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06 | 2018
M’dhilla
Urbanisme d’une ville minière du sud Tunisien
Marwa Chérif
Table des matieres
Résumé
M’dhilla, distante de 15 kilomètres de la ville de Gafsa, est le dernier centre du bassin
minier de Gafsa. Son éloignement des autres sièges miniers, ses conditions climatiques et son
relief morcelé en plusieurs lits d'oueds, n'ont pas facilité son urbanisation. En effet les
propositions de plans d'aménagement se sont succédé depuis 1920, cherchant à concevoir une
composition adaptée aux différentes contraintes de cette nouvelle activité économique.
En premier lieu, nous analyserons trois variantes de plans proposées pour la ville de
M'dhilla, afin de déterminer les différentes composantes minières qui ont conditionné son
installation urbaine.
En second lieu, nous tenterons de mesurer l'impact de la présence européenne sur le paysage
urbain d'une ville qui venait de naître et qui devait, malgré les écueils, se plier à la nouvelle
politique sociale, professionnelle et urbanistique adoptée par l'administration du protectorat.
Dans ce cadre, nous nous intéresserons, à travers le modèle de M'dhilla, au processus et
aux contraintes qui ont été à l'origine de la création de la ville, durant le protectorat. Nous
étudierons également leurs répercussions sur l'aménagement de son territoire et sur l'évolution
de son tissu urbain.
Mots clés
bassin minier de Gafsa, M’dhilla, ville minière, phosphates, urbanisme minier, Protectorat.
Pour citer cet article
Marwa Cherif, " M’dhilla : urbanisme d’une ville minière du sud Tunisien ", Al-Sabîl : Revue
d'Histoire, d'Archéologie et d'Architecture Maghrébines [En ligne], n°6, Année 2018.
URL : https://al-sabil.tn/?p=12749
Texte integral
Fort de ses richesses naturelles remontant à la préhistoire, le bassin minier de Gafsa
connaîtra un essor remarquable et s’imposera malgré la rigueur du climat. Les ressources
naturelles de la région, son emplacement stratégique et ses reliefs montagneux, notamment les
célèbres gorges de Seldja, qui ont été le théâtre d’une découverte importante, constitueront un
tournant décisif dans l’histoire du bassin minier.
En effet, la découverte des gisements de phosphate par Philippe Thomas a été à l'origine
de la naissance d’une région minière, regroupant Métlaoui, Redeyef, Moulares et M’dhilla.
Cette région se fera connaître pour sa richesse historique, sociale et architecturale.
Nous limiterons notre étude à une seule ville, celle M’dhilla, qui a été le dernier siège
minier de cette région aussi riche.
Autrefois, M’dhilla était peuplée de nomades qui vivaient de l’élevage des moutons et
de l’agriculture1. Après l'instauration du protectorat et la célèbre découverte des gisements de
phosphate, la région connaîtra une mutation économique importante, en passant de l'activité
agricole à l’industrie. Ce changement radical engendrera à son tour une nouvelle composition
urbaine, architecturale et sociale, marquée par le passage du nomadisme à la sédentarité, donc,
par l'émergence d'un nouveau mode de vie.
L’activité minière était totalement méconnue des nomades de M’dhilla, ce qui explique
le recours à une main d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes et ayant
précédemment acquis de l'expérience dans le secteur minier. La Société coloniale instaure des
traditions minières et met en place une composition urbaine susceptible de répondre à ses
objectifs économiques, mais aussi à ses ambitions hégémoniques ; d'où le choix du site, de
l’implantation de la zone industrielle et de l’emplacement des quartiers européens.
Ces nouvelles composantes donneront lieu à un paysage urbain typiquement minier, qui atteste
que la création de la ville de M’dhilla est exclusivement tributaire de l'existence de sa mine.
Mais quelles sont ces traditions minières instaurées dans la nouvelle ville de M’dhilla ?
Et jusqu'où ont-elles été adoptées ?
A quelles techniques la Compagnie d'exploitation coloniale a-t-elle eu recours et quels
efforts a-t-elle déployés pour garantir la réussite de cette nouvelle composition urbaine ?
Quel a été l'impact de la présence européenne sur le paysage urbain de la ville de
M’dhilla ?
Enfin, quels profits la communauté européenne a-t-elle tirés des faveurs et des privilèges
qui lui ont été accordés par la Société coloniale ?
1- Cadre géographique et historique de la ville de M’dhilla

Source : www. googlemaps.com
Située dans le sud-ouest de la Tunisie, la ville de M'dhilla est administrativement
rattachée au gouvernorat de Gafsa. Elle est entourée des délégations de Gafsa, d'ElGuetar, de
Kebili et de Métlaoui. Comme la ville a été créée à l’écart du bassin minier, elle est relativement
éloignée des autres sièges. Ainsi, elle se trouve à 15 km de Gafsa, à 43 km de Métlaoui, à 73 km
de Moularès et à 88 km de Redeyef.
L’accès à M’dhilla se fait par la voie qui relie la ville à la GP1, après la sortie de Gafsa-
Gare. C'est une piste qui longe l’oued el Melah sur 11 km et qui s'engouffre dans l’un de ses
coudes. Le trajet se fait dans des conditions particulièrement défavorables, en raison de la
couche argileuse superficielle et imperméable couvrant le sol.

Source : Archives techniques de la CPG, ligne de Gafsa à M’dhilla, Service du chemin de fer.
- La topographie et la nature du terrain
M’dhilla s'étend sur quelque cinq kilomètres de piémont2. Il s'agit d'un vaste plan incliné
qui joint l'anticlinale du Séhib à la plaine de Gafsa et qui est marqué par des affleurements de
roches de faible résistance à l'érosion. L'oued Fouaret, de direction générale S.SE-N.NO,
occupe le terrain, de sorte qu'il le divise en plusieurs morceaux. De plus, toute la région est
couverte d'une carapace de gypse, rendant le sol spongieux.
Le choix du site a été problématique, étant donné que le terrain n'est pas urbanisable et
qu'il entrave de ce fait tout type d’aménagement, a fortiori une activité minière susceptible de
se heurter à des conditions géographiques rudes, au pied du Djebel.
Le climat de M’dhilla est tributaire de ses conditions géographiques, de ses reliefs et de
l’orientation de ses montagnes. C’est un climat à tendance continentale et aride, influencé par
des masses d'air continentales sahariennes dépourvues d'humidité. Il en résulte une forte
amplitude thermique annuelle (plus de 20° C) et des précipitations plus réduites.
- Historique de la ville de M’dhilla et de son nouveau mode de vie
La Société de Djebel M’dhilla a été à l’origine du peuplement de la région, sachant que
la population urbaine était inexistante avant la mise en exploitation de ses gisements et qu'elle
était essentiellement habitée par des ruraux. M’dhilla était à l'origine un village, vers lequel
affluaient des nomades ou des semi-nomades se déplaçant du sud au nord, pour participer aux
moissons. Sa population menait un mode de vie traditionnel et se constituait de tribus qui
logeaient sous des tentes misérables ou dans des habitations anarchiques faites de planches et
isolées les unes des autres3.
En 1885, le vétérinaire Philippe Thomas a découvert un gisement de phosphate s'étendant
sur 80 km, dans les Gorges de Seldja, qui deviendra sous le protectorat la richesse naturelle la
plus importante de la Tunisie4.
Cette découverte a transformé le sud-ouest de Gafsa en une région minière composée de
quatre villes, avec lesquelles des conventions d’exploitation ont été signées. Ainsi, la
convention de Métlaoui signée en 1896, celle de Redeyef en 1904, celle de Moularès en 1906
et enfin, la convention de M’dhilla, notre cas d’étude, en 19045.
L’acquisition des gisements de la région de M’dhilla a eu lieu le 15 octobre 19136. Ces
gisements sont concédés pour une durée de 50 ans, à une nouvelle organisation bénéficiaire :
« La Société des Mines et des Produits Chimiques », qui créera à son tour « la Société de Djebel
M’dhilla » sise en Tunisie et concurrente de « la Compagnie des Phosphates et du Chemin de
Fer » ; concessionnaire des trois premiers sièges miniers et leurs expansions.
Étant le premier prospecteur de gisements, l’activité de la nouvelle société a été payante
pour le compte de la Compagnie des Phosphates de Gafsa. Elle lui paye le droit d'invention et
la location de la ligne Sfax-Gafsa.
Mais le déclenchement de la guerre a remis en question, pendant quelques années, toute
forme d'activité. Ce qui a permis à la Compagnie des Phosphates d'obtenir également le
monopole de l’exploitation des gisements de M’dhilla.
2- Le concept d'urbanisme minier dans la ville de M’dhilla
Au début de la mise en exploitation des gisements de phosphate de M’dhilla, il n’existait
pas de population locale sédentarisée dans la région, mais plutôt des habitations flottantes et
temporaires. Suite à la découverte des gisements de phosphate, M’dhilla connaîtra un tournant
décisif, marqué par l'émergence d'un nouveau mode de vie et par un essor industriel inédit, qui
annonce le déclin de l’activité agricole traditionnelle.
Toutefois, cette nouvelle activité industrielle lancée par la Société de Djebel M’dhilla,
a exigé une main-d’œuvre qualifiée ; d'où la nécessité de critères de recrutement.
Il est d'abord important de noter que le travail assidu et permanent dans la mine a été
étranger aux nomades, ce qui a compliqué le démarrage de l’exploitation et a incité la
Compagnie à recourir à une main-d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes,
qualifiée et ayant acquis de l'expérience dans le secteur minier. Il en résulte un recrutement
massif d'ouvriers italiens, français, marocains, tripolitains, soufis et kabyles.
Mais en raison de l'instabilité de cette main-d’œuvre, la Société de Djebel M’dhilla est amenée
à s’orienter vers une stratégie de stabilisation et de fixation qui se traduit par la création d’un
habitat ouvrier, susceptible d'encourager ces travailleurs à s'installer dans la région.
Le processus de la création d'un environnement ouvrier dans une ville minière est
toujours le même dans tous les sièges miniers, car son développement est étroitement lié à celui
de l'activité minière. Si l'exploitation de la mine est en pleine expansion, elle produit un impact
certain sur l’investissement et sur le secteur du bâti.
La création de la nouvelle ville minière passe par trois étapes principales : la première
se concentre sur le choix du gisement en fonction de certaines contraintes techniques, telles que
les réserves et les possibilités d’extraction, qui déterminent l’emplacement du siège minier –
sachant que son installation est consacrée, dans un premier temps, aux travaux préparatoires
nécessitant le creusement de galeries, l’organisation des aires de séchage et l'aménagement
d'une voie ferrée. Dans un second temps, on procède à la mise en place du siège administratif
de la Société Djebel M’dhilla et des services généraux et techniques, ce qui atteste le primat
des installations industrielles.
La deuxième étape consiste en l’implantation d'un village destiné à accueillir les cadres
européens, confrontés durant leur séjour à des conditions naturelles et sociales spécifiques. En
effet, l’emplacement de leur quartier est déterminé en fonction de celui de l’aire de séchage,
prenant en compte l’orientation des vents dominants et son isolement de la zone de nuisance. Il
s'agit de créer un cadre de vie adapté, agréable et, surtout, de fixer une population habituée à
un mode de vie différent, voire opposé à celui que la ville de M’dhilla peut leur offrir.
La troisième étape concerne l’installation des quartiers périphériques, destinés à loger
les ouvriers autochtones. C'est précisément cette dernière étape qui révèle la mise en place d'une
ségrégation sociale et ethnique entre les quartiers européens et arabes, mais également au sein
de la communauté européenne elle-même. Implantée sans aucun souci d’orientation, cette zone
périphérique est repoussée loin du village européen, à proximité des points d’extraction, lieu de
travail des ouvriers autochtones.
Ces trois étapes, qui ont abouti à la création de la ville minière, illustrent la stratégie
adoptée par la Société Coloniale, en matière d'adaptation à la diversité des traditions minières.
Elles révèlent aussi une volonté de réaliser un plan urbain typiquement minier, conforme aux
règlements de la Société coloniale minière de Djebel M’dhilla.
Les traditions urbanistiques minières sont à l'origine de la division du territoire en deux
zones distinctes : une zone industrielle et une zone urbaine. Cette répartition accorde la priorité aux implantations industrielles, qui exigent un aménagement particulier de l’espace et qui
imposent également un mode d'intégration spécifique dans les différents quartiers de M’dhilla,
en fonction de leurs composantes.
Les traditions coloniales sont déterminées par la ségrégation ethnique et par la hiérarchie
professionnelle. Pour ce qui est de la ségrégation ethnique, la société de Djebel el M’dhilla a
adopté des systèmes de séparation différents ; certains sont naturels, imposés par les reliefs ou
par les oueds, alors que d’autres sont industriels et instaurés par la voie ferrée, par l’aire de
séchage, ou simplement par l’éloignement.
Quant à la hiérarchie professionnelle, elle est constituée d'Européens qui occupent le
centre d'une cité conçue à l’image de leurs villes natales, avec ses toitures à deux pans en tuiles
rouges, afin de les retenir et de faciliter leur intégration. Enfin, les autochtones sont relégués à
la périphérie et vivent dans un quartier implanté sans aucun plan d'aménagement au préalable,
contrairement au village européen vers lequel s'orientent tous les efforts de la Société coloniale.
La hiérarchie professionnelle impose à son tour une forme de ségrégation sociale, que trahit la
typologie des logements. Pour preuve, le directeur est installé dans une grande demeure
entourée d’un parc majestueux ; les ingénieurs et les cadres européens habitent de coquettes
villas, les ouvriers italiens sont logés dans des casernes et les autochtones dans des gourbis.
En somme, ces nouvelles traditions minières et coloniales ont abouti au morcellement
de l’agglomération et engendré une structure urbaine verrouillée par un système de ségrégation
rigoureux.


Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis.
3- L’analyse des trois esquisses du plan de la ville de M’dhilla
Après avoir proposé un aperçu historique de la ville minière de M’dhilla, notre cas
d’étude, et présenté les principes qui ont fondé sa création, tout en explicitant les concepts
fondamentaux de son urbanisme, nous analyserons les différentes propositions du plan de la
ville, que nous avons consultées aux archives techniques de la CPG et qui ont été réalisées par
l’équipe du Service des travaux publics de la Société de Djebel M’dhilla, à l'époque du
protectorat. Ceci afin de démontrer que les concepts coloniaux et miniers ont été appliqués à la
composition urbaine de la nouvelle ville.
Les plans, qui se sont succédé depuis 1920, portent un intérêt particulier à la zone
industrielle, à ses différentes installations, à son articulation par rapport au village européen et
prennent en compte le problème de l’extension de la ville. Un premier schéma d’intention datant
de 1920, place la zone industrielle au sud, du côté de la mine et le village européen, au nord.
Mais ce schéma sera écarté, car l'emplacement du village européen est mal orienté par rapport à la direction des vents dominants et l'hypothèse d'une quelconque extension est d'autant plus
inenvisageable que l’ensemble est coincé entre la mine du côté sud et la voie ferrée du côté
nord, mais également entre les oueds.

Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).
Puis, au courant du mois de septembre de l'année 1921, un premier plan inverse le schéma de la première proposition, en reliant les usines aux expéditions au nord, au village et à la zone industrielle, qui sont désormais regroupés sur un même terrain, entre deux oueds. La voie ferrée allant tout droit à Gafsa est détournée vers l’ouest du village, en faisant une légère première boucle, puis continue jusqu’à la zone industrielle en effectuant une seconde boucle, avant de reprendre la direction de Gafsa. Reste que cette proposition qui regroupe le village et la zone industrielle sur un même terrain bloque toute possibilité d'extension, aussi bien dans la zone industrielle que dans le village européen. D'où le rejet de la proposition et la quête d'un nouveau plan, susceptible de résoudre le problème de l’extension. En novembre 1921 et deux mois après le refus du premier plan, on propose de résoudre le problème de l’extension en étendant le projet sur un terrain plus grand, de sorte que la séparation entre les deux compartiments sera assurée par la ligne ferroviaire.

Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).
La partie réservée aux deux compartiments dans la proposition précédente est, dans la
seconde, exclusivement occupée par la zone industrielle qui s'étale sur le côté ouest de l'oued,
tandis que le village est déplacé vers son côté est. Celui-ci est de ce fait, implanté entre le
premier oued et le grand Fourat.
La composition de l’ensemble de ce plan semble très équilibrée. En effet, elle sépare la
zone industrielle du village. De plus, l’extension est désormais possible de part et d'autre, pour
l'une comme pour l'autre. En dépit de sa pertinence et de sa faisabilité, ce plan sera aussi écarté.

Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur)
C'est finalement le premier plan (la deuxième proposition) qui sera retenu. Celui-ci
propose de regrouper le village européen et la zone industrielle au nord, dans un même
compartiment, et de préserver l'itinéraire initial de la voie ferrée qui contourne le village à
l’ouest, en effectuant deux boucles avant de reprendre la direction de Gafsa.
Nous avons constaté, au cours de l'analyse des trois propositions du plan de la ville de
Mdhilla élaborées par le Service des travaux publics, qu'aucune d'entre elles ne mentionne les
quartiers autochtones, la priorité allant à l’implantation de la zone industrielle reliée au village,
dans un souci de conformité à la tradition minière.
4- Les différentes composantes urbanistiques de la ville de M’dhilla
La ville de M'dhilla est composée, comme toute ville minière, de deux zones distinctes :
une zone industrielle avec ses différentes installations et une zone urbaine, réservée à
l'habitation.
La zone industrielle
La zone industrielle s'étend de la mine aux usines et se divise elle-même en deux compartiments : le premier, qui est le compartiment de la recette, est implanté aux pieds du Djebel et regroupe
les écuries, les installations de broyage, de concassage, de stockage brut ainsi que les stockages
des marnes. Le deuxième compartiment est une aire industrielle comprenant une aire de
stockage, une laverie, une usine de ventilation, des silos de stockage, des ateliers, un parc à
bois et une centrale électrique. L’ensemble est relié par une voie ferrée de cinq kilomètres, qui
contourne le côté nord du village européen.


Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photos de l’auteur. Septembre 2016
La zone urbaine

Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).
La zone urbaine de M’dhilla est divisée en trois quartiers éloignés les uns des autres,
conformément à la politique de ségrégation ethnique adoptée par la Société coloniale de Djebel
M’dhilla, qui vise à séparer les autochtones des Européens, dans une volonté d'instaurer les
bases d'une première tradition coloniale.
Le premier quartier, en l'occurrence, le village du Djebel, est peuplé de Tripolitains et
de Soufis. Il est éloigné du village européen, mais se trouve à proximité de la mine. Le
deuxième, appelé le village d’El Bordj, est réservé aux ouvriers marocains. Il longe la piste du
Séhib et occupe une position intermédiaire entre le quartier du Djebel et le village européen.
Enfin, le dernier village habité par les cadres européens, est implanté au centre. Il est limité au
nord par la zone industrielle, par la voie ferrée, par le bras de l’oued à l’ouest et par un autre
bras qui le serre de près à l’Est.
Cependant, d’autres quartiers ouvriers sont implantés çà et là et de manière empirique,
à commencer par la caserne réservée aux Italiens, qui se trouve de l’autre côté de la zone
industrielle et qui est séparée du village par la voie ferrée. Il est à noter néanmoins que cette
caserne a été construite dans la zone organisée. Ce mode de répartition témoigne d'une volonté
d'instaurer une tradition coloniale ségrégationniste, qui sépare non seulement les différentes
ethnies, mais également les classes sociales. En effet, chaque agglomération est confinée dans
son terrain et isolée des autres, soit par les voies ferrées, soit par la distance.
Le choix du terrain destiné à l'implantation du village européen est prioritaire. Celui-ci
a été construit sur un site urbanisable, alors que l’emplacement des quartiers autochtones n'a
fait l'objet d'aucune attention particulière et a été choisi en fonction des reliefs, de
l’emplacement des gisements, de celui de la mine et ses composantes, de sorte que les
habitations des ouvriers autochtones se trouvent à proximité de leur lieu de travail.
Quant à la deuxième tradition coloniale, elle consiste en l'instauration d'une hiérarchie
professionnelle, qui prend toute sa signification dans l’organisation, la structuration des
quartiers, dans la typologie des logements construits et dans le nombre d’équipements fournis
à chaque catégorie. L'étude de cette deuxième tradition coloniale nous a permis de classer les
différents quartiers de la ville de M’dhilla en deux types : les quartiers organisés et les quartiers
spontanés ou anarchiques.
Quartier organisé
Ce type de quartier, en l'occurrence, le village européen, est habité par la population privilégiée
de la Société coloniale. Contrairement au modèle-type des précédents sièges miniers, organisés
selon un plan en damier et une trame orthogonale, celui du village européen de M’dhilla,
présente un tracé en étoile et ses différentes avenues portent des noms glorieux, comme l'avenue
Marechal Foch ou l'avenue Maréchal Joffre7. Viennent ensuite les casernes destinées aux
Italiens, qui ont également été construites par la Société de Djebel el M’dhilla.

Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photos de l’auteur. Mars 2016.
Dans ce type de quartier, les habitations sont hiérarchisées selon les professions. Par
exemple, le directeur est logé dans une demeure très moderne, bien équipée, confortable et
entourée d'un parc somptueux. Elle est, conformément au modèle d'habitation européen,
couverte d'une toiture à double pans en tuiles rouges. Les villas coquettes sont réservées aux
ingénieurs, aux cadres, et n'ont pas grand-chose à envier à celle du directeur, à part le fait
qu'elles sont pourvues de petits jardins. Enfin, les ouvriers célibataires vivent dans des casernes
et dans des logements collectifs modestes, pauvrement équipés, inconfortables et dépourvus de
toute verdure.
Quartier non organisé ou plutôt spontané
Les quartiers non organisés et nés spontanément au fur et à mesure des recrutements de
la main d’œuvre, ne se plient à aucun règlement de lotissement ou d’urbanisation. Implantés
sur des terrains non urbanisables, sur des plateformes ravinées par les oueds ou encore dans la
zone de nuisance, ils sont éloignés du village européen et répartis dans deux groupements : le
premier, qui est le village d’el Bordj, est peuplé de Marocains. Son premier schéma
d’implantation est réalisé en 1921, puis sera partiellement réalisé en 19308. Le deuxième
groupement, en l'occurrence le village minier, est réservé aux Tripolitains et aux Soufis, dont
les habitations sont séparées par la voie ferrée.
D’autres quartiers spontanés émergeant à la périphérie de la ville, seront peu à peu
occupés par les tribus nomades propriétaires du sol, dont les terres ont été distribuées de
manière inéquitable, suite à leur éloignement.


Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel M’dilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photo personnelle. Septembre 2016.
Dans ce type de quartier apparaît une nouvelle typologie de logements, appelés gourbis
ou habitations anarchiques. Réservés aux Tripolitains, aux Soufis et aux Marocains, ces logis
précaires sont dépourvus de tout équipement, y compris de l’eau et de l’électricité. Leurs
habitants en sont donc réduits à s'approvisionner dans les fontaines et à utiliser les douches
publiques.
La structuration des quartiers et la typologie des logements observées dans la ville de
M'dhilla illustrent incontestablement l'instauration d'une deuxième tradition coloniale fondée
sur la hiérarchie professionnelle. Cette politique de hiérarchisation est attestée par les efforts
que la Société coloniale a déployés en matière de confort et d'agrément, dans les quartiers
européens, en fonction de la classe sociale, de l’ordre hiérarchique et des grades professionnels
des habitants.
Le nombre et la qualité des équipements aménagés dans le village européen tels que
l’hôpital, l’école, le bureau de poste (PTT), l’économat, le mess, le poste de police et les
placettes publiques, témoignent du traitement de faveur dont bénéficie la colonie européenne
et s'inscrit dans une politique de peuplement qui vise à installer durablement les nouveaux
migrants dans la région.
En revanche, le quartier d’el Bordj ne dispose que d'un petit économat qui approvisionne
le village de la mine aussi, et a pour tout équipement une mosquée, des douches et des fontaines
publiques.

Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie Tunisienne des Phosphates du Djebel M’dhilla, Travaux Photographiques d’Art, Tunis.