Au début de la mise en exploitation des gisements de phosphate de M’dhilla, il n’existait
pas de population locale sédentarisée dans la région, mais plutôt des habitations flottantes et
temporaires. Suite à la découverte des gisements de phosphate, M’dhilla connaîtra un tournant
décisif, marqué par l'émergence d'un nouveau mode de vie et par un essor industriel inédit, qui
annonce le déclin de l’activité agricole traditionnelle.
Toutefois, cette nouvelle activité industrielle lancée par la Société de Djebel M’dhilla,
a exigé une main-d’œuvre qualifiée ; d'où la nécessité de critères de recrutement.
Il est d'abord important de noter que le travail assidu et permanent dans la mine a été
étranger aux nomades, ce qui a compliqué le démarrage de l’exploitation et a incité la
Compagnie à recourir à une main-d’œuvre étrangère aux origines ethniques différentes,
qualifiée et ayant acquis de l'expérience dans le secteur minier. Il en résulte un recrutement
massif d'ouvriers italiens, français, marocains, tripolitains, soufis et kabyles.
Mais en raison de l'instabilité de cette main-d’œuvre, la Société de Djebel M’dhilla est amenée
à s’orienter vers une stratégie de stabilisation et de fixation qui se traduit par la création d’un
habitat ouvrier, susceptible d'encourager ces travailleurs à s'installer dans la région.
Le processus de la création d'un environnement ouvrier dans une ville minière est
toujours le même dans tous les sièges miniers, car son développement est étroitement lié à celui
de l'activité minière. Si l'exploitation de la mine est en pleine expansion, elle produit un impact
certain sur l’investissement et sur le secteur du bâti.
La création de la nouvelle ville minière passe par trois étapes principales : la première
se concentre sur le choix du gisement en fonction de certaines contraintes techniques, telles que
les réserves et les possibilités d’extraction, qui déterminent l’emplacement du siège minier –
sachant que son installation est consacrée, dans un premier temps, aux travaux préparatoires
nécessitant le creusement de galeries, l’organisation des aires de séchage et l'aménagement
d'une voie ferrée. Dans un second temps, on procède à la mise en place du siège administratif
de la Société Djebel M’dhilla et des services généraux et techniques, ce qui atteste le primat
des installations industrielles.
La deuxième étape consiste en l’implantation d'un village destiné à accueillir les cadres
européens, confrontés durant leur séjour à des conditions naturelles et sociales spécifiques. En
effet, l’emplacement de leur quartier est déterminé en fonction de celui de l’aire de séchage,
prenant en compte l’orientation des vents dominants et son isolement de la zone de nuisance. Il
s'agit de créer un cadre de vie adapté, agréable et, surtout, de fixer une population habituée à
un mode de vie différent, voire opposé à celui que la ville de M’dhilla peut leur offrir.
La troisième étape concerne l’installation des quartiers périphériques, destinés à loger
les ouvriers autochtones. C'est précisément cette dernière étape qui révèle la mise en place d'une
ségrégation sociale et ethnique entre les quartiers européens et arabes, mais également au sein
de la communauté européenne elle-même. Implantée sans aucun souci d’orientation, cette zone
périphérique est repoussée loin du village européen, à proximité des points d’extraction, lieu de
travail des ouvriers autochtones.
Ces trois étapes, qui ont abouti à la création de la ville minière, illustrent la stratégie
adoptée par la Société Coloniale, en matière d'adaptation à la diversité des traditions minières.
Elles révèlent aussi une volonté de réaliser un plan urbain typiquement minier, conforme aux
règlements de la Société coloniale minière de Djebel M’dhilla.
Les traditions urbanistiques minières sont à l'origine de la division du territoire en deux
zones distinctes : une zone industrielle et une zone urbaine. Cette répartition accorde la priorité aux implantations industrielles, qui exigent un aménagement particulier de l’espace et qui
imposent également un mode d'intégration spécifique dans les différents quartiers de M’dhilla,
en fonction de leurs composantes.
Les traditions coloniales sont déterminées par la ségrégation ethnique et par la hiérarchie
professionnelle. Pour ce qui est de la ségrégation ethnique, la société de Djebel el M’dhilla a
adopté des systèmes de séparation différents ; certains sont naturels, imposés par les reliefs ou
par les oueds, alors que d’autres sont industriels et instaurés par la voie ferrée, par l’aire de
séchage, ou simplement par l’éloignement.
Quant à la hiérarchie professionnelle, elle est constituée d'Européens qui occupent le
centre d'une cité conçue à l’image de leurs villes natales, avec ses toitures à deux pans en tuiles
rouges, afin de les retenir et de faciliter leur intégration. Enfin, les autochtones sont relégués à
la périphérie et vivent dans un quartier implanté sans aucun plan d'aménagement au préalable,
contrairement au village européen vers lequel s'orientent tous les efforts de la Société coloniale.
La hiérarchie professionnelle impose à son tour une forme de ségrégation sociale, que trahit la
typologie des logements. Pour preuve, le directeur est installé dans une grande demeure
entourée d’un parc majestueux ; les ingénieurs et les cadres européens habitent de coquettes
villas, les ouvriers italiens sont logés dans des casernes et les autochtones dans des gourbis.
En somme, ces nouvelles traditions minières et coloniales ont abouti au morcellement
de l’agglomération et engendré une structure urbaine verrouillée par un système de ségrégation
rigoureux.