.
6 Samia Ammar, p.108.
7 La Cité Fleurie est un ensemble d’une trentaine d’ateliers construits en 1878. Ses matériaux proviennent du pavillon de l’Alimentation construit par Hunebelle à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris. La cité est constituée de deux rangées d’ateliers à pans de bois mitoyens séparées par un charmant jardin. Source : Langlois (Gilles-Antoine), Guide du promeneur 13e arrondissement, Paris, Parigramme, 1996 .
8 Tunisie illustrée en date du 18.4.1936.
9 J.O.R.T du 16 septembre 1925 et du 30 janvier 1926.
10 J.O.R.T du 16 septembre 1925.
11 Lettre adressée au Président de l’Association syndicale des propriétaires de Mégrine Coteaux en date du 14 octobre 1941. Source : Archives Municipales de Mégrine.
12 Tunisie illustrée 18.4.1936.
13 Saloua Ferjani, « Le centre de colonisation de Mégrine de 1924 à nos jours, Disparités spatiales et spécificités architecturales ». As-sabil. N°4 – 2017.
14 La dépêche tunisienne 5.7.1952.
15 ANT. E.272.4.
16 AUGT. Agence Urbaine du Grand Tunis (ex-District de Tunis).
17 Lettre adressée par la direction des affaires économiques (service des huiles) en date du 4 octobre 1941. Source archives de la Municipalité de Megrine.
18 Sebag Paul. p. 55.
19 ANT. E.180. 39.
20 Saloua FERJANI, « Le centre de colonisation de Mégrine de 1924 à nos jours Disparités spatiales et spécificités architecturales ». Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°4, année 2017.
21 Gouvernorat de Ben Arous en chiffre. Année 2017.
22 D’après un dénombrement fait par la Municipalité dans le cadre de son projet de programme annuel d’investissement (PAI 2021).
23 Pierre Merlin et Françoise Choay. p. 361.
24 Gouvernorat de Ben Arous en chiffres. Année 2017.
25 https://www.urbanespora.es/fr/5-raisons-de-creer-des-espaces-verts-urbains/
26 Jean-Jacques Terrin. p. 33.

Bibliographie

Sources d’archives

A.N.T., M5, Cart.11, D. 493.

ANT. E, Cart.180, D.39.

ANT. E, Cart.272, D.4

Les Archives municipales de Megrine : dossier du Syndicat des propriétaires

L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. 1931-01-10 (BNF).

L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. 1931-12-19 (BNF)

L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. 1935-05-18 (BNF).

L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. 1935-07-13 (BNF).

L'Afrique du Nord illustrée : journal hebdomadaire d'actualités nord-africaines : Algérie, Tunisie, Maroc. 1936-04-18.

Documentations

AMMAR Samia, 2019, Les cités d’habitations à bon marché le début de l’habitat social à Tunis sous le Protectorat, Tunis.CPU-LAAM.

Ebenzer Howard, 1998, : Les cités-jardins de demain, Sens et Tonka.

FERJANI Saloua, 2017, « Le centre de colonisation de Megrine de 1924 à nos jours Disparités spatiales et spécificités architecturales ». Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°4, année 2017.
http://www.al-sabil.tn/wp-content/uploads/2018/06/N4_Ferjani-Saloua.pdf

FERJANI Saloua, 2020, «Le Parc du Belvédère : de l’hygiène à l’embellissement de la ville de Tunis», Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’architecture maghrébines [En ligne], n°10, année 2020.URL : http://www.al-sabil.tn/?p=7488.

G. ELOY, 1931,La ville de Tunis, à l'exposition coloniale internationale de 1931.

Gilles-Antoine Langlois, 1996, « Le guide du promeneur : 13è arrondissement », Front Cover. Parigramme, Paris.

Jean-Jacques Terrin (S/D) avec la collaboration de Jean-Baptiste Marie, 2013,Jardins en ville villes en jardin, Parenthèse.

MEDFAI Ahmed, ABDELKEFI Ahmed et GHARSALLAH Jilani, 1987, Megrine, hier et aujourd’hui, Société d’Arts graphiques d’Edition et de Presse, Tunis.

Pierre Merlin et Francoise Choay (1988), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Presses Universitaires de France.

SEBAG Paul, 1998, Tunis, Histoire d’une ville, L’Harmattan, Tunis.

Auteur

Ferjani Saloua

Maître-assistante, ENAU- Université de Carthage.

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