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intégral

Numéro 17

17 | 2024

Matrices de la colonialité des arts en Tunisie.
L’institut de Carthage et le Centre d’Enseignement d’Art

Hamdi Ounaina

Table des matieres

Résumé

       Matrices de la colonialité des arts en Tunisie, l’Institut de Carthage et le Centre              d’Enseignement d’Art1.

En Tunisie, la scène artistique est fondée et structurée par deux institutions à savoir l’Institut de Carthage instaurateur du Salon Tunisien en 1894 et le Centre d’enseignement d’art créé en 1922-23. Si le premier a perduré jusqu’en 1984 date de sa dernière exposition annuelle, le deuxième, quant à lui, s’est développé pour devenir l’Ecole des Beaux-Arts en 1930 pour finir par devenir aujourd’hui l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Tunis. Ces deux institutions coloniales sont responsables de la mise en place de la formation, des normes et du goût artistique. Le présent texte propose de remonter à l’histoire et d’appliquer l’approche organisationnelle afin de comprendre le fonctionnement du monde de l’art moderne local. L’autre objectif est de montrer que ces deux institutions sont des matrices de la colonialité (Quijano) employées pour hiérarchiser différentes formes de pratiques artistiques.

Mots clés

Tunisie, Art moderne, Institut de Carthage, Centre d’enseignement d’art, colonialité.

Abstract

       Matrix of coloniality of arts in Tunisia, the Institute of Carthage and the Art Education       Center.

In Tunisia, the art scene is founded and structured by two institutions, namely the Institute of Carthage, founder of the Tunisian Salon in 1894, and the Art Education Center created in 1922-23. The first lasted until 1984 date of its last annual exhibition, the second has become the School of Arts in 1930 to end up becoming today the Higher Institute of Fine Arts of Tunis. These two colonial institutions are responsible for setting up training, standards and artistic taste. The present text proposes to go back into history and to apply the organizational approach in order to understand the functioning of the local modern art world. The other objective is to show that these two institutions are a colonial matrix of power (Quijano) used to hierarchize different forms of artistic practices.

Keywords

Tunisia, modern art, Institute of Carthage, Art Education Center, coloniality.

الملخّص

       مولدات الثقافة الاستعمارية في الفنون في تونس، معهد قرطاج ومركز تدريس الفن.

تأسست الساحة الفنيّة في البلاد التونسية وتهيكلت من خلال مؤسستين، هما : معهد قرطاج المنشئ للصالون التونسي سنة 1894 ومركز تدريس الفن الذي أنشئ سنة 1922-1923، وبينما استمر الأول إلى غاية سنة 1984 تاريخ انعقاد آخر معرضه السنوي، تطور الثاني ليصبح مدرسة الفنون الجميلة سنة 1930، ثم انتهى ليصبح اليوم المعهد العالي للفنون الجميلة بتونس، وإلى هاتين المؤسستين الاستعماريّتين تعود مسؤوليّة إنشاء برامج التكوين والمعايير والذوق الفني. تقترح هذه الورقة، استعادة الأحداث والوقائع التاريخية وتطبيق المقاربة التنظيمية بهدف فهم طريقة اشتغال عالم الفن المحلي الحديث. أما الهدف الآخر، الذي نسعى إليه فهو كشف مدى ما تمثله هتان المؤسستان من قدرات توليدية للثقافة الاستعمارية (la colonialité)، عند توظيفها لإرساء هرميّة تفاضلية بين أنماط من الممارسات الفنيّة المختلفة.

الكلمات المفاتيح

تونس، الفن الحديث، معهد قرطاج، مركز تدريس الفن، الثقافة الاستعمارية.

Pour citer cet article

OUNAINA Hamdi, « Matrices de la colonialité des arts en Tunisie. L’institut de Carthage et le Centre d’Enseignement d’Art », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°17, Année 2024.

URL : https://al-sabil.tn/?p=14249

Texte integral

Introduction

« Faire connaître la Tunisie en France, faire aimer la France en Tunisie »

Lettre manuscrite adressée à Mr le Général Valensi
Premier interprète du Bey à Tunis2.

Par colonialité, Anibal Quijano entend non pas ce qui reste du colonialisme ou ce qui lui survit mais « le contrôle des formes de subjectivité » en vue de prescrire « une orientation culturelle eurocentriste ». Ces principes européens sont obligatoirement destructeurs de toutes forme de connaissance et de savoir non occidental.

C’est à partir d’un regard sociologique que nous tenterons dans le présent travail d’étudier deux institutions artistiques à savoir l’Institut de Carthage ou l’Association tunisienne des lettres, sciences et arts et le Centre d’enseignement d’art. Notre objectif à travers ces deux exemples d’application est d’arriver en les déconstruisant à étaler un certain nombre d’outils de réflexion propre à la phase coloniale et que d’autres travaux visant les champs de la littérature, du théâtre, de la musique, de l’architecture ou du cinéma enrichiraient considérablement. Dans cette même perspective, des domaines aussi divers que l’économie, la médecine, l’industrie, l’agriculture ou même la recherche scientifique peuvent eux-aussi être l’objet d’un tel exercice. La multiplication de ce genre de chantiers permettra de déconstruit les images de ces institutions hautement « structurées » afin de reconstruire le discours colonial et ressortir ses stratégies « structurantes3 » de la société tunisienne avant et après l’indépendance4.

Par la création du Salon Tunisien, l’Institut de Carthage est l’initiateur et la première matrice de la pratique de la peinture moderne en Tunisie. L’Institut de Carthage, statutairement dénommé, est une institution française fondée par et pour les Français qui ont accompagné l’occupation administrative et militaire de la Tunisie. La création et la monopolisation du Salon Tunisien sont la grande fierté des organisateurs. Ce lien institutionnel entre l’art et l’Institut de Carthage a fini par institutionnaliser la pratique de la peinture. En effet, en raison de ce rôle, l’Institut est le premier responsable de la mise en place des normes de la production, de la formation, du goût artistique et, par la suite, de la circulation des œuvres d’art en Tunisie. Ainsi structuré, ce champ a fonctionné de la même manière après l’Indépendance en 1956.

Dans ce texte, nous nous proposons de partir des faits tels que présentés par l’organe de cette association, La Revue Tunisienne, afin d’analyser le rôle joué par cet institut dans la mise en place de la scène artistique locale. Créé treize ans après l’implantation de la colonisation, l’Institut de Carthage a employé plusieurs moyens afin de devenir une institution d’intérêt général et d’œuvrer pour les objectifs coloniaux. Nous nous attarderons donc ici sur l’étude des rapports mutuels entre l’Institut de Carthage et le Salon Tunisien. Ces liens et ces objectifs communs nous incitent à réfléchir sur leurs influences et sur le fonctionnement du monde de l’art local qu’ils ont tous deux créé et soutenu.

L’étude de la création de l’Institut de Carthage, de sa structure et de ses objectifs permet de détecter la manière selon laquelle l’art a été conçu et pratiqué par les français de Tunisie et, par la suite, par les locaux. Bien que des archives exhaustives pour l’étude de cette association fassent défaut, il est possible de se baser sur le contenu de son organe de communication : la Revue Tunisienne. Celle-ci rend compte du fonctionnement structurel de l’association ainsi que de l’ensemble de ses activités, tant scientifiques qu’artistiques. Nous commencerons par l’étude de la création de cette association, celle de l’organigramme de son bureau et, nous aborderons ensuite l’une des trois sections qui nous intéresse le plus, à savoir la section Lettres et Arts créatrice du Salon. Enfin, j’étudierai son discours en me référant essentiellement aux textes inauguraux, considérés ici comme des textes fondateurs.

D’autre part, bien que sa création soit plus tardive à celle de l’Institut de Carthage, le Centre d’enseignement d’art, devenu par la suite l’Ecole des Beaux-Arts, est l’autre institution orientée vers l’insertion de l’art moderne en Tunisie. Crée au début des années 1920, il a été transformé en 1930 en Ecole des Beaux-Arts. A partir de janvier 1950, Pierre Berjole son nouveau directeur, jusqu’en 1968, reconverti ses orientations vers les arts appliqués ou les arts et métiers. La même stratégie se poursuivra après l’indépendance avec l’arrivée de sa première directrice tunisienne Safia Farhat, dont l’objectif est la reproduction des modèles de développements occidentaux.

1. L’Association Tunisienne des Lettres, Sciences et Arts

1.1. La place de l’art dans la politique coloniale

Considérant que les objectifs de la Société de Géographie5, à laquelle ils appartenaient, étaient trop limités, le Docteur Lucien Bertholon et Auguste Pavy6, démissionnent suite à un différend avec ses membres. Ils décident le 3 octobre 1893 de créer une nouvelle association devant être capable, à la différence de celle de Géographie « de répondre aux besoins intellectuels de tous ordres qui se manifestent dans la Régence »7. L’Institut de Carthage fut ainsi fondé le 13 novembre 18938 suite à l’initiative de ces deux personnalités phares. La Revue Tunisienne dont la devise : « Faire connaître la Tunisie en France, faire aimer la France en Tunisie » fut son organe de diffusion.

Dès le début, le comité d’initiative avait pris le soin d’inviter les trois plus hautes autorités françaises présentes en Tunisie à savoir M. Charles Rouvier, résident général de la République Française ; M. Combes9, archevêque de Carthage, primat d’Afrique et M. Leclerc, général commandant la brigade de l’occupation.

Il serait intéressant pour l’étude du développement des pratiques artistiques dans les colonies de les mettre en lien avec le sentiment d’«ennui »10 des français de Tunisie. L’exemple de l’inclusion des activités culturelles à celles de loisir dans les régions agricoles et minières excentrées par rapport à la capitale est donc essentielle. L’objectif de la mise en place d’une activité artistique est de créer des centres de loisirs censés rendre viable la vie des immigrants français dans les régions reculées de la Tunisie. C’est aussi dans ce cadre que se situe la fondation du Centre d’enseignement d’art de Tunis et de toutes les activités théâtrales et cinématographiques. Sur le plan général, la mise en place d’un programme artistique fait partie de cette politique générale d’implantation des français. Ces « enfants jetés loin des rivages »11 de leur patrie ont quitté leurs villes et sont venus s’installer en Tunisie, apportant leur concours pour l’accomplissement de l’œuvre coloniale. L’Association Tunisienne des Lettres Sciences et Arts est l’un des programmes destinés, entre autres, à leur divertissement.

Le début de la colonisation de la Tunisie traduit parfaitement l’imbrication des travaux des scientifiques et des administrateurs, juristes, militaires etc., mis en exergue dans le texte d’Edward Saïd dans L’orientalisme : l’Orient créé par l’Occident. Les archives tunisiennes conservent un nombre considérable de fichiers créés par des scientifiques dont la fin est de servir l’administration coloniale. Ces fichiers ont été mis à la disposition des entrepreneurs de la colonisation. Ils constituent un matériel abondant leur permettant d’ajuster leurs stratégies d’insertion et par conséquent d’administration de la société tunisienne. L’étude présentée par le Dr. Bertholon « Quel doit être le rôle de la France dans l'Afrique du Nord -Coloniser ou assimiler ? Documents anthropologiques sur la question »12 en est un exemple. Dans ce document, l’auteur met en valeur l’apport du métier de médecin permettant d’entrer chez les gens et être en contact avec leur intimité. C’est ce travail qui lui a permis de répondre à une question stratégique de premier ordre.

1.2. Composition du bureau de L’Institut de Carthage

Dans son premier numéro de janvier 1894, la Revue Tunisienne publie un compte rendu assez complet de toutes les étapes qui ont mené à la création de l’Institut de Carthage. Nous y trouvons également la composition de son bureau ainsi que la composition de ses trois sections à savoir la Section des sciences historiques et géographiques, la Section des sciences physiques et naturelles comprenant une sous- section d’horticulture et la Section des lettres et des arts.

     1.2.1. Catégories socio-professionnelles des membres du bureau de l’Institut de Carthage

Sur la base des postes occupés par les membres de l’Institut de Carthage, j’ai tenté de dresser une nomenclature des catégories « socioprofessionnelles » qui y sont représentées. Je souligne que je n’appliquerai pas la catégorisation telle qu’elle est présentée dans les travaux d’Alain Desrosière et Laurent Thévenot13. Cette nomenclature ne prendra pas, non plus, la profession en tant que moyen d’identification. La catégorisation que j’établis représente une combinaison de la profession accordant à une personne donnée le droit d’occuper un poste dans un système et de la fonction que la profession pourrait offrir au système, ou plus précisément ce que le système attend de ce poste et de cette fonction. Cette catégorisation représente ainsi une synthèse de plusieurs données permettant de rassembler, sous la même catégorie, des professions aussi diverses que la fonction de médecin, de chef de bureau de la Direction de l’agriculture ou de receveur municipal. Le but étant, à travers cette conjugaison entre profession et fonction, de dresser un sociogramme que nous jugeons plus efficace pour une meilleure compréhension de la composition de l’Institut de Carthage et de son fonctionnement. Au final, ce travail devrait nous permettre de mieux délimiter les objectifs principaux de cette organisation. Nous nous basons sur l’étude des répercussions de l’effectif de chacune d’entre elles sur le fonctionnement de l’association dans son ensemble.

Dans le tableau suivant, nous avons classé les membres de l’Institut de Carthage selon le rôle qu’ils y jouent, tout en mentionnant leurs fonctions officielles ou fonctions rémunérées. Nous nous sommes basés sur ces deux types d’informations pour les classer dans l’une ou l’autre des quatre catégories suivantes :

  • La catégorie « Sciences et culture »,
  • La catégorie « Armée »,
  • La catégorie « Religion »,
  • La catégorie « Administration, droit et finance ».

Les quatre fonctions de ces catégories sont étroitement liées l’une à l’autre. L’objectif du régime du protectorat est, selon le traité de Bardo 12 mai 1881, et la convention de la Marsa 8 juillet 1883, l’amélioration de la situation intérieure de la Tunisie. Ceci mène à mettre en place des procédures administratives devant être conformes à un ensemble de lois et moyennant des outils financiers.

Tableau n° 1. Catégorisation des membres du comité d’initiative14.
Tableau n° 2. Répartition de l’effectif du comité d’initiative par catégorie.

L’étude du poids des catégories représentées dans le Comité d’initiative de l’Institut de Carthage aide à détecter les objectifs de cette association. Elle permet d’autre part, de comparer son côté « d’institution culturelle » à celui d’institution administrative et militaire à objectif d’entreprise coloniale. Par cette mise en parallèle des deux objectifs, la catégorisation établie nous permet de déterminer l’origine du pouvoir dont jouit l’Institut de Carthage et par conséquent le Salon Tunisien, dont la longévité de quatre-vingt-dix ans est significative.

La répartition des effectifs selon ces catégories permet de distinguer quatre objectifs : scientifique, administratif, militaire et religieux. En classant, par ordre de priorité et selon l’importance de l’effectif chacune de ces fonctions, les premiers responsables de cette entreprise c’est-à-dire le comité d’initiative de l’Institut de Carthage, se présentent comme suit : la fonction administrative, économique et juridique ; la fonction scientifique ; la fonction militaire et en fin la fonction religieuse. Une première caractéristique de cette entreprise et de son objectif se dessine alors, c’est son aspect administratif, économique et juridique soutenu par la fonction scientifique. L’armée et la religion étant tous les deux faiblement représentées.

     1.2.2. Catégories socioprofessionnelles des membres d’honneur de l’Institut de Carthage

J’ai appliqué aux invités d’honneur de cette association la même catégorisation que celle appliquée aux membres de son comité d’initiative.

Tableau n° 3. Catégorisation des membres d’honneurs.
Tableau n° 4. Répartition de l’effectif des membres d’honneurs par catégories.

La classification par ordre d’importance, toujours selon l’effectif, des catégories des invités, se présente comme suit : on y trouve en premier les personnes dont la fonction est d’ordre administratif, juridique et financier avec dix-sept membres. Vient en deuxième position et très loin derrière avec trois membres, la fonction religieuse, et en troisième position, la fonction militaire avec deux membres. En revanche, aucune personnalité scientifique n’est présente. Le comité d’initiative avait en effet invité, toujours par ordre de priorité, les trois plus hautes autorités françaises présentes en Tunisie à savoir le résident général de la République Française, l’archevêque de Carthage, primat d’Afrique et le général commandant la brigade d’occupation. Que ce soit selon l’effectif ou selon le prestige qui leur est accordé par le comité d’initiative, l’ordre des membres d’honneurs est toujours le même. Le soutien aux objectifs d’administration de droit et finance ici recherché par le comité d’initiative n’est plus scientifique, mais plutôt d’ordre religieux. Si le rôle des invités d’honneur est plus symbolique que réel, leur influence, en raison des postes élevés qu’ils occupent au niveau des choix et de la prise de décision au sein de l’association peut être décisive. Ceci signifie que le comité d’initiative de l’Institut de Carthage associe prioritairement à son projet pour le légitimer et le consolider15, le plus haut pouvoir politique, le plus haut pouvoir religieux et le plus haut pouvoir militaire.

A partir de cette deuxième classification, les principaux traits de l’institut de Carthage se précisent. La synthèse des fonctions des personnalités dont est composée cette association confirme encore plus le principal objectif de cette entreprise.

Tableau n° 5. Répartition de l’effectif total des membres du bureau de l’Institut de Carthage par catégories.

Le classement général se présente comme suit : au premier rang se trouve toujours représentée la catégorie des personnes remplissant une fonction administrative, judiciaire ou financière. Réunissant vingt-cinq personnalités, cette dernière comprend un effectif plus important que celui de l’ensemble des trois autres catégories, soit quinze personnalités. Se présentent ensuite la catégorie des Sciences et de la Culture et celle de l’Armée. La catégorie Religion, quant à elle, se classe en dernier avec seulement quatre membres.

Pour conclure, c’est dans cette dernière classification qu’apparaît le mieux la vocation de l’Institut de Carthage. Composé d’une majorité d’administrateurs, de juristes et de financiers et soutenu par les hommes de sciences et les militaires, l’Institut de Carthage s’est donné le même objectif que l’entreprise coloniale. Le traité du Bardo ainsi que la convention de la Marsa se sont, depuis plus d’une décennie déjà, fixé ces mêmes objectifs : organiser le pays en entreprenant des actions financières et des interventions militaires.

Les objectifs de l’Institut de Carthage, comme c’est le cas pour toutes les autres institutions culturelles françaises de la période coloniale (associations de géographie, d’archéologie, de théâtre et de cinéma et des institutions s’occupant du patrimoine artisanal des colonies, désigné par « arts indigènes »), croisent ceux des institutions militaires, religieuses et administratives du protectorat. L’objectif le plus valorisé de l’association est de faire ressortir la fonction « civilisatrice » de la politique coloniale et légitimer par là même, la présence française en Tunisie à travers l’activité culturelle. La Tunisie en tant que terre nouvelle est, dans le discours de ses responsables, une nouvelle fierté du « génie français »16 qui, par sa « virilité »17 est venu la féconder. Mon objectif est donc de démontrer que l’Institut de Carthage est porteur des mêmes soubassements idéologiques. Qu’elles soient culturelles, économiques, militaires ou administratives, toutes les institutions françaises se trouvent porteuses des mêmes préoccupations colonialistes.

Il faut maintenant voir si l’Institut de Carthage est seulement une association scientifique et culturelle accompagnatrice du fait colonial en tant qu’ouverture économique (recherche de matières premières et de marché pour la liquidation des produits industriels), ou bien en tant que projet scientifique prolongeant celui de l’orientalisme. Ce dernier est basé sur la connaissance de l’orient en vue de le dominer et de le recréer18. Dans le cadre d’un projet d’accompagnement, l’accession des Tunisiens musulmans à la peinture moderne deviendrait un fait pervers. Alors que dans le cas d’un projet de connaissance et de domination, faire des musulmans des peintres modernes est un objectif. Ceux-ci seront les canaux à travers lesquels l’Institut colonial recréera l’Orient. Cette dernière déduction permettra par la suite de comprendre et d’expliquer pourquoi les peintres tunisiens se sont fixés sur un seul type de peinture ethnographique.

     1.2.3. Le Dr. Bertholon, maitre d’oeuvre de l’Institut de Carthage

Il est nécessaire de s’attarder sur la personne du Dr. Bertholon. D’une part, parce qu’il est le maître d’œuvre de l’Institut de Carthage et d’autre part parce qu’il a fondé une théorie de la colonisation de l’Afrique du Nord publiée dans les Bulletins de la société d’anthropologie de Paris19 en 1897. La simultanéité entre la création de l’Institut de Carthage (1893) et la publication de ce document permet de mettre en parallèle les idées du texte et les objectifs de l’association.

La biographie du Dr. Bertholon, publiée dans le dictionnaire Lambert20, présente un personnage très actif. Lucien Bertholon est né le 30 septembre 1854 en Moselle. Il effectue de brillantes études aux Lycées de Metz, de Lyon, de Bourg, à la Faculté des Sciences de Lyon, aux Facultés de médecine de Lyon et de Paris. Il accède à l’Ecole d’application du Val-de-Grâce en 1876-1877, ce qui lui a permis d’obtenir le poste de médecin militaire ; poste qu’il occupe entre 1877 et 1890. Pendant cette période, il gravit les échelons jusqu’au grade de médecin major de 1er Classe dont il démissionne en 1890. De nombreuses distinctions lui sont décernées : docteur en médecine avec la mention honorable obtenue de la Faculté de Médecine de Paris en 1878 ; il obtient le Prix de 1.000 francs de l’Académie de Médecine en 1881. Il s’installe en Tunisie dès le 11 octobre 1881 où il occupe plusieurs postes : médecin militaire, médecin-chef du Service Pénitentiaire, médecin du collège Alaoui et du lycée Carnot, tous les deux à Tunis. Il est, en 1906, élu membre de la Conférence Consultative21, et correspondant du ministère de l’Instruction publique et fondateur et premier président du Cercle tunisien de la Ligue de l’Enseignement de 1891 à 1894. Président d’honneur de la Société tunisienne des Habitations à bon marché. Membre des Sociétés d’Anthropologie de Paris, de Lyon, de Londres. Il publie plusieurs travaux sur les sujets médicaux, climatologiques, démographiques et de nombreux ouvrages sur l’ethnographie et l’anthropologie naturelles des habitants de l’Afrique du Nord. Parmi celles-ci figure essentiellement22 : « Quel doit être le rôle de la France dans l’Afrique du Nord ? Coloniser ou assimiler ? Document anthropologique sur la question », en 1897 et « Recherches anthropologique dans la Berbérie orientale. Tripolitaine, Tunisie, Algérie », en 1913. Dans le dernier ouvrage l’auteur procède à des études telles que l’anthropométrie des hommes et des femmes de l’Afrique du Nord, à l’étude de leur craniologie, des caractères anthropologiques des populations de la berbérie dans leurs rapports à l’histoire, etc. Il fonde, nous le savons, le 13 novembre 189323 avec MM. Auguste Pavy et Servonnet, l’Institut de Carthage et occupe le premier le poste de président de cette société en 189424 et le reprend en 1898-189925. Par la suite il occupe, dans la même association, le poste de secrétaire général à partir de 1902 et, comme tel, dirige la Revue Tunisienne (17 volumes) ainsi que le poste de vice-président d’honneur. Plusieurs médailles lui sont accordées lors de l’Exposition Universelle (exposition d’anthropologie tunisienne) de 1889 dont la médaille de bronze. Il obtient aussi deux médailles d’argent et une de bronze au Concours agricole de 1895 avec deux études sur le lait stérilisé et sur le bétail. En 1906 l’Institut de Carthage lui accorde sa médaille d’or. Il décède en 1914.

     1.2.4. La place des tunisiens dans le Comité de l’Institut de Carthage

Pour mieux cerner le personnage j’ai choisi de présenter l’un de ses textes se rapportant à la colonisation de l’Afrique du Nord. Intitulé : Quel doit être le rôle de la France dans l’Afrique du Nord –coloniser ou assimiler ? Document anthropologique sur la question, ce texte est d’une importance considérable, car l’auteur y présente la synthèse de son point de vue sur la question de la colonisation et les résultats de ses recherches rendues publiques en 1897 dans les Bulletins de la société d’anthropologie de Paris et par la suite en tiré à part en 1898. Dans cette étude, l’auteur se réfère aux approches sociologiques, anthropologiques et démographiques du moment pour répondre à la question posée dans le titre. Sans présenter ici la totalité de sa pensée, les résultats peuvent aider à détecter les lignes directrices de son approche colonialiste et plus particulièrement rendre compte du rang auquel l’auteur renvoyait les Tunisiens qu’il qualifie, tout le long de cette étude, d’« indigènes ».

Parce que, selon lui, « toute assimilation est une utopie », l’auteur est parvenu à la conclusion26 que la France ne peut que coloniser les pays de l’Afrique du Nord. Pour y parvenir la France, doit faire connaitre la Tunisie et encourager les Français à s’y installer en leur fournissant les conditions favorables telles que des terres agricoles et des habitations27. Selon des rapports entre l’évolution des taux de natalité française en Tunisie et le revenu par personne, l’auteur s’accroche à dire que la colonisation n’est rentable que si elle est massive et atteint les trois millions de colons. Mais une émigration aussi forte n’est pas envisageable sans trouver de l’espace pour les nouveaux venus. Là est l’autre idée maitresse de l’auteur. Pour pouvoir le leur fournir, il faut « évacuer les indigènes » en les conduisant au Soudan. C’est ainsi que la France peut en même temps dominer la Tunisie en la vidant des indigènes hostiles à la présence française et le Soudan en créant un mélange racial inapte à former une contre force28. L’auteur signale un troisième résultat pouvant, d’après sa théorie, être atteint. L’immigration française dirigée sur l’Afrique du Nord permettra à ceux qui restent en France de vivre plus aisément. Tout cela pour la prospérité de la patrie française et pour une plus forte domination des colonies. Pour atteindre tous ces objectifs il faut faire connaitre la Tunisie en France sous toutes ses formes et la faire aimer, un slogan devenu la devise de la Revue Tunisienne, organe de l’Institut de Carthage.

En effet, l’article premier des statuts de l’Institut de Carthage énonce clairement le rôle que devait tenir cette association selon son créateur. Son objectif particulier est « de faire connaitre, sous toutes ses faces et de toutes les manières possibles, la Tunisie. » C’est cet objectif qui servira à aider les Français à venir s’installer en Tunisie afin que la colonisation devienne rentable. Il est donc clair qu’aucune distinction ne peut être faite entre les objectifs de l’Institut de Carthage et les objectifs de la colonisation de la Tunisie. Bien au contraire, la société créée par le Dr. Bertholon est l’un des moyens majeurs pour l’application de sa théorie colonialiste. C’est ce rôle même qui explique la place que les organisateurs ont accordé à l’élément indigène dans l’organigramme de l’Institut de Carthage.

En effet, contrairement aux Français, les personnalités tunisiennes, qu’elles soient politiques, religieuses ou administratives ne sont présentes ni parmi le comité d’initiative, ni parmi les présidents d’honneur et ni même parmi les vice-présidents d’honneur. La place qui leur est réservée est encore plus secondaire. Ces autorités ne comptent que parmi les membres d’honneur, ce qui les marginalise considérablement par rapport à leurs rangs sociaux très élevés. Cette observation révèle explicitement la place des autochtones dans le projet particulier de l’Institut de Carthage et implicitement leur place dans le projet général de l’entreprise coloniale. Les études réalisées par cette association sont majoritairement réservées à l’archéologie romaine ou, pour employer les termes utilisés par le premier conférencier, à « la révolution occidentale et chrétienne en Tunisie ». L’arrivée au Salon Tunisien du premier peintre tunisien musulman ne s’est effectuée qu’en 1922, soit 28 ans après son lancement, confirme le statut des Tunisiens au sein de l’Institut de Carthage.

Ainsi, du point de vue structurel, le comité de l’Institut de Carthage a su s’entourer d’une quarantaine de personnes au titre de membres d’initiatives ou d’honneur. Parmi elles, se trouvent seulement quatre personnalités tunisiennes musulmanes. Malgré leur haut positionnement politique et religieux, celles-ci n’ont qu’un rôle secondaire dans le fonctionnement réel de la Société. C’est-à-dire que, bien que ces personnalités soient le Premier Ministre, le ministre de la Plume, le Cheikh-al-Islam, et le maire de la municipalité de Tunis, les plus hautes instances respectivement politique, judiciaire, religieuse et administrative, elles n’occupent dans la hiérarchie de l’Institut de Carthage que des postes de membres d’honneur. Ceci implique une position très à l’écart et donc marginale dans la prise de décision au sein de l’association. Il est clair que cette situation découle de la position de leurs postes initiaux rendus, par les deux accords, marginaux.

Ce sont les différentes formes du pouvoir colonial qui se trouvent ici les plus sollicitées par les membres du comité d’initiative de la Société. En contrepartie, les trois postes de présidents d’honneur étaient exclusivement réservés, respectivement, au Résident Général, à l’Archevêque de Carthage et au commandant de la Brigade d’occupation. Cela nous mène à dire qu’à côté du pouvoir politique colonial représenté par le Résident Général, les membres du comité d’initiative de l’Institut de Carthage ont rallié, en second le pouvoir religieux représenté par l’archevêque de Carthage primat d’Afrique et en troisième lieu le pouvoir militaire représenté par la personne du commandant de la brigade d’occupation.

A travers cette mise en alliance des trois types de pouvoir coloniaux, à savoir le pouvoir politique, le pouvoir religieux et le pouvoir militaire, l’Institut de Carthage reproduit, sans faille, l’image hégémonique du système colonial français. Par conséquent, c’est à travers cette même composition hégémonique et à travers le contenu de l’action culturelle qu’il mène, que l’Institut de Carthage finit par s’inscrire dans les mécanismes de reproduction de la supériorité française29 dont je rends compte dans le passage consacré aux discours de ses fondateurs.

Pour conclure, l’Institut de Carthage en tant que soi-disant institution « culturelle » est là pour servir le pouvoir politique. Cette institution reflète d’une manière très fidèle les rapports de pouvoir en Tunisie au moment de l’arrivée et par la suite de l’installation des colons français. En revenant aux deux textes légitimant la présence française, on se rend facilement compte de la marginalisation de tout pouvoir tunisien. La présence du bey n’est plus que fictive, il lui est interdit d’exercer le moindre pouvoir réel. Depuis la signature du traité du Bardo le 12 mai 1881, tous les pouvoirs politiques, économiques, militaires sont passés dans le camp français représenté par le résident général. Désormais, selon l’article six du traité du Bardo, ce sont les représentants diplomatiques français à l’étranger qui se chargeront de la protection des intérêts tunisiens. Le pouvoir du bey a été complètement neutralisé : il s’engage à ne conclure aucun acte ayant un caractère international sans en avoir informé le gouvernement de la République française et sans s’être entendu préalablement avec lui. Interdisant, par son deuxième article, au bey de contracter des emprunts pour le compte de la Régence sans l’autorisation du Gouvernement français, la convention de la Marsa (1883) vient confirmer et compléter le traité du Bardo.

1.3. La section « lettres et arts » de l’Institut de Carthage

     1.3.1. Les objectifs de la section lettres et arts

Le champ d’étude de l’Institut de Carthage n’est point limité, il s’étend « à tout ce qui est de nature, en Tunisie, à intéresser les lettres, les sciences, le commerce, les arts et l’industrie », ce qui embrasse « la littérature, l’histoire, la paléographie, l’ethnographie, l’anthropologie, l’archéologie, la numismatique, les sciences physiques et naturelles, la linguistique, la paléographie, la marine, l’économie sociale et politique, la colonisation, etc., etc. »30.

Pour la réalisation de tels objectifs l’institut emploie un certain nombre de moyens pratiques :

«          1° La fondation d’une bibliothèque et de collections diverses ;

            2° La publication d’une revue périodique ;

            3° La mise au concours de quelques spécialistes, avec récompenses aux meilleurs mémoires présentés ;

            4° Des conférences publiques et des expositions artistiques ;

            5° L’établissement de relations suivies et l’échange de bulletins avec les sociétés similaires de France et de l’étranger ;

            6° La mise de ses membres et de ses salles à la disposition des littérateurs, des savants ou des artistes de passage à Tunis. »

A ces fins, les membres de l’association se répartissent en trois sections31 : la section des Sciences historiques et géographiques, la section des Sciences physiques et naturelles avec une sous-section horticulture32 et la section des Lettres et des Arts33. Cette large conception du projet a rendu très vaste le champ à couvrir par le travail de recherches et d’études.

De ces trois sections, je ne présente que celle s’intéressant aux lettres et aux arts. Ce sont les membres de son bureau qui sont les responsables de l’organisation du Salon Tunisien, dont je cherche ici à comprendre les soubassements. Selon le tableau des membres actifs de l’institut, publié dans la Revue Tunisienne dans son numéro 7 de juillet 1895, l’effectif total comprend 303 membres. La répartition des effectifs de chacune des sections se présente comme suit (sachant que les statuts de l’association permettent aux membres de s’inscrire à plus d’une section) :

Tableau n° 6. Répartition des membres actifs de l’Institut de Carthage selon les sections.

Selon les indications fournies par ce tableau dressé par l’association, sur un effectif général de 303 membres, 210 sont inscrits dans la section des Lettres et des arts. Au regard de son effectif, la section des lettres et arts semble être la plus importante pour les membres de l’Institut de Carthage. Deux hypothèses sont envisageables : ne formant pas une activité scientifique à part entière telles que la physique, l’histoire ou la géographie, l’inscription dans la section Lettres et Arts représente pour les membres de l’association, contrairement aux autres sections exigeant des connaissances spécifiques, un moyen de détente et de distraction. La deuxième hypothèse se base sur l’objectif même de la Revue Tunisienne. Celle-ci ayant comme devise de « faire connaitre la Tunisie en France et faire aimer la France en Tunisie », les lettres34 et les arts sont par conséquent les meilleurs moyens pour atteindre les objectifs de la politique colonialiste du fondateur Bertholon.

Les lettres et les arts peuvent ainsi enjoliver l’image de l’Institut de Carthage ainsi que son œuvre colonialiste et inviter les Français, touristes ou immigrants, à se déplacer en Tunisie. De même, l’art peut jouer un rôle très important celui de la propagande. Dans l’un ou l’autre cas, tous les membres de l’association se trouvent concernés par les tâches que l’art peut accomplir35.

     1.3.2. Le comité d’organisation du Salon Tunisien

C’est le comité d’organisation de l’Institut de Carthage qui annuellement, après son élection, désigne le comité d’organisation du Salon Tunisien. Voici dans le tableau qui suit la liste de ceux qui ont été choisis pour diriger le premier Salon :

Tableau n° 7. Membres d’organisation du premier Salon Tunisien.
Tableau n° 8. Répartition du comité d’organisation du Salon Tunisien selon les catégories.

Partant des quatre catégories déjà établies pour l’étude du bureau de l’Institut, j’étudie ici la structure du comité d’organisation du Salon Tunisien. Absents du bureau de l’Institut, les artistes représentent ici une nouvelle catégorie. Le choix de les distinguer permet d’établir la comparaison en les confrontant aux autres catégories. Cette nouvelle répartition fait apparaitre en premier la catégorie des administrateurs, juristes et financiers avec un effectif de neuf membres sur un total général de dix-sept. Nous y trouvons aussi cinq artistes, deux militaires, un professeur de rhétorique et aucun religieux. Mais le fait marquant qui a attiré mon attention est le poste du président de ce comité. Celui-là n’est pas accordé à un artiste mais à M. Servonnet, lieutenant de vaisseau, attaché naval à la Résidence Générale. Le président d’honneur est M. Machuel, Directeur de l’Enseignement public en Tunisie. Ainsi à travers la structure du comité du Salon tunisien vient s’affirmer encore une fois l’objectif d’administration et de gouvernance, donc l’engagement de l’Institut et l’implication des artistes dans le projet de l’entreprise coloniale.

La comparaison du bureau de l’Institut de Carthage et de celui du comité d’organisation du Salon Tunisien révèle une même structuration des catégories socio-professionnelles. D’une part ce sont les administrateurs, les juristes et les financiers qui se placent devant, les artistes arrivant en seconde place. En dernier on trouve une seule personnalité représentante de la catégorie science et culture. Outre que les artistes sont absents du comité d’initiative, leur positionnement au deuxième rang dans le comité d’organisation du Salon Tunisien confirme leur faible poids dans la prise de décision. S’ils sont sans effet dans celui-là, ils sont secondaires dans celui-ci, ce qui confirme l’objectif colonialiste d’administration et l’efficacité des moyens qui sont mis à son service.

La composition du Comité d’organisation du Salon, tel qu’il est pour l’Institut de Carthage, nous informe sur les importantes structures coloniales mises en place en vue de servir l’empire français. Ainsi composé, ce Comité exprime plus « les besoins de la lutte pour l’existence »36 française coloniale dans un « pays neuf » que les besoins esthétiques. C’est ici que réside l’enjeu pour lequel une aussi importante structure organisationnelle fut employée. Il est intéressant de voir à quel point la « lutte pour l’existence » avait dérouté les regards des personnes responsables d’une mission culturelle. On voit bien que l’organigramme de cette section a rendu obsolète une question socialement très importante, celle de l’interdiction de la représentation dans un pays arabo-musulman tel que la Tunisie. Hypothétiquement, et dans le cas où cet organe culturel est mis en place pour le développement des arts, une telle question ne pouvait pas être négligée. Donc, si le Comité n’a pas cherché à répondre pour résoudre une éventuelle résistance des Tunisiens à une aussi importante manifestation picturale, cela signifie que ces derniers n’occupent qu’un rang secondaire dans l’ordre des priorités de la section Lettres et arts de l’Institut de Carthage et donc de l’entreprise coloniale. Cette idée a été déjà énoncée à travers l’étude de la composition du bureau et des invités d’honneur de l’Institut. Ainsi nous pouvons affirmer le fait que le Salon est mis en place pour les Français de Tunisie et les visiteurs étrangers en tant qu’outil servant à faire preuve de la supériorité française et non pour les Tunisiens eux-mêmes. Là est l’une des réalités de la colonisation. Celle-ci œuvre autant pour le développement de l’Empire métropolitain que pour la colonie elle-même37 (ce qui renvoie à la conception de Bertholon qui envisageait d’expédier les Tunisiens au Soudan).

Le besoin d’occupation est, pour les membres d’initiative de la société, l’un des objectifs majeurs de leur entreprise. En 1894, toute l’entreprise coloniale en Tunisie n’avait que 13 ans d’existence. Si la « truelle du maçon européen » et les travaux de Fromentin et de Guillaumet, ont rendu l’Algérie « banale », en revanche Tunis est devenue un centre de curiosité pour les touristes et les artistes européens38. Elle est l’une des rares villes de l’Afrique du Nord ayant « l’heureuse fortune de conserver, à peu près intact, ce cachet particulier qui caractérise les cités orientales ». Des institutions doivent alors être mises en place afin de permettre aux différents visiteurs, artistes, savants et littérateurs, de bien profiter de leur voyage en Tunisie. Ainsi, comme dans toutes les colonies, l’institutionnalisation de la présence coloniale est un besoin primordial.

L’Institut de Carthage se propose, théoriquement dans les statuts, « de se mettre à la disposition des savants, des littérateurs et des artistes de passage à Tunis pour leur donner d’utiles indications et faciliter leurs travaux ». Cependant cette fonction, bien que primordiale dans les statuts et le discours des membres du comité d’initiative, apparait secondaire sur le terrain. L’examen des artistes exposant au Salon Tunisien témoigne du choix de cette société pour un art plutôt orientaliste. Il rend compte, par conséquent, de sa pesante fonction organisationnelle officielle. Ces artistes sont essentiellement des artistes académiciens répondant au besoin d’affirmation de la présence et de la supériorité coloniale en Tunisie. D’autres artistes tels que Paul Klee, Auguste Macke et Louis Moilliet n’ont eu, lors de leur voyage en Tunisie an 1914, aucun contact avec cette société. Mis à part l’accueil chez le médecin Ernest Jaeggi, lui aussi de nationalité suisse, les trois amis peintres n’ont pas eu de contacts avec les artistes peintres de Tunisie39. En revanche, le peintre académicien Louis Chalon a été somptueusement accueilli lors de la première exposition du Salon Tunisien. Les organisateurs ont misé sur le talent de celui-ci pour « favoriser la création d’un mouvement artistique à Tunis ». Les sujets des grandes œuvres de cet artiste exposées pour la première fois en Tunisie rejoignent et confirment le projet colonial, voire impérial, de l’institution coloniale. Ses tableaux reprennent largement l’idéologie de cet institut exposée dans les discours inauguraux de ses membres les plus éminents.

1.4. Le discours inaugural : civilisation versus barbarie

A la séance inaugurale de l’Institut de Carthage, tenue le 7 décembre 1893, au Jardin d’Hiver, un discours et une conférence sont prononcés et publiés dans le premier numéro de la Revue Tunisienne. Le premier est celui de M. Dr Lucien Bertholon, le deuxième de M Auguste Pavy. Si le premier discours était plutôt diplomatique avec quelques notes politiques et idéologiques sur la situation des colonies, la conférence, elle, cherchait à faire de la présence coloniale française, principalement en Tunisie, une nouvelle révolution. Celle-ci vient se rajouter aux autres révolutions que la Tunisie a connues depuis l’histoire antique. Le conférencier évoque deux périodes révolutionnaires : la période carthaginoise et la période romaine. La présence française est, à leur suite, considérée comme la troisième révolution.

Dans son discours, l’orateur M. le Dr Bertholon, affirme la perspective de l’association :« marquer une nouvelle étape dans l’histoire de l’influence civilisatrice de la France en Tunisie. » Pour y aboutir, l’association s’impose de rassembler et de faire connaître la Tunisie sous tous ses aspects : « la littérature locale », les « chants antiques » et les « vieilles traditions ». Cela permettra « de reconstituer ce qu’était l’ancien habitant de ce pays, de fixer l’origine probable de nos populations indigènes ? » Ainsi, le développement que ce soit de l’archéologie, de la numismatique, des sciences physiques et naturelles ou la climatologie porte « un intérêt capital et surtout pratique pour la prospérité de la colonie ». Pour cette raison, l’association a regroupé dans son comité d’initiative les noms de commerçants, de colons agricoles, de fonctionnaires chargés de s’occuper des intérêts de la viticulture et de la colonisation. À l’intérêt pratique de la connaissance coloniale de la Tunisie par un peuple au « génie littéraire … jamais dépassé » se rajoute le plaisir que peut procurer un tel « coin de cet Orient où littérateurs, poètes et artistes viennent et sont toujours venus puiser leurs inspirations les plus sublimes ». Pour Bertholon l’association peut permettre à la colonisation de joindre l’utile à l’agréable. L’utilité pratique de la connaissance de la Tunisie sous tous ses aspects sert à perfectionner les centres de production, c’est-à-dire les centres d’inspiration des artistes « qui se nomment Tunis, Nabeul, Sousse, Kairouan, Gafsa, Djerba ».

On déduit que l’intérêt pratique d’une telle association est de développer les sciences physiques et naturelles qui peuvent servir à des découvertes géologiques ou minéralogiques, « tels sont les riches phosphates de Gafsa, telles sont aussi les diverses mines que l’on découvre un peu partout ». Ce même intérêt pratique peut aussi servir aux artistes en perfectionnant « le procédé de leurs centres de productions ».

L’ambition de cette association est beaucoup plus large. Elle espère contribuer à ce qu’au-delà de la mer, on puisse apprécier « ce pays endormi à qui il manque, pour se réveiller, le souffle vivifiant de la civilisation française ». Ainsi d’autres occidentaux pourraient être séduits et fournir l’appui de leurs intelligences, de leurs bras et de leurs capitaux pour investir en Tunisie.

Pour atteindre ce but, la société met à disposition des voyageurs une bibliothèque où ils peuvent trouver les documents nécessaires pour leurs études. Dans la même optique, sera organisée une exposition artistique qui « fera peut-être germer des vocations artistiques dans de jeunes cerveaux, et nous aurons la gloire d’avoir doté la Tunisie de quelques artistes de génie ». Une préoccupation paternaliste anime le président, c’est celle de voir « le nouveau-né sain, robuste et d’un développement rapide »40.

La deuxième intervention41 est, à mon égard, plus importante. En tant que première conférence de l’Institut de Carthage, je la considère fondatrice aussi bien de l’esprit que du projet général de l’Institut. Elle reflète concomitamment le mobile colonialiste. C’est sur les bases de cette conférence que seront conçus les projets futurs à entreprendre par l’association. Ces considérations répondent à la question du choix de l’orateur et du contenu de sa conférence et font de lui, en tant qu’un des fondateurs et premier conférencier, le concepteur du projet de l’Institut de Carthage.

L’objet de cette conférence est les révolutions dans l’histoire ancienne de la Tunisie. Le conférencier commence par signaler la place de la Méditerranée comme lieu de grands événements historiques parmi lesquels la Tunisie tient une place remarquable puisque « Pas un seul de ses rivages (la Méditerranée) n’a cependant été, peut-être, le théâtre de drames aussi nombreux, ni le témoin de lutte aussi gigantesques, surtout par leurs conséquences, que le fut ce petit coin de terre qui s’appelle aujourd’hui la Tunisie. »42.

L’évocation des grandes révolutions de l’Egypte, de la Phénicie, de la Grèce, de Carthage, de Rome est pour cette conférence le cadre général dans lequel sera insérée « l’action déjà si féconde et surtout si profondément civilisatrice de notre France sur cette partie de l’Afrique du Nord »43. Ainsi dès le début un double patriotisme marque les travaux de cette Société, les membres d’initiative aimeront qu’une telle empreinte dure toujours. Ce sont les marques de « l’exaltation de notre grande et inoubliable Patrie, et [du] récit des gloires, de la décadence et du relèvement progressif, sous le Protectorat français, de cette patrie d’adoption sur laquelle les hasards de la vie ont jeté, ne fut-ce que pour un jour notre fragile esquif. »44.

Il retrace par la suite l’histoire des guerres révolutionnaires qu’a connues la Tunisie, telles que celles des phéniciens contre les berbères au IXe siècle avant J-C. Contre la force de Carthage qui dominait le monde une autre force s’est érigée. Carthage a succombé sous la nouvelle force romaine, mais plus par « la perfidie », la mauvaise foi punique et par manque de patriotisme que par la force de son ennemi. Le patriotisme est alors « la science », la seule qui peut sauver un peuple en le rajeunissant.

L’orateur se réfère donc aux volontaires de 1792 qui « marchaient aux combats pieds nus, sans solde, sans vivres, presque sans habits et sans armes. Et pourtant ils triomphaient !... Parce qu’ils étaient patriotes ; parce que l’amour sacré de la Patrie qui débordait sur leurs lèvres dans les strophes brûlantes de la Marseillaise leur donnait des ailes et leurs donnait des bras en leurs donnant du cœur ! »45. Une science et un amour qui accompagnent « l’heure des viriles actions, des dévouements absolus et des abnégations totales. »

Pour le conférencier, la chute de Carthage a eu un retentissement prodigieux, c’est « l’un des plus formidables de l’histoire parce qu’il fut la lutte suprême de l’Orient contre l’Occident. Carthage tombant sous les coups de Scipion est plus qu’un peuple qui meurt, c’est le vieux monde qui s’en va ; ce sont toutes les civilisations usées de l’Afrique et de l’Asie qui s’effondrent. Désormais, avec Rome, l’Europe prend la tête des nations. Toutes se courbent, l’une après l’autre, sous son joug. Ce fut d’ailleurs une grande époque pour la Tunisie, que cette période de la domination Romaine. »46.

Aussi bien de point de vue matériel que littéraire et artistique nationale :« instruire, c’est améliorer ; éclairer, c’est moraliser ; lettrer, c’est civiliser ! Humaniores litterœ disent les anciens. Et les anciens ont raison. Les lettres achèvent l’homme en effet, et lui donnent cet exquis et parfait développement que ne communiquent ni la naissance, ni la fortune, ni les honneurs. Elles illuminent le front d’une auréole qui survit à toutes les vicissitudes et que le malheur ne saurait éteindre. Elles font Homère plus grand qu’Alexandre ; elles placent Virgile au-dessus d’Auguste ; Tacite avant Tibère ; Bossuet, Corneille, Racine et Molière avant Louis XIV, et mettent Victor Hugo sur le même rang que Napoléon. »47.

Après la prestigieuse période romaine « c’est la nuit » dit l’orateur. C’est la barbarie qui reprend l’Afrique jusqu’à ce que « les hordes de nomades qui, le cimeterre d’une main et le Coran de l’autre, se ruent sur elle, en escadrons innombrables, des brûlantes profondeurs de l’Arabie ». Contrairement à cette ère pleine de ténèbres et de nuit qui dura 1200 ans où ce peuple n’élabora, en quelque domaine que ce soit, aucun pas en avant48, « l’Europe marchera... Les grandes étapes seront marquées par Charlemagne, Charles-Quint, François Ier, Louis XIII et Richelieu ; par Jeanne d’Arc, Christophe Colomb, Gutenberg et Voltaire ; par le siècle de Léon X et le siècle de Louis XIV ! Elle atteindra l’étincelant sommet de 89, des hauteurs duquel elle saluera l’aurore de cette splendide Révolution qui laisse à peine entrevoir encore tout ce qu’elle donnera, dans l’avenir, de paix aux peuples, de liberté, d’amour et de fraternité aux hommes !»49.

Contrairement aux autres nations, la France est arrivée seule sur « les plages barbares d’Afrique » dans une « périlleuse et chevaleresque entreprise ». Elle est venue ferme et résolue « à ne plus quitter la terre dont elle prenait possession avant de l’avoir restituée à la civilisation », conformément à « ses traditions séculaires ». À l’inverse des révolutions passées et des autres nations la France est venue montrer au monde que « pour féconder le sillon où germe l’avenir des peuples, il n’est pas nécessaire d’y verser leur sang, mais qu’il suffit d’y semer des idées ». Ce « spectacle » a été, selon l’orateur, confié aux missionnaires présents en Afrique du Nord : « Nous sommes en effet ici son avant- garde [la patrie], ses pionniers de chaque jour, et c’est sur nous qu’elle compte, avant tout, pour faire sortir une société nouvelle de la société ancienne. »50. Convaincu que la réalité des faits dépassera les espérances conçues « les splendeurs de l’Afrique Française feront pâlir les splendeurs de l’Afrique Romaine elle-même ! »51.

C’est sur cette base que s’est construit le projet de l’Institut de Carthage : servir la patrie française. Les objectifs dressés, les membres et les personnes invités et les moyens utilisés, dont j’ai exposé plus haut, le prouvent. Par-dessus son but général défini dans le titre même, l’association avait déterminé, avant même de tracer un programme52, un but particulier celui de « faire connaître, sous toutes ses faces et de toutes les manières possibles, la Tunisie. »53. En 1909, l’association demande au résident général de la reconnaître en tant que société publique54, ce qui lui permet de devenir une institution officielle afin de participer à l’œuvre coloniale générale. Une volonté que l’on trouve exprimée dans la déclaration de M. Sevronnet lors de sa rencontre avec le résident général :

« À côté de l’effort économique, industriel et commercial qui s’affirme de plus en plus dans ce pays, un mouvement d’intellectuels ne pouvait manquer de se dessiner, et il s’était déjà manifesté à diverses reprises et sous diverses formes. »55

La réponse du résident général, ainsi que l’article premier des statuts de l’association confirment cette orientation « éminemment patriotique et civilisatrice »56 :

« … montrer à la France attentive, mais non étonnée, qu’un peu de son génie national nous a accompagnés par-delà les mers, et que si la Tunisie a des bras pour produire, elle a aussi un cerveau pour penser ; qu’elle possède des historiens pour reconstituer son passé, des géographes pour la décrire, des artistes pour en fixer l’aspect toujours pittoresque et des bardes pour la chanter57 [tout cela servira] pour le plus grand bien de la Tunisie, pour le plus grand renom de la patrie française. »58

Les objectifs de la société, ici dessinés, concordent et s’harmonisent parfaitement avec les objectifs de la colonisation. Il est clair dans le discours de Sevronnet que le travail intellectuel ne diffère en rien du travail économique, industriel et commercial. Les objectifs à atteindre par l’historien, le géographe et l’artiste s’harmonisent parfaitement avec ceux des industriels des commerçants et des exploitants agricoles. En effet, en tant que « pays nouveau », la Tunisie est alors un champ encore vierge, objet d’« exploitation » et de « fertilisation ». Ce sont ces mêmes objectifs qui vont être affirmés et surenchéris lors des différentes rencontres et les multiples conférences organisées par cette association.

De même que les exploitations minières, agricoles ou industrielles à la recherche de nouvelles ressources, les entreprises des historiens, des géographes et des artistes cherchent, elles aussi, des terrains à explorer et à exploiter. Si l’entreprise des premiers acteurs était la réalisation de fins pratiques : industrielles, commerciales et agricoles ; celle des deuxièmes, quant à elle, est d’ordre intellectuel, l’une ne peut aller sans l’autre. Les deux tâches théorique et pratique sont étroitement liées l’une à l’autre. Comme toute intervention sur le terrain nécessite que soit déterminés au préalable le degré de son efficacité et l’ampleur de son action, c’est l’Institut de Carthage qui gérera cette dernière tâche. En effet, il s’agit, dès le départ, de rassembler les efforts intellectuels des français déjà installés en Tunisie et d’encourager et de faciliter l’accueil des nouveaux. C’est l’association des deux types d’entreprises, économiques et intellectuelles, qui mènera à l’épanouissement de l’empire colonial français et à la réalisation de sa tâche civilisatrice.

L’examen des différents procès-verbaux, des discours et des déclarations des membres du comité d’initiative de cette association fait surgir une constante, celle de l’apport fait par la présence française dans les colonies, conduisant à la prospérité nationale française. Ainsi les intentions, à inspirations patriotiques, ont représenté le vecteur menant à la concrétisation du projet en entier. Si les statuts étaient, de ce point de vue, neutres, la manière dont la société a été présentée auprès des trois présidents d’honneur MM. Ch. Rouvier résident général de la République française, S.G.Mgr Combes Archevêque de Carthage, Primat d’Afrique et le Général Leclerc commandant la Brigade d’occupation, ne l’était pas. Les références identitaires nationales sont d’autant plus présentes que ce soit dans le discours prononcé par le Président de la Société M. le Docteur Bertholon ou dans la conférence faite par M. Pavy et présentée à la séance inaugurale de la société le 7 décembre 1893.

L’une des premières idées à retenir est celle de l’emploi des colonies pour le prestige de la métropole. L’intérêt porté à l’art indigène s’explique par sa capacité à faire ressortir la supériorité « indépassable » de la civilisation française. Il s’agit, dans cette partie, de décrire le contexte historique dans lequel est née la peinture de chevalet en Tunisie. Cet objectif nous permettra de mettre en exergue les indices qui nous amèneront à la recomposition du cadre esthétique et organisationnel menant à l’apparition de la principale institution artistique de l’histoire de l’art en Tunisie qui est l’École de Tunis. Cette description nous mènera à la réalisation de deux objectifs indissociables et fortement liés l’un à l’autre. Le premier consiste en une contextualisation de ce qu’on désigne, volontairement en Tunisie, par « peinture de chevalet ». Généralement on traite le phénomène de l’apparition de la peinture et des premiers peintres en Tunisie comme un fait extraordinaire, dans la mesure où l’artiste qui choisit d’avoir une pratique artistique doit obligatoirement être capable de faire face à toute une société traditionaliste et iconoclaste. Face à la société tunisienne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, le choix d’être artiste représente un comportement que nous pourrions qualifier de « délinquant ». Il est évident que pour la société tunisienne de cette époque, comme c’est le cas pour toutes les sociétés musulmanes, la représentation est clairement considérée comme une pratique interdite.

1.5. Les lettres et les arts au service de la colonisation : le Salon Tunisien

La section « Lettres et arts » de l’Institut de Carthage est la section à laquelle je m’intéresserai ici. C’est à cette section que revient la mise en forme de l’idée d’une exposition artistique en Tunisie. Le recours à l’analyse de sa structure et de son mode de fonctionnement m’aidera à faire ressortir ses caractéristiques propres, mais aussi par la suite à tracer les concordances entre les fils conducteurs de l’institution mère et par conséquent avec l’entreprise coloniale générale. Le Salon Tunisien, de par son extrême longévité (1894-1984), est la principale entreprise d’art en Tunisie. Quels étaient ses effets sur la production artistique dans ce pays ? A-t-il forgé un goût artistique caractéristique ? A-t-il canalisé une esthétique spécifique ?

Le Salon Tunisien étant partie intégrante de l’Institut de Carthage, je peux, en me basant sur le travail effectué ci-dessus, émettre l’hypothèse suivante : le Salon Tunisien est un moyen parmi d’autres utilisé par l’Institut de Carthage pour la mise en œuvre de ses objectifs. A priori il serait difficile d’écarter l’idée d’une instrumentalisation du Salon et donc de l’image pour diffuser les normes et les valeurs coloniales.

     Le Salon Tunisien :

Le seul essai réservé uniquement à l’histoire du Salon Tunisien est celui rédigé par Patrick Abéasis59. D’autres ont été publiés mais d’une manière sommaire et fragmentaire. Je cite Narriman El Kateb Ben Romdhan, Ali Louati, Gérard Ben Kheikh, M’hamed Souissi qui dans des textes traitant de l’histoire générale de l’art en Tunisie évoquent le Salon. Prenant acte de cette lacune, mais aussi de l’aspect d’inventaire dans le travail d’Abéasis, j’entreprends un nouvel essai en me référant essentiellement à la collecte d’informations dans deux sources principales : la première est la Revue Tunisienne en tant qu’organe de l’Institut de Carthage ; la deuxième est l’ensemble des journaux dépouillés. Il existe d’autres ressources également importantes mais qui n’ont été consultées qu’épisodiquement, soit parce que les collections incomplètes sont incomplètes, soit parce que mon travail ne nécessite pas une étude exhaustive. Ce sont entre autres : La Tunisie illustrée, L’Afrique littéraire et artistique, Etudes méditerranéennes, Faïza, Bulletin économique et social, Tunisie-France, Afrique action60. Il existe aussi deux ouvrages importants, celui de Paul Lambert Choses et gens de la Tunisie61, et celui d’Yves Châtelain La vie littéraire et intellectuelle en Tunisie de 1930 à 193762.

Dans cette étude, je présenterai le Salon Tunisien tout au long de son existence (quatre-vingt-dix ans). Pour des questions méthodologiques, une tripartition a été adoptée. Ce découpage débute de l’événementiel du Salon, en tant que pivot d’un monde de l’art en construction en Tunisie. Il vise à nous permettre de mieux comprendre les différents types de rapports entre ce principal acteur, le Salon Tunisien, et les différents autres acteurs tels que les nouveaux venus, l’entreprise coloniale, la clientèle, etc. Il me permettra aussi de me référer à ses différentes périodes pour déterminer la manière selon laquelle se sont formées les règles du jeu, ainsi que le processus de la construction des rapports de pouvoir au sein de la scène artistique locale.

La première période de ce Salon commence en 1894 avec la première exposition, organisée par MM. le Lieutenant de vaisseau Servonnet en tant que président et Machuel, Directeur de l’enseignement public en Tunisie, en tant que Président d’honneur. Cette première période dure jusqu’en 1912 date à laquelle Alexandre Fichet, jeune socialiste, arriva à la tête du Salon en tant que nouveau président. La deuxième commence à cette date -1913- pour s’étendre jusqu’à 1934, période durant laquelle le Salon Tunisien a connu un ensemble de crises, résultats de plusieurs conflits. L’aboutissement de ces conflits est la création du Groupe des Quatre, premier noyau de l’École de Tunis. 1934 est également une date importante en raison de l’émergence d’une nouvelle approche de la pratique artistique concordant avec la naissance du professionnalisme artistique. La troisième période débute donc avec le rejet de l’amateurisme en 1934, pour se poursuivre jusqu’à la dernière édition du Salon en 198463.

     1.5.1. La première période 1894-1912 La création du Salon Tunisien

          a- La création

Si nous avons considéré que la Revue Tunisienne est la source d’information la plus sûre, c’est qu’elle est chronologiquement la plus proche du déroulement des faits et par conséquent la plus fiable. D’autres travaux dont les informations se contredisent avec celles de la revue nous font douter et peuvent nous induire en erreur. Nous pouvons citer comme exemple l’ouvrage d’Yves Châtelain64, dans lequel la constitution de la section artistique de l’Institut de Carthage est datée de 1901, information incompatible avec les statuts de l’association. Quant à la thèse de Micheline Ben cheikh Gérard, celle-ci nous informe que le Salon Tunisien est l’œuvre d’Alexandre Fichet, qui après un certain temps à la tête de la direction des arts plastiques de l’Institut de Carthage, aurait créé en 1912 le Salon Tunisien. Ces informations, nous les avons déjà énoncées65.

La Revue Tunisienne, publie dans son premier numéro de janvier 1894, les statuts de l’Institut de Carthage. Ceux-ci nous informent dès le premier article que l’association, pour mener à bien ses objectifs, emploie un ensemble de « moyens pratiques » au nombre desquels figurent « les expositions artistiques ». L’article 9 des mêmes statuts, précise que l’Institut de Carthage se compose de trois sections : la section des sciences historiques et géographiques, la section des sciences physiques et naturelles et la section des lettres et arts66. Ainsi, ni la section Lettres et arts, ni le Salon Tunisien n’ont été ultérieurs à la création de l’Institut de Carthage. Tous les deux ont été programmés dès le 13 novembre 1893, date à laquelle a été annoncée la création de l’Institut. Donc, en 1901 la section Lettres et arts avait déjà huit ans d’existence ; en 1912 le Salon Tunisien en avait dix-huit et en était à sa 14e édition.

Pour revenir à cette première coupure, le choix de la date de 1913 est dicté par des raisons thématiques et formelles, directement liées à la marche du Salon. Sur le plan thématique, le Salon a été, depuis sa première exposition en 1894, dominé par la peinture orientaliste. Cette orientation s’est affirmée encore plus avec l’adhésion, lors du IVe salon tenu en 1897, de la Société des peintres orientalistes français. La raison organisationnelle, quant à elle, revient à la nomination d’Alexandre Fichet, nouveau président de ce Salon. Celui-là a accéléré la timide ouverture du salon, en le centralisant autour de deux principaux axes : l’amateurisme et la découverte de nouveaux talents.

Dans ce passage, je cherche à mettre en évidence les principales caractéristiques du Salon pour brosser le tableau de la scène artistique locale et faire ressortir la manière selon laquelle la pratique de la peinture a été structurée. Pour y parvenir, j’analyserai les expositions organisées par le comité du Salon Tunisien. N’ayant pu obtenir les catalogues de ces expositions, je me concentre sur les différents discours produits autour de ces dernières. Bien qu’un excellent support, qui est l’image, fasse défaut pour l’étude de la peinture, je suppose que le discours produit autour est aussi révélateur que l’image.

          b- La première exposition du Salon Tunisien

Dans son environnement local de la fin du 19e siècle et du début du 20e, le Salon Tunisien est, incontestablement, l’unique espace artistique où une peinture moderne a pu se pratiquer et évoluer en Tunisie. Mis à part quelques petits « cénacles »67 d’amis français ou quelques descendants de l’aristocratie tunisoise, il n’y avait, avant le Salon Tunisien, aucune autre structure artistique spécialisée et organisée. C’est dans les petits cénacles d’amis médecins, avocats et administrateurs coloniaux et dans ceux des milieux de l’aristocratie tunisoise de la cour beylicale et de leurs proches, tous porteurs d’un goût pour le mode de vie occidental moderne, que la peinture de chevalet a été, pour la première fois, pratiquée et appréciée68. Les différences d’appartenance de ces deux catégories d’artistes, Français d’une part et Tunisiens de l’autre, ont déterminé les développements futurs de l’action de chacun d’eux. Il est clair que si la peinture s’est développée du côté français et non du côté tunisien cela revient à deux principales raisons : la première est le poids de la tradition picturale des pays occidentaux ; la deuxième est le très important soutien porté par l’entreprise coloniale aux organisateurs du Salon Tunisien. En revanche, du côté tunisien la peinture est restée tributaire d’un imaginaire hostile à la représentation. Ce dernier point a pour longtemps empêché le développement des artistes, de l’art et de sa consommation.

L’art moderne en Tunisie, sous sa forme institutionnelle, n’est pas la seule pratique artistique à la fin du 19e siècle. Avant la création du Salon Tunisien, cette pratique y a connu d’autres formes. Excepté à la cour beylicale et parmi les quelques hauts dignitaires, la peinture ne représentait pas un « métier » à part entière. Elle était plutôt un produit de consommation importée, plutôt qu’une pratique de production. C’était surtout la haute société, essentiellement la cour beylicale, qui, par son goût du mode de vie européen, a introduit dans son milieu aristocratique la peinture. Ceci explique le fait que les premiers à avoir pratiqué la peinture soient les descendants de ces milieux. En tant que métier/ profession à part entière, la peinture moderne, telle qu’elle a été pratiquée par des artistes tunisiens et en tant que produit de consommation par des acteurs eux aussi tunisiens, était très restreinte. La principale forme de cette pratique était l’art du portrait. La principale clientèle de l’art se compose de l’aristocratie tunisienne, en premier les Beys et les membres de leurs cours. Ces derniers ont, dès le début du dix-huitième siècle, exprimé un penchant pour le mode de vie européen que ce soit pour le mobilier ou pour la peinture. Ainsi c’est la cour qui a en premier introduit cette nouvelle forme d’expression artistique. Les premiers tableaux étaient commandés à des peintres que la cour faisait venir d’Europe.

Bien que les artistes soient en majorité européens, nous trouvons parmi eux quelques peintres tunisiens musulmans. Le premier est Ahmed Osman. Né en 1848, son père, haut fonctionnaire de l’armée beylicale, l’a envoyé, sur le conseil du Consul d’Italie à Tunis, à Rome pour y faire des études de peinture. Aujourd’hui les informations concernant ce premier peintre tunisien musulman font faute « Nous ne savons rien sur le contenu réel de ces études et leur durée, pas plus que sur l’évolution de sa manière de peindre »69. Le deuxième est Hédi Khayachi, né en 1882 et décédé en 1948, lui aussi portraitiste de la cour. Malgré ce parcours, atypique à la société tunisienne de la deuxième moitié du XIXe siècle, les noms de ces deux peintres tunisiens ne sont jamais apparus parmi les listes des artistes défilant aux différentes expositions du Salon, vouées à la peinture française.

Le vernissage de la première exposition artistique organisée sous le label du Salon Tunisien a eu lieu le vendredi 11 mai 1894 au local de l’Association ouvrière maltaise70. Cette première manifestation a représenté un défi pour le comité d’organisation qui n’eut que six mois pour la préparer. La revue publie le compte rendu de cette « solennité » dans son troisième numéro de juillet 1894. Le vernissage était réservé aux artistes exposants, au comité de l’exposition, à la presse et aux membres de l’association ouvrière maltaise et leurs familles.

C’est dans les textes publiés par la Revue Tunisienne que nous décelons le mieux les spécificités du Salon Tunisien. Dans l’article « Une exposition artistique à Tunis »71 l’auteur commence par présenter le premier élément donnant à cette manifestation sa dimension majeure : la ville. Tunis est l’une des rares cités à avoir conservé un « cachet particulier qui caractérise les cités orientales », base sur laquelle l’Institut de Carthage a construit son projet. Selon cet article, Tunis est ville de lumière, de soleil, de couleur, de pittoresque dans laquelle les artistes « trouvent, à chaque pas, de nouveaux et curieux sujets d’étude. ». Autant de moyens pour attirer et pour retenir les artistes, lesquels peuvent diffuser l’image de la Tunisie et attirer les touristes et les immigrants français. Un objectif dont nous avons relevé l’importance en tant que visée primordiale pour le projet colonial de l’Institut de Carthage.

Cette première édition du Salon Tunisien s’est appuyée sur la réputation de Louis Chalon. Jeune artiste peintre, figure de gloire de l’Ecole française ; il est désormais le garant du succès du Salon Tunisien. Bien qu’il ait adopté comme « règle »72 de ne jamais exposer hors de Paris, il a tout de même accepté de « favoriser la création d’un mouvement artistique à Tunis. »73. Dans sa réponse au discours prononcé par le président de l’association à l’inauguration du premier Salon, Chalon insistait, lui aussi, sur le côté pittoresque de la Tunisie en lui promettant d’œuvrer, à son retour à Paris, pour la faire connaitre. Ceci est le but de tout le travail des organisateurs de l’Institut de Carthage, comme son président l’a fait ressortir lors du vernissage pour rappeler ce même but « travailler à la prospérité de la Tunisie en la faisant connaitre. »74.

Pour cette première exposition, c’est M. Goin maître au barreau de Tunis qui se pose en critique. Son texte « Le Salon Tunisien » a été publié dans le troisième numéro de la Revue Tunisienne, 189475. Pour lui le Salon Tunisien est « une véritable révolution… une révolution dans la marche en avant de la Tunisie. »76. Pour lui, la Tunisie est, depuis des siècles, une terre stérile, bornée par l’étroitesse de l’esprit « sémite »77. La première exposition du Salon Tunisien en tant que « la plus haute manifestation de l’intelligence »78 est l’expression du génie « aryen »79 venu pour la féconder. Plus loin, le critique trouve dans le Salon le meilleur moyen pour que « Mercure, le dieu du mercantilisme et des voleurs »80 soit remplacé par Apollon.

Lors de cette période, les organisateurs ont rencontré de multiples obstacles. Le plus important était le financement de l’exposition et notamment la lourde charge des assurances des œuvres lors du transport et de l’exposition. C’est ainsi que le comité n’a pas pu tenir le Salon de 1902 à 1905. Pour cette première phase, quatorze expositions ont eu lieu entre 1894 et 1912, plusieurs présidents et des centaines d’artistes y ont participé. D’autre part, malgré les différentes visites d’artistes de renommée internationale, nous citons essentiellement Klee et Kandinsky, aucun changement de tendance dans le choix des artistes et des œuvres n’a été remarqué. Si la tendance du Salon n’était pas complètement claire lors de la première version, à partir de la seconde celle-ci commence à prendre forme à travers des œuvres telles que : Intérieur de palais arabe et le Souk des Selliers de l’artiste Louis Chalon. Le souk des parfums, le Souk des tailleurs, et Terrasse de café de Mme Maillet-Grégoire ; Chef arabe passant un gué, et Chamelier au repos de M. Boze ; Enfants tunisiens et le Souk des teinturiers de Nardac ; etc.

Ce choix des organisateurs pour l’orientalisme et le folklorisme s’affirme nettement à partir de la quatrième exposition (1897) avec la présence de la Société des peintres orientalistes français qui, lors de cette exposition, a envoyé une centaine d’œuvres. La collaboration entre le Salon Tunisien et la Société des peintres orientalistes français n’était pas sporadique, cette dernière domina le Salon pendant plusieurs années tout en forgeant sa vocation.

     1.5.2. La deuxième période 1913-1934 : Alexandre Fichet nouveau président

Lors de sa deuxième période, le Salon a été marqué d’une part par l’arrivée d’Alexandre Fichet à sa présidence et d’autre part par deux crises principales : la grande guerre ainsi que l’une des plus importantes contre-actions de la part des conservateurs qu’ils soient artistes ou journalistes. Après la prédominance de la peinture orientaliste lors de la période précédente, le salon s’est ouvert à toutes les tendances sans aucune exception. Le fait marquant a, surtout, été son ouverture aux jeunes artistes et à la jeune peinture. Le Salon a le privilège d’avoir exposé des artistes cubistes avec M. Albert Gleizes et Melle Marie Laurencin, avant même que cette nouvelle peinture ne soit exposée à Paris. Nous pouvons nous poser la question sur les raisons de ces changements inattendus.

À partir de 1913, Alexandre Fichet devient le président du Salon Tunisien, ce qui a donné à cette manifestation artistique annuelle un élan considérable marqué par l’ouverture et l’innovation. Né à Paris en 1881, Fichet arrive en Tunisie en 1902, âgé seulement de 21 ans pour la décoration de la salle de spectacle du Palmarium. Il finit par s’installer à Tunis et enseigner le dessin au collège Alaoui. Il fonde En 1905 une troupe de théâtre, l’Essor, qui donne plusieurs représentations et de nombreuses conférences sur des sujets très diversifiés. Socialiste, il fonde avec cinq de ses camarades la section socialiste de Tunisie. En 1924, il épouse Eva Duran-Angliviel, sœur d’André Duran-Angliviel leader de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en Tunisie. Il collabore au journal Tunis Socialiste sous le pseudonyme d'Henri Verbizard dans lequel il publie plusieurs article et critiques artistiques. Animateur de la scène artistique et militant socialiste, Fichet jouit parmi les artistes, les intellectuels et les militants nationalistes d’une image très prisée. Nariman El Kateb Ben Romdhane le qualifie de « représentant officiel ». L’emprise de Fichet sur le Salon ne pouvait pas être sans effets. Dès son arrivée, deux valeurs ont été mises en avant : l’amateurisme et la découverte de nouveaux talents, ouvrant le Salon à toutes les tendances et à toutes les recherches. Face à ce nouveau souffle apporté par le jeune président, les réactionnaires n’ont pas tardé à se manifester. Nous verrons, dans la présentation de la troisième période du Salon, que face à ce nouveau vecteur des voix opposées se sont élevées. Parmi ces dernières celles des antagonistes qui se sont opposés à l’innovation en appelant à conserver les méthodes classiques, d’autres ont néanmoins appelé à un élitisme parmi les artistes.

Bien que les choix de Fichet aient pu entrainer l’exposition d’œuvres de valeurs très variables, ils ont permis de découvrir des talents qui n’avaient pas eu la chance d’être exposés lors de la première période du Salon. Parmi les nouvelles expériences artistiques apparaissent notamment le pointillisme, largement dénigré par la critique lors de la première exposition du Salon (1894) en le qualifiant de « cruelle énigme »82, le cubisme avec en 1913 Marie Laurencin et Albert Gleizes, ceux-là mêmes qui, lors du Salon d’Automne de Paris en 1912, avaient provoqué « un énorme scandale »83. Vu l’orientation académique de la majorité des artistes, le folklorisme et l’orientalisme décadent, des œuvres cubistes n’auraient pu être exposées sans les nouveaux choix d’Alexandre Fichet. Les oppositions des conservateurs en témoignent. Une autre innovation majeure est l’exposition d’œuvres d’artistes tunisiens tels que Yahia ou Ali Ben Salem à partir de 1922. Ceci a eu lieu au sein d’une manifestation destinée essentiellement à promouvoir la colonisation.

Ainsi, c’est aux conflits provoqués par les artistes conservateurs et les artistes élitistes de Tunis que l’esprit d’ouverture du Salon a dû faire face. Bien que des études antérieures renâclent à évoquer ces conflits majeurs, leur contextualisation permet de montrer qu’ils ont été déterminants dans la construction de la scène artistique locale.

Un premier conflit fut déclenché en 1924 quand André Delacroix84 a créé le Salon des artistes tunisiens qui a duré jusqu’en 1934, date de la mort de l’artiste. Bien que nous n’ayons pas d’archives exhaustives pour une étude détaillée de cet autre Salon, l’article du critique Georges Laffitte, paru dans Le Petit Matin du 8 mars 1927, met en évidence des différences de jugement esthétiques, mais aussi idéologiques et politiques entre les deux hommes en écrivant : « Le Salon des artistes tunisiens est un très beau résultat des efforts du Comité qui a sagement entrepris de combattre le futurisme et toutes les autres extravagances que les jeunes artistes avaient découvertes les dernières années, croyant sans doute révolutionner la peinture et entraîner avec eux les foules assoiffées de nouveauté et d’excentricité. ».

Cette critique indique clairement qu’il ne s’agit pas uniquement d’un conflit d’autorité sur le Salon Tunisien. Il dépasse les deux personnalités de Fichet et de Delacroix, car son point nodal est le futurisme et les « extravagances » des jeunes artistes du Salon Tunisien85. À travers le Salon des artistes tunisiens, Delacroix, lui-même membre de la Société coloniale des artistes français, traduit son adhésion à l’esprit conservateur et classiciste des milieux colonialistes. Si les autorités du Protectorat ont accordé à ce nouveau Salon de 1930 « les belles salles du Palais des sociétés françaises », ils ont, par ailleurs, « relégué [le Salon Tunisien] au Pavillon municipal de l’avenue de Paris moins central et moins prestigieux »86. Cet inégal soutien officiel s’explique, du moins en partie, par la division des Français de Tunisie entre conservateurs et progressistes. Fichet n’est pas seulement un socialiste favorable aux nationalistes tunisiens, il participe aussi à la rédaction du quotidien Tunis socialiste, un organe d’opposition à la politique coloniale87. Le conflit esthétique entre classicisme et avant-gardisme recouvre ainsi une dimension idéologique dans le monde de l’art en Tunisie. En France également, les arts comme les discours politiques ont été les supports de diffusion des conflits opposant, à partir du début des années 1920, la gauche aux courants conservateurs. L’objet de cette opposition, comme l’a montré H. Lebovics , tourne autour de deux définitions de ce qu’est « la Vraie France ». Entre deux conceptions de l’identité nationale, l’une tournée vers l’universel, l’autre « essentialiste complètement figée, irrémédiablement close et tournée vers le passé »89, des combats acharnés ont lieu. Nous pouvons sous cet angle interpréter la critique du Salon Tunisien de 1937, faite par le futur fondateur de l’École de Tunis Pierre Boucherle90, qui dévalorise « l’art social » prôné par les organisateurs. Il exprime aussi son opposition aux nouvelles recherches plastiques en affichant ses préférences pour l’orientalisme :

« Peu de vrais peintres au Salon Tunisien de 1937 et peu d’œuvres de qualité. L’orientalisme jusqu’alors envahissant, me parait en voie de régression, les tons tonitruants se sont apaisés. Le minaret est en phase de disparaître [...]. Des orientalistes constants, Yahia et Mosès-Lévy [membres du groupe de Dix] sont les seuls à avoir traduit l’Orient dans son essence. »

La bipartition entre classicisme et innovation, re-située dans les contextes national et international des années 1920-1930, inclut de forts conflits idéologiques, parallèlement aux rivalités politiques entre « prépondérants », appelant le « petit pays » qu’est la Tunisie à céder aux exigences de la France, et leaders nationalistes. La conscience politique croissante de ces derniers les a amenés, en 1920, à structurer leur lutte contre le colonialisme français dans le Parti libéral constitutionnel ou Destour.

     1.5.3. La troisième période de 1934 à 1945 : Boucherle versus Fichet ou conservatisme versus avant-gardisment

Je consacre cette troisième période à la partie qui couvre essentiellement l’étape allant de 1934 jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale marquée par deux nouveaux conflits très importants. Au-delà de 1945, le Salon entame une phase de monotonie puisqu’il est passé au deuxième plan de la scène artistique locale, prise par la montée d’un nouvel acteur : l’École de Tunis. Bien que ce dernier conflit ne soit pas du même poids que les deux précédents, il participe, néanmoins, à confirmer les choix artistiques des acteurs de la scène locale.

Le deuxième conflit de l’histoire du Salon (le premier de cette troisième période), fut déclenché en 1934. Nous le considérons comme l’un des plus importants conflits qu’ait connu le Salon Tunisien, voire la scène artistique en Tunisie puisqu’il est à l’origine de l’apparition d’une nouvelle approche de l’art de la peinture : l’art professionnel ou l’art marchand.

Ce conflit opposa Pierre Boucherle (1894-1988) à Alexandre Fichet. En tant que président du Salon, Fichet ne répondait pas aux attentes de Boucherle et de ses amis. La question centrale était : quel genre artistique était-on en droit d’exposer au Salon ? Après un peu plus de vingt ans de présidence, l’option de Fichet pour l’ouverture de cette manifestation à tous les artistes était désormais acquise. Il était pour l’encouragement des jeunes talents, de nouvelles expériences et pour l’avant-gardisme. Cependant cette optique est, encore une fois, une bonne raison, non pour appeler au retour du classicisme (conflit de Delacroix, 1924), mais une bonne raison pour combattre « le tout-venant » et « le tout est bon » de la politique artistique du président du Salon. Boucherle, qui considérait Fichet comme étant trop laxiste dans la sélection des participants, décide de créer en 1934-1935, le Groupe des Quatre, qui en s’élargissant devient le Groupe des Dix et finit par la création de l’École de Tunis en 1945-1946. Cette École sera dès lors la référence artistique en Tunisie. Deux éléments opposent donc les deux hommes : le clivage organisationnel entre professionnalisme et amateurisme d’une part, une différence de jugement esthétique d’autre part.

Un troisième conflit contre Alexandre Fichet est mené, en 1943-1944, par Gaston-Louis Le Monnier91. Le fondateur du « Syndicat des artistes professionnels peintres, sculpteurs, décorateurs de Tunisie » cherche à rallier les artistes en s’érigeant en défenseur de leurs intérêts. Le Monnier profite de l’absence de Fichet, alors déporté en Silésie par les forces de l’Axe92, pour contrecarrer les choix du président du Salon Tunisien. Ici encore les archives nous font défaut93. Mais, en suivant le parcours de Le Monnier qui expose dans le Salon des artistes tunisiens, nous savons qu’il a déjà pris part au premier conflit – mené par Delacroix – contre l’esprit d’innovation de Fichet. Il se rangerait ainsi dans le camp des conservateurs.

En somme, par refus de l’amateurisme et de l’innovation, le fondateur de l’École de Tunis a pris part, d’une manière ou d’une autre, aux différentes campagnes contre le Salon Tunisien. Cette opposition amène Boucherle à créer, puis à développer, une action artistique collective, professionnelle et conservatrice. Le groupe des Quatre est fondé l’année même de la mort de Delacroix qui, elle-même, entraîne la fin du Salon des artistes tunisiens. En 1944, le décès de Le Monnier provoque également la fin du Syndicat qu’il avait créé. Dès 1945-1946, l’École de Tunis choisit pour principal lieu de rencontre le Café de Paris, lieu emblématique de la vie culturelle tunisoise dans la deuxième moitié du 20e siècle94. Ainsi, pour l’École de Tunis, cette succession de conflits représente les soubassements qui lui ont permis, d’une part, de se distinguer par ses atouts professionnels et, d’autre part, d’acquérir une légitimité officielle, à la base du monopole du marché et du pouvoir de jugement esthétique qui la caractérisent.

L’étude de l’institutionnalisation de la vie artistique sous le protectorat permet de comprendre le fonctionnement des deux principales structures culturelles en Tunisie : le Salon Tunisien et l’Institut de Carthage d’une part, l’École de Tunis d’autre part. Chacun de leurs dirigeants défend une conception différente de l’art et des artistes, et leurs rapports font ressortir les raisons qui les opposent. Le Salon Tunisien, qui a été le premier cadre organisationnel dans lequel est née et a été pratiquée la peinture en Tunisie, est l’institution artistique qui a eu la plus grande longévité, soit quatre-vingt-dix ans. Les maîtres de ce qui deviendra l’École de Tunis ont, quant à eux, œuvré en faveur du professionnalisme. Leur objectif était d’inscrire le programme du groupe des Quatre dans celui de l’État colonial, puis comme nous le verrons d’inscrire le programme de l’École de Tunis dans celui de l’État de l’indépendance.

2. Le Centre d’Enseignement d’Art

2.1. La création du Centre d’Enseignement d’Art

La deuxième institution d’art de la phase coloniale en Tunisie est le Centre d’Enseignement d’art. La première remarque concerne la datation. Si ce même problème est plus ou moins compréhensible quand il s’agit des histoires orales, il est plus surprenant qu’il touche tout autant les institutions publiques.

Sur une proposition de l’inspecteur des Beaux-arts Pierre Boyer, Lucien Saint, alors résident général de France en Tunisie, a été décidé de créer le Centre d’Enseignement d’Art, conçu suivant les règlements des écoles des beaux-arts des grandes villes de la métropole. Ce Centre est créé, selon Ali Louati, en octobre 1923 dans « une demeure traditionnelle au passage Ben Ayed dans la vieille médina »95, alors que, selon Aïcha Filali, sa création date de 1922 « dans un petit local de l’impasse Ben Ayed »96. Le Centre est dirigé par M. P. Boyer jusqu’en 1930, date à laquelle un arrêté le transforma en École des Beaux-Arts. Cette même année Armand Vergeaud en prend la direction. Tout le monde s’accorde à dire que lors de cette première période, l’enseignement y est une réplique des programmes des écoles d’art en France. On y enseigne le dessin, la peinture, le modelage et la gravure.

2.2. Du Centre d’Enseignement d’Art à L’École des Beaux-Arts

Le premier octobre 1930, un arrêté transforme le Centre d’Enseignement d’Art, qui comptait alors 32 élèves, en École97. La croissance de l’effectif, atteignant les 83 élèves en 1949, rend le bâtiment trop exigu pour contenir tous les ateliers. Mais ce n’est qu’en 1953 que l’école émigra vers les locaux situés sur la route de Forgemol du côté de Bab Sidi Abdesselem, aujourd’hui la route de l’Armée Nationale 98 .

À la suite du décès du directeur de l’École des Beaux-Arts Armand Vergeaud, le 3 octobre 1949, une commission présidée par M. Paye, directeur de l’instruction publique, se réunit le 20 janvier 1950. Elle décide de nommer M. Pierre Berjole nouveau directeur de cette école. Le choix est approuvé par le résident général Jean Mons99. Ce nouveau directeur conservera son poste jusqu’à sa retraite en 1968. La restructuration de l’enseignement à l’École des Beaux-Arts vers les arts appliqués entamée par Berjole dès sa nomination, a été, par la suite, largement agrée et accentuée par Safia Farhat qui lui a succédé.

Pierre Berjole

Né à Saumur le 20 mars 1897, Pierre Berjole participe à la guerre de 1914-1918 et fut également mobilisé pour celle de 1939-1945. Il a suivi une formation artistique à l’Ecole des Beaux-Arts de Tours puis à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris. Depuis 1922, il participe à toutes les expositions du Salon d’Automne ainsi qu’à de nombreuses expositions de groupes. Il est invité en 1927 pour une exposition au Carnegie Institute de Pittsburg qui lui acheta une toile. Auteur de travaux de publicité, d’illustrations et de dessins, il fut pendant treize ans chef d’atelier des Établissements Savignac et Pelegry, décorateur de théâtres et de salles de spectacles. M. Berjole est également vice-président de la Société des Artistes Indépendants, sociétaire du Salon d’Automne et de la Société Nationale des Beaux-Arts, membre du Comité d’Entre-aide des Artistes et membre titulaire du Salon National Indépendant100.

2.3. Nouvelle orientation de l’Ecole des Beaux-Arts

Dès son arrivée à Tunis, Berjole considérait qu’une école d’art : « devait être avant tout une école d’arts appliqués. J’avais visité certaines de nos Écoles Nationales de la Province, j’en avais soigneusement étudié les programmes ; ce fut sur leurs modèles que j’établis un programme provisoire, qui obtient la pleine approbation du directeur de l’instruction publique et des beaux-arts. »101.

A partir de cette date, l’École des Beaux-Arts de Tunis consacre donc une importante part de sa formation aux arts et métiers. Berjole considère que la société ne peut pas assimiler tous ses artistes, aussi talentueux qu’ils soient : « Une nation a besoin d’artistes, mais en petit nombre sous peine, même s’ils sont tous de grands talents, de ne pouvoir absorber leur production, alors que toutes les industries d’art ont besoin de dessinateurs, de décorateurs, de créateurs de modèle. »102. Influencé par les conditions socio-économiques difficiles d’après-guerre, l’enseignement de l’art est orienté vers la formation des dessinateurs, des décorateurs ou des céramistes et non plus vers les connaissances théoriques telles que l’histoire de l’art. C’est ainsi que coexistent dès lors à l’École des Beaux-Arts la filière de dessin, de peinture, de modelage et d’arts décoratifs d’une part et la filière architecture créée en 1946 de l’autre.

Néanmoins, jusqu’en 1957, les objectifs de l’enseignement demeurent plaqués sur le modèle français. L’enseignement est dispensé sous la forme de la passation du savoir du maître à son disciple ; les artistes dirigent des ateliers pour former, à leurs styles, leurs élèves.

Pendant toute cette période, la formation à l’école, s’alliant à la politique coloniale générale, vise trois objectifs : « préparer les élèves aux concours de professorats de dessin, ou d’admission aux examens des grandes écoles de Paris, ou de permettre aux meilleurs élèves des établissements d’enseignement technique d’acquérir une culture artistique qui, jointe à leurs connaissances professionnelles, fera d’eux des artisans créateurs hautement qualifiés. »103.

Après l’indépendance, le fonctionnement de l’École des Beaux-Arts n’a pas changé, elle garde jusqu’en 1968, des directeurs français. Placée sous la tutelle du Secrétariat d’État aux Affaires culturelles, elle œuvra à côté des autres institutions pour la construction nationale. Ainsi, l’École des Beaux-Arts ne s’est pas dissociée des politiques générales ; après celle de la colonisation vient, cette fois-ci, celle du jeune État indépendant lequel s’est fixé comme objectif national : la reproduction des modèles de développements occidentaux. Dans le cadre de ce processus, l’École des Beaux-Arts de Tunis continua à copier l’enseignement dispensé dans les écoles françaises.

Le mouvement de mai 68 s’étendit jusqu’à Tunis et transforma le fonctionnement de l’école. C’est à partir de cette date que l’enseignement théorique gagne l’École des Beaux- Arts. On assista alors au recrutement de théoriciens des sciences exactes et des sciences humaines. Ce nouveau volet ne manqua pas d’inciter une réflexion sur l’esthétique et le statut de l’art ainsi que sur l’identité et sur certaines formes artistiques héritées de la colonisation. La mise en doute du support, de la peinture de chevalet, l’introduction du lettrisme, de la peinture abstraite en sont des conséquences.

L’école forme plusieurs nouvelles générations d’artistes. Bien qu’ils soient les élèves, ceux-ci ont réussi à développer des formes d’expressions esthétiques différentes de celles de leurs pères. Les origines de ce renouvellement relèvent du foisonnement d’idées caractéristique de l’après indépendance. Sont régulièrement notés des faits marquants tels que les contacts avec l’étranger. On note ainsi l’accès à des écrits philosophiques nouveaux tels que ceux de Derrida ou de Foucault ; dans les sciences humaines essentiellement ceux de Bourdieu, en psychanalyse Freud et Lacan. Toutefois, l’élément le plus remarquable de cette période est l’émergence, en dehors du cercle du groupe de l’École de Tunis et en dehors des expositions et des salons nationaux, des premiers collectifs d’artistes. De manière concomitante, on note l’apparition d’un certain nombre de galeries prenant le parti de l’innovation artistique. Elles encouragent les nouvelles générations d’artistes en leur offrant une meilleure visibilité locale. Toutes ces données signalent le déclenchement d’une nouvelle phase dans l’histoire de la scène artistique tunisienne. Les prémices de ce qui aurait pu mener à un éclatement du « monde tunisois » établi et à son ouverture sur de nouvelles expériences.

2.4. Démographie des élèves de l’École des Beaux-Arts

Le Centre d’Enseignement de l’Art a ouvert ses portes en 1923 avec en son sein sept élèves et trois enseignants. Depuis, le nombre n’a cessé de croître. Malgré les importantes lacunes que je n’ai pu combler, faute de documents, les tableaux qui suivent donnent une idée sur l’évolution des effectifs de cette école. Mon objectif est de rendre visible leur croissance selon quatre variables : l’année, le genre, la nationalité ou la confession afin de présenter une idée plus claire sur l’évolution de la présence musulmane dans cette école. D’autre part, ils permettent de comparer l’évolution du nombre des étudiants artistes avec le taux général des étudiants de l’enseignement supérieur en Tunisie selon chaque année. Les tableaux ont été construits à partir de données collectées dans plusieurs types de documents : Statistique générale de la Tunisie104, de 1937 à 1939 ; Annuaire statistique de la Tunisie105 de 1940 à 1958 ; Bulletin économique et social de la Tunisie106, N° 87, avril 1954 ainsi que les différents journaux dépouillés.

Les tableaux présentés ci-dessous tracent l’évolution des étudiants de l’École selon l’appartenance culturelle et la nationalité, mais aussi selon les disciplines. Le premier présente l’effectif général des étudiants de 1923 à 1947, le deuxième présente une répartition des étudiants selon leur sexe ainsi que selon leur nationalité ou leur religion entre 1952 et 1955. Le troisième tableau rend compte, quant à lui, de la répartition des étudiants selon les différentes disciplines entre 1957 et 1960.

     2.4.1. Evolution de l’effectif général des étudiants de 1923 à 1947

Le premier tableau ne présente que l’effectif total des étudiants entre 1923 et 1947. Aucune donnée sur leur répartition par discipline n’a pu être récoltée excepté pour les années 1928 et 1929. Lors de ces deux premières années il y avait 18 étudiants à l’École des Beaux-Arts, 16 d’entre eux en peinture et deux en sculpture. Selon ce premier tableau on constate une augmentation de l’effectif de l’école de 33 étudiants en 23 années, c’est-à- dire une augmentation moyenne de 1,43 étudiant par année. L’effectif des enseignants a lui aussi évolué passant de trois enseignants en 1923 à 5 enseignants en 1947.

Tableau n° 9. Effectif total des étudiant de l’École des Beaux-Arts de 1923 à 1947107.

     2.4.2. Répartition des étudiants selon le genre et la confession/nationalité, 1952-1955

Même s’il ne résout pas la confusion entre la nationalité et la confession, le deuxième tableau est beaucoup plus fourni. Les données ne permettent pas de savoir si l’étudiant musulman est ou non tunisien, si l’israélite a gardé sa nationalité tunisienne ou s’est fait naturalisé français ou encore s’il n’y a pas parmi les français des musulmans naturalisés. Ce tableau présente les statistiques des étudiants entre 1952 et 1955. On y trouve le croisement de trois variables : l’effectif général de chaque année universitaire réparti selon le sexe et selon la confession/nationalité de chacun des deux genres. La première observation est le nombre général des étudiants à la rentrée 1952-53. Il y a eu une augmentation générale de 42 étudiants depuis 1947, soit en quatre années, ce qui équivaut à une croissance de 10,5 étudiants par année scolaire. Ceci est considérable en comparaison avec la période allant de 1923 à 1947. L’année suivante, 1953-54, cette même moyenne passe à 13 étudiants puis à 11 en 1955-56. Le retour des français à la métropole serait l’hypothèse la plus plausible pour expliquer les baisses des effectifs des étudiantes enregistrées lors de cette dernière année. En fait, la croissance générale des étudiants suit la restructuration de l’enseignement artistique vers les arts appliqués entamée en 1949-50 avec l’arrivé de Pierre Berjole à la direction de cette institution.

On remarque si l’on suit l’évolution du nombre des étudiants selon le sexe que celui des garçons passe de 47 en 1952-53 à 51 en 1953-54 et à 67 en 1955-56, équivalant à une augmentation de cinq étudiants par année scolaire. Quant à celui des filles, après avoir augmenté de 9 étudiantes à la rentrée 1953-54, il passe à 39 en 1955-56 ce qui donner une moyenne de croissance annuelle d’une seule étudiante pour la durée s’étalant de 1952-53 à 1955-56, c’est-à-dire le cinquième de la croissance moyenne des étudiants garçons.

Pour la même intervalle la croissance moyenne annuelle des étudiants musulmans est de 1 pour les garçons et de - 0,4 pour les filles alors qu’elle est de 1,75 pour les français et de 0,5 pour les françaises et de 1,25 pour les israélites garçons et de 0,25 pour les israélites filles. Il y a d’une façon générale une nette régression des étudiantes à la saison universitaire 1955-56. Bien qu’elle coïncide avec l’indépendance de la Tunisie, on ne peut supposer une corrélation entre les deux variables parce que parallèlement, on observe une stagnation de l’effectif des françaises à 27 étudiantes. De plus l’effectif des étudiants garçons n’a cessé d’augmenter indépendamment de leur confession/nationalité.

Tableau n° 10. Effectif des élèves de l’École des Beaux-Arts selon genre/confession.
Tableau n° 11. Effectif total des scolarisés de l’enseignement supérieur par nationalité/genre.

     2.4.3. Répartition des effectifs des étudiants de l’École des beaux-arts selon les disciplines, 1957-1960

Le troisième tableau présente l’effectif total des étudiants réparti selon les disciplines : arts décoratifs, architecture, dessin et peinture et céramique. Le nombre général des étudiants de l’École des Beaux-Arts passe de 95 étudiants en 1957-58 à 117 en 1958-59 et à 130 en 1960-61. Donc la croissance moyenne des étudiants sur quatre années était de 8,75 par an. La comparaison de l’évolution des effectifs par discipline entre 1957-58 et 1958-59 fait ressortir une nette croissance pour ceux pratiquants le dessin et la peinture (de 6 à 23) alors qu’en arts décoratifs l’effectif passe de 48 à 54 étudiants (plus six). Par contre, le nombre des étudiants de l’atelier de céramique régresse de 6 à 5 étudiants, enfin celui des architectes stagne à 35 étudiants.

Tableau n° 12. Nombre des élèves de l’École des Beaux-Arts par discipline.

L’étude de la répartition selon le genre, la confession/nationalité et les disciplines des étudiants de l’École des Beaux-Arts de sa création en 1923 jusqu’à 1961 montre une nette croissance. Pendant 38 années les effectifs sont passés de 7 à 130 étudiants c’est-à-dire, une augmentation moyenne de 3,4 étudiants par an. Mis à part les baisses enregistrées en 1957 où l’effectif est passé à 95 étudiants alors qu’il était de 106 en 1956, la croissance des étudiants inscrits à cette école a suivi une augmentation progressive. Dans l’état actuel des données disponibles, l’accès à l’indépendance n’a pas entrainé de baisses considérables, ni des effectifs des étudiants de l’École des Beaux-Arts ni des effectifs totaux des scolarisés de l’enseignement supérieur, passant de 2374 en 1956 à 2163 en 19571.

Conclusion

L’Association tunisienne des lettres, sciences et arts, autrement désignée Institut de Carthage, est une institution française coloniale comme le montre son organigramme mais surtout son sociogramme, ses fondements et ses objectifs. Elle œuvre et collabore pour l’intérêt de la métropole et pour la prospérité de la patrie française, son image de propagande véhicule une mission civilisatrice. Cette réalité est rendue visible à travers l’étude de l’instauration et du développement d’une pratique particulière, celle de la peinture moderne. Deux faits sont généralement sous-estimés : le premier est perceptible à travers la négligence des pratiques artistiques locales. Considérées incapables d’aboutir sur un développement autonome, les arts tunisiens sont renvoyés au rang d’arts séculaires. Ils ont été cloisonnés et figés dans des musées d’arts indigènes crées pour cet objectif. Donc, l’Institut de Carthage en tant qu’instance spécialisée œuvre pour que l’art moderne, forme suprême de l’intelligence occidentale, s’installe dans la colonie.

La présence d’artistes européens novateurs, notamment les peintres cubistes tels que Marie Laurencin et Albert Gleizes, n’a pas empêché l’émergence de deux choix esthétiques dominants : l’orientalisme à travers le rôle primordial joué par la Société des peintres orientalistes français et la peinture exotique. Ce conservatisme se trouve traduit clairement dans la devise de l’Institut de Carthage : faire connaître la Tunisie en France et faire aimer la France en Tunisie. L’objectif de tout cela est de montrer à la mère patrie que parmi ses enfants ceux jetés loin de ses rivages pour la servir.

Le deuxième fait que l’Institut de Carthage n’a pas pris en compte est la présence des Tunisiens en tant qu’acteurs impliqués dans la prise de décision. En me basant sur les deux organigrammes : celui des membres du bureau central et celui du bureau d’organisation du Salon Tunisien, je montre que la présence des Tunisiens est restreinte à l’invitation de quatre de ses personnalités les plus hautes à assister aux vernissages d’exposition, aux dîners ou aux bals dansants.

L’ensemble de ces faits me permet de confirmer que, l’aspect scientifique et culturel sur lequel l’Institut de Carthage s’est basé pour justifier sa création et ses activités, s’engage complètement dans les plans idéologiques et politiques de l’entreprise coloniale générale. En utilisant les canaux propres des lettres, des sciences et des arts, cette association consacre l’esprit de la supériorité intrinsèque à tout le projet colonial dont l’objectif est d’instruire les indigènes et leur apporter « le progrès, le développement et la modernité »108.

De sa part, le Centre d’enseignement d’Art devenu l’Ecole des Beaux-Arts est la deuxième institution artistique, elle est réservée à l’enseignement des arts. En dressant, seulement six années avant l’indépendance, une nouvelle politique orientée vers les arts et métiers, un choix qui s’est poursuivi et renforcé après 1956, cette institution insiste à ce que les programmes d’enseignements demeurent une copie des programmes des écoles de la métropole.

S’ils sont les premiers initiateurs et, jusqu’à un certain moment, les seuls animateurs de la scène artistique locale, ces deux institutions peuvent être considérées comme les principales matrices de l’art moderne en Tunisie. Sous leurs labels s’inscrit tout le champ de l’art moderne. Étant donné qu’elles sont porteuses du projet colonial, l’Institut de Carthage et donc le Salon Tunisien et le Centre d’Enseignement d’Art ou Ecole des Beaux- Arts adhèrent à la supériorité de l’idéologie colonialiste et égocentrique. L’Institut de Carthage en tant qu’institution de sciences et de culture et l’Ecole des Beaux-Arts en dans que structure d’enseignement et de formation relèvent ainsi de « la dimension épistémologique de la colonialité du pouvoir » dont l’objectif est de « hiérarchiser les modes de production des connaissances » afin d’élever les savoirs occidentaux « au rang de paradigmes qui rendent subalternes d’autres connaissances »109 et les faire perdurer, ce que Anibal Quijano désigne par « colonialité »110.

Annexes111

Biographies des membres de l’Institut de Carthage

Duval Joseph, 1860 Montpellier (Hérault), officier de l’instruction publique, chef du mérite agricole, grand officié du Nichen-Iftikhar. Proviseur au lycée Carnot de Tunis. 1886. Etudes aux Lycée louis-le-Grand et Saint-Louis ; licencié ès lettres, professeur d’histoire, 1886 ; censeur, 1895 ; proviseur, 1898. (Lambert 1912 : 169)

Huard Ferdinand-Isidore, né le 17 mars 1854 à Landes (Loir-et-Cher), officier de l’Instruction publique, commis Du Nichan-Iftikhar, Receveur des Postes et Télégraphes à Tunis Bab-Souika. Installé en Tunisie en janvier 1885. Etude au Petit séminaire Saint- François de Salles de Blois. Poète ; lauréat de nombreuses sociétés littéraires ; Vice- président de « La Cigale », société musicale, en 1887 ; Vice-président de l’Alliance française ; Vice-président, fondateur de l’Institut de Carthage ; président honorifique de la Société des Alsaciens-Lorrains de Tunisie ; Président général et fondateur de l’Assistance Mutuelle Tunisienne ; Fondateur et rédacteur en chef de la « Revue Tunisienne » de 1885 à 1889112 ; auteur de trois volumes de poésie : « L’Envolée », 1890 ; « Les Fleurs d’Orient » 1902 ; « Reflet de Mirage », 1902, albums de poésie tunisienne, avec illustrations de Lucien Tardieu, fondateur directeur et rédacteur en chef de la « Mutuelle Tunisienne », organe de l’Assistance Tunisienne. Conférences nombreuses sur la poésie, Le Loir-et-Cher et sur la mutualité. Délégué du Gouvernement du Protectorat au Congrès de la Mutualité coloniale et des pays de protectorat Alger-Tunis, 1905. Médaille d’honneur de la Société nationale d’Encouragement au Bien ; Médaille d’argent à l’Exposition coloniale de Marseille, 1906, titulaire de nombreuses médailles et diplômes d’honneur reportés dans des concours littéraires. Lauréat des « Annales politiques et littéraires ». Fondateur de « Mutuelleville ». (Lambert 1912 : 230).

Dollin du Fresnel (Fréderic-Jules-Ernest), né le 12 août 1855 à Ixelles en Belgique. Officier de l’Instruction publique et du Mérite agricole, Grand officier du Nichen-Iftikhar, chevalier de l’ordre de Léopold et de plusieurs ordres coloniaux. Inspecteur commercial de la Compagnie P.-L.-M., en retraite à Alger. Extra en 1872 à la Compagnie des chemins de fer de Paris-Lyon-Méditerranée. Fut pendant seize ans agent de cette compagnie à Tunis et inspecteur commercial à Alger de 1905 à 1908. Membre de la Chambre de Commerce de Tunis, pendant trois ans. Fondateur de la Section tunisienne de la Société de Géographie commerciale de Paris et secrétaire général du Congrès des Sociétés françaises de géographie (Tunis 1904). A collaboré à la fondation de l’Institut de Carthage, fondateur de la Section de Tunis des « Prévoyant de l’avenir », dont il fut président. A publié plusieurs études dans le « Bulletin de la Société d’horticulture », dont il a été vice-président, sur la question de l’exportation tunisienne des fruits et primeurs. A introduit en Algérie la culture du « patisson » (artichaut de Jérusalem) et celle de l’osier et du bambou pour les emballages de primeurs. A contribué au développement des raisons primeurs. Trente années de service à la compagnie P.-L.-M. Fils du général comte du Fresnel. (Lambert 1912 : 162).

Loir Andrien, Docteur, né le 14 décembre 1862 à Paris. Officier de l’Instruction Publique, officier du Mérite agricole, commis du Nichan-Iftikhar. Il s’installe en Tunisie en 1892. Etudes : lycée Lakanal de Paris et Université de Paris. Médecin. Neveu, élève et préparateur de Pasteur. Fut chargé d’étudier la lutte contre le charbon en Australie et la destruction des lapins. Fondateur et directeur du laboratoire Pasteur à Tunis. L’un des présidents de l’Institut de Carthage. Parti de Tunisie en 1899. (Lambert 1912 : 169).

Médina Gabriel di S., né le 31 décembre 1860 à Monastir en Tunisie. Chevalier du Mérite agricole, Industriel et agent consulaire d’Italie à Monastir. Famille établie en Tunisie avant 1800. Études à Livourne (Italie). Agent de la Navigazione générale Italiana ; agent de la Compagnie Générale Transatlantique ; président du Conseil d’administration de la société anonyme Monastiérienne pour l’extraction de l’huile de grignons par le sulfure de carbone, dont il a été le fondateur. A créé le plus important domaine du centre tunisien : plantation de 18.000 oliviers, dit « Enchir-Saïd », sur la route de Sousse à Sfax, du kilomètre 165 au kilomètre 177, domaine qui lui appartient. 45 récompenses or, argent, diplôme d’honneur. Grand prix pour les produits de ses usines. Huileries et savonneries à Monastir. (Lambert 1912 : 286).

El Aziz Bou Attour Mohammed, dignitaire tunisien ; secrétaire de Mohammed es Sadok, alors bey du camp ; directeur des Finances, 1860 ; ministre des Finances, juin 1866 ; ministre de l’Intérieur, d’août 1878 à mai 1881 ; premier ministre de 1883 jusqu’à sa mort, en février 1907. (Gagniage 1968 : 581).

Mohamed Djellouli, Tunis, Officier de la Légion d’honneur, grand cordon du Nichen-Iftikhar, comm,. De l’ordre de Saint Stanislas, off. De l’Instruction publique. Ministre de la plume de S.A le Bey. Etudes collège Sadiki. (Lambert 1912 : 160).

Fabry Paul Auguste, 16 août 1855, Marseille, chevalier de la légion d’honneur, officier de l’Instruction publique, grand cordon de l’Ahd et du Nichan-Iftikhar, officier des Saints-Maurice-et-Lazard. Procureur général près la Cours de Caen. 31 juillet 1884. Etudes : Lycée de Marseille et Faculté de droit de Paris ; docteur de droit ; lauréat de la Faculté de droit de Paris ; prix d’honneur du Concours général. Successivement : substitut, juge d’instruction, vice-président, procureur de la République et président du Tribunal civil de Tunis. Conseiller à la cour d’appel de Paris 1904 et procureur général à la cour d’appel de Caen 1911, ancien président de l’Institut de Carthage, ancien président de la section de l’alliance française de Tunis. Membre de la Commission tunisienne des réformes judiciaires. (Lambert 1912 : 164).

Roy, Jean-Baptiste-Bernard, né le 28 mai 1945, officier de la légion d’honneur, officier de l’instruction publique, officier du mérite agricole, gr.-or du Nichen Iftikhar et de l’Afd, titulaire de l’ordre de l’Ahd en brillants. Secrétaire générale pour la justice du le gouvernement tunisien ; ministre plénipotentiaire, Tunis, successivement : services dans l’Administration des Télégraphes de 1864 à 1884 ; agent consulaire de France au Kef en 1871 ; Vice-consul et contrôleur civil en 1884 ; Secrétaire général du Gouvernement depuis 1889 ; consul, consul général, ministre plénipotentiaire. Travaux d’épigraphie latine et d’épigraphie et de bibliographie arabe. (Lambert 1912 : 353).

Pavillier, Officier de la légion d’honneur, grand cordon du Nichen Iftikhar. Ingénieur en chef des ponts et chaussées, en retraite, Marseille. Directeur général des Travaux publics de la régence de Tunis de 1893 à 1903. Il succéda à M. Michaux et eu comme successeur M. de Fages. (Lambert 1912 : 321).

Tournier Jean-Joseph, né en 1845 à Bonneville (Haute-Savoie). Evêque titulaire d’Hippone-Zaryte, élu le 27 février 1892 et sacré dans la Primatiale de Carthage le 5 juin suivant ; archidiacre de Carthage. Trésorier du Syndicat obligatoire des viticole de la régence de Tunis. (Lambert 1912 : 403).

Liste des sessions du Salon Tunisien de 1894 à 1984113 :

Fig. 1. Lettre manuscrite en date du 19 décembre 1889 adressée à monsieur le Procureur de la République à Tunis annonçant l'apparition de la Revue Tunisienne le 24 décembre 1989.
Source : Les archives nationales.
Fig. 2. Feuille double imprimée annonçant l’apparition de la Revue Tunisienne avec bulletin d'abonnement.
Fig. 3. Lettre manuscrite (en feuille double) adressée à M. Le Général Valensi premier interprète de sa Majesté le Bey. Source : Les Archives nationales.

Notes

1 Je remercie chaleureusement Mme. Patricia Toucas pour avoir relu et corrigé le manuscrit et M. Lazhar Gharbi pour ses précieuses orientations.
2 Archives nationales, série E 253-1/17, 1885 : « Monsieur le Général, La Revue Tunisienne va apparaître incessamment ; fondée sous le bienveillant patronage de Mr Leconte de Lisle, un de nos grands poètes et le Général Boulanger, un de nos meilleurs généraux, elle poursuivra un noble but : faire aimer la France en Tunisie et faire connaître la Tunisie en France. Elle sera purement artistique et littéraire, ne s’occupant ni de politique, ni de religion.
Votre personnalité, les hautes fonctions que vous occupez nous font un devoir de vous présenter notre Revue et nous serions heureux et honorés si nous pouvions vous compter parmi les protecteurs éclairés de cette publication. Je vous prie d’agréer Monsieur le Général l’annonce de mon profond respect ».
3 Pierre Bourdieu, « Quelques propriété des champs », in Questions de sociologie, Cérès Production, Tunis, 1993. Pp. 113-120
4 Nous réservons le présent travail à la seule étude de la dimension organisationnelle de l’Institut de Carthage et du Centre d’enseignement d’art. L’espace de ce texte ne nous permet pas d’exposer et d’étudier la manière selon laquelle les artistes tunisiens se sont comporté. Un travail ultérieur montrera que les premiers artistes tunisiens avaient saisi l’outil de l’art moderne pour l’ajuster à leurs besoins et l’adapter aux besoins de leur société.
5 Tout ce que nous savons pour le moment est que la Société de Géographie a été fondée en avril 1893 et avait comme président le lieutenant de vaisseau Sevronnet. Il refusa de prendre la présidence de l’Institut de Carthage à sa création.
6 Tous les deux vice-présidents de la Société de Géographie.
7 « Association Tunisienne des Lettres, Sciences et Arts. Extrait du procès-verbal de la séance du lundi 13 novembre 1893 ». In, Revue Tunisienne organe de l’Institut de Carthage, Association Tunisienne des Lettres, Sciences et arts. N° 1, janvier 1894. Pp. 3-33.
8 La colonisation de la Tunisie est réalisée en un premier temps par le traité de Casr-Saïd signé le 12 mai 1881. Celui-ci a été complété par la convention de la Marsa signée le 8 juin 1883. Ainsi, la création de l’Institut de Carthage est survenue après un peu plus de onze ans de la signature du traité de Casr Saïd et presque dix ans après la convention de la Marsa.
9 Combes Barthélemy-Clément, né le 29 septembre 1839 à Marseille (Aude). Chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire. Assistant au Trône pontifical, comte romain. Sacré à Bône le 9 octobre 1881 ; transféré de l’évêché de Constantine et d’Hippone et préconisé archevêque de Carthage, primat d’Afrique, dans le Consistoire du 15 juin 1893, solennellement intronisé dans la Primatiale de Carthage, primat d’Afrique, le 14 décembre de la même année. Nommé archevêque d’Alger le 2 décembre 1908. Lambert, p. 121.
10 C’est la question évoquée par Jacques Berque dans le premier tome de Le Maghreb entre deux guerres, paru chez Cérès-édition, Tunis 2001.
11 Association Tunisienne des Lettres, Sciences et Arts. Extrait du procès-verbal de la séance du lundi 13 novembre 1893 ». In Revue Tunisienne organe de l’Institut de Carthage, Association Tunisienne des Lettres, Sciences et arts. N° 1, janvier 1894. p. 30.
12 Bertholon Lucien (Dr), « Quel doit être le rôle de la France dans l'Afrique du Nord : Coloniser ou assimiler ? Documents anthropologiques sur la question ». Document imprimé, édité par Beaugency : impr. de Laffray, 1898. Extrait des Bulletins de la Société d'Anthropologie de Paris, du 18 novembre 1897. pp. 509-536.
13 Desrosière Alain et Thévenot Laurent, Les catégories socioprofessionnelles. Edition La Découverte, Collection Repères, 5e édition, Paris 2002.
14 Les biographies des personnalités suivit d’une étoile ont été insérés dans les annexes.
15 Nous reprenons ici l’ordre selon lequel le comité d’initiative avait pris le soin d’inviter ses présidents d’honneur. Ceci nous amène à questionner l’importance qu’occupe le pouvoir religieux par rapport au pouvoir militaire dans le projet de l’Institut de Carthage et par conséquent dans le projet colonialiste. Nous pouvons détecter la réponse présentée par Pavy à la conférence inaugurale de l’association. Des échos peuvent aussi être trouvés dans le texte du Dr. Bertholon intitulé « Quel doit être le Rôle de la France dans l’Afrique du Nord ? Coloniser ou assimiler ? Documents anthropologiques sur la question », extrait des Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris, 1898.
16 Goin H. : Le Salon Tunisien. In : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894. p. 328.
17 Ibid., p. 329.
18 Saïd Edward, L’orientalisme, déjà cité.
19 La Société d'anthropologie est fondée par Paul Broca en 1859. Dès l'origine, elle est dominée par les médecins, Jacques Bertillon, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Louis-Pierre Gratiolet, ou Paul Topinard un peu plus tard. Cette forte composante de naturalistes au sein de la société déterminera la perspective de ses travaux, du moins jusqu'aux années 1890. Les bulletins témoignent du souci constant des sociétaires de doter l'anthropologie d'un programme, d'une problématique spécifique, de règles d'observation précises, d'instruments méthodologiques, privilégiant l'étude des caractères physiques de l'homme au détriment des manifestations intellectuelles et morales.
20 Paul Lambert, Choses et gens de Tunisien. Dictionnaire illustré de la Tunisie, Ed. C. Saliba Ainé éditeur, Librairie du Phénix, 17, avenue de France, Tunisie, 1912.
21 La Conférence consultative tunisienne est créée en janvier 1891, elle réunit les représentants élus de la colonie française et constitue un organe relationnel entre le résident général de France en Tunisie et les résidents français de Tunisie. Le décret beylical du 2 février 1907, consacrant la revendication des Jeunes Tunisiens, y adjoint une section tunisienne composée de représentants nommés par le pouvoir de tutelle pour les différentes régions du pays. Dès 1910, les délibérations des deux sections se déroulent séparément.
Il s'agit d'une institution hybride, embryon de parlement auquel on donne une voix consultative dans l'examen du budget de la Tunisie. Elle est présidée par le résident général ou son représentant. Le domaine de ses délibérations est initialement strictement délimité : à l'interdiction d'aborder toute question d'ordre politique ou constitutionnel s'ajoutent la restriction concernant l'organisation financière, les règles de la comptabilité publique et les ressources et emplois du trésor public. Enfin, s'imposent de plein droit à la conférence les dépenses dites « obligatoires » concernant la liste civile du bey et les dotations et services de la famille husseinite d'une part, les services de la dette tunisienne et les dépenses de gestion des services français d'autre part (art. 8 du décret du 2 février 1907).
22 Nous citons aussi parmi ses autres publication : Esquisse de l’anthropologie criminelle des Tunisiens musulmans, en 1889 ; Exploration anthropologique de la Kroumirie, en 1892 ; Résumé de l’anthropologie de la Tunisie, en 1896 ; Exploration anthropologique de l’ile de Gerba, en 1897 ; Les Origines des Berbères de souche européenne, en 1898 ; Les Premiers Colons de souche européenne dans l’Afrique du Nord, paru dans la Revue Tunisienne en 1898-1899 et en 1902-1906 ; Origine néolithique et mycéniennes du tatouage, en 1904.
23 Paul Lambert cite la date de 10 novembre 1894. Concernant l’Institut de Carthage, nous avons trouvé dans l’ouvrage de Lambert plusieurs dates ne correspondant pas avec celles publiées dans la Revue Tunisienne.
24 Les statuts de l’Institut de Carthage stipulent que le président ne peut jamais conserver ses fonctions pendant deux années consécutives.
25 Contrairement à Paul Lambert qui cite ici la date de 1900, la Revue Tunisienne nous informe que la reprise de la présidence de l’Institut de Carthage par Bertholon a eu lieu en 1898-99. Voir la Revue Tunisienne, N°19, T, V, 1898. p. 396.
26 Voir dans les annexes les conclusions de cette étude.
27 Nous rappelons que le Dr. Bertholon était le président d’honneur de la Société tunisienne des habitations à bon marché, l’une des stratégies à favoriser et faciliter l’installation des Français en Tunisie.
28 En donnant l’exemple de la facilité par laquelle les Anglais ont pu dominer un pays aussi vaste et aussi peuplé que l’Inde.
29 Voir le passage suivant sur patriotisme français dans les discours de l’Institut de Carthage.
30 Article premier des statuts de l’Institut de Carthage.
31 La première forme des statuts de l’association datés du 20 novembre 1893, a été publiée dans le premier numéro de la Revue Tunisienne, organe de l’Association Tunisienne des Lettres, Sciences et Arts en janvier 1894. Ces statuts ont été repris en juillet 1895 et publiés dans le numéro 7 de la même revue parue en juillet 1895. Toutefois, en ce qui concerne nos intérêts dans cette étude, nous ne trouvons pas de réels changements en ce qui concerne les objectifs de cette association qui eux n’ont pas du tout changés.
32 Vue l’importance accordé à la colonisation agricole, cette sous-section a formé à partir de 1895 une section à part. le Dr. Bertholon lui-même est propriétaire terrien.
33 Dans l’ouvrage d’Yves Châtelain : La vie littéraire et intellectuelle en Tunisie de 1900 à 1937. Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris 1937, l’auteur prétend que la création de la section artistique de l’Institut de Carthage a été créée en 1901, alors que les statuts de cette institution annoncent la création des trois sections dès 1893.
34 Nous trouvons plusieurs récits de voyage tels que : Guy de Maupassant, La vie errante, et De Tunis à Kairouan ; Gustave Flaubert, Salammbô, et Carnet de voyage en Tunisie ; Henry de Montherlant, Aux frontières du désir ; George du Hamel, Le Prince Jaffar ; Camille Mauclair, Les douces beutés de Tunisie ; Alexandre Dumas, Le véloce ; Michel Tournier, Mille ans, un jour ; etc.
35 Nous remarquons que cette même tâche survivra après l’Indépendance. L’État national a profité de cette même image en engageant dans plusieurs de ses projets politiques et économiques, les plus importants artistes tunisiens.
36 Une exposition artistique. In : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894, p. 319.
37 Morgan Corriou, Les Français et la vie culturelle en Tunisie durant la Seconde Guerre mondiale, Thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, l’Ecole des chartes, Paris, 2005. Co-dirigée par M. Omar Carlier et Kmar Bendana, p. 7.
38 Une exposition artistique à Tunis, In : Revue Tunisienne. N°3, juillet 1894. Voir aussi : Roger Benjamin : Orientalist Aesthetics. Art, Colonialism, and French North Africa, 1880-1830. University of California Press, Ltd. London, England, 2003, p. 8.
39 Mœller Magdalena M. : Auguste Macke. Le voyage en Tunisie. Ed. Hazan, 1990
40 Ibid., p. 16.
41 J’ai tenu ici à citer plusieurs passages de cette conférence afin de souligner combien les valeurs patriotiques ont accompagné la création de l’Institut de Carthage.
42 Ibid., p. 18-19
43 Ibid., p. 19.
44 Ibidem.
45 Ibid., p. 22.
46 Ibid., p. 23.
47 Ibid., p. 25.
48 « Mais lui, ce coin de terre africaine, enveloppé dans le suaire de ses souvenirs, garde la repoussante inertie des cadavres et ne fait, sous l’action du temps et des générations, que se décomposer de plus en plus. Des souverains absolus, jusqu’en 1858, et trop souvent sans instruction ; des ministres recrutés parfois dans des milieux d’où ne sortent guère d’ordinaire les diplomates ; des favoris tout-puissants et naturellement sans scrupule ; des impôts arrachés sous la pression des baïonnettes et prodigués sans souci des besoins généraux ; une absence totale de voies de communication ; l’agriculture morte, le commerce nul ; les marchés déserts ; une population de 20,000,000 d’habitants réduite à moins de 2,000,000 ; une terre sans valeur et ne nourrissant même plus ses hôtes clairsemés ; la propriété sans garantie ; la sécurité nulle part ; jusqu’en 1848, l’esclavage s’étalant avec son hideux cortège de brutales passions et de vices innombrables ; la piraterie institution d’État, jusqu’au 27 septembre 1819, jour où les amiraux Jurien et Freemantle vinrent, au nom de l’Europe, en imposer la cessation ; la barbarie, le vol, la rapine, la concussion, la corruption, la désolation partout et la banqueroute à la porte : voilà l’état navrant et vrai dans lequel, en dépit des efforts impuissants de la famille Husseinite, arrivée malheureusement trop tard au pouvoir, et malgré mes gémissements et les révoltes de ces esprits honnêtes et généreux dont la Tunisie ne manqua jamais, agonise cette terre si glorieuse autrefois et l’une des plus prospères du monde ». Ibidem.
49 Ibid., p. 27-28.
50 Ibid., p. 9. Tout le long de la conférence, l’orateur a été à plusieurs reprises arrêté par les applaudissements des auditeurs.
51 Ibid., p. 31.
52 « LA REVUE TUNISIENNE, le premier organe de ce genre en Tunisie, n’aura pas, à proprement parler -momentanément du moins - de programme bien délimité.
53 Article premier des statuts de l’association.
54 Les Archives nationales, série E, 544-22.
55 Ibid, p. 11. Souligné par nous
56 Ibid.
57 Ibid, p. 11. Souligné par nous.
58 Article premier des Statut de l’Institut de Carthage.
59 Abéasis Patrick : Le Salon Tunisien (1894-2984) : espace d’interaction entre des générations de peintres tunisiens et français. In : Les relations tuniso-françaises au miroir des élites (XIXe, XXe siècles). Tunis : Faculté des Lettres, Manouba, 1997, pp. 229-254.
60 Devenue Jeune Afrique (à partir du 21-11-1961).
61 Lambert Paul : Choses et gens de Tunisie. Dictionnaire illustré de la Tunisie. Ed. C. Saliba Ainé éditeur, Librairie du Phénix, Tunis, 1912.
62 Châtelain Yves : La vie littéraire et intellectuelle en Tunisie de 1930 à 1937.
63 Voir le tableau des expositions du Salon Tunisien dans les annexes.
64 Yves Châtelain : La vie littéraire et intellectuelle de la Tunisie de 1900 à 1937. Edition de la Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris 1937.
65 Voir dans les annexes le tableau des expositions du Salon Tunisien.
66 Article 9 : « Les membres de l’association se partagent en effet en diverses sections. Provisoirement, le nombre de ces sections est limité à trois : la section des Sciences historiques et géographiques, la section des Sciences physiques et naturelles et la section des lettres et arts».
67 Revue Tunisienne, 1913, p. 262.
68 Nous ne pouvons pas parler de consommation de la peinture parce que celle-ci a circulé dans le même milieu où elle a été produite sans qu’elle passe par une galerie ou n’importe quel espace d’exposition, ce que nous pouvons désigner par « peinture de commande ».
69 Ali Louati : L’aventure de l’art moderne en Tunisie. Ed. Simpact, Coll. Patrimoine (S.D). Cet artiste est décédé en 1920 à Tunis.
70 Rue de Grèce, N° 11, Tunis. Le Dr Ettore Camilleri, président de l’Association ouvrière maltaise, termine sa lettre adressée au comité d’organisation du Salon tunisien en écrivant « Notre conseil exécutif espère que la mesure votée par lui aura pour effet de resserrer plus étroitement encore les liens d’amitié qui unissent la Colonie maltaise à la Colonie française ». Cité in : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894. p. 321. Il est très important de citer les rapports qui lient la colonie française aux autres colonies européennes. En se référant à la théorie de Bertholon sur la colonisation, celui-ci appelle à développer ces liens parce que les sujets européens non français son mieux appropriés à l’assimilation que les indigènes. Sa réponse fut ferme concernant le choix entre les travailleurs indigènes et les travailleurs européens, il préfère de loin des derniers : « c’est une erreur de croire la main-d’œuvre indigène indispensable en Afrique du Nord ; la main-d’œuvre européenne peut y assurer la culture… ». Bertholon : Quel doit être le rôle de la France dans l’Afrique du Nord : coloniser ou assimiler, déjà cité.
71 Publié dans la Revue Tunisienne, N° 3, juillet 1894. P. 319.
72 « Une exposition artistique à Tunis », In : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894. p. 319.
73 ibidem.
74 Ibid., p. 323.
75 Goin H. : Le Salon Tunisien. In : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894. p. 327.
76 Ibidem.
77 Ibid., p. 328.
78 Ibidem.
79 Ibidem.
80 Ibid., p. 329
81 Cette société est placée sous le patronage du comité suivant : Gabriel Bonvalot, Dupleix, Gaston Deschamps, Paul Casanova, et Georges Lafenestre et G. Bénédicte conservateurs au musée du Louvre, Ernest Leroux, éditeur de publications orientalistes ; Maurice Wahl inspecteur général de l’université pour les colonies et René La Blanchère. Comme présidents d’honneur nous trouvons Gérome et Benjamin Constant et pour président actif Léonce Bénédicte, conservateur du musée du Luxembourg.
82 « Le salon Tunisien », in : Revue Tunisienne, N°3, juillet 1894. p. 336.
83 Abéazis Patrick, « Le salon Tunisien », p. 3-4. Manuscrit non publié.
84 Artiste peintre, installé en Tunisie en 1920, décédé en 1934, membre de la Société coloniale des artistes français. Cf. le catalogue de l’exposition « Lumières tunisiennes », Paris, 1995, 58.
85 Dans le texte réservé à la critique du 15e Salon Tunisien (1913), André-Marie Delacroix (1913, 271) écrivait à propos de la nouvelle tendance cubiste présentée à ce Salon : « Cette vision parascopique d’un monde hypophénoménal est, nous l’espérons, un accident morbide dans l’histoire de l’art français ».
86 Abéasis Patrick, s. d., Le Salon Tunisien (1894-1984). Espace d’interaction entre des générations de peintres tunisiens et français, texte dactylographié.
87 Cf. le catalogue de l’exposition « Lumières tunisiennes », Paris, 1995, 70.
88 Lebovics Herman, 1995, La « Vraie France ». Les enjeux de l’identité culturelle, 1900-1945, préface de Gérard Noiriel, Paris, Belin.
89 Selon les termes de G. Noiriel dans sa préface à l’ouvrage de H. Lubovics (1995, 12).
90 Nous verrons à la troisième période du Salon Tunisien qui débute en 1934, que Boucherle tout en prenant partie dans les différents conflits menés contre Fichet, finira par prendre sa propre initiative en menant, contre l’amateurisme, une contre action pour l’éclectisme et le professionnalisme artistique.
91 Paysagiste et peintre français (1907-1950), décorateur du théâtre municipal de Tunis dans les années 1920, présent en Tunisie jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Il aida l’artiste André Le Mare dans la décoration intérieure de la cathédrale de Tunis.
92 L’Allemagne, l’Italie et le Japon.
93 Pierre Boucherle pourrait aussi être classé parmi les hommes de droite. Durant la guerre, il aurait été chargé par le gouvernement de Vichy, de la censure cinématographique, selon une rumeur qu’aucun document ne permet de fonder.
94 Les détenteurs de ce capital symbolique ont diffusé la peinture en Tunisie, par imitation des beys qui ont été, par des commandes de portraits, les véritables promoteurs de la peinture moderne. Cf. A. Louati, 1999.
95 Op. Cit., p. 47.
96 Filali Aïcha, Safia Farhat. Une biographie. MIM éditions, Tunisie, 2005. P. 57
97 Ibidem.
98 Aujourd’hui, cette école est l’une des quatre écoles des beaux-arts du pays avec celles de Nabeul, de Sousse et de Sfax. Avec son effectif dépassant les mille étudiants, l’exigüité des locaux redevient à nouveau problématique. Elle empêche le bon déroulement de la formation.
99 La Dépêche Tunisienne, édition du 7.2.50, p. 2.
100 Les éléments de la biographie de Pierre Berjole sont tirés du journal La Dépêche Tunisienne, édition du 7 février 1950, p. 2.
101 Berjole Pierre, in bulletin économique et social, N° 87, avril 1954. P. 86.
102 Berjole Pierre, Du sang neuf aux beaux-arts. In : Faïza. N°6, avril 1960. P. 28.
103 Filali Aïcha, Modèles et intentions de formation dans l’enseignement des beaux-arts en Tunisie. In : Moncef Ben Slimane et Noureddine Dhahri (sous la dir. de) : Rencontres internationales : réformes universitaires et mutations socio-culturelles. Éd. Ministère de l’Éducation et des Sciences, ITAAUT et le Centre de Recherches et de Documentation sur la Femme, Tunis, 1993
104 Régence de Tunisie, Protectorat française, Direction des affaires économiques, Imprimerie J. Alccio, Tunis.
105 Secrétariat général du gouvernement tunisien, Service tunisien des statistiques, Imprimerie S.A.P.I., Tunis.
106 Les pages 84 à 90.
107 Ce tableau tel qu’il se présente ne permet pas de répondre à plusieurs questions telle que celle se rapportant à la présence des juifs tunisiens lors de la troisième république et encore moins lors de l’occupation allemande qui aurait pu affiner l’étude démographique de cette école.
108 Rachel Solomon Tsehaye et Henri Vieille-Grosjean, Colonialité et occidentalocentrisme : quels enjeux pour la production des savoirs.
109 LANDER Edgardo (2000), La colonialidad del Saber: Eurocentrismo y Ciencias Sociales. Perspectivas Latinoamericanas, 2000, Buenos Aires, Clacso, cité par Rachel Solomon Tsehaye et Henri Vieille-Grosjean, déjà cité.
110 Anibal Quijano, « Race » et colonialité du pouvoir,
https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-111.htm
111 Toutes les notices biographiques sont tirées de Paul Lambert, Choses et gens de Tunisie. Dictionnaire illustré de la Tunisie. Ed. C. Saliba Ainé éditeur, Librairie du Phénix, Tunis, 1912 ; mis à part celle de Mohammed El Aziz Bou Attour qui a été tirée de l’ouvrage de Jean Gagnage, Les origine du protectorat français en Tunisie (1861-1881). Edition de la Maison Tunisienne de l’Edition, 2e édition 1968, p. 581.
112 A cette date l’Institut de Carthage n’été pas encore créée, ni par conséquent la Revue Tunisienne, il nous semble alors qu’il y a ici une faute de frappe, on a dû écrire «de 1885 à 1889» au lieu d’écrire « de 1895 à 1899 ».
113 La présente liste est dressée par Patrick Abeasis.

Bibliographie

ABÉASIS Patrick, 1997, Le Salon Tunisien (1894-2984) : espace d’interaction entre des générations de peintres tunisiens et français. In, Les relations tuniso-françaises au miroir des élites (XIXe, XXe siècles). Tunis, Faculté des Lettres, Manouba, pp. 229-254.

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TSEHAYE Rachel Solomon et VIEILLE-GROSJEAN Henri, « Colonialité et occidental centrisme : quels enjeux pour la production des savoirs », Recherche en éducation [en ligne], n° 32, consultée le 27 juin 2024,
URL : URL : https://journals.openedition.org/ree/2323 Sources de première main

Sources de première main

Les Archives nationales :

série E 253-1/17

série E, 544-22

Auteur

Hamdi OUNAINA

Institut supérieur des sciences humaine, Université Tunis El-Manar.

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