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13 | 2022

Les jardins des palais de Tunis durant le règne husseinite.
Etude du cas de reconversion en parc public du jardin de Ksar Essaâda

Sondès Zaier

Résumé

En Tunisie, il y a eu aménagement de plusieurs jardins durant le règne husseinite (1705- 1957). En effet, les périodes de prospérité qu’a connue la Tunisie sous certains beys husseinites ont permis d’enrichir la capitale et ses environs de palais entourés de vastes jardins. Plusieurs chroniqueurs et voyageurs, qui avaient eu l’occasion de visiter ces jardins, décrivaient la grandeur et la majesté de ces œuvres.

L’étude de ces jardins nous a permis de ressortir leurs principaux traits, de dégager leur importance dans la vie des beys et de les classer, en fonction de leurs rôles et leurs organisations, en trois types.

L’objet de l’article est de faire les principaux traits différentiels des jardins et de mettre en exergue le rapport des beys à la nature et à leur lieu d’implantation. Il s’agit ensuite de montrer dans quelle mesure ces jardins constituent aujourd’hui des lieux de mémoire collective à travers l’étude détaillée du parc de Ksar Essaâda à La Marsa. Autrefois appelé Borj Ettabib, cette propriété qui appartenait à Bach Hamba et qui est passée à la possession de plusieurs beys husseinites, est considérée comme une des plus belles propriétés de la banlieue nord avec ses jardins étendus et son style architectural unique. Le palais entouré de son jardin est aujourd’hui ouvert au public.

Nous avons cherché à savoir si ce projet de réaménagement des jardins est plutôt conservateur ou innovateur, s’il s’agit là d’une manière de renouer avec la sauvegarde d’un patrimoine qui retrace la mémoire, ou plutôt d’une bonne initiative qui a permis à la population de La Marsa de disposer, au sein de sa ville, d’un espace de loisirs qu’elle a longtemps appelé de ses vœux. Il s’agit de considérer le jardin comme un des témoins de l’histoire et de saisir les spécificités en matière d’art des jardins en Tunisie pendant le règne husseinite.

Mots clés

jardin historique, règne husseinite, restauration, parc urbain, palais de plaisance.

Abstract

In Tunisia, several gardens were developed during the Husseinite reign (1705-1957). Indeed, the periods of prosperity that Tunisia experienced under certain Husseinite beys made it possible to enrich the capital and its surroundings with palaces surrounded by vast gardens. Several chroniclers and travelers who had had the opportunity to visit these gardens described the grandeur and majesty of these works.

The study of these gardens has enabled us to highlight their main features, to identify their importance in the life of the beys and to classify them into three types.

The purpose of the article is to highlight the main features of the garden and to highlight the relationship of the beys to nature and to their location. The next step is to show to what extent these gardens today constitute places of collective memory through a detailed study of Ksar Essaâda's garden in La Marsa. Built in 1912 by the fifteenth bey of the Husseinite dynasty, the palace surrounded by its garden is now open to the public.

We sought to know if this project is rather conservative or innovative, if it is a way of reconnecting with the safeguard of a heritage which retraces the memory, or rather of a good initiative which allowed to the population of La Marsa to have, within their city, a leisure space that they have long called for.

It is a question of considering the garden as one of the witnesses of human history and of capturing Husseinite Tunisia in its garden.

Keywords

historic garden, Husseinite reign, restoration, urban park, pleasure palace.

الملخّص

في تونس، تم تطوير العديد من الحدائق في عهد الحسينيين (1705-1957). وبالفعل، فإن فترات الازدهار التي مرت بها تونس في ظل حكم البايات جعلت من الممكن إثراء العاصمة ومحيطها بقصور محاطة بحدائق شاسعة. وصف العديد من المؤرخين والمسافرين الذين أتيحت لهم الفرصة لزيارة هذه الحدائق عظمة وجلال هذه الأعمال.

لقد مكنتنا دراسة هذه الحدائق من إبراز سماتها الرئيسية والتعرف على أهميتها وتصنيفها إلى ثلاثة أنواع.

الغرض من المقال هو تسليط الضوء على السمات الرئيسية للحديقة وإبراز علاقة البايات بالطبيعة. تتمثل الخطوة التالية في إظهار إلى أي مدى تشكل هذه الحدائق اليوم أماكن للذاكرة الجماعية من خلال دراسة مفصلة لحديقة قصر السعادة في المرسى. عرف القصر وحديقته تاريخا زاخرا بالأحداث و التغييرات أدت الى فتح حديقته للعموم بعد تصميمها كمنتزه حضري.

لقد سعينا إلى معرفة ما إذا كان هذا المشروع محافظًا أو مبتكرًا إلى حد ما، إذا كان وسيلة لإعادة الاتصال مع حماية التراث الذي يسترجع الذاكرة، أو بالأحرى مبادرة جيدة تسمح لسكان المرسى بكسب مساحة عامة ترفيهية لطالما طالبوا بها.

إنها مسألة اعتبار الحديقة أحد شهود التاريخ وقراءة تونس الحسينية عبر حدائقها.

الكلمات المفاتيح

حديقة تاريخية ، عهد الحسينيين ، ترميم ، حديقة ، قصر الترفيه.

Pour citer cet article

Sondès Zaier, « Les jardins des palais de Tunis durant le règne husseinite. Etude du cas de reconversion en parc public du jardin de Ksar Essaâda», Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°13, Année 2022.

URL : https://al-sabil.tn/?p=14674

Texte integral

Introduction

À l’époque husseinite (1705-1957), la plupart des beys habitaient les campagnes pour leurs séjours de villégiature. La construction à l’époque de demeures et palais de plaisance fut l’occasion de l’aménagement de plusieurs jardins et permit la diffusion des techniques et des savoirs relatifs à l’art des jardins et à l’architecture. Les jardins apparaissaient dans un premier temps dans l’enceinte des palais des beys et se propageaient chez les dignitaires et les bourgeois de l’époque. Bien que conçu à des siècles différents, ces jardins témoignent de la diffusion des motifs fondamentaux du jardin des élites et de l’insertion des jardins de cette époque dans leur site, notamment du rapport au paysage à travers les traces écrites mais également en nous fondant sur les témoins vivants.

L’objet de cet article est d’étudier les jardins aménagés durant le règne husseinite et de montrer en quoi ils furent le lieu de l’expression d’un certain rapport à la nature. Nous essaierons d’en donner un aperçu général, de faire ressortir les principaux traits qui les caractérisent puis de dégager leur importance dans la vie des beys et de les classer en plusieurs types1. Nous tenterons ensuite de comprendre, à travers l’étude du cas particulier de Ksar Essaâda (la Marsa), dans quelle mesure ces jardins peuvent représenter aujourd’hui des lieux de mémoire. Le choix de Ksar Essaâda est lié à son état de conservation, il s’agit là d’un jardin qui porte d’abord la trace de ce qu’il a été au passé mais également, qui a été ouvert au public en tant que parc de loisir pour répondre à de nouveaux besoins.

1. Contexte historique de la naissance des jardins de campagne

1.1. Le règne husseinite

La dynastie husseinite a régné sur la Tunisie durant plus de deux siècles, de 1705 à 1957 même si son rôle durant le Protectorat (1884-1956) fut plus symbolique que réellement politique, elle aura marqué les paysages tunisiens d’une façon sensible et encore très perceptible aujourd’hui. Les beys husseinites se révélèrent, en effet, de grands bâtisseurs, et la médina et ses faubourgs en ont conservé le témoignage jusqu’à nos jours2. Ils avaient doté la Tunisie de nouvelles constructions et de monuments remarquables. Comme le rapporte le chroniqueur Mohamed Seghir Ben Youssef, des palais en nombre incalculable furent construits dans la campagne, ce qui ne s’était pas vu aux époques précédentes, même sous les sultans hafsides3. Sous les husseinites, il y a eu un élan urbanistique qui mit en œuvre la construction de palais majestueux, essentiellement à Tunis et dans sa banlieue.

Autour de ces palais, les beys avaient fait aménager de grands jardins.

Fig. 1. Gravure datant du début du XVIIIe. Coloré par Antoine Aveline (ayant vécu entre 1691-1743).
Source : Collection photos de Mohamed Bannani.

1.2. Les palais et demeures de plaisances des beys

Dès les débuts de leur règne, les beys accordèrent une grande importance à l’environnement des lieux où ils vivaient, ce qui les conduisit, chacun à leur tour, à construire de beaux édifices entourés de grands jardins. Les relations avec les Ottomans, l’Italie et la France, contribuèrent à l’enrichissement de leurs œuvres, ce qui donna naissance à différents styles architecturaux et paysagers. L’assimilation progressive des héritages culturels ainsi que les influences stylistiques croisées imprégnèrent de nombreuses créations de jardins. Nous avons tenté d’en retracer l’histoire en nous appuyant sur les écrits des chroniqueurs, sur les récits des voyageurs et sur les vestiges de certains de ces jardins. Nous avons tenté ainsi d’élaborer l’esquisse de leur image, à travers le rôle de leurs propriétaires successifs.

Les voyageurs et botanistes Desfontaines et Peyssonnel, qui avaient eu l’occasion, au XVIIIe siècle, de visiter les jardins beylicaux, se sont attachés à les décrire dans leurs récits. Ils rapportent que le bey possédait plusieurs maisons de campagne et des plus jolis jardins signalés par une haie végétale4. Certains jardins possédaient de longues perspectives convergeant parfois vers un bassin, une fontaine, un arbre ou un kiosque, où le bey pouvait se reposer. D’autres, clôturés par des murs, étaient munis d’un grand bassin d’eau central et d’un pavillon. Les arbres fruitiers constituaient l’élément commun de tous ces jardins. Plus tard, plusieurs autres voyageurs vont laisser, dans leurs notes de voyages, des témoignages sur les jardins de Tunis. De leurs descriptions, des traits communs apparaissent : un tracé simple, un double rangé d’arbres majestueux marquant l’entrée du palais, un puits et une jābia5 aménagés dans un verger, des kiosques destinés au repos et à la contemplation, ainsi que des fontaines alimentées par l’eau d’un grand bassin. L’organisation et l’agencement de ces composantes nous a permis de les classer en trois types principaux.

Fig. 2. Ouverture de l’architecture sur les jardins.
Source : Collection particulière, vues de Tunis entre 1904 et 1914.

2. Les jardins des domaines beylicaux

2.1. Typologie

     a- Les vergers : swani

La sānia (verger), souvent présente autour des palais beylicaux, était divisée en plusieurs parcelles de forme carrée ou rectangulaire et elle entourait le palais sur trois côtés. Elle était souvent composée des essences suivantes : olivier, palmier, citronnier, grenadier, mûrier, amandier, sans oublier l’araucaria qui est devenu, à partir du XIXe siècle, l’arbre typique des maisons de plaisance husseinite6.

L’oranger restait, cependant, l’arbre le plus répandu dans la sānia. Les orangers furent plantés dans toutes les résidences princières des environs de Tunis. Ils étaient très appréciés comme arbres d’agrément et pour la multitude des bienfaits qu’ils procuraient notamment le goût de leurs fruits et l’odeur de leurs fleurs. L’eau extraite de ces fleurs comptait parmi les cadeaux que le bey faisait envoyer à la cour du roi de France7.

Autour de la dernière résidence beylicale, construite par un prince husseinite à la Marsa, et appelée Dar Et-Tāj8, se trouvait un grand verger d’oranger. Érigé sur une propriété de Bach Hamba, ce palais fut agrandi et embelli par M’hamed Bey9 (1855- 1859) qui fut le premier à choisir la Marsa comme résidence permanente.

Henry Dunant, qui a visité Dar Et-Tāj au milieu du XIXe siècle, explique que dans le parc attenant à cette résidence princière se trouvaient des jardins d’orangers entourés de haies épaisses de gigantesques géraniums10. Le voyageur français Amable Crappelet l’avait décrit comme un grand jardin où foisonnaient les arbres fruitiers et les plantes ornementales11.

     b- Les jardins avec perspectives

Certains jardins possédaient de longues perspectives convergeant parfois vers un bassin, une fontaine, un arbre ou un kiosque où le bey pouvait se reposer. Ces jardins étaient clôturés par des murs, et comportaient aussi en leur centre un grand bassin d’eau avec un pavillon. Les perspectives étaient renforcées par un double alignement d’arbres, comme dans le jardin de Ksar El-Warda (le palais de La Rose). Ce palais, construit en 1798, était la maison de campagne de Hammouda Bacha (1782-1814)12. Dans le jardin attenant à cette résidence, les arbres étaient utilisés pour souligner et accentuer les lignes et les axes principaux et surtout pour constituer un verger.

L’entrée de Ksar El-Warda était marquée par une double rangée de cyprès, comme dans la plupart des autres palais beylicaux édifiés aux environs de Tunis. À l’intérieur du patio, il y avait un grand bassin central, avec des vasques, qui fut plus tard remplacé par un jardin.

Autour du palais s’étendait un grand verger rempli d’arbres fruitiers. Le bey recevait amis et familiers dans un pavillon qui se trouvait au milieu de cette sānia et qui était un lieu propice à la méditation et au repos. Trois des faces murées de ce pavillon étaient autrefois garnies de vitraux et de fenêtres s’ouvrant sur la campagne13.

Les kiosques permettaient ainsi au bey de profiter d’une vue sur ses vergers et, au-delà, sur la campagne environnante. La vue était guidée par les perspectives.

Fig. 3. Le jardin du palais de La Rose à La Manouba.
Source : Photo in Fief du premier bataillon, 1920, p. 2.

     c- Les jardins clos

Clôturés par des murs ou par des haies végétales, ces jardins étaient le lieu intime où les beys pouvaient se reposer et se divertir.

Les jardins clos étaient eux-mêmes de deux types :

      - Les premiers s’ouvrait sur la campagne par l’intermédiaire de portes et de fenêtres, vue sur l’extérieur ne se faisait pas à partir du jardin mais à travers les ouvertures du borj 14.

       - Les jardins du deuxième type s’ouvraient sur la campagne par l’intermédiaire d’un autre jardin, la sānia. Ce type de jardin divisé en deux parties, une première privée et intime servant uniquement au divertissement du bey et de son harem, et une autre, extérieure, entourant le palais et plantée d’arbres fruitiers, était très répandu à la Manouba. C’est le cas notamment de borj Kobbet En-Nahas15, construit à l’époque de M’hamed Rachid Bey (1756-1759)16. Les jardins de ce palais se divisaient en deux parties, un jardin rarement ouvert (jnina) et un grand verger. Ainsi, le patio central du palais donnait sur cette jnina qui s’ouvrait, à son tour, sur la sānia, par le biais de deux portes.

Fig. 4. Vue à partir de la fenêtre dominant la jnina.
Fig. 5. La jnina de borj kobbet en-nahas17.
Fig. 6. L’ancien verger d’orangers : la sãnia au-delà du bassin se trouve la porte qui s’ouvre sur la sãnia.
Source : photos de l’auteur

De forme carrée, la jnina était entourée de hauts murs servant de clôture. Ses dimensions, les éléments dont il était composé, ainsi que sa structure, garantissaient l’intimité du lieu. L’élément le plus important de ce jardin était le bassin qui en occupait le centre ; ce plan d’eau servait de miroir dans lequel se reflétait le borj. Il servait aussi aux distractions nautiques du harem beylical.

2.2. Rôle du jardin husseinite

Le jardin husseinite constituait un lieu mystérieux révélateur de symboles culturels et religieux. Son style ne dépendait pas seulement de la personnalité des beys et du goût de leur cour, mais également de la nature du lieu occupé.

Le rôle que jouaient les jardins dans la vie des beys semble se rattacher à l’image d’un lieu de délices, reposant et enchanteur, un jardin associé au palais et où se trouvaient des arbres chargés de fruits entre lesquels circulait l’eau, dans des canaux à ciel ouvert (swaqui).

Dans le jardin, chaque élément assurait une fonction utilitaire et/ou esthétique. Ainsi, l’eau permettait à la fois d’irriguer les plantes, de rafraîchir l’espace et de l’agrémenter. Le murmure de l’eau et les chants des oiseaux y avaient leur place autant que l’orchestre du Bey (Tabbel El Bacha) qui venait chaque matin jouer des mélodies. Le jardin était donc, selon les circonstances, un lieu de repos, un lieu d’animation ou le théâtre de manifestations musicales.

Les animaux y avaient aussi leur place ; Henry Dunant18 mentionnait la présence, dans celui de M’hamed Bey à la Marsa, d’oiseaux rares et de gazelles qui se promenaient librement. Plus tard, des zoos seront aménagés dans les jardins, comme celui du palais En-Naceur Bey à Sidi Bou Saïd. Les kiosques étaient placés soit au milieu du jardin, parfois de manière symétrique comme on le voit dans la sānia de Taieb Bey (voir Fig.17), soit autour d’un point d’eau comme c’est le cas de sānia de Ahmed Chalabi19. Ils accueillaient le bey et son harem20 ou ses hôtes et étaient des lieux de repos et de contemplation. Les beys pouvaient y jouir d’une vue étendue sur toute la campagne environnante. Ils établissaient donc une relation visuelle entre le palais et le paysage alentour.

Ces constructions, en tant que composantes indispensables du jardin, inspiraient les voyageurs et les écrivains qui s’attardaient surtout sur l’opulence de la décoration et l’ingéniosité de leurs plans. Pour Mohamed El Aziz Ben Achour, le plus beau spécimen est celui du Prince Taïeb Bey, fils de Hussein II. « Ce joyau de l’architecture tunisoise de plaisance », dit-il, « reprend le schéma andalou du lieu de détente édifié à partir d’une pièce d’eau, construit au-dessus d’un puits et surplombant un bassin d’irrigation»21.

À la majesté des palais et à l’élégance du décor intérieur répondaient alors la luxuriance et la fraîcheur des jardins.

Fig. 7. Plan du jardin et du palais Taieb Bey à la Marsa, 1911.

2.3. Identité et modèles d’inspiration : entre Orient et Occident

Les conditions géographiques, socioculturelles et économiques avaient considérablement varié durant la période du règne de la dynastie husseinite. La situation était, au départ, relativement stable et florissante, surtout à partir du règne du troisième bey. Cette prospérité favorisa l’extension des arts et se concrétisa par la construction de plusieurs palais au milieu de vastes jardins. Les sciences et les arts s’épanouissaient au sein de ces constructions. L’architecture et la décoration, fruits d’une synthèse d’éléments appartenant à différentes cultures (romaine, persane, arabo-musulmane, orientale, occidentale, andalouse, maghrébine, turque, etc.), y fleurissaient aussi.

L’âge d’or de la période husseinite fut celui du règne de Hammouda Bacha (1782-1814). « Avec lui, la Manouba se transforma en une forte jolie agglomération de palais, de villas et de maisons de plaisance »22. Dans Ksar El-Warda à savoir le plan général, le parc, la cour avec ses portiques, ses vasques et son grand bassin central, les chapiteaux d’un style très pur, les revêtements en céramique, rappellent en effet, de façon indubitable, l’époque hafside (XIVe et XVe siècle)23. L’abondance des arbres fruitiers, les allées ombragées de mûriers, de cyprès ou de palmiers, ainsi que la présence d’un grand bassin dominé par un kiosque, étaient des éléments communs aux jardins hafsides tels qu’ils avaient été décrits par Ibn Khaldoun24 : « Dans le voisinage de la capitale, il forma un jardin auquel il donna le nom d’Abu Fihr et que l’admiration universelle rendu célèbre. On y voyait une forêt d’arbres dont une partie servait à garnir des treillages pendant que le reste croissait en pleine liberté. … En somme, les kiosques les portiques, les bassins de ce jardin, ses palais à plusieurs étages, ses ruisseaux qui coulent à l’ombre des arbres, tous les soins prodigués à ce lieu enchanteur, le rendaient si cher au sultan que, pour mieux en jouir, il abandonna pour toujours les lieux de plaisir construits par ses prédécesseurs. Rien ne fut négligé, de son côté, pour augmenter les charmes d’un endroit dont la renommée devait remplir l’univers»25.

Les jardins beylicaux du XVIIIe et du XIXe siècles présentaient plusieurs ressemblances avec cette description du jardin hafside. L’étude de ces jardins, fondée sur les descriptions des voyageurs et les travaux des chercheurs, font ressortir les mêmes composantes : un tracé géométrique en perspective souligné par des pieds de cyprès ou de palmiers, dans un espace clos par des végétaux ou par des murs, où s’organisent des arbres fruitiers et des plantes aromatiques autour d’un grand plan d’eau et d’un kiosque. Les principaux jardins se caractérisaient , durant cette époque, par un tracé en perspective. Ils étaient donc composés de peu d’éléments mais de beaucoup de fraîcheur et de couleurs26. Ces éléments étaient parfois organisés selon une configuration géométrique qui rappelaient les jardins andalous et arabes d’une manière générale comme l’expliquent les recherches de Beya Abidi qui a consacré un ouvrage de référence aux palais des Beys dans la banlieue nord de Tunis27. C’est ainsi que nous trouvons, par exemple , dans le jardin de Ksar Said, un tracé de forme géométrique divisé en compartiments s’organisant toujours autour de scènes d’eau.

Ainsi, plusieurs influences marquèrent aussi bien l’architecture que l’espace extérieur durant le règne husseinite. Ces influences s’expliquent aussi bien par le nombre important de voyages effectués par les beys et les dignitaires que par l’introduction de la main d’œuvre étrangère entre le milieu du XVIIe et le milieu du XIXe siècle28.

Les nouvelles tendances ont marqué progressivement l’architecture husseinite et l’ont caractérisée par une forte teinte européenne qui est venue se greffer sur des formes traditionnelles et des techniques ancestrales29. Ainsi s’affirmait l’art de l’ornementation florale italianisante sur carreaux de céramique qui était à son apogée au XVIIIe siècle. Ainsi, plusieurs innovations occidentales modifièrent l’architecture traditionnelle. Quant aux jardins, les influences se traduisaient par des d’éléments toujours les mêmes : les mêmes allées bordées de cyprès, les mêmes vergers remplis d’arbres fruitiers irrigués par l’eau puisée des puits et les mêmes kiosques permettant repos et contemplation.

Le style italianisant qui envahissait plusieurs domaines artistiques, gagnait aussi les jardins. Cette nouvelle influence est attestée par le voyageur français Léon Michelle qui, en visitant les jardins de la propriété de Khair-Eddine, signale que « le parc est dessiné à l’Italienne avec une minutie singulière. Il y a tout un peuple de statues dans les bosquets»30. La représentation de divinités dans les jardins, interdite dans l’art de l’Islam, s’est accompagnée de nouvelles introductions telles que les sculptures. Ces modifications se poursuivirent pour toucher non seulement l’organisation des différents éléments qui composaient le jardin mais aussi la nature des végétaux employés.

3. Devenir des jardins husseinites : Le cas du jardin de ksar Essaâda à la Marsa

Le palais Essaâda – anciennement nommé Borj Et-Tabib31 – témoigne d’une époque riche en savoir architectural et, même s’il a connu des changements de vocation et de nombreuses métamorphoses, il conserve aujourd’hui un tracé qui témoigne de ce qu’étaient les jardins husseinite à la Marsa. À ce titre, il mérite une étude approfondie dans le double objectif de mieux comprendre la manière dont les jardins husseinites furent conçus de sorte à établir une relation, que l’on peut qualifier de « paysagère », entre les palais et les territoires environnants, et de réfléchir à la place que pourraient occuper les jardins historiques dans la culture tunisienne contemporaine.

3.1. Origine et constitution de Ksar Essaâda et de son jardin

Portant un nom évocateur, Dar Essaâda (maison du bonheur) fut d’abord appelée Borj Et-Tabib et était une simple annexe du palais Ksar Tej, plus tard réaménagé par En-Naceur Bey pour l’offrir à sa femme. Cette résidence beylicale fut réaménagée en 191232 dans le domaine appelé domaine de la Couronne33. La sānia où fut construit le Borj de Ksar Essaâda faissait partie de la propriété de Bach Hamba avec deux autres Palais dont celui de Ksar Tej. Cette propriété a connu depuis plusieurs changements qui affectent l’ensemble, et est passée à la possession de plusieurs Bey jusqu’à ce qu’elles deviennent le bien de la princesse Kmar34.

Le borj de Dar Essaâda se dressait au milieu d’un jardin avec ses quatre côtés d’aspects différents. La façade principale était symétrique et tout à fait caractéristique des palais construits durant la deuxième moitié du XIXe siècle.

A l’instar des autres borjs de la Marsa, Dar Essaâda se composait de deux parties superposées : les communs formant soubassement, et la construction surélevée affectée aux appartements qui sont décrites en ces termes : « Portiques inférieurs, galeries hautes et balcons à moucharabieh dominant les jardins en sont les principales caractéristiques»35.

Quant au jardin, il était aménagé sous forme de carrés, les parterres plantés étant séparés par des allées qui s’entrecoupaient. Un des croisements était marqué par une vasque dont l’eau se déversait dans un bassin. Ce dernier occupait le centre d’un jardin de forme géométrique confirmant les influences européennes observées dans les jardins husseinites.

Fig. 8. Photo du nouveau tracé du jardin de Ksar Essaâda.
Source : Extrait d’une photo aérienne de la Marsa, datant de 1988

Le jardin quadripartite, tracé selon le modèle perse chahar-bagh36, fut adopté par les musulmans qui l’ont ensuite propagé. Ce tracé en croix était en effet très courant en Andalousie depuis le XIVe siècle37. Il s’était ensuite répandu dans les trois pays de l’Afrique du Nord par le biais des Andalous. Il s’agit d’une population qui vien trouvé refuge comme l’explique Marçais :« En Tunisie, les Andalous chassés d’Espagne en ont propagé la mode dans les villes où ils avaient trouvé refuge»38. Cette quadripartition du jardin avait servi de modèle à plusieurs jardins en Tunisie depuis la période hafside. On la rencontre déjà à Dar Ben Abdallah (XVIIe siècle), dans le palais beylical du Bardo (XVIIIe siècle), et on la retrouve, donc, dans le jardin de Ksar et-tej, l’actuel parc de la Marsa, les siècles plus tard. Nous trouvons également dans ce jardin d’autres parterres de formes géométriques qui servaient soit de potager, soit à la collection de plantes aromatiques. Quant à la nature des plantes et des arbres employés, les rapports d’expertise aux archives nationales donnent une liste détaillée des plantes utilisées à cette époque qui montre l’intérêt particulier accordé à la plantation d’arbres fruitiers39. Des arbres centenaires comme un araucaria et un palmier témoignent aujourd’hui de leur présence depuis la création du jardin (voir plan 1).

Plan. 1. Essai de reconstitution du plan de Dar-Essaâda tel qu’il a été aménagé au début du vingtième siècle. D’après une photo aérienne de la Marsa datant de 1948.
Source : Dessin de l’auteur.

3.2. Processus d’évolution du palais et de son jardin

          « Une œuvre n’est jamais achevée, elle reste ouverte au processus qui la construit
          et ce processus est plus intéressant que son résultat
»40.

L’importance qu’avait prise Dar Essaâda depuis sa création laisse supposer qu’il y avait eu une certaine sensibilité dans le choix de cet endroit par tous ceux qui l’avaient occupé mais surtout par En-Naceur Bey qui l’avait réaménagé. Cette résidence semble avoir été appréciée depuis sa création pour les mêmes raisons que le palais hafside : proximité de la mer et du centre historique, climat tempéré et emplacement dominant la mer et la campagne. Depuis son édification, le palais a connu beaucoup de transformations touchant l’édifice architectural et son jardin. Entre embellissements, modifications et agrandissements, l’histoire de cette ancienne résidence beylicale connut des moments très importants mais aussi des périodes d’abandon au cours desquelles elle perdit beaucoup de ses caractéristiques.

Suivre l’évolution de ce palais demande de connaître et de comprendre l’histoire et l’organisation de son architecture et de son jardin, au travers d’une analyse dans le temps et dans l’espace. Nous tenterons ainsi d’en reconstituer l’image, depuis sa construction par le bey, et de mettre en évidence les différentes modifications et extensions qui lui furent apportées.

Après la mort du bey en 1922, sa femme, s’installa définitivement avec ses dames d’honneur dans ce palais qu’elle avait reçu en don. Par la suite, et sa vie durant, elle l’aura entretenu au mieux grâce aux biens hérités de son époux. N’ayant pas eu d’enfant des trois beys qu’elle avait épousés, elle le concéda, avec tous ses biens, au général Chadly Haydar41 et à sa femme. Ces derniers prirent possession de cette demeure à la mort de la femme d’En-Naceur Bey en 1942. Le général et sa femme habitèrent dans cette résidence depuis cette date, sans apporter de modification. Mais malgré leur bonne volonté, ils ne réussirent pas à entretenir l’ensemble de la demeure et se résignèrent finalement à la vendre. L’État tunisien en fit l’acquisition en 1953. Un article du journal La Presse, en date du 27 juillet 1975, rapporte que « ce palais avait été réaménagé […] à l’occasion du séjour du Sultan du Maroc »42 en octobre 1956. Par ailleurs, les travaux de démolition des résidences princières entrepris à la Marsa, touchèrent les bâtiments de l’ancien palais officiel, dégageant ainsi l’espace devant le palais Essaâda. Cet espace fut aménagé dans l’enceinte de Ksar Tej puis rattaché au palais nouvellement transformé en résidence présidentielle après la démolition du palais de Ksar Tej. Le tracé est de type irrégulier avec des allées curvilignes délimitaient de petites jardinières divisées en quatre parties. Quatre allées partaient du centre dans les quatre directions opposées, le croisement des allées étant marqué par un parterre circulaire. Ce deuxième type de tracé rappelle le jardin en croix aménagé depuis la construction de Dar Essaâda. La seule différence était la forme des jardinières (voir plan 2).

Plan. 2. Essai de reconstitution du plan de Ksar Essaâda durant les années soixante.
D’après une photo aérienne de 1962 et une vue aérienne de 1968.
Source : Dessin de l’auteur.

Le lendemain même de la proclamation de la République, le 25 juillet 1957, le premier président de la république Habib Bourguiba s’installa à Ksar Essaâda43 dont il fit le siège de la présidence de la république tunisienne. En 1958, peu après son installation, il entreprit des travaux de démolition de quelques résidences beylicales dont Dar Et-Tãj. C’est sur les vestiges de cette dernière que Dar Essaâda prit une fois encore de l’espace. Cette deuxième extension fut alors aménagée selon un tracé régulier. Les franges périphériques du jardin avaient été plantées densément de cyprès, dans le dessein de clôturer l’espace et de cacher la résidence présidentielle derrière la végétation. À l’extrémité du jardin subsiste encore aujourd’hui un petit verger d’agrumes dont les espaces plantés étaient disposés en carrés d’égale dimension. Entre les arbres, des chemins, à angle droit, étaient tracés pour permettre la circulation à pied et la canalisation des eaux de la jãbia qui occupait le centre du verger.


Dans les années soixante, un nouvel axe mettant en valeur l’entrée principale du palais fut tracé, et renforcé par un double alignement de cyprès, comme dans les jardins des maisons construites aux XVIIIe et XIXe siècles. D’un côté, ces plantations cadraient la vue sur la colline de Sidi Bou Saïd, de l’autre, elles mettaient en valeur l’entrée du palais.

En 1970, des travaux d’agrandissement ont été entrepris pour que Ksar Essaâda puisse répondre à sa nouvelle vocation, en tant que résidence d’hôtes, après que Bourguiba l’ait quittée pour le palais de Carthage. Les changements, les extensions et les embellissements qu’elle connut pour accueillir les hôtes de la Tunisie n’ont pas touché uniquement le palais mais aussi son jardin qui a subi des transformations considérables (voir plan 3).

Plan. 3. Essai de reconstitution du plan de Ksar Essaâda en 1988.
D’après une photo aérienne de 1962 et une vue aérienne de 1968.
Source : Dessin de l’auteur.

Ce dernier a gagné encore une fois de l’espace pour atteindre une superficie de plus de 30 hectares. Cette fois, l’extension du jardin s’est faite du côté Nord et du côté Est. Seul le petit jardin à l’ouest du bâtiment principal n’a pas connu de grands changements ; il témoigne à l’heure actuelle d’un type de jardin qui était très répandu dans les palais des beys husseinites. Le nouveau tracé suit une configuration géométrique qui rappelle ce même jardin en croix. La seule différence réside dans la dimension des parterres formés par le croisement des allées. L’observation de la photo aérienne de 1988, montre bien que le tracé est semblable à celui d’un jardin persan illustré dans un tapis datant du XVIIe siècle.

Plan. 3. Synthèse de l’évolution du jardin autour de Ksar Essaâda
Source : Dessin de l’auteur.

Après avoir accueilli pendant une dizaine d’années les hôtes de marque de la Tunisie, le palais tomba peu à peu dans l’oubli, jusqu’à ce que, par à la suite de l’expansion de l’urbanisation qu’a connue la Marsa à la fin du XXe siècle et qui a engendré l’apparition de plusieurs nouvelles constructions autour du palais, l’État décide de construire, ailleurs, une autre maison pour ses hôtes de marque. Ksar Essaâda allait connaître, encore une fois, un changement profond de sa destinée.

3.3. Nouvelle vie pour un ancien palais husseinite

Après une vie pleine de changements et d’évolution, Ksar Essaâda connaît en effet à l’heure actuelle une nouvelle vocation, en passant du statut de palais privé à celui de lieu ouvert au public. Ce passage a été précédé de plusieurs modifications, dont l’aménagement de nouvelles entrées, changement qui a conduit à la dissociation de l’entité que constituait ce palais entouré de son grand jardin : le palais abrite aujourd’hui le nouveau siège de la municipalité de la Marsa, tandis que le jardin, pour sa part, a été réaménagé en parc public.

Ce changement de vocation a contredit l’identité historique de cette résidence princière. Qu’en est-il aujourd’hui de la construction de la nouvelle identité de ce qui est maintenant le jardin public de Ksar Essaâda ?

Ce n’est qu’après trois ans d’abandon que les responsables ont pensé à donner au palais une nouvelle vocation. Il a donc été décidé de faire du palais et du jardin un espace culturel et de loisirs. C’est ainsi qu’a été prise la décision de l’ouverture de Ksar Essaâda au public. Les travaux avaient commencé en avril 2002 et consistaient à convertir les jardins en un parc public, l’ancienne partie du palais en une galerie d’art et la partie récente de l’édifice en un nouveau siège de la municipalité. Le projet d’ouverture de Ksar Essaâda au public s’est heurté à une difficulté majeure, la communication entre ces deux espaces à vocation différente : le palais, devenu un édifice administratif et culturel et le jardin, devenu parc de loisirs. Pour des raisons fonctionnelles, les initiateurs du projet ont donc jugé indispensable la séparation de ces deux espaces au moyen d’une clôture en fer forgé renforcée par un mur végétal.

Les directives concernant le réaménagement de Ksar Essaâda visaient à conserver le bâtiment dans sa structure originelle, à préserver le cachet architectural, à ouvrir le palais sur la ville et à créer un espace culturel. Concernant le jardin, l’objectif a été de le convertir en un parc destiné à recevoir diverses activités, tout en sauvegardant toutes les espèces végétales.

Ce palais, considéré comme œuvre architecturale distincte, a été classé monument historique par la commission nationale du patrimoine, décision entérinée par un arrêté44 du ministère de la Culture en date du 30 juillet 2002. Le classement concerne la partie du palais construite à l’époque beylicale et le petit jardin qui le contourne et qui s’étend jusqu’à la nouvelle clôture du palais.

La plus grande partie du jardin, n’ayant pas était classée, a beaucoup perdu de ses caractéristiques. De nouvelles composantes y ont été aménagées : terrains de sport, espace de lecture, aires de jeu pour enfants, aires de pique-nique, salles d’informatique, aires de détente, piste de patinage,… Ces espaces, qui assurent des activités culturelles ou sportives, ont nécessité de nouveaux travaux : éclairage, stabilisation du sol, mise en place des équipements sportifs, des jeux pour enfants et de mobilier urbain. Ils ont marqué le passage du jardin historique privé au parc de loisir ouvert au public.

Le 10 octobre 2002, le parc a été officiellement ouvert au public. Ce passage du privé au public a marqué une nouvelle étape dans la vie de cet ancien palais husseinite. Aujourd’hui, on ne parle plus de Ksar Essaâda comme d’un tout, on parle distinctement de Mûntazah45 Essaâda et de l’Hôtel de ville.

Depuis son ouverture au public, le parc attire un nombre important de visiteurs. Il répond ainsi à un besoin actuel d’espaces adaptés aux échanges sociaux et à la demande du public en matière d’activités distrayantes. Mais si les visiteurs y viennent à la recherche d’une nature aménagée ou d’un espace de loisirs, y viennent-ils également pour découvrir et admirer un jardin historique d’exception ? On peut supposer que ce n’est pas le cas, du fait qu’avec toutes les modifications entreprises, le jardin a beaucoup perdu de ses caractéristiques initiales.

Fig. 10. Nouvelles activités, cour de Yoga au parc Essaâda.
Source : Photo O. Damek.
Fig. 11. Nouveaux usages de l’ancien jardin beylical.
Source : Photo Ice park.

Bien qu’il représente l’un des rares témoignages sur les jardins husseinites, le jardin Essaâda n’a pas été mis en valeur en tant que tel. C’est pour cela qu’il est difficile de savoir ce qu’en pense le public de ce point de vue. Les politiques actuelles portent davantage sur l’environnement et la protection de la nature que sur la sauvegarde ou la restauration des jardins. D’ailleurs, la partie historique la mieux conservée du jardin n’a pas fait l’objet d’une mise en valeur particulière.

Conclusion

Des jardins husseinites, il ne reste pourtant aujourd’hui que peu d’exemples. Ces lieux de vie qui témoignent d’un style qui s’est exprimé pendant une longue période de l’histoire de la Tunisie sont en train de disparaître. Entre abandon et désintérêt, certains jardins ont perdu beaucoup de leurs caractéristiques, d’autres ont complètement disparu. Il faut donc attirer l’attention sur ceux qui subsistent encore et intervenir en respectant l’authenticité recommandée par la Charte de Florence qui définit le jardin historique comme « une composition architecturale et végétale qui, du point de vue de l’histoire ou de l’art, présente un intérêt public » . Comme tels, les jardins husseinites devraient pouvoir sortir de l’oubli et prendre leur place dans la société tunisienne contemporaine surtout dans le contexte actuel de pandémie et de crise mondiale. Une crise qui a révélé les représentations et les valeurs attachées aux espaces naturels et aux pratiques récréatives qui s’y déroulent et qui sont également symboles de liberté. En effet, la crise sanitaire constitue un "révélateur signifiant de réalités latentes et souterraines, invisibles en temps dit normal" , le regain d’intérêt pour les espaces publics aujourd’hui permet de dépasser le seul espace-temps de la crise du Covid-19 et de proposer une contribution de fond sur l’accès à la nature et aux espaces verts notamment historiques.

Notes

1 A ce propos l’essai de classification qui a été tenté dans la recherche de Beya Abidi, 2013, p. 290.
2 Jacques Revault, 1980, p. 19.
3 Mohamed Seghir Ben Youssef, 1900, p. 7.
4 Jean André Peyssonnel et Desfontaines, 1987, p. 89.
5 Terme tunisien qui signifie bassin.
6 Mohamed El Aziz Ben Achour, 1996, p. 75.
7 Lucette Valensi, 1977, p. 153.
8 Maison de la couronne.
9 Beya Abidi, 2013, p. 313-314.
10 Henry Dunant, 1958, p. 70.
11 Amable Crappelet, 2002, p. 14.
12 Arthur Pellegrin, 1955, p. 157.
13 « Ce charmant petit monument bordé des plus délicieuses arabesques sculptées sur plâtre tombait en ruine ; le gouvernement tunisien en fit l’acquisition, le fit démonter avec le plus grand soin et remonter dans le jardin du belvédère. » Henri Saladin, Tunis et Kairouan, voyage à travers l’architecture, l’artisanat et les mœurs du début du XXe siècle, 2ème édition, Paris : H. Laurens Éditeur, 2002, p. 88.
14 Habitation en surélévation, voir à ce propos Beya Abidi, 2013, p. 290.
15 Palais du dôme d’airain.
16 Jacques Revault, 1974, p. 371.
17 Photos du jardin après sa restauration, mai 2004.
18 Henry Dunant, 1958, p. 71.
19 Chevalier d’Arvieux, 1994, p. 99.
20 L’ensemble des femmes de la famille husseinite
21 Mohamed El Aziz Ben Achour, 1996, p. 75.
22 Charles Lallemand, 2000, p.152.
23 Ahmed Saadaoui, 2019, p. 2.
24 Historien- sociologue né en Tunisie en 1332. Voir la description du jardin Ibn Fihr in George MARÇAIS, 1975, p. 1386-1387.
25 Ibn Khaldoun, 1999, p. 339-341.
26 Beya Abidi, 2013, p. 260.
27 Beya Abidi, 2013, p. 333.
28 Boubaker Sadek, 2003, p. 53.
29 Beya Abidi, 2017, p. 163.
30 Léon Michel, 1867, p. 213.
31 Beya Abidi, 2013, p. 528
32 Faïza Zouaoui Skandrani,1996, p. 26.
33 Ce nom est donné à ce domaine parce qu’il appartient à la famille régnante.
34 Beya Abidi, 2013, p. 528.
35 Jacques Revault, 1980, p. 113.
36 Carmen Añón (dir.), 1999, p. 10.
37 Ibid. p. 47.
38 George Marçais, 1975, p. 1387.
39 Beya Abidi, 2013, p.166.
40 Anne Coquelin, 2003, p. 121.
41 Jacques Revault,1980 , p. 76.
42 La Presse, 31 juillet 1957, N°7192, p. 2.
43 A partir de cette date, cette résidence devient plus connue sous le nom de Ksar Essaâda ( palais du bonheur).
44 Arrêté relatif à la protection des monuments historiques et archéologiques.
45 Terme qui signifie parc en français.
46 Charte élaborée et approuvée, en 1982, par le comité international des jardins historiques ICOMOS-IFLA.
47 Selon le premier article de la Charte de Florence, 1982.
48 MORIN Edgar, 1968, p. 3.

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Auteur

Sondès Zaier

Assistante universitaire ISACM- Université de Sousse, Dr. En science et architecture de paysage AgroParisTech.

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