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06| 2018
Mosquée des Sept Dormants à Chenini-Tataouine
Etude architecturale et historique
Aida Ladhari
Table des matieres
Introduction
1. Situation de l’édifice
2. Le monument dans son environnement
3. La salle de prière
4. La grotte
5. Décorations et inscriptions
6. Description du minaret
7. Description du cimetière
8. La mosquée et le mythe des Sept Dormants (al-Sab’a Rgûd)
9. Style architectural et essai de datation
Conclusion
Résumé
La mosquée des Sept Dormants possède une richesse architecturale assez singulière : un espace troglodytique mystique est juxtaposé à sa salle de prière. Cette dernière comporte un répertoire ornemental très varié au niveau du fond des arcs supportant la toiture à coupoles. On y perçoit également un curieux minaret penché, ainsi que plusieurs tombes allongées, à caractère nettement mystique, occupant un cimetière annexé à l’édifice. En fait, la tradition orale locale rattache le monument au mythe des Rgûd al-sab’a ou « Gens de la Caverne », légende commune aux cultes chrétien et islamique. Pour le reste, étant donné l’absence des indices archéologiques et des sources historiques, le caractère vernaculaire de l’édifice traduit, toutefois, quelques influences vraisemblablement ottomanes. Celles-ci demeurent perceptibles au niveau de la coupole centrale à base surélevée couvrant la salle de prière.
Mots clés
Chenini, Tataouine, mosquée, Sept Dormants, architecture vernaculaire, espace troglodytique.
Pour citer cet article
Aida Ladhari, « Mosquée des Sept Dormants à Chenini-Tataouine : étude architecturale et
historique », Al-Sabîl : Revue d'Histoire, d'Archéologie et d'Architecture Maghrébines [En
ligne], n°6, Année 2018.
URL: http://www.al-sabil.tn/?p=8776
Texte integral
La présente étude concerne une lecture architecturale et historique de la mosquée des Sept
Dormants, dite Jâma’ al-Sab’a Rgûd à Chenini-Tataouine. Elle s’engage dans une démarche
scientifique se rapportant au domaine de l’archéologie monumentale en Tunisie. L’intérêt
accordé à ce monument découle de sa morphologie architecturale, ainsi que de son caractère
nettement mystique rattaché au mythe local des Sab’a Rgûd ou « Gens de la Caverne ».
Inscrite dans un cadre dépassant les données chronologiques pour toucher à des aspects
d’ordre architectural, historique, anthropologique, voire même mystique, cette étude pose
plusieurs problématiques qui n’ont pas encore dévoilé leurs énigmes
1.
1- Situation de l’édifice
Le monument s’implante dans le site de Chenini al-Gdîma, à proximité de l’actuel village traditionnel de Chenini. Cette dernière agglomération se trouve à vingt kilomètres au sud de la ville de Tataouine, sur les collines de Djebel Demmer et face à la plaine d’al-Ferch. (Coordonnées GPS du monument : 32°54'36.14"N / 10°16'29.45"E).

2- Le monument dans son environnement
Avec son aspect blanc qui contraste dans le paysage rocailleux environnant, la mosquée se distingue par son minaret peu penché et sa couverture à coupoles. Elle se niche entre deux blocs rocheux : une crête culminante comportant quelques pierres tombales et une petite colline où l’on retrouve des vestiges vraisemblablement pré-islamiques2 . Une source coule dans les environs du monument, au niveau d’une butte avoisinante.

Le monument comporte une salle de prière ouvrant sur un espace troglodytique à plan
horizontal en forme de grotte3. Un premier cimetière clôturé lui est accolé du côté nord. Celui-
ci comporte treize tombes badigeonnées, de forme allongée4. Cette nécropole est clôturée par
un muret comportant trois niches arquées adossées au mur nord-ouest.
Une salle funéraire occupe le coin sud-est du cimetière. Celle-ci est à plan circulaire,
couronnée par une coupole à profil conique. Cet espace ouvre sur la salle de prière du côté nord.
Une seconde salle occupe le coin nord-ouest du cimetière et s’adosse à la colline. Son espace
intérieur comporte deux compartiments séparés en longueur par un muret contenant une
ouverture arquée. Cet espace s’adosse à une grotte assez enfoncée, de 10 m de profondeur,
comportant latéralement une tombe allongée de 3.30 m de long.
Sur les autres côtés, un cimetière clôturé par un second muret entoure le monument. Il
comporte plusieurs tombes non badigeonnées, de forme allongée et légèrement ovoïde. Leurs
contours sont formés par un entassement de moellons en pierre, délimitant un espace rempli de
terre et de cailloux.
Du côté sud-est, la nécropole contient deux salles funéraires à plans carrés, dépourvues
de couvertures. Des niches arquées adossées à leurs murs intérieurs comportent toujours les
traces de bougies, ce qui confirme leur vocation de mzâr. La salle placée sur l’axe du Mihrâb
comporte toujours quelques anneaux de la calotte d’une coupole écroulée.
D’autres tombes, de dimensions communes, paraissent plus récentes et occupent les côtés
est et sud-est du cimetière. Elles sont couvertes de moellons en pierres et ne sont pas
badigeonnées. En somme, presque toutes les sépultures du cimetière, allongées et de
dimensions communes, sont orientées vers la direction est-ouest.

3- La salle de prière
La mosquée comporte une salle de prière à plan presque carré, de 8 m de côté intérieur.
Elle est précédée par une galerie de 2 m de profondeur, couverte par une toiture plate en solives
de bois de palmier ou sannûr. Ses murs de 0.60 m d’épaisseur moyenne sont construits en
moellons de pierre joints par un mortier à base de chaux. Ils sont enduits et badigeonnés. Cette
salle comporte trois nefs et trois travées couvertes par neuf coupoles, dont huit sont de forme
semblable. Ces voûtes fermées sont construites en moellons de pierre joints par un mortier à
base de plâtre.
A l’intérieur, cette couverture est portée sur des piliers dont les plans sont relativement
irréguliers, implantés au milieu de la salle de prière. La base de chacune des coupoles atteint
2.20 m de longueur en moyenne et s’élève à une hauteur de 3.75 m. Sur les côtés latéraux, cette
toiture repose sur les murs extérieurs du monument.
Visiblement, la coupole centrale possède une base surélevée par rapport à celles des
voûtes avoisinantes puisque le sommet de sa calotte se place à 4.25 m du sol. Sa base, de 2.30 m
de côté, repose sur les piliers centraux. Extérieurement, cette assise dépasse de 2.20 m le niveau
des murs et se place à 5.10 m du sol. Visiblement, cette base permet à la coupole de dépasser
considérablement le niveau des voûtes fermées contiguës.
De chaque côté, ces coupoles sont portées sur des arcs en plein cintre légèrement
surbaissés. Ceux-ci possèdent différentes sections : quasi-rectangulaires du côté ouest et
arrondies aux extrémités. Du côté est, ces piliers possèdent des sections en L et en T. Un linteau
en bois de palmier, retrouvé dans chaque coin, est placé obliquement formant le chaînage. Au
niveau des zones de transition du plan carré au plan circulaire, ces coupoles reposent sur des
encorbellements : ceux-ci se présentent sous forme de linteaux en pierre, de 0.30 m de longueur
environ, disposés obliquement au niveau des coins des murs.
Plus haut, les calottes des coupoles possèdent un profil intérieur légèrement surbaissé.
Leur intrados est badigeonné et dépourvu de tout décor. Extérieurement, elles possèdent un
profil hémisphérique surbaissé et ne comportent ni base ni tambour.
A l’intérieur, l’axe du mur de la Qibla est défoncé par un creux de 1.25 m de profondeur,
dont la partie supérieure est formée par un cul-de-four à profil surbaissé. La partie inférieure de
la niche est divisée verticalement en deux compartiments latéraux séparés par un muret qui
atteint le niveau du départ de l’arc. Ces défoncements jouent le rôle de Mihrâb et de chaire à
prêcher à deux marches ou Minbar. Cette niche déborde extérieurement sur l’axe du mur de la
Qibla. Au niveau de son coin nord, la salle de prière communique avec une chambre funéraire
à plan circulaire. Celle-ci est couverte par une coupole à profil conique dont la calotte repose
extérieurement sur deux tambours cylindriques superposés. Cet espace renferme une sépulture
allongée, couverte par des moellons récemment badigeonnés.

Du côté ouest, la salle de prière ouvre sur une grotte creusée dans la colline sous forme de ghâr. Sur ce même massif rocheux s’élève un minaret dont la base est quasiment située à la hauteur de la toiture du monument. Cette tour, peu penchée vers l’est, suit relativement l’inclinaison inverse à celle de la colline avoisinante.
4- La grotte
Du côté ouest, la salle de prière communique avec une grotte dont la forme rappelle celle
d’un espace troglodytique à plan horizontal dit ghâr. Cette excavation de 12 m² de surface est
creusée dans une strate de roche tendre en tuf, située entre deux couches de roches dures en
calcaire.
L’accès à cet espace se fait par une porte encadrée par deux colonnettes semi-engagées
dans le mur. Il est entouré par trois encadrements circonscrits en haut relief, l’encadrement
supérieur se présentant sous forme de fronton.
Cet espace comporte deux compartiments en profondeur : le premier, de forme
rectangulaire, s’allonge parallèlement au mur ouest de la salle de prière. Il est divisé en deux
sous-espaces à plans rectangulaires. Au fond, on retrouve une seconde cellule, au plan
irrégulier, comportant plusieurs défoncements en forme de niches.

5- Décorations et inscriptions
La salle de prière présente une décoration architecturale plutôt sobre. On y décèle des
piliers assez irréguliers, des arcs surbaissés, des encorbellements, des jeux
d’enduits…Cependant, le fond des arcs supportant les coupoles portent des décors relativement
riches. Ceux-ci sont réalisés en haut relief sur un enduit à base de plâtre. On y perçoit des
dessins géométriques tels que points, lignes, disques, rectangles, losanges… Et assez
fréquemment, des figures de mains et de pieds humains.
Les décors épigraphiques, de type vernaculaire, sont également présents. On y
mentionne les termes de Chenini, Allah, Mohamed… Quelquefois, on y évoque les noms de
personnages ayant probablement entrepris des campagnes de construction, de restauration ou
de financement des travaux (al-Hadj Mohamed, ‘Ali…) Quelques actions ont également été
datées. A titre d’exemple, on mentionne la date de 1321H. (1903)5.


6- Description du minaret
Dans la mosquée, côté ouest, on retrouve un minaret reposant sur un massif rocheux. Sa
base est quasiment située à la hauteur de la toiture de la salle de prière. Cette tour, d’un aspect
peu penché, suit relativement l’inclinaison inverse à celle de la colline avoisinante et se penche
légèrement vers le côté est.
Ce minaret, à plan quasiment carré de 2 m de côté, repose directement sur l’espace de la
grotte et dépasse de 13 m le niveau des murs de la salle de prière. Comportant une tour unique,
ses murs enduits et badigeonnés sont entièrement construits en moellons de pierre reliés par un
mortier à base de chaux. Ses quatre coins supérieurs sont surmontés de pinacles peu élevés.
Plus haut, on retrouve un lanternon peu penché dont l’inclinaison dépasse légèrement celle de
la tour. Il est défoncé par quatre ouvertures allongées verticalement et comporte une toiture à
coupole conique. Ces facettes sont partagées en trois registres inégaux par une frise de section
semi-circulaire. Chacune est percée par quelques baies d’aération de forme carrée.

7- Description du cimetière
Accolée à la colline, la mosquée est entourée par un cimetière assez étendu. Celui-ci
comporte des tombes allongées de 0.60 à 1.20 m de largeur, dont la longueur varie entre 2 et
6 m. Ces sépultures sont couvertes par un revêtement en moellons en pierre et sont
badigeonnées au niveau du compartiment nord-ouest de la nécropole. Chaque tombe possède
une structure ressemblant à celle des mastabas à degré6, dont la hauteur ne dépasse pas 0.50 m.
D’autres sépultures non badigeonnées, de dimensions semblables, précèdent le
monument. Elles sont allongées et légèrement ovoïdes. Leurs contours sont formés par un
entassement de moellons en pierre, délimitant un espace rempli de terre et de cailloux.
On retrouve également d’autres tombes semblables au niveau des compartiments sud et
sud-est du cimetière. Elles sont non enduites, de dimensions communes et paraissent plus
récentes que les premières.
Presque toutes les tombes du cimetière sont orientées vers la direction est-ouest. Au
niveau de chacune d’elles, des blocs de pierres marquent la position de la tête et des pieds du
défunt. Ceux-ci différencient les tombeaux des femmes, des hommes et des enfants.

8- La mosquée et le mythe des Sept Dormants (al-Sab’a Rgûd)
Au pied de la mosquée, en partie troglodytique, se dressent des sépultures allongées dont la longueur varie entre 4 et 6 m. La tradition orale les relie au mythe des Sept Dormants (al- Sab’a Rgûd). En effet, leur aspect peu ordinaire est rattaché aux « Gens de la Caverne », par allusion à la sourate du Coran intitulée « أهل الكهف» (Coran, XVII, 9-27)7. Cependant, cette légende s’apparente à un miracle qui semble commun aux chrétiens8 et aux musulmans : des fidèles, au nombre de trois, quatre, cinq ou sept, furent endormis en compagnie de leur chien sur les monts des collines, pour fuir la tyrannie de l’empereur païen. Ces croyants dormirent d’un sommeil miraculeux pendant trois cents ans solaires (ou 309 ans lunaires). Quand ils se réveillèrent, ils découvrirent que la société qu'ils avaient fuie auparavant avait été remplacée par une autre de culte monothéiste. Leurs corps n’avaient pas cessé de croître durant leur sommeil.

(Archives de Bibliothèque Nationale de France (BNF) et miniature turque).
Selon le mythe, ces fidèles « géants » furent enterrés dans des tombes peu ordinaires dont
les proportions allongées devraient correspondre à leur taille. Un sanctuaire fut élevé à leur
mémoire et correspond, selon la tradition orale locale, au monument étudié9.
Une deuxième légende locale raconte que des fidèles, nouvellement reconvertis au
christianisme, s’étaient réfugiés dans une grotte. Après leur découverte par les soldats, ils furent
persécutés par l’empereur païen. Ces chrétiens, restés en vie et dont les corps n’avaient cessé
de croître, se réveillèrent après trois cents ans solaires (ou 309 ans lunaires), lorsque des
ouvriers abattirent le mur. Cependant, le monde qu’ils retrouvèrent était différent. Après leur
décès, ils furent enterrés dans ce site. D’ailleurs, on raconte que le creux juxtaposé à l’édifice
étudié vient obstruer une seconde grotte contenant les tombes des fidèles de la légende.
Par ailleurs, les vestiges d’époque romaine ou byzantine prouvent que la région étudiée
était fortement christianisée durant les premiers siècles de ce culte monothéiste. D’ailleurs, les
toponymes chrétiens sont restés assez longtemps dans la région, même après l’islamisation de
tout le périmètre étendu jusqu’à Djebel Naffoussa10.
Cependant, partout dans le monde, des grottes similaires évoquent le même mythe,
surtout en Méditerranée 11 : on retrouve des cavernes semblables dans la ville d’Éphèse en
Turquie, en Algérie, en Syrie, au Yémen, ou en Allemagne…
De plus, les sépultures du cimetière entourant le monument sont orientées vers la direction
est-ouest. A priori, cette disposition permet de les dater de l’époque islamique12
. Ceci remet en
question la légende locale des Sept Dormants qui demeurent des berbères christianisés
remontant aux premiers siècles de notre ère.

De plus, les proportions peu communes des tombes étudiées peuvent probablement
s’expliquer par la présence de plusieurs dépouilles. Il s’agit vraisemblablement de la
juxtaposition en longueur de deux ou trois sépultures, qui totalisent 4 à 6 m. Des analyses
chimiques par radioactivité pourraient confirmer cette hypothèse.
De plus, sur les hauteurs de la mosquée se tient le minaret attribué par les habitants du
village à Mlîkha, l’un des personnages célèbres de cette légende. Le caractère penché de la tour
est expliqué, selon la tradition locale, par son inclinaison vers la direction de la Qibla.
En effet, on affirme que cet aspect ressemble à l’une des dispositions de la prière, al-rukû’.
Selon la tradition orale locale, cette inclinaison s’accroit graduellement et l’effondrement
probable de la tour annoncera le jour du Jugement dernier.
En fait, ce minaret est penché vers la direction est et non pas vers le sud-est, direction
de la Qibla. Il s’élève directement au-dessus de l’espace de la grotte et repose sur sa toiture en
calcaire intégrée dans le massif rocailleux. Ceci a éventuellement engendré l’absence des
fondations ou l’insuffisance de leur profondeur. En effet, cet enfoncement dans le sol devrait
assurer la verticalité de la tour et remédier à sa déformation. Ainsi, son absence a probablement
provoqué l’inclinaison du minaret au cours du temps.

De plus, on remarque la présence d’une sépulture allongée au niveau de la chambre funéraire à plan circulaire, juxtaposée à la salle de prière. Celle-ci est quasi-semblable à celles existant dans le cimetière avoisinant. Selon la population locale, cette tombe est attribuée à une sainte autochtone. Son lieu de sépulture joue le rôle de mzâr, fréquenté régulièrement par les dévots, surtout les femmes et les malades13.
9- Style architectural et essai de datation
Le monument étudié semble avoir une architecture de type vernaculaire14. L’usage des
matériaux locaux et la mise en œuvre des techniques traditionnelles confirment cette
classification. Ainsi, l’édifice se trouve en harmonie avec son site. A priori, il s’agit d’une
intégration architecturale « par rupture » ou « par contraste »15. En effet, l’aspect badigeonné
du monument s’oppose amplement au paysage rocailleux environnant. Cette apparence
contribue à sa mise en valeur dans le site dominé par la couleur ocre de la pierre calcaire
couverte de patine.
De plus, il paraît que le portique précédant le monument n’appartient pas à la morphologie
initiale de l’édifice et qu’il fut ajouté à une époque ultérieure. Ceci est clairement perceptible
au niveau de la photo d’archive annexée. D’ailleurs, les angles de l’édifice furent renforcés par
des colonnes engagées dans les murs. Celles-ci figurent aujourd’hui au niveau de la façade du
portique.

(Fond d’archives Poinsot, INHA Paris).
De plus, l’architecture du monument s’apparente fortement à celle de plusieurs
monuments ibadites des régions du Mzab, de l’île de Djerba et de Djebel Naffoussa. Vu leur
proximité géographique, on assiste au passage libre des courants architecturaux présents dans
ces territoires voisins. Ainsi, les édifices situés dans ce périmètre partagent plusieurs
caractéristiques communes, la plus importante étant la couverture à coupoles.
De la même façon, la morphologie de la salle de prière rappelle fortement celle des
mosquées ibâdites implantées à Djerba, d’autant plus qu’on y retrouve un registre ornemental
semblable existant dans toute la région du sud tunisien, voire même en Libye16. En effet, cette
ornementation figurant au niveau de la salle de prière, est semblable à celle des mosquées de
Djerba et de Djebel Naffoussa17. Ces influences sont également présentes au niveau du minaret
de l’édifice dont la morphologie globale, mis à part son aspect penché, est assez fréquente au
niveau des mosquées de l’île de Djerba.
De plus, l’association entre grotte et salle de prière figure souvent dans l’architecture
religieuse de Djerba18. Seulement, les espaces troglodytiques des mosquées de l’île sont creusés
verticalement. Dans le cas étudié, il s’agit d’un espace troglodytique horizontal, juxtaposé à la
salle de prière. Ceci affirme l’originalité du monument étudié19. D’ailleurs, selon A. Louis,
l’espace de cette grotte semble antérieur à celui de la salle de prière à coupoles20. Ceci reste à
confirmer par des indices archéologiques ou historiques.
De plus, la couverture à coupoles est fréquente dans plusieurs monuments du pays, surtout
dans les régions rurales du sud tunisien. A titre d’exemple, on cite sa forte ressemblance avec
la zaouïa de Sîdî Mustapha Ibn ‘Azzûz, située dans le village de Bnî ‘Îssa à Djebel Matmata21.

(Djebel Matmata).
En outre, la morphologie du monument s’apparente à celle des mosquées de Lybie22. En effet, la couverture à coupoles est fréquente dans l’architecture de plusieurs monuments religieux de ce pays, à l’instar de la mosquée de la Chamelle (Jâma’ al-Nâka)23 à Tripoli. Cette disposition existe également dans l’architecture des édifices de la ville d’Oued Souf, au sud-est de l’Algérie24. A priori, l’usage de ce type de couverture obéit à des conditions variées : le critère fondamental est d’ordre symbolique, attaché à l’emploi de la coupole au niveau des espaces à vocation religieuse. Cet usage suit également des conditions d’ordre thermique25. En effet, la construction de ce type de toiture, pour couvrir des édifices publics ou domestiques, sert à apaiser la chaleur suffocante de cette région désertique à climat aride.

Fig. 32. Vue sur la toiture de la mosquée al-Nâka à Tripoli.
Outre l’amélioration des conditions thermiques, la mise en œuvre des toitures à coupoles est plus facile, comparée à celle des autres types de voûtes. Cette technique permet également de bâtir de petites coupoles pour couvrir des espaces de faibles proportions. Ceci permet d’assurer une meilleure division de l’espace intérieur, et de prévoir des extensions, sans toucher à la structure de la toiture de l’édifice.

Cependant, au niveau du monument étudié, les neuf coupoles couvrant la salle de prière
ne sont pas semblables. On y perçoit une coupole centrale possédant une base surélevée par
rapport à celles des voûtes fermées avoisinantes. Ceci peut renvoyer à des influences ottomanes
affectant l’aspect de l’édifice : a priori, il s’agit d’un style vernaculaire légèrement métissé.
D’ailleurs, ce critère pourrait probablement refléter l’aspect officiel de l’édifice, voire même la
prospérité du malékisme au profit du rite ibadite26.
Ainsi, vu l’absence des inscriptions de datation et le silence des sources historiques,
l’édifice demeure difficilement datable. A priori, son caractère vernaculaire métissé, porte des
influences probablement ottomanes. Ceci peut aider à le faire remonter, sous son état actuel, à
l’époque moderne (au-delà du XVIIe
siècle).
A ce stade, d’autres questions méritent plus d’investigations : en premier lieu, quel est le
rôle de l’espace troglodytique annexé à la salle de prière ? Serait-il le noyau d’une salle de
prière originelle à laquelle fut ultérieurement ajoutée une mosquée ? En fait, la morphologie
irrégulière de cette grotte ne vérifie pas les caractéristiques communes d’un espace de prière et
ne comporte pas de Mihrâb. A priori, cet espace peut correspondre à un lieu de retraite ou
khûlwa, auquel une mosquée fut probablement annexée27.

Conclusion
Loin d’être un mythe tombé dans l’oubli, l’histoire des Sept Dormants serait l’un des
points d’interférence entre les cultes chrétien et islamique. Elle constitue une invitation à
méditer sur l’expérience de la réincarnation citée dans les deux religions monothéistes, voire
même un appel à la méditation rappelant la résurrection du corps lors du Jugement dernier.
De plus, la mosquée étudiée renvoie à une expérience humaine fortement symbolique
rattachée à un culte populaire propre à la communauté du village de Chenini. Outre son rôle de
diffusion de la foi musulmane, cet édifice est rattaché à la légende locale des « Gens de la
Caverne » de Chenini. De ce mythe principal découlent plusieurs légendes locales transmises à
travers les différentes générations.
A ces valeurs s’ajoutent le caractère sacré de l’architecture du monument. En effet,
l’existence de la grotte, de la couverture à coupoles, ainsi que les proportions peu ordinaires
des sépultures annexées à la mosquée, répondent quasiment au contenu de ce mythe.
De plus, vue la proximité de vestiges datant de l’époque romaine, on peut songer à la
survivance de pratiques cultuelles locales. Ainsi, ce monument serait-il témoin de la continuité
du peuplement de la région, voire même de la survivance de certaines croyances païennes ou
monothéistes à travers le temps.
D’autres questions capitales restent à méditer : cet édifice serait-il authentique ou
reconstruit vers 1321H. (1903) ? Sinon, quels seraient les traits du monument originel ? Le
minaret penché serait-il contemporain à la salle de prière ou plus tardif ? Les tombes allongées
seraient-elles contemporaines à la mosquée ou encore plus anciennes ? Le monument relève-t-
il de l’architecture libyenne ou imite-t-il celle de l’île de Djerba ? Finalement, s’il s’agit d’une
mosquée funéraire associée à un cimetière plus ancien, à quelle époque remonteraient les
tombes allongées ?
Cette étude n’est pas exhaustive puisqu’elle permet d’ouvrir des pistes scientifiques
rattachées à plusieurs domaines de la recherche. Il reste certainement encore beaucoup à
expliciter à propos de ce monument qui n’a pas encore dévoilé tous ses mystères.
Relevés architecturaux


(Relevés personnels).


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