Loin d’être « archaïque », comme certains la définissent, l’architecture vernaculaire traduit un
savoir-faire qui, outre les connaissances techniques locales, révèle d’autres paramètres
fondamentaux dictés par la tradition, qui lui confèrent sa spécificité par rapport à l’architecture
contemporaine. Cette recherche s’intéresse au patrimoine religieux construit par les berbères
ibadites dans deux régions géographiques différentes à savoir : les cinq villes du Mzab en
Algérie et l'île de Djerba en Tunisie. Notre étude est basée sur la méthode de la syntaxe spatiale
qui met en évidence la relation fondamentale qui existe entre la configuration d'un espace et
son usage. L'objectif de ce travail de recherche est d'identifier la logique spatiale des
configurations architecturales d’un échantillon de trente mosquées ibadites de Djerba et du
Mzab. A travers ce travail nous essayons d’une part, d’expliquer l’organisation spatiale de la
mosquée ibadite dans les deux régions d’étude. D’autre part, nous nous proposons de montrer
l’existence de trois modes d’intégration qui structurent la mosquée ibadite dans l’île de Djerba
et dans la vallée du Mzab : le çaḥn, le tẓalliṭ et le tẓalliṭ-tzaqqa n tẓalliṭ.
Mots clés
Syntaxe Spatiale, Mosquée Ibadite, Configuration spatiale, Mode de structuration,
Facteur de différence de base.
Pour citer cet article
Houda Ben Younes, "L'architecture des mosquées Ibadites au Mzab et à Djerba : propriétés
syntaxiques et modes de structuration", Al-Sabîl : Revue d'Histoire, d'Archéologie et
d'architecture maghrébines [En ligne], n°6, Année 2018.
URL : https://al-sabil.tn/?p=8335
Notre étude s’intéresse au patrimoine religieux produit par les berbères ibadites2
dans la
pentapole du Mzab3
en Algérie et dans l’île de Djerba4
en Tunisie. L’isolement géographique
de ces deux régions leur a permis de conserver pendant plusieurs siècles une relative
indépendance et de s’affirmer comme d’importants centres culturels ibadites, où venaient se
former de nombreux étudiants. Notre corpus de spécimens choisis pour cette étude se compose
de trente mosquées ibadites dont quinze mosquées construites dans l’île de Djerba et quinze
autres mosquées construites dans la pentapole du Mzab. L'interrogation principale de cette
étude est d’identifier la genèse de la logique spatiale des configurations architecturales des
mosquées ibadites (Ben Younes, 2018). Autrement dit, comment un ordre d'espaces dans une
configuration spatiale fonctionne-t-il en tant que système de relations spatiales ? Pour ce faire,
nous avons fait appel à la Syntaxe Spatiale qui est une approche analytique de type quantitatif
5
.
En explorant la structure morphologique de l’arrangement spatial des différentes mosquées, la
Syntaxe Spatiale nous permet de visiter en profondeur leurs structures spatiales. La syntaxe
spatiale utilise des outils informatiques qui lui sont propres. Elle nécessite des précisions
terminologiques qu'il est indispensable de connaître au chercheur qui s'engage dans cette voie
méthodologique. C'est d'ailleurs à travers ces concepts spécifiques que seront présentés les
résultats de la présente recherche qui paraissent de prime abord, incompréhensibles, voire,
difficilement saisissables. Cet article est composé de trois grandes parties : une première partie
qui s’intéresse à la description générale des espaces constitutifs de l’échantillon de mosquées
ibadites choisies dans les deux régions d’étude. Une deuxième partie concerne les
configurations spatiales de ces mosquées. Quant à la dernière partie, elle s’intéresse à la
recherche de leurs logiques spatiales et leurs modes de structuration.
1. Les espaces constitutifs de l’échantillon de mosquées ibadites de Djerba et du Mzab
Les espaces constitutifs de la mosquée ibadite de Djerba Les différentes composantes de la mosquée de Djerba (Fig.1), appelée localement
« tamizgîda », sont réparties dans une esplanade surélevée, entourée d’un muret. On accède
généralement à ces espaces par deux entrées principales qui s’ouvrent directement sur le
« çahn » ou la cour. Le sol de cette dernière est régulièrement passé à la chaux. Des puits et
des citernes y sont dispersés autour de la salle de prières « tzaqqa n tzallit». Celle-ci occupe une
place centrale dans l’enceinte de la mosquée. Les mosquées Ibadites possèdent généralement
plusieurs lieux de prière bien distincts. Leur fréquentation varie selon les saisons et les heures
du jour : outre la salle de prière fermée, des mihrab/s d’été sont installés à l’extérieur. Tenant
compte des conditions climatiques de l’ile, les djerbiens ont construit un petit portique, le « bortâl », qui accueille la prière des fidèles en été. Les mosquées Ibadites comportent
également un local réservé aux ablutions ou « mîda », des pièces d’habitation ou « khulwât »,
qui peuvent abriter les leçons des enseignants ou héberger les pèlerins et les voyageurs. Les
pièces d’habitation et les autres espaces annexes (le « makhzen» ou le local de dépôt, la
« madrsa » ou école coranique, cuisine...etc.), entourent la salle de prière et sa cour en occupant
les différents côtés de l’enceinte.
Les espaces constitutifs des mosquées ibadites du Mzab La mosquée mozabite (appelée localement « tamijjîda ») occupe le centre du chaque Ksar dans
toutes les villes du Mzab. Toujours édifiée en premier, sur le point culminant du périmètre à
bâtir, elle est entourée, par la suite, des autres constructions. Cet emplacement met en relief le
rôle générateur qu’a la mosquée par rapport à la ville, ainsi que l’importance qu’a la religion, et
la prière surtout, dans la vie de la cité et des hommes. La grande mosquée du Ksar (Fig.2),
comprend globalement deux niveaux : Le premier est constitué d’une salle pour les ablutions
« taqerbûst » , d’une salle de prières couverte « tzaqqa n tzallit» , de deux pièces de rencontre
(l’une pour les fidèles ; salle de cours coranique « mahdra » et l’autre pour les I`azzâben6
; le
« tamnâyt », d’une cour à galeries « çahn » , avec un ou plusieurs mihrab/s, d’une bibliothèque,
éventuellement, de même que des niches « ibûja » pour les dates et les livres. Supérieur au
précédent, le second se compose d’une salle de prières pour les femmes et d’une grande terrasse
à ciel ouvert « annej » avec un mihrab.
Quant à la mosquée funéraire, appelée localement Muçalla (Fig.3), elle est située généralement
en contrebas du Ksar. C’est une construction très simple, dont le volume parallélépipédique de
la salle de prière présente généralement une base presque carrée. Le toit de la salle de prière
« annej » est accessible grâce à une sorte d’échelle « tîsunân » formée de pierres plantées le
long du coin de l’une des façades. Cette salle de prière « tzaqqa n tzallit» est bordée par une
cour utilisée comme aire de prière « tzallit», délimitée par un muret assez bas. Sa surface plane,
blanchie à la chaux, sert également pour collecter les eaux de pluies, dont le ruissellement est
dirigé par de petits canaux vers un puits « majel» construit dans son coin.