Klein Richard, « Préface d'acte du colloque international La patrimonialisation de l’architecture des XIXe et XXe siècles et sa réhabilitation », Al-Sabîl : Revue d’Histoire, d’Archéologie et d’Architecture Maghrébines [En ligne], n°16, Année 2023.
URL : http://al-sabil.tn/?p=2716
Texte integral
Le 30 avril 2022, un entretien dans le journal Le Monde se faisait l’écho en France de la sortie de l’ouvrage de Renaud Epstein intitulé On est bien arrivés. Cet ouvrage propose un tour de France des grands ensembles à partir de cartes postales. L’auteur du livre expliquait comment ces cartes postales donnaient une idée du paysage des banlieues françaises à la fois dans leur unité et leur diversité. Il s’agissait pour lui de figurer « un monde en voie de disparition » à partir d’une collection de cartes postales qui constituent pour Renaud Epstein des « archives populaires de la France des 30 glorieuses ».
Dans son introduction, l’auteur du livre ne se contente pas de rappeler les grandes phases de l’édification des ensembles de logements collectifs en France mais il souligne la nécessité de « retourner » les cartes postales pour y lire les textes des habitants qui témoignent d’une vie sociale qui a conditionné durablement plusieurs décennies de vie collective. Le titre « On est bien arrivés » résumant les phénomènes liés à ce nouveau type d’habitat dans la seconde moitié
du XXe siècle. Renaud Epstein, en donnant à voir et à lire ces représentations entend exprimer un contraste entre la politique qui, depuis 2003 en France et la mise en œuvre du plan Borloo, entend faire table rase de ce passé et qui a représenté une dépense de 50 Milliard d’Euros entre
2004 et 2020 consacrée à 600 quartiers situés souvent en périphérie des villes moyennes ou des grandes agglomérations françaises.
Le 27 juin 2022, en introduisant le colloque international La patrimonialisation de l’architecture des XIXe et XXe siècles et sa réhabilitation avec l’exemple du contraste entre cette politique publique visant une nouvelle table rase par la destruction de l’habitat du plus grand nombre imaginé plus d’un demi-siècle auparavant, il s‘agissait pour moi de soulever un des paradoxes de notre situation contemporaine.
On le sait, les consciences patrimoniales naissent souvent à la suite de ravages scandaleux et
inutiles. Les bilans et les évaluations des actions de celles et ceux qui n’ont pas prêté attention
à l’habitation humaine, aux lieux de sociabilité, aux formes et aux programmes architecturaux
des XIXe
et XXe
siècles seront sans doute douloureux à lire.
Mais, les travaux scientifiques qui interrogent les relations entre l’héritage architectural et les
conditions de sa transmission ouvrent toujours les voies de la raison et produisent leurs effetsdans les associations, les administrations, les institutions culturelles et leurs dynamiques
patrimoniales.
Le colloque La patrimonialisation de l’architecture des XIXe
et XXe
siècles et sa réhabilitation
qui s’est tenu à Tunis les 27, 28 et 29 juin 2022 ne déroge pas à cette règle. Il faut donc
s’attendre à des effets positifs à la suite des recherches qui ont été exposées lors de ces
journées : les analyses à l’appui d’une meilleure connaissance historique et technique des
édifices, des quartiers et des villes, les interventions proposant des stratégies de valorisation
de patrimoines d’échelles et de genres très variés jusqu’à ceux qui interrogent les ambiances
et les atmosphères les lieux dont nous héritons. Il s’agit sans doute d’une singularité de cette
manifestation que d’avoir articulé les problématiques trop souvent dissociées de la
connaissance, de la sauvegarde, de la valorisation et des ambiances du patrimoine des XIXe
et
XXe
siècles. Sans doute faut-il attribuer en partie cette forme d’ouverture d’esprit à un autre
héritage, celui de Jean-Pierre Péneau dont la disparition récente a affecté plusieurs générations
d’architectes et de chercheurs qu’il a formé à Nantes, à Grenoble ou à Tunis. Les collègues
enseignants chercheurs des écoles d’architectures et des universités sont nombreux à assumer
son héritage, celui de la recherche appliquée à l’architecture, celui de l’implication dans la
théorie, les sciences et l’histoire. Les développements de ses activités d’enseignant-chercheur
qu’ils soient institutionnels, cognitifs, issus de l’implication directe ou de la transmission et de
la filiation sont donc bien vivants. Dans ce sens, je voudrais remercier très chaleureusement
mes collègues tunisiens de l’hommage qui lui a été rendu lors du colloque qui nous a rassemblé
et que j’ai eu l’honneur de présider. Le colloque, en réunissant des spécialistes des deux rives
de la Méditerranée et en articulant les approches de la connaissance, de la patrimonialisation
et des ambiances a ouvert à de nouvelles visibilités les architectures des XIXe
et XXe
siècles
dont nous partageons l’héritage.
Auteur
Richard KLEIN
Président d’honneur du colloque, professeur d’histoire de l’architecture, architecte Dplg, docteur de l’Université
de Paris I, HDR, chercheur au LACTH, président du CNCEA, président de Docomomo France.