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06 | 2018

Zaghouan
Fondation et développement d’une ville morisque de Tunisie d’après les documents des archives locales

Ahmed Saadaoui

Table des matieres

Résumé

Zaghouan est l’une des plus importantes villes fondées par les Andalous en Tunisie vers 1610. Les principaux monuments de la vieille ville remontent au XVIIe siècle : mosquées, zawiyas, hammams, fontaines, souks, etc. De même les immigrés andalous avaient compris tous les avantages à tirer de ce site abondamment alimenté en eau par des sources intermittentes. Ainsi ils créèrent des jardins ceinturant la cité et développèrent des activités grandes consommatrices d’eau : teinturerie, tannerie, huilerie, meunerie dont les moulins étaient actionnés à l’énergie hydraulique. Dans cet article nous présentons quelques bâtiments et établissements évoqués par des documents, pour la plupart inédits, des archives locales notamment les actes de waqf. Nous nous arrêtons sur certains aspects relatifs à l’intérêt historique et architectural de tels monuments.

Mots clés

Zaghouan, Andalous, Morisques, Tunisie au XVIIe siècle, architecture, moulin hydraulique.

Pour citer cet article

Ahmed Saadaoui, « Zaghouan : Fondation et développement d'une ville morisque de Tunisie d'après les documents des archives locales », Al-Sabîl : Revue d'Histoire, d'Archéologie et d'architecture maghrébines [En ligne], n°6, Année 2018.

URL: http://www.al-sabil.tn/?p=8456

Texte integral

Introduction

La ville de Zaghouan est bâtie au pied de la montagne qui porte le même nom ; sur l’emplacement de l’antique Ziqua dont il ne reste qu’un arc de triomphe et le célèbre temple des eaux. La cité domine les plaines qui s’étendent à l’Est, au Nord et à l’Ouest.

Au XVIIe siècle, les Andalous au moment de leur établissement à Zaghouan, avaient compris tous les avantages à tirer de ce site abondamment alimenté en eau par des sources abondantes. Ils créèrent des jardins ceinturant la ville et développèrent des activités grandes consommatrices d’eau : teinturerie, tannerie, huilerie, meunerie dont les moulins étaient actionnés à l’énergie hydraulique.

Le XVIIe siècle apparaît comme la période la plus brillante de l’histoire de Zaghouan. Les principaux monuments de la vieille ville remontent à cette époque : souks, mosquées, zawiyas, hammams, fontaines, etc. Notre article porte sur quelques bâtiments et établissements évoqués par des documents, pour la plupart inédits, des archives locales, notamment les actes de waqf. Nous nous arrêtons sur certains aspects relatifs à l’intérêt historique et architectural de tels établissements.

1- Les Mosquées

Des documents du XIXe siècle indiquent que la ville comptait cinq mosquées réparties sur les différents quartiers (deux mosquées à khutba et trois oratoires de quartier) : la Grande Mosquée, la mosquée Hanafite, et trois masjids dits : al-Dac dar, al-Qaysiyya et al-Qubba.

     a- La Grande Mosquée de Zaghouan

La Grande Mosquée est le principal monument historique de la ville, pourtant nous ne disposons pas d’indication précise sur la date de sa fondation. Elle fut fondée vers 1615 par la communauté andalouse, quelques années après son établissement sur les lieux et la reconstruction de la ville. Les textes des archives nous révèlent les noms de son bâtisseur, Muhammed Ibn cAlî al-Andalusî, dit Daysim, et de certains de ses imams, tous andalous. En outre, ils révèlent certains biens constitués waqf au profit de la fondation, notamment des moulins à eau1.

Fig. 1. La Grande Mosquée de Zaghouan fondée par les Andalous s’inscrit parfaitement dans les traditions ifriqiyennes locales.

Cet édifice s’élève en plein centre de la médina. Un escalier montant de la rue portant le même nom permet d’y accéder, par un portail, donnant de plain-pied dans la salle de prière. Celle-ci est précédée, sur le côté oriental, par un vestibule et une galerie, alors que le côté occidental est bordé de deux petites cours latérales, ainsi que par d’autres annexes. La salle de prière compte sept nefs parallèles à la qibla ayant chacune six travées, à part la nef latérale est qui est amputée de trois travées, leurs emplacements étant occupé par le vestibule et la base du minaret. Les nefs sont séparées par un réseau de 36 colonnes de remploi, portant des chapiteaux pour la plupart de type corinthien. Toutes ces colonnes sont surmontées d’impostes et réunies par de tirants en bois. Elles portent des voûtes d’arête doublées d’une terrasse dominée par la coupole du mihrâb. Le minaret qui se dresse à l’intérieur de la salle de prière, au niveau de la quatrième travée de la nef latérale orientale, se rattache à un type local des plus simples : une tour carrée de 4,65 m de côté surmontée d’un lanternon et percée de fenêtres géminées sur quatre côtés. Son escalier évolue autour d’un noyau central plein.

     b- La mosquée Hanafite

Les autorités turques se sont fortement impliquées dans la fondation et le développement des localités habitées par les immigrés morisques. Aussi leur présence dans ces cités était-elle souvent importante. En 1030/1621, quelques années seulement après la fondation de la Grande Mosquée, une mosquée à khutba hanafite fut élevée pour la communauté ottomane de la ville. Les documents du waqf indiquent que le monument était bien doté. La part d’eau des sources qu’il recevait était l’une des plus importantes, dépassant celles accordées à des établissements grands consommateur d’eau tels que les bains : 5 tibna-s2 pour la mosquée hanafite contre 3.5 tibna-s pour Hammam al-Souk.
La salle de prière du sanctuaire est précédée par une cour rectangulaire, complètement à ciel ouvert, bordée par une pièce annexe, une fontaine murale et un minaret carré d’environ 3 m de côté.
Elle compte sept nefs de trois travées séparées par des colonnes couronnées de chapiteaux de type corinthien de remploi, récupérées probablement du temple romain des eaux. Ces colonnes portent des voûtes d’arête sans doubleaux qui couvrent entièrement la salle, à part la travée précédant le mihrâb surmontée par la traditionnelle coupole.

Fig. 2. La mosquée Hanafite construite en 1621 pour la communauté ottomane.

     c- La mosquée de Bâb al-Qaws

Il s’agit d’un petit oratoire de quartier dont l’histoire nous est révélée par les documents du waqf. La petite mosquée fut construite par Abû al-cAbbâs Ibrâhim Ibn cAbd al-cAzîz al-Andalusî. Ce personnage était le chef de la communauté andalouse de la ville au moment de la transcription de l’un de ces actes en 16123 .
Le petit monument qui donne sur l’ancien souk de la ville, a subi maintes transformations. Il est formé d’une petite cour bordée d’une galerie, d’un minaret carré de type local et d’une salle de prière divisée en trois nefs de deux travées. Les colonnes qui portent les voûtes d’arête couvrant l’édifice sont de remploi. Des colonnes en granit gris couronnées par des chapiteaux corinthiens taillés dans le calcaire.

Fig. 3. La mosquée de Bâb al-Qaws construite par le cheikh des Andalous de Zaghouan .

2- Les zawiyas

Le Jebel Zaghouan était depuis le Moyen Age un refuge pour les ascètes et les mystiques. Nos documents révèlent que la ville et ses environs étaient dotés de zawiyas et de mazârs commémorant des saints et marabouts ; nous nous arrêtons sur deux des plus importants édifices de ce type monumental.

     a- La zâwiya de Sîdi Bû Gabrîn

L’implication des autorités turques dans l’essor de la ville de Zaghouan apparaît également à travers l’encouragement des pratiques soufies et maraboutiques. Une inscription inédite plaquée à l’entrée d’une des salles de la Zawiya de Sîdi Bû Gabrîn indique qu’en 1066/1655- 1656, le dey Mustafâ Lâz, le chef des janissaires, réédifia le bâtiment pour augmenter sa capacité d’accueil pour les visiteurs et les pèlerins.

Fig. 4. La zâwiya de Sîdi Bû Gabrîn construite par le dey Mustafâ Lâz en 1655.

La zawiya s’élève en pleine montagne du côté sud-ouest de la ville. Le sanctuaire est un bâtiment austère construit en pierre et couvert de voûte d’arête et de voûtes en berceau. Il se compose de quelques bâtiments qui s’organisent autour de deux cours à ciel ouvert. La salle funéraire qui abrite le cénotaphe du saint constitue l’élément essentiel du monument. Elle est alimentée en eau par un puits dont l’eau passe pour la meilleure de toute la Régence, nous rapporte Victor Guérin lors de son passage par la ville en 18604 . La zawiya est dotée également d’une grande citerne construite à l’extérieur de la bâtisse, du côté nord.

Fig. 5. L’inscription de fondation de la zâwiya de Sîdi Bû Gabrîn construite par le dey Mustafâ Lâz.

     b- La Zâwiya de Sîdî cAlî cAzzûz

Fig. 6. La Zâwiya de Sîdî c Alî c Azzûz construite par deux souverains mouradites, Muhammad al-Hasî et Muhammad Bey vers 1680.

C’est l’une des plus importantes zawiyas du pays. Elle fut construite par le mouradite Muhammad Pacha Bey al-Hafsî vers 1680. Il l’édifia pour abriter la confrérie d’un mystique d’origine marocaine, Sîdî cAlî cAzzûz5 . Des documents d’archives indiquent qu’elle était bien dotée de biens waqf, entre autre un moulin hydraulique et 6 tibna-s d’eau. Son neveu, le bey mouradite Muhammad Bey (1675-1796) contribua à l’enrichissement de la fondation. Un acte de habous établi au mois de Rabî c Ier 1103/ novembre-décembre 1791, révèle que le bey de Tunis affecta à la zawiya en waqf un ancien moulin hydraulique à foulon qui fut transformé en minoterie6.

Cet édifice qui s’élève en plein centre-ville et qui donne sur la rue de la Grande Mosquée est un des monuments les plus remarquables de la ville et de ses environs. Il se présente sous la forme d’un complexe architectural dont les différents éléments s’organisent autour de trois petites cours. La zâwiya renferme tous les éléments caractéristiques de ce type monumental : une salle funéraire à coupole, un oratoire, une salle de réunion de la confrérie « c Azzûziya » et plusieurs dépendances.


La salle funéraire qui constitue l’élément fondamental de l’édifice est précédée d’un portique donnant sur une courette dallée. Une belle fontaine murale adossée au mur nord de la courette est soulignée par un arc brisé outrepassé délimitant un espace tapissé de mosaïques de faïence polychrome. Cette salle carrée est couverte d’une grande coupole portée par des pendentifs par l’intermédiaire d’un tambour sphérique. Les parties inférieures de la salle sont tapissées de carreaux de céramiques polychromes. Ce lambris de faïence riche et très varié est constitué de panneaux de fabrication tunisoise et d’autres importés d’Iznik. Les parties supérieures de la salle sont ornées d’un décor très fourni en plâtre sculpté. De l’extérieur, le dôme qui s’appuie sur un tambour cylindrique est recouvert de petites tuiles vertes. L’oratoire de la zâwiya de Sîdî c Alî c Azzûz est également précédé d’une cour. Il est de plan rectangulaire et se compose de trois nefs parallèles à la Qibla et de cinq travées. Les nefs et les travées sont délimitées par deux rangées de colonnes identiques, taillées dans la pierre calcaire et coiffées de chapiteaux de type hafside. Cet oratoire se distingue par sa simplicité. En effet, la richesse du décor de la salle funéraire contraste avec les grandes surfaces claires et la sobriété du masjid ; sobriété qui ne manque pas d’élégance, surtout qu’il est bien éclairé.

3- Les établissements hydrauliques

     a- Les hammams

Le bain est l'un des éléments les plus caractéristiques de l'espace urbain, il est également l'un des établissements les plus importants du souk. Zaghouan en possède trois : Hammam al-Jadîd, Hammam al-Karma et Hammam al-Souk. Le nombre important de bains publics par rapport à la taille de la ville s’explique par l’abondance des eaux sur le site. Effectivement, les documents d’archives révèlent qu’ils sont bien approvisionnés en eaux : les deux premiers avaient droit à quatre tibna-s chacun et Hammam as-Souk 3,5 tibna-s.

     
  • Le hammam du souk hammams

Il se dresse au bord de la place du marché. Cet édifice du XVIIe siècle est l’un des plus importants du souk. Son plan présente la succession habituelle des salles rectangulaires de dimensions irrégulières : salle de déshabillage, salle froide, salle tiède et salle chaude ou salle d’eau et la chaufferie qui ouvre sur la cour de service.

La disproportion entre les salles a été établie en fonction de leur importance. Ainsi, les deux salles principales, celles où les baigneurs restent le plus de temps pour soit se reposer soit se laver et transpirer sont les salles les plus grandes ; elles se distinguent également par leur couverture en coupole. Par contre, les trois autres pièces, c’est à dire le vestibule, la salle froide et l’étuve sont de dimensions beaucoup plus réduites. De fait, il s’agit de pièces de transition et de passage momentané. Ces mêmes dispositions se retrouvent à peu de chose près dans les autres bains des villes et villages andalous.

La façade du bain, donnant sur la place du marché est précédée d’une fontaine adossée à son mur extérieur.

     
  • Le hammam al-Karma

Ce bain fut construit par Hammûda Pacha (1631-1666) vers le milieu du XVII e siècle ; il le constitua en waqf auprès de son maristân de Tunis. L’acte du habous de cette fondation révèle que le Pacha acheta à Ahmad Ibn Yûsuf Dey et à Ahmad Ibn Ibrâhim Ibn c Abd al- c Azîz al- Andalusî quatre tibna-s d’eau de source de la ville de Zaghouan nécessaires au fonctionnement de l’établissement. L’acte de l’achat, qui date des débuts du mois de safar de l’année 1061/23 janvier 1651, précise que le bain fut construit sur l’emplacement d’une maison d’habitation et que sa porte d’entrée est orientée vers l’ouest.

Fig. 7. Hammam al-Karma de Zaghouan édifié par Hammûda Pacha vers 1652 et constitué waqf au profit du maristân de Tunis.

     b- Les moulins à grains

La panoplie des métiers de Zaghouan 'enrichit et se distingue par une série de moulins construits au nord-ouest de la cité au bord d'un grand canal. Ces moulins ne sont pas mus par une force animale, omme l’est habituellement ce type de machine dans le reste du pays, mais ils sont actionnés à l'eau.

Les documents mentionnent 7l'existence de ce genre de moulins depuis le XVIIe siècle. Aussi trois d'entre eux sont des fondations habous : l'un est affecté à la zâwiya de Sîdî cAlî cAzzûz (l'acte est établi en 1103/1691) ; un autre est affecté à la mosquée d’Ibrâhîm b. cAbd-al-cAzîz al-Andalusî (l'acte est établi en 1127/1715), le troisième fait partie des waqfs de la Grande Mosquée8. Le beylik possède également deux moulins à Zaghouan9.

En 1885, les officiers français signalent que «Zaghouan possède sept moulins à grains, mus par l'eau et peuvent moudre en moyenne chacun deux quintaux et demi de grains par jour »10.Nous présumons que la ville en comptait au XVIIe et au XVIIIe siècle, plus que sept. Ceux-ci s'élèvent au bord du grand canal dit al-Wâdî al-Kabîr et sortant du grand bassin «al-Jâbiya al-Kubra», alimenté par les deux sources : cAyn al-Kaytana et cAynabî al-Nisâl dite actuellement cAyn -Ayyad et cAyn al-Kasba.

     c- La teinturerie et la tannerie

La teinturerie des chéchias occupe une place à part dans le répertoire des métiers de Zaghouan ; elle apparaît, comme le disent les textes, «la seule industrie ayant une véritable importance ». Surtout que Zaghouan avait du XVIIe jusqu'à 1892 le monopole de la teinture de la première industrie du pays, celle de la chéchia11.

Au début du XIXe siècle Sir Grenville Temple note que «la grande partie des habitants de Zaghouan s'adonnent à la teinture des bonnets rouges de Tunis»12 . Au milieu du siècle, V. Guérin témoigne également qu'un «nombre assez grand d'individus y sont occupés» et il ajoute que «les eaux de Zaghouan sont, en effet, renommées pour la propriété qu'elles ont de rendre brillante et tenace la couleur dont on veut se servir pour teindre»13.

En 1885, dans son enquête l'officier français n'a relevé que 10 teinturiers à Zaghouan14 . Il semble que ceux-ci avaient leurs ateliers dans une rue qui porte encore aujourd'hui le nom de la rue des Chouachia. On y trouve encore le vestige d'un atelier dit Dâr al-Sibâgh.

Mais avant la teinture, les chéchias sont lavées à l'eau de source, de façon très particulière, dans un endroit qu'on appelle encore aujourd'hui al-Kafâ'is, c'est-à-dire les cages. En fait il s'agit d’un bassin aménagé en amont d'un canal et doté d'un treillage en bois qui permet le lavage des pièces par l’eau du courant sans qu’elles ne soient emportées. Cet aménagement permet le lavage des chéchias par une eau de source pure qui se renouvelle continuellement, ce qui donne au lainage un aspect doux et soyeux. Et c'est seulement après ce lavage lent et méticuleux, que les chéchias sont teintes dans des ateliers situés dans la médina, rue des Chaouachia. Après la teinture, aucune de ces chéchias n'est vendue à Zaghouan, elles sont toutes retournées aux fabricants de Tunis15.

Il est question donc d'un métier rare, assimilé aux métiers de luxe qui échappe complètement à l'économie locale. Aussi la présence d'artisanats spécialisés dans cette petite ville renforce-t- elle son caractère urbain et l'oppose-t-elle à sa campagne et témoigne-t-elle en même temps des liens privilégiés de Zaghouan avec la capitale et avec ses grands souks spécialisés.

En plus de la teinturerie des chéchias, «on teint encore à Zaghouan, nous signale Desfontaines, beaucoup de cuirs jaunes dont on fait des souliers à la mode du pays». Puis il nous livre une description de ce métier : «on met sur trois ou quatre livres d'écorce de grenade séchée au soleil et pulvérisée, une livre d'alun, on délaie le tout dans une quantité suffisante d'eau, puis, après avoir mouillé le cuir, on étend sur la surface plusieurs couches de teinture, on le met à sécher à l'ombre pendant quelques jours, et lorsqu'il est bien sec, ils le mouillent encore et l'enduisent de nouvelles couches de teinture, après quoi ils le font sécher comme la première fois. Le cuir prend une belle couleur jaune, mais elle s'efface en peu de temps »16 .

Conclusion

La fondation de la ville de Zaghouan, son aménagement, l’édification des bâtiments publics et la mise en valeur de son terroir résultent d’une collaboration étroite entre les autorités turques et la communauté des immigrés. Le dispositif mis en place par les Turcs de Tunis pour exploiter la région consistait à mettre la main sur les richesses naturelles, notamment la terre et l’eau, et à profiter de la main d’œuvre immigré et de ses compétences.

Ce sont les immigrés andalous qui avaient construit la ville et avaient bâti ses principaux monuments. La Grande Mosquée fut construite rapidement et dotée de waqfs importants pour son entretien et son fonctionnement. Nos textes révèlent que le cheikh de la communauté, Ibrâhim Ibn c Abd al- c Azîz al-Andalusî, avait joué un rôle important. Ce même personnage édifia une petite mosquée qui portera son nom du côté du souk de la ville. Cependant, les Turcs avaient participé à l’équipement de la ville et au développement de ses activités. Nos textes révèlent qu’un officier turc, Ibrâhim Dey, constitua, en 1617, un waqf au profit de la Grande Mosquée. Ce même officier et le souverain de Tunis, Yûsuf Dey (1610-1637), contribuèrent à la fondation, en 1621, d’une mosquée à khutba pour la petite communauté ottomane de la ville : la mosquée hanafite. Quelques années plus tard, le dey Mustafâ Lâz rénova, en 1066/1655- 1656, la zawiya de Sîdi Bû Gabrîne. De son côté, Hammûda Pacha (1631-1666) construisit, vers 1652, un hammam à Zaghouan et affecta sa rente à une de ses fondations de Tunis. Vers la fin du XVIIe, deux souverains mouradites, Muhammad al-Hasî et Muhammad Bey édifièrent la zawiya de Sîdî c Alî c Azzûz, l’une des plus importantes zawiyas du pays.

Notes

1 Le Registre 2294 des Archives Nationales de Tunisie, daté du milieu de rabîc I 1278/19 septembre 1861, contient des résumés d’actes de propriété de l’eau à Zaghouan. Par ailleurs, notre ami Khaled Chaieb, président de l’ASM de Zaghouan, a rassemblé une documentation précieuse sur la ville (acte de waqf, de propriété, etc.) que nous comptons publier conjointement dans un ouvrage qui aura pour thème la ville andalouse de Zaghouan.
2 Tibna : unité de mesure de volume de l’eau à Zaghouan qui équivaut à 2 m3 (information donnée par Khaled Chaieb). On utilise également à Zaghouan al-sâc a, comme unité de mesure de temps.
3 Le mérite revient à notre ami Khaled Chaieb d’avoir pu identifier le fondateur de cette mosquée grâce à une lecture attentive des documents d’archives.
4 Victor Guérin, 1862, t. 1, p. 300.
5 Husayn Khûja, 1972, p. 287-289.
6 A.N.T., Registre 2294.
7 A.N.T., Registre 2294.
8 A.N.T., Registre 2294.
9 A.N.T., Registre 2294.
10 Archives de Vincennes. MR 1322, dossier 7.
11 S. Ferchiou, 1971, p. 167
12 Grenville Temple, 1853, p. 289.
13 V. Guérin, 1862. t. 2, p. 294.
14 Archives de Vincennes. MR 1322, dossier 7.
15 Archives de Vincennes. MR 1322, dossier 7.
16 Peyssonnel et Desfontaines, 1838, t. 2, p. 94-96.

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Auteur

Ahmed Saadaoui

Professeur universitaire – Université de la Manouba. Laboratoire d’Archéologie et d’architecture maghrébines.

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