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13| 2022

Le droit à la nature dans la commune de l’Ariana.
Les espaces verts et naturels, quelles participations, équité et inclusion ?

Olfa Ben Medien

Table des matieres

Résumé

Par ce temps de crise sanitaire, le droit à une qualité de vie à l’intérieur de la ville passe inéluctablement par le droit à la nature. L’article aborde la question de la nature dans la ville à travers le prisme du droit à la nature dans la commune de l’Ariana dont l’identité s’est historiquement attachée à la nature. La pertinence de cette focale tient à la conjonction de ces quatre éléments : la démarche participative dans la production et la gestion des espaces verts dans la commune de l’Ariana, l’accessibilité aux espaces pour tous les habitants de manière équitable, la cohérence entre la conception des espaces verts et leurs formes d’appropriation par les usagers et la qualité inclusive de ces territoires. La démarche méthodologique se compose de plusieurs méthodes qualitatives et quantitatives et sur un ancrage théorique et historique.

Mots clés

Le droit à la ville, Le droit à la nature, la participation, l’inclusion, l’équité.

Abstract

In health crisis time, the right to the city inevitably passes through the right to nature. The article raises the issue of nature in the city through the right to nature in Ariana city whose identity has historically been attached to nature. The relevance of this focus is to combine these four elements: the participatory approach in the production and management of green spaces, accessibility to spaces for all residents in an equitable manner, coherence between the design of spaces and there uses and the inclusive design of those green spaces. The methodological approach is based on several qualitative and quantitative methods in addition to a theoretical and historical approach.

Keywords

The right to city, The right to nature, civic participation, social inclusion, equity.

الملخّص

في زمن الأزمة الصحية، الحق في جودة الحياة داخل المدينة يمر حتما عبر الحق في المناطق الخضراء والطبيعية. ويتناول هذه المقال مسألة الطبيعة في المدينة من منظور الحق في الطبيعة في المنطقة البلدية بأريانة. هذه المدينة التي طالما تعلقت بالطبيعة حتى طبعت هويتها. وتكمن أهمية هذا التركيز على مسألة الحق في الطبيعة في اقتران العناصر الأربعة التالية: الاعتماد على مبدئ التشاركية في تصميم وإدارة المساحات الخضراء، تمكين جميع السكان من المساحات الخضراء، التناغم بين تصميم المساحات الخضراء وأشكالها استغلالها ومدى قدرة هذه المناطق على الاندماج الاجتماعي. ويعتمد البحث على طرق نوعية واخرى كمية زيادة على مرجعية تاريخية ومنهجية للإجابة على الاشكالية المطروحة.

الكلمات المفاتيح

الحق في المدينة، الحق في الطبيعة، التشاركية، الاندماج الاجتماعي، العدالة الاجتماعية.

Pour citer cet article

Olfa Ben Medien, « Le droit à la nature dans la commune de l’Ariana. Les espaces verts et naturels, quelles participations, équité et inclusion ? », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°13, Année 2022.

URL : https://al-sabil.tn/?p=6969

Texte integral

Introduction

Le concept de droit à la ville est défini par Lefebvre comme « le droit de chacun à la "non exclusion" de la vie et des qualités spécifiquement urbaines, aux ressources et services urbains»1. Il est né comme une réponse à la crise urbaine et sociale de la ville post-industrielle. Depuis, la question du droit à la ville est au centre de la recherche urbaine et a évolué pour devenir une charte mondiale du droit à la ville2 appelant à appliquer les droits humains dans le territoire de la ville. Elle s’appuie sur les principes de la dignité de l’habitant, de l’égalité et la liberté, de la participation et la démocratie locale, de la durabilité et le respect de l’environnement, de l’universalité des droits de l’homme, de la coopération et la solidarité et de la responsabilité partagée entre les décideurs et les habitants de la cité.

Par ce temps de crise sanitaire, le droit à une qualité de vie à l’intérieur de la ville passe inéluctablement par le droit à la nature. Ce droit, qui est reconnu dans les pays nordiques, est en voie de l’être dans le reste de l’Europe. Émilie Gaillard s’interroge : « et si vivre dignement, si être libres et égaux en droits signifiaient également avoir la liberté de profiter en tous lieux des merveilles de la Nature ? »3. Sommes–nous tous égaux face à ce droit à la nature dans la ville ? Ce droit à la nature qui n’est pas institutionnalisé, est néanmoins fondamental puisqu’il est directement lié au droit à la santé dans des villes souffrant de pollution croissante et des aléas du réchauffement climatique.

Nous affirmons que le droit à la nature se décline directement du droit à la ville, puisqu’il répond aux trois dimensions données par Lefebvre pour le droit à la ville. Il est :

         - Un droit à la fonction récréative dans la mesure où on considère la nature dans la ville (plans d’eau, rivières, espaces boisés, espace vert aménagé…) comme une richesse urbaine, une infrastructure de loisirs et de promenade.

       - Un droit à la différence assuré par les parcs et les jardins publics ; ces espaces de rencontres d’échanges et d’urbanité qui deviennent parfois l’objet de conflits ou la cause qui rassemble les habitants et la société civile dans une mobilisation ou contestation sociale.

         - Un droit à la participation quand cet espace naturel devient l’opportunité d’impliquer les habitants et la société civile dans un processus de production et de gestion participatives avec les pouvoirs locaux.

En pratique, le droit à la nature vient confirmer les principes de durabilité, d’équité et de justice sociale. Ainsi, la nature dans la ville assure inéluctablement un environnement sain en améliorant l’air, en réduisant les îlots de chaleur et en préservant les ressources et la biodiversité. En matière de démocratie, les territoires naturels et verts imposent une participation citoyenne pour leur production, leur gestion et leur préservation. L’accès équitable à la nature dans l’espace urbain- notamment pour les plus vulnérables- anime le débat entre les pouvoirs locaux, les habitants et la société civile. Il s’agit aussi d’assurer une équité entre les quartiers dans la répartition et la qualité des espaces verts aménagés. Enfin, la nature peut être un espace public qui assure "le bien vivre ensemble" et joue un rôle certain dans l’instauration de la paix civile. Elle est le refuge de tous les habitants sans distinction de genre, d’âge, de religion ou de classe sociale.

Nous choisissons d’aborder la question de la nature dans la ville à travers le prisme de la question du droit à la nature. L’accès aux espaces verts aménagés ou naturels, dans les villes tunisiennes se fait-il de manière équitable pour tous ? La gouvernance de ses territoires naturels et verts dans la ville se fait-elle de manière participative ? La conception des espaces verts répond-elle aux normes du design inclusif ?

Nous proposons de focaliser la recherche sur le territoire de la commune de l’Ariana pour interroger le droit à la nature. Le choix se justifie d’abord par la relation historique entre la ville et la nature au point de lui attribuer l’identité de « la ville des roses ». Ensuite, par richesse et la variété des territoires verts et naturels dans la commune. Enfin, la commune de l’Ariana constitue une mosaïque sociale avec des quartiers riches et d’autres défavorisés. Ainsi, le travail empirique permettra de vérifier l’équité de l’accès à la nature selon la classe sociale.

Pour éclairer ces questions, une mise en perspective historique constitue un apport certain dans la compréhension de l’évolution de la ville de l’Ariana et dans sa relation avec la nature. Ainsi, l’ancrage historique interroge le rôle social, paysager et économique de la nature et ses territoires dans la ville. L’article tente donc de comprendre les dynamiques d’urbanisation de la ville en relation avec la production et la gestion des espaces verts et naturels.

L’espace urbain est la résultante d’une superposition de l’espace perçu, de l’espace conçu et l’espace vécu. Nous proposons donc de vérifier l’hypothèse d’un décalage entre la conception des espaces verts à Ariana et les réels besoins des usagers ; Ces espaces comment sont-ils perçus par leurs usagers ? Et sont-ils facilement appropriables ?

Afin de cerner la réalité et les limites de la participation citoyenne dans la production et la gestion des espaces verts, l’article questionne le rôle des citoyens, de la société civile et des décideurs dans la commune. Le droit à la nature réclame l’accès équitable aux espaces verts de qualité. Ainsi, l’article propose de vérifier s’il y a une équité dans la répartition des espaces verts entre les quartiers et les habitants dans la commune de l’Ariana. Enfin, il pose la question du caractère inclusif des espaces verts étudiés.

Pour répondre aux interrogations de la problématique sur la question de droit à la nature dans la commune de l’Ariana, nous avons eu recours à l’analyse de documents d’urbanisme comme le PRA4 et le PAU5 de la commune de l’Ariana (2017), à des entretiens semi-directifs avec les membres du conseil municipal et de la société civile et à une enquête par questionnaire6. Nous avons choisi de focaliser le travail empirique sur 3 espaces verts dans la commune: le jardin d’Ennasr II, le Jardin Bir Belhassen et le Parc Ennahli. Les trois territoires ont été choisis parce qu’ils sont localisés dans trois différents arrondissements de l’Ariana mais surtout parce qu’ils constituent des traces des périodes historiques de la relation de la ville de l’Ariana avec la nature. Nous avons fait appel à l’anthropologie sociale dans la mesure où elle interroge les pratiques des habitants et leurs paroles pour cerner leurs représentations et leurs usages de l’espace "nature" à l’Ariana. Une approche exploratoire et un diagnostic- selon des indicateurs relevés dans des références internationales du design inclusif des espaces publics nous a permis de mesurer le degré d’inclusivité des espaces verts étudiés.

1. La ville et la nature à l’Ariana à travers l’histoire

« De l’air pur et des senteurs: voilà deux raisons amplement suffisantes pour hisser le village de l’Ariana au rang de première station printanière du pays»7. L’histoire de la ville de l’Ariana est directement rattachée à l’histoire de ses jardins et des terres agricoles qui l’entouraient. Cette large plaine au bord du plan d’eau "Sabkha" est délimitée à l’Est par les collines de Gammarth et de Carthage et à l’Ouest par la chaîne reliant la montagne d’Ennahli à celle du Belvédère. Elle est traversée de l’Ouest vers le Sud par deux oueds : "Oued Greb" et "Oued Roriche". Selon A. Baccouch l’ancien maire de l’Ariana, sa ville est un cas d’étude riche en enseignements puisqu’elle a subi « une mutation dévastatrice d’un territoire naguère fleuri et embaumé»8. Nous tenterons dans ce qui suit de retracer l’histoire rattachant la ville de l’Ariana à la nature.

Les historiens ne sont pas d’accord sur la définition des origines de l’Ariana. Pour Léon l’Africain, ce sont les "Wandal" (Goths) qui ont créé l’Ariana. L’historien Marmol9 affirme que la création de l’Ariana remonte à l’époque romaine. Il se base sur l’aqueduc romain créé par Hadrien entre les années 120 et 138. Un seul pilier de cet aqueduc est perceptible aujourd’hui dans la ville de l’Ariana et il est affectueusement appelé par les habitants : « le pilier des cigognes ». Pour Ali Hemriti10, les origines des Arianais seraient arabes "Zirites", de "Beni Zir" de Sanhaja. L’appellation revient à une tribu yéménite du IXe siècle appelée "Ariane". Depuis sa création le village a connu un développement urbain qui s’est fait aux dépens de la nature. (Fig. 1)

Fig. 1. Le plan de l'Ariana et son évolution de 1700 à 1940.
Source : Ali Hmriti 2004, L’Ariana à travers le temps, p. 32

1.1. La période hafside et le premier jardin d’agrément "Abou Fehr"

Au XIIIe siècle fut créé un jardin autour du marabout "sidi Ammar" à l’entrée de la ville près de la porte et la grande muraille. Le jardin, planté de caroubiers, de grenadiers, de pommiers, d’orangers et d’oliviers, servait à accueillir et loger les visiteurs du Marabout lors des évènements et festivités telle que la "kharja" vers "Sidi Bou Said" et durant les fêtes religieuses. Le jardin n’avait pas une vocation d’agrément mais une vocation alimentaire.

Ce n’est qu’à l’époque hafside que la nature a pris cette fonction de jardin d’agrément. Avec le calife "Al Montasser Billah El Hafsi", l’Ariana a connu son premier espace vert aménagé. Il a choisi l’Ariana pour ériger son palais avec son magnifique jardin "Abou Fehr"11 à l’endroit de l’actuelle Cité des sciences de Tunis. Il ordonna la restauration de l’aqueduc Hadrian et lui ajouta des bretelles, celle du Bardo et celle alimentant le jardin "Abou Fehr" qui passait par "Bir Bel Hassen". Il construisit ses palais, ses parcs et jardins et sa caserne à "Borj Allouj" près de la colline Ennahli. Plusieurs membres de sa famille y ont édifié leurs prestigieuses demeures, près de l’actuel "Borj El Wazir"12.

Durant la période hafside, la nature a été intégrée dans la ville à travers les jardins des palais et des grandes demeures. Ces jardins sont restés privatifs et ne profitaient qu’à leurs propriétaires et à leurs invités. En périphérie de la ville, la nature a pris la forme de jardins agricoles avec la plantation d’oliviers dans les plateaux et les montagnes de "Jaafar".

Le jardin "Abou Fehr", qui émerveilla l’historien Ibn Khaldoun, a marqué l’histoire des jardins en Tunisie. Dans son ouvrage : « Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique Septentrionale », l’historien décrit ce magnifique jardin hafside: « On y voyait une forêt d’arbres dont une partie servait à garnir des treillages pendant que le reste croissait en pleine liberté.[…] Au milieu de ces prairies, comme une mer, l’eau y arrivait par l’ancien aqueduc, ouvrage colossal qui s’étend depuis les sources de Zaghouan jusqu’à Carthage et dont la voie passe tantôt au niveau du sol et tantôt sur l’énormes arcades à plusieurs étages, soutenus par des piles massives et dont la construction remonte à une époque très reculée. […] En somme, les kiosques, les portiques, les bassins de ce jardin, ses palais à étages, ses ruisseaux qui coulent à l’ombre des arbres, tous les soins prodigués à ce lieu enchanteur, le rendaient si cher au sultan»13.

Les espagnols, expulsés par Philipe III et réfugiés en Tunisie ont eu un apport certain dans le développement des jardins et de l’agriculture avec leurs techniques d’irrigation innovantes dites les "Foggaras" (puits mitoyens). Durant cette période, l’Ariana a connu le développement de la culture de la rose de mai (la même que celle du jardin El Arif à Grenade). Cette rose est devenue depuis, l’icône des jardins de l’Ariana où on extrayait l’huile et l’eau de rose14 . Cette période dessinera définitivement l’identité de la ville de l’Ariana devenue "la ville des roses".

1.2. Le XIXe siècle, l’émergence d’une banlieue résidentielle au milieu de la nature

Durant le XIXe siècle, l’Ariana constituait un parc pour le Grand-Tunis. Les habitants profitaient de l’air pur et du beau panorama avec des étendues de roses et d’arbres fruitiers : « Les bourgeois de Tunis ont succombé au charme de cette campagne si proche. Ils allaient en faire un centre de villégiature, surtout pendant la belle saison où ils venaient à bord de leurs calèches accueillir le printemps.»15. Les familles juives habitant le quartier d’El Hara y venaient les samedis et les deux jours de la fête de "Pessa’h". Les visiteurs profitaient des restaurants près du jardin "Bir Bel Hassen" et de la promenade dans la nature.

A partir de la fin de la guerre, en 1946, les jardins du marabout Sidi Ammar ont été acquis par des familles riches et proches du Bey de Tunis qui y ont construit des palais et des villas selon le style italien et européen. Souvent, les demeures avaient un grand jardin avec un puits et un moulin à eau. Une fontaine d’eau en marbre avec un bassin marquait le centre du jardin16. Le plus fameux de ces palais fut celui de "Ben Ayed" qui sert actuellement de siège de la commune de l’Ariana. A la fin du XIXe siècle, l’Ariana est devenue une banlieue résidentielle. La figure1 représente le plan de la ville à partir de 1956.Il montre les équipements et témoigne de la cohabitation des populations musulmane et israélite. (Fig2)

Fig. 2. Plan de la ville de l'Ariana à partir de 1956 avec ses équipements.
Source : Ali Hmriti 2004, L’Ariana à travers le temps, p. 28.

1.3. Les années 60’ et 70’, une extension urbaine aux dépens des espaces naturels et agricoles

Après l’indépendance, une expansion urbaine a commencé autour de l’ancien village de l’Ariana aux dépens des terres agricoles. A. Baccouche parle d’une « urbanisation éparpillée avec des lotissements privés (programmés par des mutuelles professionnelles) sans aucune vision globale». La SNIT17, profitant des terrains domaniaux agricoles réalisa des quartiers ouvriers en sacrifiant le parc "Bir Belhassen" à l’entrée Ouest de la ville.

Le début des années 70’ est marqué par une densification et une expansion urbaine démesurée sous l’action commune de la SNIT et de l’AFH18. Cette urbanisation s’est faite sur les plaines agricoles et les collines de l’Ariana malgré l’interdiction de construire sur les crêtes décrétées par le SDA de Tunis19. L’urbanisation était horizontale à faible densité avec des logements individuels. Pourtant, les outils d’aménagement (PRA 1977, PAU 1981) limitaient l’urbanisation, préservaient les zones naturelles et proposaient le maintien et le renforcement par le boisement d’une coulée verte reliant le parc du Belvédère au sommet de la montagne d’Ennahli. Mais des mesures dérogatoires au profit des opérateurs publics n’ont pas aidé au respect de ces recommandations (fig.3). Ainsi, par exemple le Centre Urbain Nord a été réalisé sur les jardins et le territoire de la rose de l’Ariana. Le site de l’actuelle Cité des sciences est le site du jardin "Abou Fehr" avec son bassin d’eau.

Fig. 3. L’extension urbaine –PAU de la commune de l’Ariana 2017- sur les espaces verts et naturels définis dans le PRA 1977
Source : personnelle ( à partir du PRA de Tunis 1977 et le PAU de l’Ariana de 2017)

1.4. Les Années 70’- 90’ou le manque d’espaces verts de proximité dans les lotissements programmés

Les lotissements de la SNIT sont très souvent dépourvus d’espaces verts. Ainsi, les lotissements Ettamir 1,2,3,4 et 5 réalisés sur les terres agricoles au nord de l’ancienne ville ne prévoyaient aucun espace vert. De même, l’opération "Ariana supérieure" s’étalant sur 29 ha ne contient pas d’espace vert en dehors de quelques espaces résiduels et les servitudes des cours d’eau. En 1983, le projet de l’AFH à Menzah 7 est conçu avec un ratio de 0,3m²/habitant. En 1989, le lotissement Ennasr I est conçu sans espace vert en dehors des alignements le long des voies et des espaces résiduels non constructibles. La deuxième tranche Ennasr II fut construite sur les terres agricoles interdites à la construction par le PRA. Les espaces verts sont essentiellement programmés sur le domaine public hydraulique et les terrains à très forte pente. Des lotisseurs privés ont aussi participé à l’urbanisation de la commune de l’Ariana produisant les quartiers manquant d’espaces verts; Riadh Al Andalous un ratio de 3,12m²/hab., El Ghazela 2ème tranche 1m²/hab., El Ghazela 1ère tranche et le lotissement El Fath sont conçus sans espace vert.

1.5. Les années 90’-2010’ou l’urbanisme vitrine et la nature comme image de marque de la ville

À partir des années 90’, la fabrique de la ville s’est opérée par un urbanisme "néolibéral" qui a aggravé la fragmentation socio-spatiale dans la capitale. Face au développement des quartiers huppés sur les axes Nord de l’Ariana, le phénomène des quartiers informels s’est amplifié dans les périphéries de la ville dans des zones inondables (Roued) et sur les terres agricoles (Soukra).

Les espaces verts sont pensés comme un service rattaché à l’image de "luxe". Les espaces publics, verts et de promenade sont devenus le "brand", la marque des lotissements de haut standing. Dans les quartiers sociaux, les espaces verts, même quand ils sont programmés, ne sont pas toujours réalisés. Ils constituent un problème pour les communes qui n’ont pas le budget pour les entretenir. Cet urbanisme "vitrine" a régi la programmation des espaces verts quantitativement en imposant le ratio de 15m²/hab d’espaces verts. Toutefois, malgré cette réglementation, on peut relever « une disparité dans la répartition spatiale de ces espaces entre les communes»20. Les ratios présentés intègrent aussi bien les carrefours aménagés, que les cimetières et les servitudes.

Durant cette période, deux programmes ont mis en œuvre la réalisation des espaces verts dans la ville. Le premier est le Programme National des Parcs Urbains lancé en 1990 pour la création de grands parcs dans les grandes villes et la préservation des forêts périurbaines. Dans le cadre de ce programme fut aménagé le Parc Ennahli au Nord de la commune de l’Ariana. Le second est le Projet National de la Propreté et de l’Esthétique de l’Environnement, qui incite les villes à gagner le label de « ville jardin » (avec le ratio de 15m²/habitant et l’aménagement d’un "boulevard de l’environnement" comprenant un alignement vert et des jardins.) .

1.6. Depuis 2011, les prémices d’une démocratie locale et d’un militantisme vert

La Tunisie a dû attendre 2014 pour pouvoir parler de démocratie locale et de participation citoyenne. La société civile, très dynamique depuis 2011, a mené un activisme urbain traitant des questions de l’environnement et du développement durable…L’association Tunisienne des Urbanistes vient de signer un accord avec une ONG internationale pour la mise en place d’une charte tunisienne du Droit à la ville pour les communes tunisiennes : « Cette initiative pionnière vise à placer l’humain et le social au cœur des politiques urbaines qui ne relèvent plus uniquement d’une démarche technique et normative»21.

2. Le droit à la nature dans la commune de l’Ariana

2.1. Le droit à la participation

La participation citoyenne dans la production et la gestion des espaces urbains est un pilier du droit à la ville. Ainsi, par une enquête avec les acteurs concernés, nous avons tenté de cerner le mode opératoire de cette démarche participative pour les projets d’espaces verts dans la commune de l’Ariana et les limites qui entravent ce processus.

        2.1.1. Les acteurs citoyens

La participation citoyenne est très faible dans la commune de l’Ariana. Lors des réunions pour la préparation du budget participatif, seuls 196 habitants étaient présents. Toutefois, les représentants des quartiers et la société civile sont très actifs. Les habitants montrent leur intérêt aux affaires de leurs communes à travers une présence très active sur les réseaux sociaux22. La municipalité se sert des espaces virtuels et de son site pour partager des informations concernant ses activités et lancer des invitations aux réunions. Les citoyens sur ces pages en profitent pour exprimer leurs doléances sur les questions de propreté, de gestion des déchets, de chiens errants, de l’état des voiries, d’éclairage public, de chantiers en cours et des espaces verts.

       2.1.2. La société civile

Nous avons réalisé des entretiens avec des représentantes de deux associations sur la question du droit à la nature : l’association de citoyenneté de Riadh Ennasr et l’ssociation zone verte El Menzah. La société civile prend des initiatives pour faire des aménagements d’espaces verts. L’association de citoyenneté de Riadh Ennasr a lancé l’initiative d’exploiter une des collines d’Ennasr pour en faire un parc avec un parcours de santé. Ils ont fait appel à des citoyens "experts" pour faire un dossier d’APD en s’appuyant sur une consultation auprès des habitants de l’arrondissement d’Ennasr.

La société civile a eu un rôle de persuasion et de plaidoyer auprès des décideurs pour faire accepter le projet et l’intégrer dans l’ordre de priorité des projets à financer par la commune. Le changement du conseil et le temps d’adaptation qu’il lui faut entrave l’avancée des projets : « Il nous faut plusieurs sorties de terrain pour faire accepter le projet »23.

Selon les représentants de la société civile, l’administration qui a sa façon d’opérer, ne répond pas aux besoins des citoyens. La société civile se représente comme l’acteur « à l’écoute des citoyens, acteurs de terrain qui joue le rôle de trait d’union entre le citoyen et le pouvoir local, surtout que le citoyen ne fait pas d’efforts, pas d’action pour réclamer ses droits à un environnement sain»24.

       2.1.3. Les entraves au droit à la participation

La relation entre les acteurs décideurs et la société civile ne semble pas être simple. Il y a des difficultés d’accès à l’information bien qu’il soit un droit constitutionnel. Ainsi, au début de son initiative du parcours de santé, l’Association de citoyenneté de Riadh Ennasr a eu du mal à connaître le propriétaire du terrain et sa vocation. Cela peut s’expliquer par une certaine réticence de la part de l’administration face au projet ou à une initiative citoyenne. Selon la société civile : « un autre acteur entre en jeu et rend difficile la participation citoyenne ; c’est l’administration et le service technique de la commune»25. La société civile reproche à l’administration sa gestion très techniciste des espaces verts dans la ville de l’Ariana : « La municipalité et ses techniciens ont une logique différente de celle de la société civile et de ses experts. Ils suivent les espaces verts définis dans le PAU. Ils doivent répondre à un ratio sans plus. Ils ont leur manière de concevoir un espace vert, une clôture et un arbre…C’est très loin des besoins des citoyens»26.

La participation citoyenne serait « de la figuration dans les conseils. C’est une participation procédurale exigée par la Loi. L’administration campe sur ses idées et son mode opératoire. L’administration continue à faire appel aux mêmes entreprises pour réaliser les mêmes tâches. L’administration aurait une mauvaise gestion des budgets alloués aux projets d’espaces verts. Nous reprochons à l’administration cette manière de produire les espaces verts avec clôture qui épuise tout le budget, un espace gazonné difficile à entretenir et consomme beaucoup d’eau. On enlève les plantes existantes pour mettre du gazon ! Des arbres d’alignement au milieu du trottoir gênant la mobilité des passants… »27.

       2.1.4. Le droit à la nature et les contestations sociales

La nature devient un objet de contestation sociale. « L’espace vert d’El Menzah est devenu pour nous un lieu d’émancipation ; nous avons bataillé pour sauver l’espace vert des mains des promoteurs immobiliers qui – avec la complicité de l’administration voulaient en faire des immeubles et un centre commercial »28. Le combat pour le droit à la nature anime l’action de la société civile pour qui « le droit à la nature est un droit constitutionnel : c’est le droit à un environnement sain. Malheureusement, pour la commune, les espaces verts ne sont pas une priorité»29. Aujourd’hui, le militantisme vert continue avec la société civile à travers des actions de sensibilisation et d’animation dans les espaces verts de l’Ariana.

2.2. L’équité et l’accessibilité aux espaces verts

Il s’agit de vérifier si tous les arrondissements de la commune de l’Ariana bénéficient équitablement de la nature et des espaces verts. Nous savons que les arrondissements des Menzahs et d’Ennasr sont constitués de quartiers programmés dédiés à la classe aisée. Les habitants des autres arrondissements sont des classes moyenne et pauvre. Comparer donc le ratio en m² d’espaces verts par habitant, nous permet de conclure s’il y a une justice dans l’accès à la nature. Nous nous basons ici sur les données et les statistiques du PAU de la commune de l’Ariana de 2017.

L'ensemble des surfaces vertes (espaces verts et zones naturelles) au sein de la commune s'élève à 459 Ha soit 19,36 % de la surface totale. Toutefois, la part des espaces verts de proximité se limite à 41 ha. Si nous calculons le ratio m² par habitant sur cette base d’espace vert aménagé nous trouvons : 0,62 m²/habitant. Le ratio d’espaces verts de proximité reste variable d'un arrondissement à un autre. Les secteurs de l’Ariana ville et l’Ariana supérieure, faits d’un tissu médinal et de lotissements sociaux de la SNIT, ont les ratios les plus bas. Les secteurs d’El Menzahs et de Riadh Ennasr constitués essentiellement de lotissements programmés de l’AFH ont des ratios légèrement plus élevés.

2.3. Les pratiques et l’appropriation de l’espace

Les pratiques sociales dans l’espace urbain dessinent ce que Lefebvre appelle dans son concept de droit à la ville, « l’espace vécu ». En effet, les formes d’appropriation de cet espace le réinventent. Il s’agit pour nous de vérifier à quel degré les espaces verts dans la commune de l’Ariana sont appropriés et appropriables par les habitants. Le travail d’enquête avec les usagers et l’observation, nous aideront à comparer l’espace conçu, les vocations données aux espaces verts et l’espace vécu et les détournements de fonction imposées par les pratiques sociales.

2.3.1. Le jardin Ennasr 2

          - L’espace conçu : il s’agit d’un jardin de proximité réalisé sur la Zone Non Aedificandi, servitude de l’Oued Roriche près du bassin d’écrêtement dans l’arrondissement Riadh Ennasr. Il a été ouvert au public en 2021. Il est une réponse à une attente de 10.000 habitants de la très dense cité Ennasr II qui n’a pas d’espace vert, de loisirs ou de culture. C’est un espace clôturé, sa fonction principale est un parcours de santé avec un partie gazonnée, une surface minérale et quelques arbres et rosiers.

            - L’espace vécu : le jardin d’Ennasr II est largement fréquenté par des habitués. Durant les jours de semaine, ce sont les collégiens et les lycéens qui y passent leurs heures creuses. Les personnes travaillant dans l’environnement immédiat y viennent déjeuner. L’après-midi, un public de familles avec enfants du quartier viennent jouer et des groupes d’adultes y pratiquent la marche à pied. Le week-end, le jardin est principalement fréquenté par les familles et les jeunes du quartier. Dans cet espace réduit, se côtoient des pratiques physiques (jeux et marche) et d’autres sédentaires (flânerie et repos), des pratiques bruyantes (match de football) et d’autres calmes. Se partageant ce même territoire, des générations avec des besoins, des attentes et des motricités différentes, se gênent mutuellement et tentent de s’approprier le territoire. Durant la saison estivale, cette bonne guerre des territorialités continue à une heure bien tardive. (fig.4)

Fig. 4. Carte de spatialisation des Pratiques sociales dans le Jardin Ennasr II
Source : personnelle.

         - L’espace perçu : Le jardin d’Ennasr II est perçu comme un "jardin de quartier". Son principal atout est sa proximité. On y vient à pied. Il est représenté comme le premier espace de « verdure », de « fraîcheur » et de « calme ». La perception du jardin est positive avec une moyenne de 7,5/10. Les usagers reprochent la surface réduite du projet où se bousculent différents usages peu compatibles. Ils réclament plus de verdure et de fleurs. Ils recommandent une sensibilisation des jeunes usagers aux mauvaises pratiques et aux incivilités.

2.3.2. Le jardin Bir BelHassen

             - L’espace conçu : Le jardin "Bir bel Hassen" est au cœur de l’arrondissement Ariana ville. Il a une histoire rattachée à celle de l’Ariana depuis l’époque hafside. C’est un puits d’eau reconnue pour sa pureté et ses vertus médicinales. « Le puits se trouvait au milieu d’un jardin grec (Saniat El Grigui) pour les origines de propriétaire Couvopolo30. Généreusement offert à la ville de l’Ariana, le jardin fut pensé comme un parc national pour marquer l’entrée de la ville. Aujourd’hui, le jardin de 3000m² a été réaménagé par la commune de l’Ariana. On y trouve une salle polyvalente de la commune, un espace gazonné clôturé et des passages piétons reliant les différents accès et bâtiments du jardin. Deux grandes portes marquent les accès au jardin. Le jardin semble être un espace vert annexé au bâtiment de la salle polyvalente de la commune dominant la vue depuis l’entrée.

Fig. 5. Carte de spatialisation des Pratiques sociales dans le Jardin Bir Belhassen.
Source : personnelle.

             - L’espace vécu : Le jardin "Bir Belhassen" n’est pas très fréquenté. Quelques familles y viennent le weekend. Les jours de semaine, quelques passagers venant pour des services dans les administrations avoisinantes passent leur temps d’attente dans le jardin. Le jardin est un simple espace de passage, une forme de chemin raccourci entre les deux portes du jardin. Les allées des piétons servent de places de stationnement pour les voitures des personnes travaillant dans les administrations avoisinantes. C’est un détournement des fonctions d’origine (fig.5)

             - L’espace perçu : Le jardin "Bir Belhassen" est perçu comme un espace de passage plus qu’un jardin. Longtemps fermé au public, le jardin caché derrière sa haute clôture n’est pas approché par les usagers. Le jardin a une image négative avec une note de 4/10. L’image du jardin est ternie par son état inacceptable avec des saletés partout, un gazon sec, un mobilier urbain détérioré. La haute clôture est répulsive, les passagers appréhendent de visiter l’espace.

2.3.3. Le parc Ennahli

             - L’espace conçu : Le Parc Ennahli, qui s’étale sur 242 ha (d’après l’AUGT) se trouve à la limite de l’urbanisation au nord de l’arrondissement de l’Ariana Supérieure. 30 ha seulement de ce parc sont aménagés. Le parc a été créé en 1997 dans le cadre du PNPU « les aménagements ont été réalisés d’une manière improvisée par les autorités publiques et n’ont pas fait l’objet d’une étude d’aménagement préalable »31. Le parc a une seule entrée côté cité El Ghazela et Riadh El Andalous. Le parc Ennahli est un parc qui a une aire d’influence couvrant l’ensemble du Grand Tunis. Il a toutefois perdu de son attractivité puisqu’il est mal entretenu : le mobilier urbain est détérioré, les éclairages publics ne fonctionnent pas, les animaux n’existent plus dans les enclos, le bassin paysager a été asséché et délaissé. Le café restaurant a fermé. Il est désormais interdit d’allumer le feu dans l’aire de pique-nique qui est désertée. Seuls restent opérationnels, l’espace de jeux pour enfants et un parcours de santé.

             - L’espace perçu : Le parc Ennahli a une représentation positive avec une moyenne de 7/10. Il est essentiellement perçu comme un espace de nature. « Beau paysage », « vaste » et « air frais » sont les adjectifs les plus récurrents dans la description du parc. Les usagers le perçoivent principalement comme un parcours de santé. Toutefois, les usagers reprochent au parc le problème de sécurité. Cette image négative est associée au manque de surveillance et de sécurité et à la présence de chiens errants. La représentation du parc est fondée sur une comparaison de la situation d’avant et celle d’aujourd’hui. Pour les personnes interviewées, le parc est mal exploité et les activités proposées ne répondent pas aux besoins des usagers.

Fig. 6. Carte de spatialisation des Pratiques sociales dans le Parc Ennahli.
Source : personnelle (fond image google).

2.4. La capacité d’inclusion des espaces verts à Ariana

Nous avons réalisé un diagnostic en vue de vérifier si les espaces verts objets de l’étude sont des espaces d’inclusion sociale. Pour les indicateurs de ce diagnostic, nous nous sommes basés sur les guides internationaux en la matière (guide inclusive urban planning, the Word Bank).

Nous avons restitué les résultats du diagnostic dans le tableau 1

Tab.1. Diagnostic d’inclusion des espaces verts dans la commune de l’Arian.
Source : personnelle.

             - Les indicateurs d’infrastructures et de confort : les espaces verts de l’Ariana ne sont pas bien notés. En effet, les trois espaces étudiés souffrent à des degrés différents de manque d’infrastructure et de mobilier les rendant moins confortables et appropriables par les usagers. La réalité est que ce manque est le plus souvent dû à un problème d’entretien des espaces verts. Une situation qui devient de plus en plus critique surtout que les communes parlent de budget insuffisant. Les représentants de la société civile dénoncent une mauvaise gestion du budget. Dans le même sens, les espaces verts urbains souffrent de nuisances sonores provenant des bruits de la circulation véhiculaire. Les problèmes de déchets et de salubrité génèrent des nuisances visuelles et olfactives.

             - Les indicateurs de connectivité : les espaces verts étudiés sont accessibles à partir des quartiers avoisinants à pied ou à vélo. L’accessibilité par le transport en commun reste problématique pour le parc Ennahli qui se trouve dans une zone périurbaine mal desservie par les transports en commun. Il y a une absence de signalétique permettant de se déplacer dans les espaces étudiés. La structure des chemins à l’intérieur des jardins est adoptée d’une manière générale, sauf dans le parcours de santé d’Ennahli où des raccourcis ont été imposés par les usagers.

             - Les indicateurs de la sécurité publique : la question de la sécurité est problématique pour les espaces étudiés surtout pour le parc Ennahli. La raison la plus évoquée par les usagers est l’absence d’agents de sécurité et de caméra de surveillance. D’autres éléments physiques développent ce sentiment d’insécurité comme la végétation mal taillée qui cache la visibilité, l’état dégradé des installations et les ordures donnant l’image d’un territoire délaissé. Les clôtures qui sont systématiquement construites autour des espaces verts pour éviter qu’ils soient saccagés, constituent paradoxalement une invitation aux drogués, aux alcooliques et aux sans domiciles fixes. Ces derniers y trouvent refuge et se les approprient. Certains usagers prétendent que ces squatteurs saccagent exprès les lampadaires afin de noyer les jardins dans l’obscurité leur permettant d’être à l’abri de la police.

             - Les indicateurs de la fréquentation : autant le jardin d’Ennasr II et le Parc Ennahli sont bien fréquentés par une population variée entre homme et femme et de tous les âges, autant le jardin de Bir Bel Hassen est déserté. Il est un simple espace de passage et n’est pas approprié par les usagers. Le jardin est perçu comme un espace "privé" ou "annexe" au bâtiment de la commune.

             - Les espaces verts et publics à l’Ariana comme partout en Tunisie, sont conçus sans prise en compte de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite PMR, aux non-voyants et personnes à besoins particuliers. Aucune norme n’est écrite en ce sens, sauf une pente exigée à côté des marches. Les pentes sont souvent mal exécutées et les cheminements faits avec des matériaux rugueux inconfortables pour les chaises roulantes ou les béquilles. Nous ne trouvons ni signalisation sonore pour les non-voyants, ni équipements de jeux pour les enfants en fauteuils roulants, ni toilettes selon les normes PMR.

Conclusion

Nous avons tenté dans cet article de poser la question de la nature dans la ville comme un droit qui se décline du droit à la ville. La commune de l’Ariana et ses espaces verts nous ont servi de terrain d’étude afin d’expérimenter une analyse du droit à la ville à travers les indicateurs de la participation citoyenne, de l’équité territoriale, de l’inclusion sociale et de l’appropriation de l’espace.

L’évaluation de la participation citoyenne comme démarche de production des espaces verts à travers l’analyse du jeu des acteurs nous permet de conclure qu’en dépit d’une réglementation claire en la matière et d’une société civile active et experte, le désintérêt des citoyens et la résistance de l’administration constituent les principales entraves à la démarche participative et à la bonne gouvernance.

L’enquête a relevé un décalage dans la répartition des espaces verts entre les arrondissements de la commune de l’Ariana. Cette forme d’injustice trouve son explication dans les mécanismes de productions des lotissements et des quartiers et leurs morphologies urbaines. Toutefois, nous craignons que le désengagement des habitants des quartiers défavorisés de la gestion de leurs espaces risque - dans un contexte où le budget et les projets se décident par la démarche participative- d’aggraver leurs marginalisations.

La comparaison entre l’espace conçu et l’espace perçu et approprié par les usagers nous permet de confirmer la nécessité de se rapprocher des besoins des habitants lors de la conception des espaces verts dans la ville. L’administration, attachée à sa propre représentation de l’espace vert et à ses références, risque de produire des projets qui seront désertés ou réinventés par détournement de leurs fonctions. (comme pour le jardin Bir Belhassen)

Enfin, le diagnostic du design inclusif nous permet de dire que les espaces verts étudiés dans la commune de l’Ariana sont partiellement inclusifs. Certains points sur l’entretien, l’accès par le transport en commun, la sécurité et l’accessibilité aux handicapés sont à améliorer.

Notes

1 Henri Lefebvre, 1968, p.107.
2 La charte mondiale du droit à la ville, right2city.org
3 Emilie Gaillard, 2020.
4 Plan Régional d’Aménagement de Tunis, 1977.
5 Plan d’Aménagement Urbain, 2017.
6 60 enquêtés de manière aléatoire au sein des 3 espaces verts étudiés.
7 Aissa Baccouche, 2015, p.14.
8 Ibid., p. 24
9 Luis del Marmol y Carvajal, 1667, p. 496.
10 Ali Hemriti, 2004, p. 20.
11 Le jardin "Abou Fehr" fut appellé jardin "El Battoum" au XVIIème siècle.
12 Ali Hemriti, 2004, p. 93.
13 Description de Ibn Khaldoun, in Baccouche,2015, p. 34.
14 Ali Hemriti, 2004, p.110.
15 Aissa Baccouche, 2015, p. 36.
16 Ibid., p. 94.
17 Société Nationale Immobilière de la Tunisie
18 Agence Foncière d’Habitation
19 Faouzi Zaraii, 2006, p. 224
20 Imen Zaafrane et Sami Yassine Turki, p.78
21 Accord signé le 11 novembre 2011 entre le CILG-FMC et l’ATU ; Programme Pour un Leadership Municipal Inclusif, financé par Affaires Mondiales Canada.
22 Entretien avec la responsable du comité de la démocratie participative, gouvernance et lutte contre la corruption dans la commune de l’Ariana.
23 Entretien avec représentante de l’association citoyenneté d’Ennasr.
24 Idem.
25 Entretien avec la représentante de l’Association espace vert El Menzah.
26 Entretien avec représentante de l’association citoyenneté d’Ennasr.
27 Entretien avec la représentante de l’Association espace vert El Menzah.
28 Idem.
29 Idem.
30 Ali Hemriti, 2004, p.126.
31 Imen Zaafrane, Sami Yassine Turki, 2009, p. 81.

Bibliographie

BACCOUCHE Aissa, 2015, L’Ariana : Du village à la grande ville, édition Arabesques, Tunis.

COSTES Laurence, 2009, Henri Lefebvre Le droit à la ville, Vers la sociologie de l’Urbain, édition Ellipse, Paris.

GAILLARD Emilie, 2020, « Point de vue ; Vers l’instauration d’un droit fondamental d’accès à la nature », in Ouest France [en ligne] mise en ligne le 30/11/2020,consulté le 25/10/2021,
URL:https://www.ouest-france.fr/environnement/point-de-vue-vers-l-instauration-d-un-droit-fondamental-d-acces-a-la-nature-7067450

HEMRITI Ali, 2004, L’Ariana à travers le temps (ouvrage en langue arabe), édition Zakhâref, Tunis.

LEFEBVRE Henri, 1968, Le droit à la ville, Anthrops, Edition le Seuil, Paris.

MARMOL y Carvajal Luis, 1667, L’Afrique de Marmol , traduit en 1830 par PERROT Nicola, Édition Hachette, Paris.

ZAAFRANE Imen et TURKI Sami Yassine, 2009, « Les espaces verts dans le Grand Tunis, entre programmation et réalisation » in Villes et espaces verts, Centre de Publication Universitaire, Tunis, p. 63-85.

ZARAII Faouzi, 2006, L’extension urbaine dans la périphérie de Tunis, le cas du Nord de l’Ariana (document en Arabe). Edition FSHS, Tunis.

La charte mondiale du droit à la ville, right2cty. org

Handbook for Gender –Inclusive Urban Planning Design, 2020, WOLD bank, Washington.

Le PAU Plan d’Aménagement Urbain de la commune de l’Ariana 2017.

Le PRA premier plan régional de la capitale, 1977.

Entretien avec la responsable du comité de la démocratie participative, gouvernance et lutte contre la corruption dans la commune de l’Ariana.

Entretien avec représentante de l’association citoyenneté d’Ennasr.

Entretien avec la représentante de l’Association espace vert El Menzah.

Auteur

Olfa Ben Medien

Maître Assistante (Université de Carthage, Institut Supérieur des Technologies de l’Environnement de l’Urbanisme et du Bâtiment, Laboratoire Villes Durables et Environnement Construit)

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