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01 | 2016

La Ville de Gaâfour : une cité de cheminots

Khadija Derbel

Résumé

La découverte des mines dans le haut Tell a mis en valeur la Tunisie centrale et a permis l’expansion du réseau ferroviaire Tunisien, par la construction de la ligne Tunis-Kalâat Es-snam. Le domaine de Gâafour, sur cette ligne, a été transformé en un immense chantier de construction et a donné naissance à un complexe ferroviaire comprenant une gare ainsi qu’une cité ouvrière destinée à loger le personnel nécessaire à l’exploitation du site.

L’étude de la création de telle réalisation présente bien des intérêts. Tout d’abord, la gare et la cité ont donné naissance à une nouvelle agglomération. Cette dernière représente une entité géographique de la dimension d’une petite ville dotée de toutes les modernités et qui doit son existence à la volonté d’une société, la compagnie de chemin de fer Bône Guelma, et de ses habitants. La composition et la disposition intérieures de la gare et de la cité sont le fruit d’une longue évolution urbaine et d’une réflexion architecturale, qui confèrent une identité propre à la ville de Gâafour.

Mots clés

Gâafour, chemin de fer, cité ouvrière, architecture coloniale.

Pour citer cet article

Khadija Derbel, « La ville de Gaâfour : une cité de cheminots », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°1, Année 2016.

URL : http://www.al-sabil.tn/?p=4479.

Texte integral

Introduction

Le chemin de fer a vu le jour en Tunisie avant 1881, date d'instauration du Protectorat Français sur la Tunisie. La première ligne de chemin de fer a relié Tunis, la Goulette et la Marsa (TGM) et fut inaugurée le 2 Août 1872 et la ligne reliant Tunis à Ghardimaou longue de 192 Km fut mise en service en 1878. Ces deux lignes furent le préambule à de nombreuses autres lignes qui allaient être étendues dans tout le pays.

Une fois installée en Tunisie, la France a commencé à construire son réseau de chemin de fer guidée par des objectifs clairs et précis. Les premières lignes de chemin de fer furent motivées par des intérêts commerciaux et ainsi que par une volonté politique. C’est ainsi que les premiers tronçons furent toujours construits en direction des côtes menant directement vers les ports.

L’étude de la diffusion spatiale du réseau ferroviaire colonial est significative. Elle est perçue comme un investissement nécessaire, visant à encourager l’exploitation des ressources de la nouvelle terre et a intéressé pour cela au début principalement les régions agricoles. Ainsi, il n’était pas étrange de voir la première ligne ferroviaire relier Tunis aux régions céréalières passant par les zones les plus riches. Toutefois, ce schéma a rapidement été bouleversé, dans une première phase, par la découverte en 1885 de considérables gisements de phosphates, près de la frontière Sud-ouest de la Tunisie qui donnèrent naissance au réseau Sud dont l’unique souci était d'extraire les phosphates et de les exporter. En deuxième phase, la découverte de mines, dans le haut Tell a permis de développer un nouveau projet d’expansion du réseau ferroviaire introduit par l’activité minière. Le projet de la ligne Pont du-Fahs le Kef devint une ligne Pont-du-Fahs Kalâat Es-snam qui reliait directement les mines de cette dernière au port de Tunis. Le chemin de fer agricole se mua en chemin de fer minier1 qui desservi les intérêts de la colonisation.

Ainsi l’étude de la propagation spatiale du réseau ferroviaire montre une nouvelle dimension pour le territoire tunisien qui avant le rail, en dehors des grandes villes, était cloisonné et désert. Les régions s’organisèrent au Sud et au Nord-ouest, la forte colonisation laissa des traces profondes et contribua à créer, dans les régions traversés par le chemin de fer, des villages sans base.

Le rail a laissé des traces profondes sur le domaine Gaâfour, qui a été créée par la construction d’une gare, située dans une zone stratégique. Ce domaine actif, présentait en effet un point de passage obligé entre Tunis et Alger. Il a connu, depuis la période coloniale, des profondes mutations liées principalement à une dynamique ferroviaire et fonctionnelle. En effet, la mise en œuvre de la ligne a imposé des opérations de développement dans la région, qui se concrétisées par une nouvelle forme d’organisation spatiale.

I- Le rail et la naissance du village de Gaâfour

Le village de Gaâfour, actuellement une commune de Siliana, dépendait à l’origine du contrôle civil du Kef, annexe à la Caïdat de Téboursouk. Il est situé sur un affluent de Medjerda à 121 Km de Tunis. Avant l’ouverture de la ligne de chemin de fer du Pont-du-Fahs à Kalâat Es-snam et de ses embranchements2, Gaâfour n’était que le centre d’exploitation d’un domaine agricole qui ne se composait que du Bordj du gérant et d’un petit village arabe sans importance3. Le projet de ligne Pont-du-Fahs Kalâat Es-snam et de ses embranchements a été vivement souhaité par la société foncière de Gaâfour, qui pour amener chez elle le rail, offrit de céder gratuitement toute la surface nécessaire tant à la plateforme qu’à un village4. La compagnie ferroviaire de Bône Guelma, se chargea de la construction de la voie ferrée, de la cité ouvrière, des services publics du village et l’exploitation du réseau.

L’ouverture du chemin de fer a laissé de nombreuses traces sur Gaâfour. Ce petit centre colonial a connu depuis 1904 des mutations urbaines d’une rapidité sans précédent, portés par l’inauguration de ligne Pont-du-Fahs Gaâfour5 et la création de la cité ouvrière. En 1911, Jaques Lacour Gayet est écrit : En montant vers les gîtes miniers par la ligne de Kalaa Djerda, à 121 kilomètres de Tunis, on découvre, après une longue et tortueuse escalade, au pied d’une colline, un moutonnement de toits rouges, alignés comme des képis un jour de revue. C’est Gaâfour, la cité ouvrière, édifiée au cœur du désert,…... par la Compagnie Bône Guelma6.

1- L’organisation de la gare

Le bâtiment de la gare réunit tous les bâtiments liés à l’exploitation des chemins de fer ce qui fait figure d’exception dans le territoire de Gaâfour. L’étude du site ferroviaire révèle une variété incroyable des types de bâtiments indispensables au fonctionnement des trains. Certains occupent encore la même fonction, bien que beaucoup d’éléments aient aujourd’hui cessé de fonctionner.

- Le bâtiment des voyageurs

L’édifice de la gare de Gaâfour est d’une superficie d’environ 200m². Sa disposition intérieure ne diffère pas de celle adoptée pour les autres gares de la ligne de Pont-de-Fahs – Kalaât Es-snam, et se compose d’un corps principal et d’une aile. Le corps principal comprend, au rez-de-chaussée, une salle d’attente, une salle à bagages, des bureaux de service, un guichet et une cage d’escaliers donnant accès à l’étage.

L’étage est occupé par le logement du chef de la gare. Il est composé de trois pièces, un salon, une cuisine pouvant servir de salle à manger, un débarras, une cabine de douche et des toilettes. Enfin, un grenier est accessible par une échelle de meunier partant du palier d’arrivée de l’escalier. L’aile, quant à elle, est destinée au bureau du chef de gare.

Fig.1. La gare de Gaâfour.

Dès l’origine, le bâtiment de la gare était précédé par une placette, aménagée actuellement en jardin, qui desservait l’accès au logement du chef de gare et l’accès du personnel.

Fig.2 et 3. La placette de la gare.

La façade principale de la gare est de composition classique avec une distribution régulière des portes et des fenêtres, de forme rectangulaire allongée, et marquée par des bandeaux saillants, couronnée d’une toiture inclinée recouverte de tuiles rouges. Le bâtiment est construit en maçonnerie de moellons de 0.70m pour les gros murs extérieurs et de briques creuses pour les murs intérieurs.

Fig.4. Façade principale.
Fig.4. Façade latérale.


- Remise de voiture et bureaux

Plus loin, un peu à l’écart de la gare, se trouve un immense bâtiment, qui héberge la remise de voiture et les bureaux. Ce bâtiment est implanté sur le même alignement que le bâtiment principal. Il s’agit d’une construction rectangulaire à double hauteur, doté de part et d’autre de deux ailes au rez-de-chaussée. Les deux ailes abritent les bureaux.

Fig.6. La remise de voiture et les bureaux.

- Les ateliers de réparation

Les ateliers de réparation sont indispensables à l’entretien et à la maintenance courante des machines. Ces ouvrages sont des bâtiments fonctionnels par excellence. Ils sont implantés loin de la gare et en face des les ateliers de remise à locomotives.

- Les hangars à locomotives (dépôt de machines)

Le plan des hangars à locomotives est très rationnel. Ils sont semblables au bâtiment de l’atelier de réparation qui leur fait face. On remarque que les hangars et les ateliers possèdent un certain nombre de points communs comme de grandes ouvertures dans la façade, ainsi que le soulèvement et l’inclinaison d’une partie de la toiture pour laisser entrer la lumière dans les ateliers.

Fig.7. Atelier de la gare.
Fig.8. Dépôt de machines.

Les hangars et les ateliers, dont les aspects extérieurs rappellent, autant que possible, celui du bâtiment principal de la gare, sont bâtis suivant un plan de forme rectangulaire avec des toitures inclinées charpentées en fer et couvertes de tuiles. L’architecture des hangars paraît moins variée que celle des gares. Cela s’explique par le fait qu’ils étaient conditionnés par leur fonction.

Outre ces espaces principaux, on trouve également dans cet ensemble ferroviaire, une buvette7 et une cabine de toilettes. L’aspect architectural de ces espaces rappelle également celui de la gare.

Fig.9. Buvette de la gare.
Fig.10. Le bloc sanitaire.
Fig.11. Façade du bloc sanitaire.

Un laboratoire d’analyse des eaux a également été aménagé pour l’alimentation des locomotives, ainsi que des réservoirs d’eau près des ateliers de remise des voitures et non loin de la cité ouvrière.

Les diverses installations liées à l’exploitation des chemins de fer et aux besoins de la compagnie dans le village de Gaâfour font partie des premières installations érigées sur le site. Ils sont très représentatifs de l’architecture ferroviaire dans le bassin tellien, et sont visibles de façon récurrente dans de nombreuses gares qui témoignent de l’histoire des chemins de fer en Tunisie.

2- L’organisation de la cité ouvrière

L’objectif de la compagnie en s’installant à Gaâfour était orienté vers la création d’une réserve de matériel et de personnel. Le projet ferroviaire de Bône-Guelma comprenait, outre la gare proprement dite, l’édification d’une cité destinée à assurer le logement des cheminots non loin de la gare. Cependant, les premiers lignes du lotissement « Henchir Gaâfour » furent ainsi piquetées parallèlement aux travaux de construction du chemin de fer, d’esquisser le plan du projet « de la cité des cheminots », à proximité de la gare, qui comprenait un total de 102 maisonnettes pouvant loger 350 personnes. On assista également au même moment à la mise en fonctionnement de la ligne qui s’accompagna de l’édification des premières bâtisses pour loger les agents de la compagnie, qui formèrent la majeure partie de la population de Gaâfour.

La création de la cité ouvrière était liée à des considérations d’ordre politique, économique et social, définies dans le tracé de la cité et l’implantation des logements. Les administrateurs de la compagnie souhaitaient que la cité soit construite à proximité de la gare. De plus, ils n’hésitaient pas d’autoriser la construction des vastes logements réunissant les meilleures et les plus modernes conditions d’hygiène. Les maisons construites dans la cité présentent ainsi un aspect de villas, qui offraient alors des prestations peu répandues à l’époque : eau courante, cabinet de toilette avec fosse septique, buanderies et jardin. Il est à noter à ce propos que les logements étaient répartis entre le personnel selon une hiérarchie rigoureuse propre au domaine du chemin de fer.

Cette hiérarchie, décrite par Jacques Lacour- Gayet, fournit à l’inspecteur, au médecin, au chef de dépôt, au chef de section, le « type A » , le « type B », quatre pièces , trois pièces et cuisine ; au mécanicien, au chauffeur, au conducteur, au facteur , le « type C », deux pièces et cuisine; à un rang plus humble, le modeste « type I » qu’apprécie le poseur indigène de la voie, issu du gourbi patriarcal….Quant aux célibataires, deux « type F », vastes caravansérails où les femmes n’ont pas accès, en abritent chacun vingt, et réunissent, sur d’élégants balcons couverts, autant de petites chambres. Chacun est en somme logé selon son emploi et son état civil8.

Fig.12. Type « A et B ».
Fig.13. Type « C ».
Fig.14. Type « I ».
Fig.15. Type « F » : Les caravansérails.

Le lotissement « Henchir Gaâfour », apparait comme un véritable îlot reculé par rapport à la gare. Il est bordé à l’Est par les voies ferrées de la gare, au Nord par l’Oued Namous au Sud par la rue de la gare et à l’Ouest par la route N°61.

La première phase du projet de lotissement « Henchi Gaâfour » représentait le noyau initial de la cité. Ce noyau se présentait sous la forme d’un plan orthogonal où trois rues délimitaient les deux files de maisonnettes9. Les maisons construites avaient un aspect de villas individuelles en série, implantées au milieu de la parcelle avec des retraits sur les quatre cotés afin de créer un tout petit jardin.

Les rues desservant les maisons étaient aménagés avec des fossés latéraux et des empierrements. L’aménagement des rues et la pose des canalisations d’eau furent effectués au fur et à mesure de l’extension de la cité.

L’eau nécessaire à la cité était fournie par la station de pompage alimentant la gare et installée au Sud de la ligne prés de l’Oued Siliana. Cette station fournissait également l’eau pour la partie du village en dehors de la cité.

Fig.16. Vue générale de la cité.

Toutes les maisons d’habitation construites suivaient un plan simple, et comportaient un rez-de-chaussée accueillant les pièces de vie commune, les espaces de service et les chambres. Chaque maison était bâtie en maçonnerie et couverte par une toiture inclinée, plus large que le bâtiment d’une côté, et soutenue par des piliers qui supportaient la toiture et formaient l’espace de la véranda.

La façade principale sur la rue était percée par des fenêtres. L’entrée de chaque logement se faisait sous un porche dont la forme varie d’un type de maison à l’autre. La porte principale surélevée de deux marches donnant sur un vestibule intérieur desservait les différentes pièces de l’intérieur.

La composition et la disposition intérieures des logements sont le fruit d’une réflexion conceptuelle des ingénieurs de la compagnie qui se sont référés aux modèles type des maisons bon marché de l’époque, en le modifiant, en l’interprétant et en le perfectionnant suivants leurs propres méditations.

Cette première phase de la construction de la cité du cheminot, débuté en 1904, fut suivie par le projet d’extension du lotissement, aux abords du premier, pour répondre à la demande croissante de logements.

Ce projet, proposait outre la construction de 72 logements supplémentaires, des modifications sur le plan du lotissement de 1904. Les modifications demandées par la compagnie fermière de Tunis avaient pour but de permettre une meilleur utilisation des terrains et une amélioration de l’aspect de la cité10. Le plan de modification des découpages des parcelles a été esquissé par les ingénieurs de la compagnie fermière de Tunis en 1931 et concernait les terrains situé en direction d’Oued Namous.

Fig.17. Projet d’extension de la cité de Gaâfour11.

Les documents d’archives montrent par ailleurs deux autres projets de lotissements12 sur les terrains situés de l’autre côté de l’avenue de la gare. Au début de l’année 1932, les services de la compagnie présentèrent un ensemble de croquis du lotissement afin de déterminer le terrain qui va accueillir la future extension de la cité. Le choix des ingénieurs de la compagnie Bône Guelma se porta finalement sur une centaine d’hectares presque inhabités. Une décision approuva les propositions de la compagnie et les deux projets furent autorisés par arrêté du 8 Octobre 1932.

Fig.18. Projet de lotissement Gaâfour 193213.

II- La morphologie urbaine de la cité de cheminots

La lecture du plan du lotissement du village de Gaâfour de 1904 nous donne un relevé précis du découpage initial du sol, de la forme des îlots, des parcelles et de la forme des premières maisons bâties. Le terrain sur lequel a été implantée la cité ouvrière était de forme irrégulière, bordé sur deux côtés par Oued Namous et Oued Dechra.

Le traçage urbain de la cité ouvrière fut constitué d’un quadrillage simple délimitant des ilots, résultat du découpage du sol en forme de mailles orthogonales. Ils étaient de ce fait rectangulaires, d’une longueur variant entre 86 m et 110 m et d’une largeur d’environ 60 m. Quant au découpage des parcelles, il obéissait aux mêmes principes de régularité que ceux des îlots. En effet, chaque îlot était découpé en parcelles de terrains d’une superficie qui variait entre 300m² et 500m² pour les îlots réservé à l’habitation.

Le relief a imposé une légère déformation dans les dimensions et les formes de certains îlots, ce qui a conduit à l’apparition d’îlots de formes trapézoïdale. Du coup, avec les variations dans la forme, on peut aussi observer des variations dans les superficies de certains îlots.

Fig.19. Extrait du plan de lotissement de 190414(le premier noyau bâti).

La construction des logements était habituellement réalisée au centre de la parcelle avec des retraits, variant entre 3 à 4 m, sur les quartes cotés, en respectant l’alignement par rapport à la rue. Enfin, l’occupation de la surface disponible était généralement de 50%, le reste du terrain étant aménagé en jardin.

La cité était desservie par une voie principale de 30 m de largeur, située dans l’axe de la gare et des voies secondaires de 15 m qui délimitaient les ilots de la cité. Le tracé des voiries prévoyait la création d’une place au centre du lotissement, dans l’axe de la voie principale, qui se présentait sous la forme d’un rectangle. La placette permettait ainsi d’offrir l’image d’un lotissement structuré et bien équilibré, montrant que la compagnie de chemin de fer Bône Guelma avait tenté de structure la ville afin que son plan ressemble à celui des villes nouvelles françaises. L’ensemble réalisé donnait ainsi l’aspect d’une agglomération vaste et aérée.

Fig.20. Le tracé des voiries15.

Avec l’évolution du projet réalisé en 1931, les tracés et les découpages réguliers des parcelles du plan de lotissement de 1904 ont été modifiés. On constate notamment à la lecture du plan du lotissement de 1931 des modifications dans le tracé des voies qui contribuèrent grandement à donner une nouvelle forme urbaine à la cité. Sa physionomie s’éloigna du principe de grille orthogonale pour donner naissance à des croissements et l’aménagement d’un jardin au centre du lotissement. Il est remarquable que le plan en damier et le système parcellaire de cette cité de cheminots, fondée dans les années 1904, ait pu continuer à accepter les transformations urbaines successives en préservant la forme urbaine initiale, et ceci malgré la profonde mutation d’une importante partie de la cité.

texte

III- Les actions d’équipement et la naissance d’un centre urbain

L’urbanisation de l’agglomération de Gaâfour est définie par les actions d’équipement du territoire liées à la croissance démographique rapide, à l’extension spatiale et à la dynamique fonctionnelle.

La création de la cité ouvrière annonce une nouvelle ère historique pour le territoire de Gaâfour. Partout dans le quartier de la gare, des nouvelles constructions ont été progressivement mises en place. C’est le cas par exemple avec l’édification d’un certain nombre d’équipements essentiels à la vie collective tels que : une école- poste pour les garçons (1905)16, une école pour les filles (1908)17, un poste de police, un bureau de poste (1909)18, une salle tenant lieu l’église (1911), une boulangerie, une épicerie, trois cafés et un terrain de tennis qui fut seulement dessiné mais presque aussitôt abandonné.

Fig.21 et 22. Quelques équipements collectifs de l’agglomération de Gaâfour.
Fig.23, 24 et 25. Quelques équipements collectifs de l’agglomération de Gaâfour.

Ces édifices remarquables ont été conçus par des architectes français dans le même style que les maisons d’habitation. Cela se voit en particulier sur leurs façades qui en présentent des influences très marquées. Au même moment, un réseau des voies publiques qui relient les équipements collectifs à la gare a été mis en place. Enfin, des équipements modernes en matière d’adduction d’eau, d’éclairage de voirie, d’assainissement et d’enlèvement des ordures ménagères ont fait leur apparition et ont donné au quartier une dimension communale.

Fig.26 et 27. Les équipements d’adduction d’eau.

Simultanément avec les actions d’équipement, des groupes d’européens (français et italiens), d’année en année plus nombreux, sont venus augmenter la population de Gaâfour, qui est passé de 350 personnes, en 1904, à environ 800 habitants en 1911 dont 342 français , 166 italiens et 300 indigènes, puis à 1000 habitants en 1912, dont 400 européens19 .

La croissance démographique a conduit à étudier et à initier une organisation municipale dans le village. « Un comité de cité » est né spontanément de la nécessité de nettoyer et d’éclairer les avenues, d’éviter les rixes et de faciliter les déménagements, ce qui a initié tous les travaux de voirie et d’éclairage20.

A partir de 1907, la question de la création d’une commune dans le territoire Gaâfour a été posée avec insistance par les habitants qui sentaient que ce territoire doté d’infrastructures et d’équipements nécessaires à la vie sociale devait avoir son propre système de gestion. Des nombreuses correspondances ont été échangées à ce sujet avec le contrôle civil du Kef pour doter Gaâfour d’une organisation municipale mais celui-ci a rejeté la demande des habitants.

Toutefois, quelques années plus tard, précisément en 1920, le gouvernement a finalement répondu favorablement au vœu des colons de Gaâfour et permis la création d’une commune rurale21. Le contrôle civil de Téboursouk présente la reconnaissance de l’importance du centre de Gaâfour qui prend chaque jour plus d’extension22. Il confirme que « la contribution d’une commune rurale dans cette localité rendrait les plus grands services en dotant la région d’un organisme qualifié pour servir l’autorité supérieur des besoins du pays23 ».

A partir de cette date, le village de Gaâfour a acquis son statut de centre urbain dont l’essor est principalement dû au chemin de fer.

Conclusion

Le chemin de fer a véritablement bouleversé l’existence du petit village de Gâafour, à l’origine peuplait principalement d’agriculteurs et d’artisans, pour le hisser au rang des plus importantes villages de la Tunisie.

C’est ainsi qu’après l’inauguration de la ligne de chemin de fer Pont-du-Fahs Kalaât Es-snam, Gaâfour est devenue une importante cité de cheminots, grâce à la volonté de la compagnie du chemin de fer Bône-Guelma. Les conditions particulières de sa création lui confèrent ainsi une identité propre. Bien qu’elle présente une agglomération dotée de toutes les « modernités » et forme une entité géographique de la dimension d’une ville, elle apparaît comme un véritable îlot entièrement replié sur lui même.

Cette cité de cheminot, assez particulière, qui cumule une architecture de qualité et une esthétique soignée rompant avec les autres villes de la Tunisie, est actuellement méconnue et marginalisée. L’ampleur de ses constructions, très bien conservées, ainsi que plusieurs autre indices de sa richesse devront être prises en considération de façon à insérer le village dans une nouvelle logique de revalorisation et de compétitivité.

Notes

1Charles "Monchicourt, 1913, p. 447.
2 Les travaux de construction de la ligne de Pont-du Fahs à Kalâat Es-snam avec embranchement sur le Kef et sur Kalâat Djerda, commencés en Février 1903, ont été terminés au mois de Mars 1906.
3 Ramzi Slim, 2012, p. 33.
4 Charles Monchicourt, 1913, p. 447.
5 La convention, du 7 Octobre 1901, passé entre le gouvernement Tunisien et la compagnie Bône-Guelma, ne prévoyait l’ouverture de ligne qu’après achèvement complet, mais dans le but de donner satisfaction aux habitants des régions traversées, la compagnie a été autorisée à régulariser à ses risques et périls, des trains de construction sur les tronçons successifs à mesure de leur exécution. La ligne fut mis en œuvre sur plusieurs phases : Tunis-Pont du Fahs 1897(63km) ; le tronçon Pont- du-Fahs Gaâfour 1904 (57 km), le tronçon Gaâfour- Kalâat Djerda 1905(110 km). L’embranchement les Salines à le Kef 1905 (31km). L’embranchement de Kalâat Djerda à Rhilan 1931 (36 km).
6 J.L. Gayet, 1911, p. 374.
7 Ce bâtiment a cessé de fonctionner et est actuellement dégradé.
8 J.L. Gayet, 1911, p. 374-375.
9 J.L. Gayet, 1911, p. 374.
10 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 58 : Plans relatifs à l’alimentation d’eau et l’aménagement de deux rues et l’extension de lotissement de cité ouvrières à Gaâfour.
11 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 58 : Plans relatifs à l’alimentation d’eau et l’aménagement de deux rues et l’extension de lotissement de cité ouvrières à Gaâfour.
12 Le projet de lotissement de Gaâfour a fait l’objet du titre foncier N°36785. Le projet de lotissement « Duret » a fait l’objet du titre foncier N° 38504.
13 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 58 : Plans relatifs à l’alimentation d’eau et l’aménagement de deux rues et l’extension de lotissement de cité ouvrières à Gaâfour.
14 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 28 : Procès-verbal, correspondances et plans relatifs à l’agrandissement de l’école de garçon à Gaâfour, 1905-1934.
15 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 58 : Plans relatifs à l’alimentation d’eau et l’aménagement de deux rues et l’extension de lotissement de cité ouvrières à Gaâfour.
16 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 28 : Procès-verbal, correspondances et plans relatifs à l’agrandissement de l’école de garçon à Gaâfour, 1905-1934. Les plans ont été esquissés par l’architecte Raphael Guy et les travaux ont été exécutés par l’entrepreneur Milazzo Salvator.
17 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 28 : Procès-verbal, correspondances et plans relatifs à l’agrandissement de l’école de garçon à Gaâfour, 1905-1934. Les plans ont été esquissés par l’architecte Raphael Guy.
18 Archives Nationales de Tunisie, Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 51 : Procès-verbaux, correspondances et plans concernant la construction d’un bureau de poste à Gaâfour, 1909-1933. Les plans du bureau de poste ont été esquissés par l’architecte Gaudet et les travaux d’exécution ont été établis par l’entrepreneur Sansone.
19 En 1956 la population européenne représentait 914 personnes et 5782 autochtones, la population passa de 6696 habitant en 1956 à 5022 en 1966 par suite du départ des colons et de l’émigration.
20 Ramzi Slim, 2012, p.35
21 Archives Nationales de Tunisie, Série E, Carton 621, Dossier 41/1, 1907-1933 : la création d’une commune à Gaâfour.
22 Archives Nationales de Tunisie, Série E, Carton 621, Dossier 41/1, 1907-1933 : la création d’une commune à Gaâfour.
23 Archives Nationales de Tunisie, Série E, Carton 621, Dossier 41/1, 1907-1933 : la création d’une commune à Gaâfour.

Bibliographie

Sources

Archives Nationales de Tunisie (A.N.T.), Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 58 : Plans relatifs à l’alimentation d’eau et l’aménagement de deux rues et l’extension de lotissement de cité ouvrières à Gaâfour.
A.N.T., Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 28 : Procès-verbal, correspondances et plans relatifs à l’agrandissement de l’école de garçon à Gaâfour, 1905-1934.
A.N.T., Fonds M, Série M3, Carton 18, Dossier 51 : Procès-verbaux, correspondances et plans concernant la construction d’un bureau de poste à Gaâfour, 1909-1933.
A.N.T., Série E, Carton 58, Dossier 5/11, 1905,1932 : Le centre de colonisation de Gaâfour, note du chef de l’annexe de Téboursouk au premier Secrétaire d’ambassade à la résidence général daté le 29 août 1905.
A.N.T., Série E, Carton 621, Dossier 41/1, 1907-1933 : La création d’une commune à Gaâfour.

Références bibliographiques

Gharbi Mohamed Lazhar, 1994, Impérialisme et réformisme au Maghreb, Histoire d’un chemin de fer Algéro-Tunisien, Tunis.
Lacour Gayet Jacques, 1911, « Chemin de fer de Tunisie » in Revue des deux mondes, Tome 3 : Recueil de la politique administratives et des moeurs, Paris, p. 359-379.
Monchicourt Charles, 1913, La région du Haut-Tell, en Tunisie (le Kef, Téboursouk, Mactar, Thala) : Essai de Monographie Géographique, Paris.
Ramzi Slim, 2012, Les chemins de fer tunisiens et la recomposition du territoire, les lignes du Nord et du Sahel (1881-1914), mémoire de mastère en histoire contemporaine, Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba.
Vatin Fernand, 1904, Les chemins de fer en Tunisie, Paris.

Auteur

Khadija Derbel

Doctorante, Laboratoire d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines- Université de la Manouba

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