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06 | 2018

M’dhilla
Urbanisme d’une ville minière du sud Tunisien

Marwa Chérif *

Résumé

    M’dhilla, distante de 15 kilomètres de la ville de Gafsa, est le dernier centre du bassin minier de Gafsa. Son éloignement des autres sièges miniers, ses conditions climatiques et son relief morcelé en plusieurs lits d'oueds, n'ont pas facilité son urbanisation. En effet les propositions de plans d'aménagement se sont succédé depuis 1920, cherchant à concevoir une composition adaptée aux différentes contraintes de cette nouvelle activité économique.
    En premier lieu, nous analyserons trois variantes de plans proposées pour la ville de M'dhilla, afin de déterminer les différentes composantes minières qui ont conditionné son installation urbaine.
En second lieu, nous tenterons de mesurer l'impact de la présence européenne sur le paysage urbain d'une ville qui venait de naître et qui devait, malgré les écueils, se plier à la nouvelle politique sociale, professionnelle et urbanistique adoptée par l'administration du protectorat.
    Dans ce cadre, nous nous intéresserons, à travers le modèle de M'dhilla, au processus et aux contraintes qui ont été à l'origine de la création de la ville, durant le protectorat. Nous étudierons également leurs répercussions sur l'aménagement de son territoire et sur l'évolution de son tissu urbain.

Mots clés

bassin minier de Gafsa, M’dhilla, ville minière, phosphates, urbanisme minier, Protectorat.

Pour citer cet article

Marwa Cherif, " M’dhilla : urbanisme d’une ville minière du sud Tunisien ", Al-Sabîl : Revue d'Histoire, d'Archéologie et d'Architecture Maghrébines [En ligne], n°6, Année 2018.

URL : https://al-sabil.tn/?p=12749

Texte integral

Introduction

    Fort de ses richesses naturelles remontant à la préhistoire, le bassin minier de Gafsa connaîtra un essor remarquable et s’imposera malgré la rigueur du climat. Les ressources naturelles de la région, son emplacement stratégique et ses reliefs montagneux, notamment les célèbres gorges de Seldja, qui ont été le théâtre d’une découverte importante, constitueront un tournant décisif dans l’histoire du bassin minier.
    En effet, la découverte des gisements de phosphate par Philippe Thomas a été à l'origine de la naissance d’une région minière, regroupant Métlaoui, Redeyef, Moulares et M’dhilla. Cette région se fera connaître pour sa richesse historique, sociale et architecturale.
    Nous limiterons notre étude à une seule ville, celle M’dhilla, qui a été le dernier siège minier de cette région aussi riche.
    Autrefois, M’dhilla était peuplée de nomades qui vivaient de l’élevage des moutons et de l’agriculture 1 . Après l'instauration du protectorat et la célèbre découverte des gisements de phosphate, la région connaîtra une mutation économique importante, en passant de l'activité agricole à l’industrie. Ce changement radical engendrera à son tour une nouvelle composition urbaine, architecturale et sociale, marquée par le passage du nomadisme à la sédentarité, donc, par l'émergence d'un nouveau mode de vie.
    L’activité minière était totalement méconnue des nomades de M’dhilla, ce qui explique le recours à une main d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes et ayant précédemment acquis de l'expérience dans le secteur minier. La Société coloniale instaure des traditions minières et met en place une composition urbaine susceptible de répondre à ses objectifs économiques, mais aussi à ses ambitions hégémoniques ; d'où le choix du site, de l’implantation de la zone industrielle et de l’emplacement des quartiers européens.
Ces nouvelles composantes donneront lieu à un paysage urbain typiquement minier, qui atteste que la création de la ville de M’dhilla est exclusivement tributaire de l'existence de sa mine.
    Mais quelles sont ces traditions minières instaurées dans la nouvelle ville de M’dhilla ? Et jusqu'où ont-elles été adoptées ?
    A quelles techniques la Compagnie d'exploitation coloniale a-t-elle eu recours et quels efforts a-t-elle déployés pour garantir la réussite de cette nouvelle composition urbaine ?
    Quel a été l'impact de la présence européenne sur le paysage urbain de la ville de M’dhilla ?
    Enfin, quels profits la communauté européenne a-t-elle tirés des faveurs et des privilèges qui lui ont été accordés par la Société coloniale ?

1- Cadre géographique et historique de la ville de M’dhilla

Fig. 1. La carte du bassin minier de Gafsa
Source : www. googlemaps.com

    Située dans le sud-ouest de la Tunisie, la ville de M'dhilla est administrativement rattachée au gouvernorat de Gafsa. Elle est entourée des délégations de Gafsa, d'ElGuetar, de Kebili et de Métlaoui. Comme la ville a été créée à l’écart du bassin minier, elle est relativement éloignée des autres sièges. Ainsi, elle se trouve à 15 km de Gafsa, à 43 km de Métlaoui, à 73 km de Moularès et à 88 km de Redeyef.
    L’accès à M’dhilla se fait par la voie qui relie la ville à la GP1, après la sortie de Gafsa- Gare. C'est une piste qui longe l’oued el Melah sur 11 km et qui s'engouffre dans l’un de ses coudes. Le trajet se fait dans des conditions particulièrement défavorables, en raison de la couche argileuse superficielle et imperméable couvrant le sol.

Fig. 2. Accessibilité de la ville de M'dhilla, Echelle 1/10000e /(S.D)
Source : Archives techniques de la CPG, ligne de Gafsa à M’dhilla, Service du chemin de fer.

  • La topographie et la nature du terrain
    M’dhilla s'étend sur quelque cinq kilomètres de piémont 2 . Il s'agit d'un vaste plan incliné qui joint l'anticlinale du Séhib à la plaine de Gafsa et qui est marqué par des affleurements de roches de faible résistance à l'érosion. L'oued Fouaret, de direction générale S.SE-N.NO, occupe le terrain, de sorte qu'il le divise en plusieurs morceaux. De plus, toute la région est couverte d'une carapace de gypse, rendant le sol spongieux.
    Le choix du site a été problématique, étant donné que le terrain n'est pas urbanisable et qu'il entrave de ce fait tout type d’aménagement, a fortiori une activité minière susceptible de se heurter à des conditions géographiques rudes, au pied du Djebel.
    Le climat de M’dhilla est tributaire de ses conditions géographiques, de ses reliefs et de l’orientation de ses montagnes. C’est un climat à tendance continentale et aride, influencé par des masses d'air continentales sahariennes dépourvues d'humidité. Il en résulte une forte amplitude thermique annuelle (plus de 20° C) et des précipitations plus réduites.
  • Historique de la ville de M’dhilla et de son nouveau mode de vie
    La Société de Djebel M’dhilla a été à l’origine du peuplement de la région, sachant que la population urbaine était inexistante avant la mise en exploitation de ses gisements et qu'elle était essentiellement habitée par des ruraux. M’dhilla était à l'origine un village, vers lequel affluaient des nomades ou des semi-nomades se déplaçant du sud au nord, pour participer aux moissons. Sa population menait un mode de vie traditionnel et se constituait de tribus qui logeaient sous des tentes misérables ou dans des habitations anarchiques faites de planches et isolées les unes des autres3 .
    En 1885, le vétérinaire Philippe Thomas a découvert un gisement de phosphate s'étendant sur 80 km, dans les Gorges de Seldja, qui deviendra sous le protectorat la richesse naturelle la plus importante de la Tunisie4 .
    Cette découverte a transformé le sud-ouest de Gafsa en une région minière composée de quatre villes, avec lesquelles des conventions d’exploitation ont été signées. Ainsi, la convention de Métlaoui signée en 1896, celle de Redeyef en 1904, celle de Moularès en 1906 et enfin, la convention de M’dhilla, notre cas d’étude, en 19045 .
    L’acquisition des gisements de la région de M’dhilla a eu lieu le 15 octobre 19136 . Ces gisements sont concédés pour une durée de 50 ans, à une nouvelle organisation bénéficiaire : « La Société des Mines et des Produits Chimiques », qui créera à son tour « la Société de Djebel M’dhilla » sise en Tunisie et concurrente de « la Compagnie des Phosphates et du Chemin de Fer » ; concessionnaire des trois premiers sièges miniers et leurs expansions.
    Étant le premier prospecteur de gisements, l’activité de la nouvelle société a été payante pour le compte de la Compagnie des Phosphates de Gafsa. Elle lui paye le droit d'invention et la location de la ligne Sfax-Gafsa.
    Mais le déclenchement de la guerre a remis en question, pendant quelques années, toute forme d'activité. Ce qui a permis à la Compagnie des Phosphates d'obtenir également le monopole de l’exploitation des gisements de M’dhilla.

2- Le concept d'urbanisme minier dans la ville de M’dhilla

    Au début de la mise en exploitation des gisements de phosphate de M’dhilla, il n’existait pas de population locale sédentarisée dans la région, mais plutôt des habitations flottantes et temporaires. Suite à la découverte des gisements de phosphate, M’dhilla connaîtra un tournant décisif, marqué par l'émergence d'un nouveau mode de vie et par un essor industriel inédit, qui annonce le déclin de l’activité agricole traditionnelle.
    Toutefois, cette nouvelle activité industrielle lancée par la Société de Djebel M’dhilla, a exigé une main-d’œuvre qualifiée ; d'où la nécessité de critères de recrutement.
    Il est d'abord important de noter que le travail assidu et permanent dans la mine a été étranger aux nomades, ce qui a compliqué le démarrage de l’exploitation et a incité la Compagnie à recourir à une main-d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes, qualifiée et ayant acquis de l'expérience dans le secteur minier. Il en résulte un recrutement massif d'ouvriers italiens, français, marocains, tripolitains, soufis et kabyles.
    Mais en raison de l'instabilité de cette main-d’œuvre, la Société de Djebel M’dhilla est amenée à s’orienter vers une stratégie de stabilisation et de fixation qui se traduit par la création d’un habitat ouvrier, susceptible d'encourager ces travailleurs à s'installer dans la région.
    Le processus de la création d'un environnement ouvrier dans une ville minière est toujours le même dans tous les sièges miniers, car son développement est étroitement lié à celui de l'activité minière. Si l'exploitation de la mine est en pleine expansion, elle produit un impact certain sur l’investissement et sur le secteur du bâti.
    La création de la nouvelle ville minière passe par trois étapes principales : la première se concentre sur le choix du gisement en fonction de certaines contraintes techniques, telles que les réserves et les possibilités d’extraction, qui déterminent l’emplacement du siège minier – sachant que son installation est consacrée, dans un premier temps, aux travaux préparatoires nécessitant le creusement de galeries, l’organisation des aires de séchage et l'aménagement d'une voie ferrée. Dans un second temps, on procède à la mise en place du siège administratif de la Société Djebel M’dhilla et des services généraux et techniques, ce qui atteste le primat des installations industrielles.
    La deuxième étape consiste en l’implantation d'un village destiné à accueillir les cadres européens, confrontés durant leur séjour à des conditions naturelles et sociales spécifiques. En effet, l’emplacement de leur quartier est déterminé en fonction de celui de l’aire de séchage, prenant en compte l’orientation des vents dominants et son isolement de la zone de nuisance. Il s'agit de créer un cadre de vie adapté, agréable et, surtout, de fixer une population habituée à un mode de vie différent, voire opposé à celui que la ville de M’dhilla peut leur offrir.
    La troisième étape concerne l’installation des quartiers périphériques, destinés à loger les ouvriers autochtones. C'est précisément cette dernière étape qui révèle la mise en place d'une ségrégation sociale et ethnique entre les quartiers européens et arabes, mais également au sein de la communauté européenne elle-même. Implantée sans aucun souci d’orientation, cette zone périphérique est repoussée loin du village européen, à proximité des points d’extraction, lieu de travail des ouvriers autochtones.
    Ces trois étapes, qui ont abouti à la création de la ville minière, illustrent la stratégie adoptée par la Société Coloniale, en matière d'adaptation à la diversité des traditions minières. Elles révèlent aussi une volonté de réaliser un plan urbain typiquement minier, conforme aux règlements de la Société coloniale minière de Djebel M’dhilla.
    Les traditions urbanistiques minières sont à l'origine de la division du territoire en deux zones distinctes : une zone industrielle et une zone urbaine. Cette répartition accorde la priorité aux implantations industrielles, qui exigent un aménagement particulier de l’espace et qui imposent également un mode d'intégration spécifique dans les différents quartiers de M’dhilla, en fonction de leurs composantes.
    Les traditions coloniales sont déterminées par la ségrégation ethnique et par la hiérarchie professionnelle. Pour ce qui est de la ségrégation ethnique, la société de Djebel el M’dhilla a adopté des systèmes de séparation différents ; certains sont naturels, imposés par les reliefs ou par les oueds, alors que d’autres sont industriels et instaurés par la voie ferrée, par l’aire de séchage, ou simplement par l’éloignement.
    Quant à la hiérarchie professionnelle, elle est constituée d'Européens qui occupent le centre d'une cité conçue à l’image de leurs villes natales, avec ses toitures à deux pans en tuiles rouges, afin de les retenir et de faciliter leur intégration. Enfin, les autochtones sont relégués à la périphérie et vivent dans un quartier implanté sans aucun plan d'aménagement au préalable, contrairement au village européen vers lequel s'orientent tous les efforts de la Société coloniale.
    La hiérarchie professionnelle impose à son tour une forme de ségrégation sociale, que trahit la typologie des logements. Pour preuve, le directeur est installé dans une grande demeure entourée d’un parc majestueux ; les ingénieurs et les cadres européens habitent de coquettes villas, les ouvriers italiens sont logés dans des casernes et les autochtones dans des gourbis.
    En somme, ces nouvelles traditions minières et coloniales ont abouti au morcellement de l’agglomération et engendré une structure urbaine verrouillée par un système de ségrégation rigoureux.

Fig. 3. Maison des cadres européens
Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis.

3- L’analyse des trois esquisses du plan de la ville de M’dhilla

    Après avoir proposé un aperçu historique de la ville minière de M’dhilla, notre cas d’étude, et présenté les principes qui ont fondé sa création, tout en explicitant les concepts fondamentaux de son urbanisme, nous analyserons les différentes propositions du plan de la ville, que nous avons consultées aux archives techniques de la CPG et qui ont été réalisées par l’équipe du Service des travaux publics de la Société de Djebel M’dhilla, à l'époque du protectorat. Ceci afin de démontrer que les concepts coloniaux et miniers ont été appliqués à la composition urbaine de la nouvelle ville.
    Les plans, qui se sont succédé depuis 1920, portent un intérêt particulier à la zone industrielle, à ses différentes installations, à son articulation par rapport au village européen et prennent en compte le problème de l’extension de la ville. Un premier schéma d’intention datant de 1920, place la zone industrielle au sud, du côté de la mine et le village européen, au nord. Mais ce schéma sera écarté, car l'emplacement du village européen est mal orienté par rapport à la direction des vents dominants et l'hypothèse d'une quelconque extension est d'autant plus inenvisageable que l’ensemble est coincé entre la mine du côté sud et la voie ferrée du côté nord, mais également entre les oueds.

Fig. 4. La deuxième proposition du plan de M'dhilla/ Echelle : 1/2000e (septembre 1921)
Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).

    Puis, au courant du mois de septembre de l'année 1921, un premier plan inverse le schéma de la première proposition, en reliant les usines aux expéditions au nord, au village et à la zone industrielle, qui sont désormais regroupés sur un même terrain, entre deux oueds. La voie ferrée allant tout droit à Gafsa est détournée vers l’ouest du village, en faisant une légère première boucle, puis continue jusqu’à la zone industrielle en effectuant une seconde boucle, avant de reprendre la direction de Gafsa. Reste que cette proposition qui regroupe le village et la zone industrielle sur un même terrain bloque toute possibilité d'extension, aussi bien dans la zone industrielle que dans le village européen. D'où le rejet de la proposition et la quête d'un nouveau plan, susceptible de résoudre le problème de l’extension. En novembre 1921 et deux mois après le refus du premier plan, on propose de résoudre le problème de l’extension en étendant le projet sur un terrain plus grand, de sorte que la séparation entre les deux compartiments sera assurée par la ligne ferroviaire.

Fig. 5. Troisième proposition du plan de M’dhilla, Echelle 1/2000e (novembre 1921)
Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).

    La partie réservée aux deux compartiments dans la proposition précédente est, dans la seconde, exclusivement occupée par la zone industrielle qui s'étale sur le côté ouest de l'oued, tandis que le village est déplacé vers son côté est. Celui-ci est de ce fait, implanté entre le premier oued et le grand Fourat.
    La composition de l’ensemble de ce plan semble très équilibrée. En effet, elle sépare la zone industrielle du village. De plus, l’extension est désormais possible de part et d'autre, pour l'une comme pour l'autre. En dépit de sa pertinence et de sa faisabilité, ce plan sera aussi écarté.

Fig. 6. Plan retenu, Echelle 1/2000e (1922)
Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur)

    C'est finalement le premier plan (la deuxième proposition) qui sera retenu. Celui-ci propose de regrouper le village européen et la zone industrielle au nord, dans un même compartiment, et de préserver l'itinéraire initial de la voie ferrée qui contourne le village à l’ouest, en effectuant deux boucles avant de reprendre la direction de Gafsa.
    Nous avons constaté, au cours de l'analyse des trois propositions du plan de la ville de Mdhilla élaborées par le Service des travaux publics, qu'aucune d'entre elles ne mentionne les quartiers autochtones, la priorité allant à l’implantation de la zone industrielle reliée au village, dans un souci de conformité à la tradition minière.

Les différentes composantes urbanistiques de la ville de M’dhilla

    La ville de M'dhilla est composée, comme toute ville minière, de deux zones distinctes : une zone industrielle avec ses différentes installations et une zone urbaine, réservée à l'habitation.

La zone industrielle

    La zone industrielle s'étend de la mine aux usines et se divise elle-même en deux compartiments : le premier, qui est le compartiment de la recette, est implanté aux pieds du Djebel et regroupe les écuries, les installations de broyage, de concassage, de stockage brut ainsi que les stockages des marnes. Le deuxième compartiment est une aire industrielle comprenant une aire de stockage, une laverie, une usine de ventilation, des silos de stockage, des ateliers, un parc à bois et une centrale électrique. L’ensemble est relié par une voie ferrée de cinq kilomètres, qui contourne le côté nord du village européen.

Fig. 7. Les installations industrielles.
Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photos de l’auteur. Septembre 2016

La zone urbaine

   

Fig. 8. Le village européen, échelle 1/10000e (1946).
Source : Archives techniques de la CPG (Retracé et traité par l’auteur).

    La zone urbaine de M’dhilla est divisée en trois quartiers éloignés les uns des autres, conformément à la politique de ségrégation ethnique adoptée par la Société coloniale de Djebel M’dhilla, qui vise à séparer les autochtones des Européens, dans une volonté d'instaurer les bases d'une première tradition coloniale.
    Le premier quartier, en l'occurrence, le village du Djebel, est peuplé de Tripolitains et de Soufis. Il est éloigné du village européen, mais se trouve à proximité de la mine. Le deuxième, appelé le village d’El Bordj, est réservé aux ouvriers marocains. Il longe la piste du Séhib et occupe une position intermédiaire entre le quartier du Djebel et le village européen. Enfin, le dernier village habité par les cadres européens, est implanté au centre. Il est limité au nord par la zone industrielle, par la voie ferrée, par le bras de l’oued à l’ouest et par un autre bras qui le serre de près à l’Est.
    Cependant, d’autres quartiers ouvriers sont implantés çà et là et de manière empirique, à commencer par la caserne réservée aux Italiens, qui se trouve de l’autre côté de la zone industrielle et qui est séparée du village par la voie ferrée. Il est à noter néanmoins que cette caserne a été construite dans la zone organisée. Ce mode de répartition témoigne d'une volonté d'instaurer une tradition coloniale ségrégationniste, qui sépare non seulement les différentes ethnies, mais également les classes sociales. En effet, chaque agglomération est confinée dans son terrain et isolée des autres, soit par les voies ferrées, soit par la distance.
    Le choix du terrain destiné à l'implantation du village européen est prioritaire. Celui-ci a été construit sur un site urbanisable, alors que l’emplacement des quartiers autochtones n'a fait l'objet d'aucune attention particulière et a été choisi en fonction des reliefs, de l’emplacement des gisements, de celui de la mine et ses composantes, de sorte que les habitations des ouvriers autochtones se trouvent à proximité de leur lieu de travail.
    Quant à la deuxième tradition coloniale, elle consiste en l'instauration d'une hiérarchie professionnelle, qui prend toute sa signification dans l’organisation, la structuration des quartiers, dans la typologie des logements construits et dans le nombre d’équipements fournis à chaque catégorie. L'étude de cette deuxième tradition coloniale nous a permis de classer les différents quartiers de la ville de M’dhilla en deux types : les quartiers organisés et les quartiers spontanés ou anarchiques.

Quartier organisé

    Ce type de quartier, en l'occurrence, le village européen, est habité par la population privilégiée de la Société coloniale. Contrairement au modèle-type des précédents sièges miniers, organisés selon un plan en damier et une trame orthogonale, celui du village européen de M’dhilla, présente un tracé en étoile et ses différentes avenues portent des noms glorieux, comme l'avenue Marechal Foch ou l'avenue Maréchal Joffre7 . Viennent ensuite les casernes destinées aux Italiens, qui ont également été construites par la Société de Djebel el M’dhilla.

Fig. 9. Le village européen.
Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel Mdilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photos de l’auteur. Mars 2016.

    Dans ce type de quartier, les habitations sont hiérarchisées selon les professions. Par exemple, le directeur est logé dans une demeure très moderne, bien équipée, confortable et entourée d'un parc somptueux. Elle est, conformément au modèle d'habitation européen, couverte d'une toiture à double pans en tuiles rouges. Les villas coquettes sont réservées aux ingénieurs, aux cadres, et n'ont pas grand-chose à envier à celle du directeur, à part le fait qu'elles sont pourvues de petits jardins. Enfin, les ouvriers célibataires vivent dans des casernes et dans des logements collectifs modestes, pauvrement équipés, inconfortables et dépourvus de toute verdure.

Quartier non organisé ou plutôt spontané

    Les quartiers non organisés et nés spontanément au fur et à mesure des recrutements de la main d’œuvre, ne se plient à aucun règlement de lotissement ou d’urbanisation. Implantés sur des terrains non urbanisables, sur des plateformes ravinées par les oueds ou encore dans la zone de nuisance, ils sont éloignés du village européen et répartis dans deux groupements : le premier, qui est le village d’el Bordj, est peuplé de Marocains. Son premier schéma d’implantation est réalisé en 1921, puis sera partiellement réalisé en 19308 . Le deuxième groupement, en l'occurrence le village minier, est réservé aux Tripolitains et aux Soufis, dont les habitations sont séparées par la voie ferrée.
    D’autres quartiers spontanés émergeant à la périphérie de la ville, seront peu à peu occupés par les tribus nomades propriétaires du sol, dont les terres ont été distribuées de manière inéquitable, suite à leur éloignement.

Fig. 11.Le village de la mine.
Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie tunisienne des phosphates du Djebel M’dilla, Travaux photographiques d’art, Tunis. Photo personnelle. Septembre 2016.

    Dans ce type de quartier apparaît une nouvelle typologie de logements, appelés gourbis ou habitations anarchiques. Réservés aux Tripolitains, aux Soufis et aux Marocains, ces logis précaires sont dépourvus de tout équipement, y compris de l’eau et de l’électricité. Leurs habitants en sont donc réduits à s'approvisionner dans les fontaines et à utiliser les douches publiques.
    La structuration des quartiers et la typologie des logements observées dans la ville de M'dhilla illustrent incontestablement l'instauration d'une deuxième tradition coloniale fondée sur la hiérarchie professionnelle. Cette politique de hiérarchisation est attestée par les efforts que la Société coloniale a déployés en matière de confort et d'agrément, dans les quartiers européens, en fonction de la classe sociale, de l’ordre hiérarchique et des grades professionnels des habitants.
    Le nombre et la qualité des équipements aménagés dans le village européen tels que l’hôpital, l’école, le bureau de poste (PTT), l’économat, le mess, le poste de police et les placettes publiques, témoignent du traitement de faveur dont bénéficie la colonie européenne et s'inscrit dans une politique de peuplement qui vise à installer durablement les nouveaux migrants dans la région.
    En revanche, le quartier d’el Bordj ne dispose que d'un petit économat qui approvisionne le village de la mine aussi, et a pour tout équipement une mosquée, des douches et des fontaines publiques.

Fig. 12.Les différents équipements.
Source : A. Perrin, Les Mines et installations de la Compagnie Tunisienne des Phosphates du Djebel M’dhilla, Travaux Photographiques d’Art, Tunis.

Conclusion

    L’histoire de M’dhilla qui a commencé en 1904, suite à la découverte de ses gisements de phosphate et à leur acquisition en 1913, confortera les bases du protectorat en Tunisie. La mise en exploitation de ses gisements par la Société de Djebel M’dhilla, engendre une nouvelle organisation spatiale, mais aussi sociale et culturelle. En effet, elle transforme définitivement le paysage de la région, désormais occupée par une ville avec ses groupements de villages miniers.
    La ville de M’dhilla a émergé dans un contexte colonial plutôt violent. D’ailleurs, l’implantation forcée d’une zone industrielle dans un milieu rural semi-désertique, où l’eau manque, prouve de manière irréfutable que l'existence de cette ville est exclusivement tributaire de celle de la mine. Mais la société de Djebel M’dhilla surmonte ces écueils naturels et fait construire une ville dont les composantes urbaines, économiques, sociales et géologiques, s'organisent autour de l’activité minière.
    La composition urbaine de la ville de M’dhilla est le fruit de la nouvelle activité économique et de ses composantes industrielles. Elle se caractérise par une diversité ethnique clivée selon des critères ethniques et socioprofessionnels. Ces composantes qui imprègnent un urbanisme à la fois minier et colonial, ont été instaurées par des moyens variés.
    L’urbanisme de la ville de M'dhilla porte les germes d'une ségrégation raciale spécifique à la tradition coloniale. Celle-ci est confortée par la nature du site, par ses reliefs difficilement accessibles, qui favorisent la séparation des populations. Quant à la ségrégation socioprofessionnelle, elle privilégie les Européens en leur octroyant les agréments d'une vie confortable au centre-ville et relègue les autochtones à la périphérie, sans aucun souci d’orientation ou d’implantation étudiée au préalable.
    Dans ce contexte, nous pouvons dire que la présence européenne influence remarquablement le paysage urbain de la ville de M’dhilla, ce qui produira par la suite un impact important sur l’évolution de son tissu, soumis d'emblée aux contraintes minières et aux choix stratégiques du protectorat, que nous avons définis plus haut.
    Quel sera donc l'impact de cette présence européenne sur la conception architecturale d'une ville, fondée sur des traditions minière et coloniale ? Jusqu'où offre-t-elle un témoignage de son histoire urbaine ? Mais encore, quelles techniques de construction et d'ornementation illustrent-elles la présence de cette colonie européenne dans la ville de M’dhilla ?

Notes

* Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines Université de la Manouba.
1 P. Bodereau, 1907, p. 112 : « La population du bassin minier qui était tribale, s'adonnait à des activités purement rurales … »
2 « En géographie, un piémont est une vaste plaine située au pied d’un massif montagneux » https://fr.m.wikipedia.org consulté le : 04/07/2018.
3 P. Bodereau, 1987, p. 110.
4 4 P. Thomas, 1907, T.2.
5 Groupe Huit, 1968, p. 10.
6 P. Bodereau, 1987, p. 112-114.
7 Groupe Huit, 1968, p. 300.
8 Groupe Huit, 1968, P. 297.

Bibliographie

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A.N.T. Série M4, carton 1, dossier 70 : Correspondance entre le Président général de France à Tunis et le directeur de la Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa relative aux contrats de travail en vue de régulariser la situation des ouvriers étrangers immigrants en Tunisie.
A.N.T. Série M4, carton 2, dossier 40 : Plan et projet de construction des maisons.
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Etudes

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Auteur

Marwa Chérif

Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines Université de la Manouba.

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